Comme j’appréciais les propos sans complaisance tenus par Barbara
Lefebvre dans de nombreuses vidéos disponibles sur Internet, j’ai lu son livre Génération “J’ai le droit” qui vient de
paraître.
Autant le dire tout de suite, je n’approuve pas tout ce qu’elle
y affirme. Notamment l’approche des problèmes éducatifs que je juge trop orientée
sur le plan politique ; je préfère pour ma part les aborder sur un plan
strictement professionnel et moins clivant. Et surtout tout le contenu du chapitre 7 sur l’école inclusive, dont l’auteur est un farouche partisan. Contrairement
à moi, qui considère que le cœur du métier enseignant est la pédagogie et non le
traitement des besoins spécifiques d’élèves souffrant d’un handicap. Orthophoniste,
rééducateur, infirmier, pédopsychiatre, thérapeute sont des métiers qui ne sont
pas le nôtre. De plus, durant ma carrière, j'ai vu trop souvent des enfants, dépérissant en classe ordinaire, qui retrouvaient leur joie de vivre (au sens propre) dès lors qu'ils obtenaient une place dans un établissement spécialisé bien adapté à leur cas particulier.
Cela étant, j’ai en revanche bien apprécié tout ce qui concerne
la critique des dérives pédagogiques constructivistes qui ont frappé l’École française depuis une quarantaine d’années, entraînant une agonie dont tout le monde peut aujourd’hui malheureusement constater les effets.
Barbara Lefebvre nous en explique l’origine : « Le désastre est né avec le postulat que l’élève
doit être l’artisan de son propre savoir. Cela repose sur l’idée que l’élève a
des connaissances avant d’arriver en classe, certaines sont justes, d’autres
erronées et le rôle de l’école est de donner à l’élève-enquêteur les moyens de
se consacrer à ce remaniement intellectuel, à son rythme et selon les modalités
qui lui conviennent. L’enseignant, dans ce processus, devient un technicien
chargé de mettre en place les “situations didactiques” et autres “dispositifs d’apprentissage”.
Il en est réduit à une simple activité de triage-recyclage des connaissances de
l’enfant. » (p 110) Le constructivisme dans toute son erreur ontologique...
Ce processus de déliquescence s’est mis en place dès avant Mai 1968, et sous un gouvernement
de droite : « C’est à Alain
Peyrefitte, sous de Gaulle, que l’on “doit” la nomination de Louis Legrand à la
tête de ce qui deviendra l’INRP, un des gourous du pédagogisme influent jusqu’aux
années 2000. Fervent militant de la “pédagogie fonctionnelle”, de la pédagogie
“de projet” et autres formules du même acabit, l’objectif de Legrand est de
mettre en sourdine la voix du maître pour laisser l’élève acquérir ses savoirs
par lui-même, ce qui signifie patauger “en toute autonomie”. Cette pensée
trouvera sa reconnaissance officielle avec la loi Jospin de 1989, d’une part en
organisant la scolarité en cycles (…) pour mieux délayer les enseignements dans
le temps, d’autre part en plaçant l’élève en situation “d’acquérir un savoir et
de construire sa personnalité par sa propre activité”. C’est le fameux “élève
au centre du système éducatif”, paradigme sur lequel aucune autorité
institutionnelle ou académique n’ose revenir. » (p 122) Rappelons que l’INRP (institut national de recherche pédagogique) est devenue en 2011 l’IFÉ (institut français de l'éducation), qui est toujours une agence officielle servant la propagande du
constructivisme pédagogique.
Quels sont les responsables du désastre ? « Les responsables sont aussi les enseignants
dociles qui ont obéi au diktat des formateurs IUFM-ESPE obéissant eux-mêmes à
la doxa d’universitaires militants et politiquement engagés que des
inspecteurs, recteurs ou ministres ont légitimé comme “experts en sciences de l’éducation”.
Tous ces acteurs portent une part de responsabilité dans cette montée de l’illettrisme,
condition de l’acculturation. Ils ont relayé, souvent avec sincérité et
dévouement, la parole et les actes des gourous de la pédagogie
socioconstructiviste qui ont fait main basse sur l’école dans les années
1970-1980, ont usé de leur magistère universitaire dans la plupart des lois
relatives à l’éducation au cours des trois décennies écoulées. Ils ont
transformé en profondeur les programmes, imposé leur mise en œuvre pédagogique
en intégrant tous les cénacles institutionnels utiles, au premier rang desquels
les organes de décision politique. » (p 77-78)
Le constat est simple : « Depuis presque un demi-siècle, une nomenklatura intellectuelle se sera
érigée au nom du progressisme en mère-la-morale. » (p 11). Le nouveau
catéchisme s’est imposé avec une chasse aux éventuels hérétiques. L’auteur parle à juste titre
des « vigilants chiens de garde progressistes
du Café pédagogique » (p 24) qui énoncent le vrai et le beau, et
étrillent les rares qui osent s’opposer à la doxa. « Le clivage n’a plus grand-chose à voir avec des idées opposées, mais
davantage avec des postures morales : il y a le camp du bien et le camp du
mal. » (p 30) Mais le Café pédagogique n’est pas la seule seule officine constructiviste, loin de là :
« Le milieu des sciences de l’éducation
est particulièrement représentatif de cette dérive du débat d’idées français où
la délibération est déniée, où la confrontation des points de vue est refusée.
