Depuis une quinzaine d’années, les livres sur l’École se
contentent de décrire son agonie avec, en corollaire, la solution de revenir à celle
d’hier ou d’avant-hier.
Avec L’École de demain,
Jean-Michel Blanquer nous invite à changer radicalement de perspective. Et c’est
tant mieux !
L’auteur, qui est
actuellement directeur général de l’ESSEC, a occupé de hautes fonctions dans le
système éducatif français (recteur puis directeur général de l’Enseignement
scolaire). Il connaît donc parfaitement son sujet et sa parole a du poids.
Ce livre expose en 150 pages toute une série de propositions
pour une Éducation nationale rénovée. Depuis la maternelle jusqu’au lycée, en
passant par la carrière des professeurs et l’organisation générale du système
éducatif. L’exposé est concis, clair, rigoureux et très … explicite.
Je reprends ici les passages qui m’ont particulièrement intéressé.
Commençons par l’effet-maître, dont Jean-Michel Blanquer
évoque l’importance : « L’effet-maître
apparaît comme l’effet majeur du système scolaire, qu’il faut en permanence
cultiver et favoriser, au primaire, au collège comme au lycée » (p 80).
Ainsi, il observe que « la qualité d’un
enseignant a un effet très fort sur le destin scolaire des élèves. L’enjeu
essentiel de toute politique éducative ambitieuse doit donc être de viser la
maximisation de cet effet-là ; cela passe par une formation initiale et
continue des enseignants revisitée, entièrement tendue vers la mise en œuvre de
pratiques et de protocoles pédagogiques dont l’efficacité a été démontrée par
la recherche » (p 102).
De fait, « des
études récentes montrent que l’impact le plus fort sur la réussite scolaire
tient aux compétences de l’enseignant et aux pratiques qu’il met en œuvre »
(p 37).
D’où l’importance d’une formation professionnelle de qualité
des enseignants : « En
développant des formations qui prennent appui sur un dialogue nourri et
permanent entre les chercheurs et les enseignants, on rendra possible une
fertilisation croisée entre la salle de classe et les laboratoires
scientifiques de haut niveau » (p 25). Ce qui est en rupture complète
avec les formations dispensées depuis une quarantaine d’années et qui sont
basées sur les croyances obsolètes de l’idéologie constructiviste.
Pour les partisans de l’Enseignement Explicite, la
reconnaissance de l’importance de l’effet-maître a une conséquence fondamentale :
« L’enseignement doit être
structuré, systématique et explicite » (p 22). En un mot efficace.
Or, comment définir ce qui est efficace en pédagogie ? Les
programmes efficaces « utilisent la
même méthodologie, inspirée de la recherche médicale et fondée sur la
“randomisation”, avec un “groupe-témoin” et un “groupe-test”. L’impact des
interventions est ainsi mesuré en comparant le groupe bénéficiant de l’intervention
souhaitée (“groupe-test”) au groupe sur lequel aucune intervention n’est
pratiquée (“groupe-témoin”). La “randomisation” (tirage au sort des enfants d’un
même groupe comparable pour faire partie du groupe témoin ou du groupe
traitement) permet, en outre, d’avoir des groupes homogènes et d’éviter tout
biais statistique » (p 22).
La recherche sérieuse et récente fournit en grand nombre des
résultats qui convergent sans équivoque : « La comparaison internationale montre à nouveau les vertus d’un
enseignement structuré, explicite et centré sur l’acquisition des savoirs
fondamentaux » (p 34). Par conséquent, si on veut un enseignement de
qualité, la conclusion s’impose : « Il faut donc proposer une pédagogie explicite, progressive, qui tienne
compte des sciences cognitives, et qui soit à la fois exigeante et ambitieuse »
(p 38). Pour le moment, en France, nous en sommes encore loin. Et les dernières
réformes consécutives à la fameuse “Refondation de l’École” ne prennent pas ce
chemin. Encore une occasion perdue…
Jean-Michel Blanquer fait d’ailleurs preuve d'un certain
scepticisme à ce sujet. Que ce soit sur les nouveaux programmes : « Tout en conservant certains acquis,
notamment la phonologie et le code alphabétique, les programmes de 2013 [de la maternelle]
vont dans le sens inverse et sont moins ambitieux en n’assumant pas la
continuité des apprentissages entre préélémentaire et élémentaire » (p
143, note) et « La répétition, l’exercice,
la récitation, l’acquisition d’automatismes, auxquels les derniers programmes d’enseignement
ont renoncé au profit d’une multiplication des objectifs » (p 40). Ou
l’esprit même qui a inspiré la réforme : « La dernière réforme illustre la dérive d’une conception du collège
unique vers l’uniformisation par l’égalitarisme » (p 55).
