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mardi 29 novembre 2016

Livre : L'École de demain (Jean-Michel Blanquer)


Depuis une quinzaine d’années, les livres sur l’École se contentent de décrire son agonie avec, en corollaire, la solution de revenir à celle d’hier ou d’avant-hier.

Avec L’École de demain, Jean-Michel Blanquer nous invite à changer radicalement de perspective. Et c’est tant mieux !

L’auteur, qui est actuellement directeur général de l’ESSEC, a occupé de hautes fonctions dans le système éducatif français (recteur puis directeur général de l’Enseignement scolaire). Il connaît donc parfaitement son sujet et sa parole a du poids.

Ce livre expose en 150 pages toute une série de propositions pour une Éducation nationale rénovée. Depuis la maternelle jusqu’au lycée, en passant par la carrière des professeurs et l’organisation générale du système éducatif. L’exposé est concis, clair, rigoureux et très … explicite.

Je reprends ici les passages qui m’ont particulièrement intéressé.

Commençons par l’effet-maître, dont Jean-Michel Blanquer évoque l’importance : « L’effet-maître apparaît comme l’effet majeur du système scolaire, qu’il faut en permanence cultiver et favoriser, au primaire, au collège comme au lycée » (p 80). Ainsi, il observe que « la qualité d’un enseignant a un effet très fort sur le destin scolaire des élèves. L’enjeu essentiel de toute politique éducative ambitieuse doit donc être de viser la maximisation de cet effet-là ; cela passe par une formation initiale et continue des enseignants revisitée, entièrement tendue vers la mise en œuvre de pratiques et de protocoles pédagogiques dont l’efficacité a été démontrée par la recherche » (p 102).

De fait, « des études récentes montrent que l’impact le plus fort sur la réussite scolaire tient aux compétences de l’enseignant et aux pratiques qu’il met en œuvre » (p 37).

D’où l’importance d’une formation professionnelle de qualité des enseignants : « En développant des formations qui prennent appui sur un dialogue nourri et permanent entre les chercheurs et les enseignants, on rendra possible une fertilisation croisée entre la salle de classe et les laboratoires scientifiques de haut niveau » (p 25). Ce qui est en rupture complète avec les formations dispensées depuis une quarantaine d’années et qui sont basées sur les croyances obsolètes de l’idéologie constructiviste.

Pour les partisans de l’Enseignement Explicite, la reconnaissance de l’importance de l’effet-maître a une conséquence fondamentale : « L’enseignement doit être structuré, systématique et explicite » (p 22). En un mot efficace.

Or, comment définir ce qui est efficace en pédagogie ? Les programmes efficaces « utilisent la même méthodologie, inspirée de la recherche médicale et fondée sur la “randomisation”, avec un “groupe-témoin” et un “groupe-test”. L’impact des interventions est ainsi mesuré en comparant le groupe bénéficiant de l’intervention souhaitée (“groupe-test”) au groupe sur lequel aucune intervention n’est pratiquée (“groupe-témoin”). La “randomisation” (tirage au sort des enfants d’un même groupe comparable pour faire partie du groupe témoin ou du groupe traitement) permet, en outre, d’avoir des groupes homogènes et d’éviter tout biais statistique » (p 22).

La recherche sérieuse et récente fournit en grand nombre des résultats qui convergent sans équivoque : « La comparaison internationale montre à nouveau les vertus d’un enseignement structuré, explicite et centré sur l’acquisition des savoirs fondamentaux » (p 34). Par conséquent, si on veut un enseignement de qualité, la conclusion s’impose : « Il faut donc proposer une pédagogie explicite, progressive, qui tienne compte des sciences cognitives, et qui soit à la fois exigeante et ambitieuse » (p 38). Pour le moment, en France, nous en sommes encore loin. Et les dernières réformes consécutives à la fameuse “Refondation de l’École” ne prennent pas ce chemin. Encore une occasion perdue…