Les injonctions à bien penser et les excommunications morales et intellectuelles
sont constantes. » (p 31)
Le but : fabriquer l’Homme nouveau des lendemains qui
chantent, illustré par le slogan du CRAP-Cahiers pédagogiques : “Changer la société pour changer l'école, changer l'école pour changer la société”, projet totalitaire s'il en fut. « L’Homme nouveau devait
en sortir, c’était la grande promesse qui justifiait la table rase culturelle. À
quoi ressemble-t-il finalement ? Non pas à un être humain pourvu d’un
libre arbitre et armé pour comprendre le monde dans lequel il vit, mais à un
individu sans repères dans un monde incompréhensible. » (p 27) Comme quoi, l'enfer peut être pavé de bonnes intentions pédagogiques, du moins proclamées telles.
Par quels moyens les idéologues constructivistes entendent
parvenir à leurs fins ? Voici deux exemples évocateurs :
- « La pensée
progressiste libertaire a discrédité l’autorité, et les formateurs IUFM se
chargeaient de nous le faire savoir. Le rapport hiérarchique maître-élève était
systématiquement dévalué au profit d’une médiation pédagogique d’égal à égal,
comme si l’acte d’enseigner des savoirs à des ignorants relevait de la
violence, voire de la maltraitance. » (p 36)
- « La notion de
coéducation émane du courant de l’Éducation nouvelle apparu à la fin du XIXe
siècle, lui-même imprégné de pensée rousseauiste. Elle se situait en marge de l’institution
officielle et tendait à promouvoir une pédagogie plaçant l’enfant au centre des
apprentissages. On retient évidemment l’action de Freinet, l’idole des actuels
adeptes de “nouvelles pratiques pédagogiques” qui recyclent en fait des
activités du début du siècle dernier ! L’idée centrale est de faire
confiance à la nature de l’enfant et de le suivre dans son développement en se
gardant de le précéder ou de l’orienter. (…) L’enfant est en marche, l’enseignant
le suit, ne sachant pas vers quoi aller ! L’essentiel est d’avancer et s’il
se désintéresse de l’orthographe, on y reviendra un autre jour… » (p 70-71)
Les pouvoirs politiques successifs ont été des complices
actifs de la destruction de l’École : « Tous les courants politiciens ont accepté de sacrifier l’école sur l’autel
d’intérêts bassement économiques autant que de l’abandonner aux délires pédagos
pour faire croire que nos gouvernants s’intéressent à l’éducation. »
(p 126) Mais, soyons justes, quelques rares ministres ont essayé de remettre la
machine éducative en état de fonctionner, comme Chevènement (1984-1986) et plus tard Darcos (2007-2009) :
« On comprend mieux la colère en
2008 des gourous du pédagogisme lorsque les programmes promus par Xavier Darcos
ont proposé un retour à des démarches d’enseignement explicites, une valorisation
des exercices de rédaction et de dictée, et le retour de la leçon de grammaire. »
(p 125) Aujourd’hui, Jean-Michel Blanquer semble lui aussi déterminé à sonner la fin de
la récréation pédagogique. Y parviendra-t-il ? Espérons-le.
L’École n’étant plus en mesure d’assumer sa fonction, on lui trouve des excuses comme la médicalisation de l’échec
scolaire : « La pathologisation
est une tendance apparue il y a une vingtaine d’années : tout est
psychologisé, pathologisé avec des relents analytiques de café du commerce.
Plutôt que de penser les problèmes en évaluant les effets des pratiques et méthodes
enseignantes, on appelle le psy, l’orthophoniste, quand ce n’est pas le
sophrologue ! » (p 76)
Cependant, avec les enquêtes internationales comparatives, la réalité d’une
École française à l’agonie ne peut plus être cachée. « Plus le voile se lève sur les échecs du
pédagogisme et ses discours creux, plus ses papes sont sur la défensive. Ces
petits soldats de la déconstruction n’hésitent plus à calomnier publiquement
ceux qui osent remettre en question le bien-fondé de leur idéologie. »
(p 79)
Des enseignants ayant à cœur de faire correctement leur
métier ont commencé à regimber depuis le tournant des années 2000. Ainsi, « depuis plus d’une décennie, cette
mobilisation a commencé devant les effets catastrophiques des “méthodes
actives” et autres avatars du constructivisme pédagogique, mais cette
résistance a du mal à s’imposer dans le débat. On la caricature comme une
nostalgie de vieux réacs, car elle s’attaque frontalement à la doxa
universitaire si influente dans les milieux de la recherche pédagogique, chez
les formateurs et dans les corps d’inspection. » (p 114)
Il m’arrive aussi de penser comme Barbara Lefebvre : « À se demander si ce n’est pas l’objectif :
laisser mourir l’école laïque républicaine pour renforcer l’enseignement privé,
confessionnel ou non. D’une part, on allège le budget du mammouth, d’autre
part, on externalise la fabrication d’une élite que les profs du public sont
incapables de former puisqu’on ne veut plus leur en donner les moyens culturels
ni les légitimer dans cette transmission exigeante des savoirs. » (p
234)
Mais je suis d’accord également avec l’auteur lorsqu’elle conclut :
« L’école est un si vaste chantier
qu’on ne sait par où commencer : dévasté par le pédagogisme, le relativisme
culturel, le consumérisme scolaire, le communautarisme. Pourtant, nous n’avons
plus le choix. L’école de la République doit être reconquise. » (p
207)
Vous l’avez compris, si vous aimez les paroles fortes et les discours directs, le livre de Barbara Lefebvre vous plaira sûrement !
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Barbara Lefebvre
Albin Michel, 01.2018, 238 p
Albin Michel, 01.2018, 238 p