Mais revenons à ce qui est le passage le plus important pour
les partisans de notre courant pédagogique : « À l’école élémentaire, la clé est donc de proposer un enseignement
explicite, progressif et ambitieux » (p 40). Voilà qui est clair !
Il se trouve que Jean-Michel Blanquer connaît parfaitement
ce qu’est l’Enseignement Explicite. Il le définit dans une note pp 144-145 :
« Mouvement pédagogique né aux
États-Unis dans les années 1960, la pédagogie explicite s’appuie sur des
progressions structurées et rigoureuses, allant des notions les plus simples au
plus complexes, qui respectent les aptitudes cognitives – la capacité à
comprendre, à assimiler et à mémoriser – des élèves. Chaque leçon est
structurée de façon identique : mise en situation, rappel des prérequis,
pratique guidée et autonome, révision, évaluation. L’enjeu est de focaliser
explicitement l’attention de l’enfant sur ce qui est pertinent, sur ce qu’il
devra retenir ; pour qu’il puisse saisir la difficulté spécifique de
chaque exercice. » Il nous fait même l’amitié de citer Form@PEx en
référence dans le contexte francophone.
Plus généralement, j’ai aussi noté des observations très
justes concernant la maternelle et l’élémentaire (je laisse le collège et le
lycée à plus connaisseurs que moi). Ainsi, pour la maternelle, on peut lire que
« la scolarité à l’école maternelle
est un moment décisif » (p 15), ce que nous ne cessons de répéter. Une
autre proposition que nous soutenons souligne la nécessaire spécialisation des
enseignants qui y exercent par « la
création, au sein de la formation initiale, d’un certificat d’enseignement en
maternelle » (p 25).
Quant à l’élémentaire, Jean-Michel Blanquer rappelle que « la mission de l’école élémentaire est l’acquisition
– et la maîtrise – des savoirs fondamentaux par tous les élèves » (p
31). Ce qui a été un peu oublié sur les quarante dernières années. Le résultat s’en
fait d’ailleurs cruellement sentir aujourd’hui : « À la sortie de l’école primaire, plus d’un
enfant sur trois est en difficulté ou n’a que des acquis fragiles en lecture,
en écriture et en calcul. Pourtant la recherche montre que presque tous les
enfants peuvent réussir lorsque des méthodes d’enseignement appropriées sont
déployées très tôt » (p 20).
Pour mettre un terme à cette situation, l’auteur nous donne
quelques propositions très simples à mettre en œuvre : « Pour l’école élémentaire, le premier pilier
est constitué par les pratiques pédagogiques appuyées sur les résultats de la
recherche scientifique et la comparaison internationale. Il apparaît essentiel
d’assurer un nombre minimal d’heures en français et en mathématiques (20 heures
sur 26) et de veiller à l’application en classe des pédagogies les plus
efficaces. La logique de l’inspection devra désormais être de se concentrer sur
cet aspect, en veillant à conseiller et à soutenir les professeurs »
(p 42).
À quoi s’ajoute un autre point qui nous semble
particulièrement pertinent : « Il
faut non seulement rétablir les évaluations nationales, mais les étendre à
chaque fin d’année, du CP au CM2. Cela permettra de créer un lien entre les
années, de disposer d’un instrument de pilotage pédagogique, de retrouver les
cohortes permettant d’établir des comparaisons, mais aussi de responsabiliser l’ensemble
des acteurs » (p 43). C’est ce que nous proposons : des
programmes par niveaux d’enseignement accompagnés d’évaluations sérieuses en
fin d’année (utiles à la fois à l’institution, aux enseignants, aux élèves et leurs
familles).