Jean-Michel Blanquer fait d’ailleurs preuve d'un certain scepticisme à ce sujet. Que ce soit sur les nouveaux programmes : « Tout en conservant certains acquis, notamment la phonologie et le code alphabétique, les programmes de 2013 [de la maternelle] vont dans le sens inverse et sont moins ambitieux en n’assumant pas la continuité des apprentissages entre préélémentaire et élémentaire » (p 143, note) et « La répétition, l’exercice, la récitation, l’acquisition d’automatismes, auxquels les derniers programmes d’enseignement ont renoncé au profit d’une multiplication des objectifs » (p 40). Ou l’esprit même qui a inspiré la réforme : « La dernière réforme illustre la dérive d’une conception du collège unique vers l’uniformisation par l’égalitarisme » (p 55).

Mais revenons à ce qui est le passage le plus important pour les partisans de notre courant pédagogique : « À l’école élémentaire, la clé est donc de proposer un enseignement explicite, progressif et ambitieux » (p 40). Voilà qui est clair !

Il se trouve que Jean-Michel Blanquer connaît parfaitement ce qu’est l’Enseignement Explicite. Il le définit dans une note pp 144-145 : « Mouvement pédagogique né aux États-Unis dans les années 1960, la pédagogie explicite s’appuie sur des progressions structurées et rigoureuses, allant des notions les plus simples au plus complexes, qui respectent les aptitudes cognitives – la capacité à comprendre, à assimiler et à mémoriser – des élèves. Chaque leçon est structurée de façon identique : mise en situation, rappel des prérequis, pratique guidée et autonome, révision, évaluation. L’enjeu est de focaliser explicitement l’attention de l’enfant sur ce qui est pertinent, sur ce qu’il devra retenir ; pour qu’il puisse saisir la difficulté spécifique de chaque exercice. » Il nous fait même l’amitié de citer Form@PEx en référence dans le contexte francophone.

Plus généralement, j’ai aussi noté des observations très justes concernant la maternelle et l’élémentaire (je laisse le collège et le lycée à plus connaisseurs que moi). Ainsi, pour la maternelle, on peut lire que « la scolarité à l’école maternelle est un moment décisif » (p 15), ce que nous ne cessons de répéter. Une autre proposition que nous soutenons souligne la nécessaire spécialisation des enseignants qui y exercent par « la création, au sein de la formation initiale, d’un certificat d’enseignement en maternelle » (p 25).

Quant à l’élémentaire, Jean-Michel Blanquer rappelle que « la mission de l’école élémentaire est l’acquisition – et la maîtrise – des savoirs fondamentaux par tous les élèves » (p 31). Ce qui a été un peu oublié sur les quarante dernières années. Le résultat s’en fait d’ailleurs cruellement sentir aujourd’hui : « À la sortie de l’école primaire, plus d’un enfant sur trois est en difficulté ou n’a que des acquis fragiles en lecture, en écriture et en calcul. Pourtant la recherche montre que presque tous les enfants peuvent réussir lorsque des méthodes d’enseignement appropriées sont déployées très tôt » (p 20).

Pour mettre un terme à cette situation, l’auteur nous donne quelques propositions très simples à mettre en œuvre : « Pour l’école élémentaire, le premier pilier est constitué par les pratiques pédagogiques appuyées sur les résultats de la recherche scientifique et la comparaison internationale. Il apparaît essentiel d’assurer un nombre minimal d’heures en français et en mathématiques (20 heures sur 26) et de veiller à l’application en classe des pédagogies les plus efficaces. La logique de l’inspection devra désormais être de se concentrer sur cet aspect, en veillant à conseiller et à soutenir les professeurs » (p 42).

À quoi s’ajoute un autre point qui nous semble particulièrement pertinent : « Il faut non seulement rétablir les évaluations nationales, mais les étendre à chaque fin d’année, du CP au CM2. Cela permettra de créer un lien entre les années, de disposer d’un instrument de pilotage pédagogique, de retrouver les cohortes permettant d’établir des comparaisons, mais aussi de responsabiliser l’ensemble des acteurs » (p 43). C’est ce que nous proposons : des programmes par niveaux d’enseignement accompagnés d’évaluations sérieuses en fin d’année (utiles à la fois à l’institution, aux enseignants, aux élèves et leurs familles).

