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vendredi 28 février 2020

Parution : Précis d'ingénierie pédagogique (André Tricot et Manuel Musial)


André TRICOT, Manuel MUSIAL
Précis d'ingénierie pédagogique
De Boeck Supérieur
02.2020
352 p

Entretien avec André Tricot


Votre livre n'est pas un manuel, ou un cours ou un recueil ou une encyclopédie. C'est un “précis”. Que voulez-vous dire par le choix de ce mot ?

On a poursuivi deux objectifs. Le premier, c'est de faire un état de notre positionnement par rapport aux connaissances théoriques. On veut essayer de répondre à la question « Qu'est-ce que concevoir un enseignement » quand on considère qu'enseigner, c'est réussir à faire apprendre aux élèves. Ça fait appel à des domaines scientifiques différents. Et puis on défend un point de vue : l'idée que le métier d’enseignant est un métier de la conception. Les enseignants sont un peu des ingénieurs. On veut relier didactique et pédagogie.

L'ouvrage défend une théorie : celle des 3 actes (l'acte de concevoir, l'acte d'enseigner et l'acte d'apprendre à l'école). Ne prenez-vous pas le risque d'enfermer les enseignants dans quelque chose de prescriptif ?

On a l'ambition contraire. Si on considère qu'enseigner, c'est aussi préparer son cours et que cela relève de l'ingénierie, cela veut dire que chaque enseignant est concepteur d'une situation d'enseignement qui est originale avec à chaque fois des objectifs en rapport avec les caractéristiques de ses élèves et du temps et du matériel dont il dispose. On dit comment utiliser les connaissances pour résoudre ce problème de conception. Mais pour nous c'est le contraire de la procédure.
Pour nous l'enseignant est comme un ingénieur qui construit des ponts sur différents fleuves. Chaque pont est forcément différent. Enseigner c'est concevoir des solutions originales mais en se basant sur des connaissances y compris scientifiques.

Vous dites, et cela fonde le reste du livre, qu'apprendre à l'école c'est différent d'apprendre dans la vie. Quelles différences il y a-t-il ?

Dans la vie on apprend par adaptation et nécessité. On apprend ce dont on a besoin dans la vie de tous les jours. À l'école on apprend des connaissances qui ne seront pas forcément utiles aujourd'hui mais qui prendront sens plus tard.
Du coup quand on enseigne une connaissance pas immédiatement utile on ne fait pas appel à des mécanismes d'adaptation. On va essayer de donner du sens à l'apprentissage. C'est pourquoi la motivation est si importante à l'école. Et c'est une des grandes difficultés du métier.
À l'école on apprend des connaissances qui n'ont pas d'utilité immédiate et pourtant jamais l'école n'a été aussi utile qu'actuellement, jamais le fait d'être diplômé n'a été aussi important.

Parmi les 3 Actes présentés dans l'ouvrage il y a l'Acte d'enseigner qui se décline en 4 processus. Mais dans la classe on est face à du vivant...

C'est une question qu'on se pose depuis des années. Il y a bien ce côté vivant où on réagit aux questions, où on trouve un autre exemple, où on adapte la démarche au dernier moment. C'est important de distinguer cela. Mais la recherche montre que les enseignants qui réussissent le mieux sont ceux qui sont les plus rigoureux dans la préparation de leur cours et les plus souples dans la conduite de la classe.
Les 4 processus que vous évoquez sont mis dans l'ouvrage en correspondance avec les 4 processus d'apprentissage : s'engager, se concentrer, réaliser une tache et apprendre. Si enseigner c'est faire apprendre les élèves, on doit trouver une correspondance entre processus d'apprentissage et processus d'enseignement.

Cet ouvrage est pour les formateurs ?

Il y a 8 ans on avait écrit Comment concevoir un enseignement, un livre écrit pour les enseignants débutants. Mais on s'est rendu compte que les personnes qui parlaient du livre n'étaient pas que des enseignants débutants mais aussi des enseignants aguerris et des formateurs. Ce nouvel ouvrage montre l'état de notre réflexion sur ces questions et son lectorat devrait être lui aussi large. Ce qui m'intéresse, c'est l'échange entre chercheurs et enseignants.

Propos recueillis par François Jarraud


lundi 17 février 2020

Une pédagogie qui marche : l'enseignement explicite


Entretien avec Steve Bissonnette


samedi 1 février 2020

Quel combat pour les enseignants progressistes ?