Un autre paramètre capital serait également à changer dans
les plus brefs délais : « Aujourd’hui,
la courbe de financement de notre système éducatif est à rebours des
enseignements de la recherche, avec davantage de moyens consacrés au secondaire
qu’au primaire » (p 20).
Le Primaire est la base de toute scolarité réussie. Ainsi, « la maternelle et l’élémentaire sont les
niveaux clés pour résoudre les problèmes qui paraissent parfois insolubles au
collège » (p 51). Il est très difficile par la suite de revenir sur ce
qui a été loupé dans les enseignements élémentaires, sur les connaissances et
les habiletés qui n’ont pas été mises en place solidement et durablement :
« Le collège fixe les niveaux
scolaires des enfants acquis à la fin du primaire. Il ne permet ni véritable
dépassement du niveau atteint au primaire ni comblement des difficultés
accumulées. La plupart du temps, on sort du collège comme on y est entré :
avec ses points forts et ses lacunes. Aujourd’hui, on retrouve à la sortie du
collège les 20 % d’élèves en difficulté dès la fin de l’école élémentaire,
ceux-là mêmes qui ne maîtrisent pas les savoirs fondamentaux. En somme, le
collège ne parvient pas à remédier aux difficultés apparues dès l’école
primaire » (p 53).
J’ai quand même trouvé un argument de l'auteur avec lequel je suis en
désaccord : « Les recherches montrent à quel point les facteurs extrascolaires sont
au moins aussi importants que les facteurs scolaires pour expliquer la
réussite, l’assiduité, la motivation et donc pour lutter contre le déterminisme
social » (p 62). Or, nous savons depuis l’étude de Wang, Haertel et Walberg que l’effet-enseignant a plus d’influence que la famille
sur l’apprentissage des élèves et donc sur leur réussite.
Pour Jean-Michel Blanquer, « le sujet de l’éducation est un sujet politique au sens profond de ce
terme, car il a trait à notre avenir et engage, plus que tout autre sujet, la
société dans son ensemble. Ce n’est cependant pas un sujet politicien, car sa
temporalité dépasse le temps des alternances, ce qui impose d’en finir avec le
va-et-vient des réformes éducatives et pédagogiques que la France a connu jusqu’à
présent » (p 10).
La conclusion qu’il nous livre pour résumer son programme
est très simple : « Une
maternelle qui soit l’école du langage pour bien préparer l’acquisition des
savoirs fondamentaux ; un élève qui sorte de l’école élémentaire en
sachant lire, écrire, compter et respecter les autres ; un collège qui
fortifie le socle commun de connaissances, de compétences et de culture pour
tous les enfants de France en personnalisant leur parcours ; un lycée qui
prépare à la vie future, qu’elle soit immédiatement tournée vers l’insertion
professionnelle ou vers la poursuite d’études supérieures : voilà le
tableau simple, net et précis qu’un ministère de l’Éducation nationale rénové
peut proposer à l’ensemble de la nation française » (p 139).
Voilà enfin une belle perspective à laquelle je souscris
entièrement. Les solutions semblent vraiment à portée de main.
Parmi toutes les personnalités qui ont actuellement des projets pour l'École en vue des prochaines élections présidentielles, Jean-Michel Blanquer me semble le plus apte pour faire de l'Éducation nationale une administration à la fois performante et efficace.
Sans compter que nous aurions enfin un ami favorable à l’Enseignement Explicite accédant à un poste-clé !
Sans compter que nous aurions enfin un ami favorable à l’Enseignement Explicite accédant à un poste-clé !
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Jean-Michel BLANQUER
Éditions Odile Jacob, 151 p, 10.2016
Je vous signale qu’à Schola Nova, en Belgique, les élèves de primaires se passionnent pour le latin en le parlant. C’est assez facile quoi qu’on en pense. De plus, l’apprentissage des conjugaisons françaises se fait bien plus aisément ainsi.
RépondreSupprimerRemettez les humanités gréco-latines en honneur partout dès les études primaires, et toutes les discussions stériles qui sont suscitées depuis 50 ans cessent d’avoir un fondement quelconque.
De plus, quel ascenseur social!