Un autre paramètre capital serait également à changer dans les plus brefs délais : « Aujourd’hui, la courbe de financement de notre système éducatif est à rebours des enseignements de la recherche, avec davantage de moyens consacrés au secondaire qu’au primaire » (p 20).

Le Primaire est la base de toute scolarité réussie. Ainsi, « la maternelle et l’élémentaire sont les niveaux clés pour résoudre les problèmes qui paraissent parfois insolubles au collège » (p 51). Il est très difficile par la suite de revenir sur ce qui a été loupé dans les enseignements élémentaires, sur les connaissances et les habiletés qui n’ont pas été mises en place solidement et durablement : « Le collège fixe les niveaux scolaires des enfants acquis à la fin du primaire. Il ne permet ni véritable dépassement du niveau atteint au primaire ni comblement des difficultés accumulées. La plupart du temps, on sort du collège comme on y est entré : avec ses points forts et ses lacunes. Aujourd’hui, on retrouve à la sortie du collège les 20 % d’élèves en difficulté dès la fin de l’école élémentaire, ceux-là mêmes qui ne maîtrisent pas les savoirs fondamentaux. En somme, le collège ne parvient pas à remédier aux difficultés apparues dès l’école primaire » (p 53).

J’ai quand même trouvé un argument de l'auteur avec lequel je suis en désaccord : « Les recherches montrent à quel point les facteurs extrascolaires sont au moins aussi importants que les facteurs scolaires pour expliquer la réussite, l’assiduité, la motivation et donc pour lutter contre le déterminisme social » (p 62). Or, nous savons depuis l’étude de Wang, Haertel et Walberg que l’effet-enseignant a plus d’influence que la famille sur l’apprentissage des élèves et donc sur leur réussite.

Pour Jean-Michel Blanquer, « le sujet de l’éducation est un sujet politique au sens profond de ce terme, car il a trait à notre avenir et engage, plus que tout autre sujet, la société dans son ensemble. Ce n’est cependant pas un sujet politicien, car sa temporalité dépasse le temps des alternances, ce qui impose d’en finir avec le va-et-vient des réformes éducatives et pédagogiques que la France a connu jusqu’à présent » (p 10).

La conclusion qu’il nous livre pour résumer son programme est très simple : « Une maternelle qui soit l’école du langage pour bien préparer l’acquisition des savoirs fondamentaux ; un élève qui sorte de l’école élémentaire en sachant lire, écrire, compter et respecter les autres ; un collège qui fortifie le socle commun de connaissances, de compétences et de culture pour tous les enfants de France en personnalisant leur parcours ; un lycée qui prépare à la vie future, qu’elle soit immédiatement tournée vers l’insertion professionnelle ou vers la poursuite d’études supérieures : voilà le tableau simple, net et précis qu’un ministère de l’Éducation nationale rénové peut proposer à l’ensemble de la nation française » (p 139).

Voilà enfin une belle perspective à laquelle je souscris entièrement. Les solutions semblent vraiment à portée de main.

Parmi toutes les personnalités qui ont actuellement des projets pour l'École en vue des prochaines élections présidentielles, Jean-Michel Blanquer me semble le plus apte pour faire de l'Éducation nationale une administration à la fois performante et efficace. 

Sans compter que nous aurions enfin un ami favorable à l’Enseignement Explicite accédant à un poste-clé !



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Jean-Michel BLANQUER
Éditions Odile Jacob, 151 p, 10.2016

1 commentaire:

  1. Je vous signale qu’à Schola Nova, en Belgique, les élèves de primaires se passionnent pour le latin en le parlant. C’est assez facile quoi qu’on en pense. De plus, l’apprentissage des conjugaisons françaises se fait bien plus aisément ainsi.
    Remettez les humanités gréco-latines en honneur partout dès les études primaires, et toutes les discussions stériles qui sont suscitées depuis 50 ans cessent d’avoir un fondement quelconque.
    De plus, quel ascenseur social!

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