Conclusion de l'article “Le débat sur l’école : le camp progressiste doit se battre sur deux fronts”, par Alain Beitone et Raphael Pradeau

Les Possibles, n° 11 Automne 2016





L’action militante en faveur d’une éducation nouvelle est ainsi relayée, à partir du milieu des années 1960 et plus encore après 1968, par une part croissante des responsables du système éducatif qui entendent réformer les contenus d’enseignement et les méthodes pédagogiques pour s’adapter à la massification progressive de l’enseignement secondaire. Les idées des mouvements d’éducation nouvelle vont dès lors structurer la formation des enseignants : certains inspecteurs pourchassent et condamnent le cours magistral ; on ne jure plus que par les méthodes actives, l’innovation, le travail autonome, etc.
Dès lors, le débat qui se structure oppose les tenants de l’approche conservatrice (qui dénoncent toutes les réformes au nom de la tradition) et les défenseurs de l’innovation pédagogique qui détiennent le pouvoir au sein de l’institution éducative et de la formation des enseignants. Ces derniers bénéficient de l’appui des militants pédagogiques et d’un certain nombre de syndicats (SGEN, UNSA).

Face à ce débat, dont le caractère caricatural est accentué par l’opposition entre « pédagogues » et « républicains », aucune autre position ne semble pouvoir se faire entendre.

Pourtant, de nombreux travaux montrent que la mise en œuvre du paradigme pédagogique actuellement dominant contribue à accentuer les inégalités au détriment des élèves issus des catégories sociales les moins dotées en capital culturel. Le modèle pédagogique dominant a recours très massivement à une pédagogie invisible qui résulte d’une volonté de « déscolariser » l’école. Sous prétexte de donner du sens aux apprentissages (ce qui est évidemment indispensable) on met en place des « projets », des activités qui se veulent ludiques, qui sont en rupture avec la forme scolaire. On somme les enseignants de cesser de transmettre et de se percevoir plutôt comme des « animateurs », des « médiateurs » ou des « facilitateurs ». On préconise le concret (puisqu’on part de l’idée que la plupart des élèves sont rétifs à l’abstraction), etc. Et on pense qu’à l’occasion de ces activités qui permettent « d’ouvrir l’école sur la vie », les élèves vont réaliser, de façon largement informelle et donc implicite, les apprentissages visés par l’école. En réalité, cette doxa de l’école produit des malentendus des apprentissages : certains élèves perçoivent les enjeux cognitifs des activités proposées, d’autres pas du tout. Évidemment les principales victimes de ces malentendus sont les élèves dont la socialisation ne les conduit pas à être en connivence avec les attentes (largement implicites) de l’école. Et c’est le cumul de ces malentendus, au fil du temps, qui produit (et qui creuse) les inégalités d’apprentissage.

Par conséquent, si on veut lutter contre les inégalités sociales d’apprentissage, il nous semble qu’il faut se battre sur deux fronts :
- contre les conservateurs qui veulent restreindre à une minorité d’élèves l’accès aux savoirs conceptuels ;
- contre les « modernisateurs » qui, sous prétexte de démocratisation, d’individualisation des apprentissages et d’innovations pédagogiques, contribuent involontairement à creuser les inégalités d’apprentissage.

Un nouveau paradigme pédagogique s’impose donc qui est notamment défendu par le Groupe de recherche sur la démocratisation scolaire (GRDS). Il suppose de se fixer comme objectif la réussite de tous les élèves dans les apprentissages proposés dans une école obligatoire, gratuite et laïque. Il s’agit donc bien d’assurer à tous les élèves la maîtrise d’une culture commune relevant à la fois des humanités, des sciences de la nature, des sciences sociales, des technologies, des pratiques artistiques, de l’éducation physique. Pour atteindre cette réussite de tous les élèves, il faut mettre en place des démarches pédagogiques qui reposent sur des pédagogies explicites (ce qui ne veut pas dire magistrales), sur un cadrage fort des activités d’apprentissage, sur une classification forte des savoirs (qui distingue clairement les savoirs communs et les savoirs scolaires reposant sur des disciplines savantes de référence). Il faut donc se fixer des objectifs cognitifs ambitieux, seuls à mêmes de permettre aux élèves de goûter la « saveur des savoirs ». Il faut pour cela faire éprouver par les élèves le caractère émancipateur des savoirs, de la rigueur, de l’exigence intellectuelle.

Cela suppose que les militantes et militants progressistes cessent de s’identifier à la doxa pédagogique en vigueur. Au mieux, ils se trompent de combat, au pire, ils servent sans s’en rendre compte les projets libéraux.

[Passage souligné par nous.]