Source : Le Figaro
Le Calimero de la Rue de Grenelle
Éric Zemmour
Le pape du pédagogisme Philippe Meirieu persiste et signe : il publie La Riposte,
pamphlet contre Blanquer et plaidoyer pro domo. Dans lequel il se moque du
monde.
On s'était donc trompé. On croyait avoir affaire à un bourreau alors que c'était une victime. On croyait tenir le Staline de l'éducation nationale, détruisant tout de son idéologie totalitaire ; on avait le François Bayrou du pédagogisme. On croyait qu'il trônait Rue de Grenelle, tyrannisant ministres et profs ; on le découvre timidement assis sur un strapontin, que personne n'écoute : « J'ai été amené, comme d'autres, à faire des propositions de réforme. Mais […] aucune des propositions auxquelles j'ai travaillé n'a été étudiée sérieusement ni reprise par le ministère de l'Éducation nationale. »
Philippe Meirieu se moque du monde. Il joue au sentimental à la larme facile ; il se pare des atours de Rousseau brocardé dans les salons, tandis qu'il nous fait plutôt penser à Calimero [1]. Il écrit un pamphlet anti-Blanquer, en conservant une posture objective. Il veut faire croire que le combat se situe entre les réacs antipédagogistes qui rejettent toute expression des enfants et les hyper-pédagos qui refusent toute autorité. Lui est au milieu : un modéré, un centriste.
Tout le livre est construit autour de ce faux clivage, qui lui permet de mettre à
égale distance, comme deux extrémismes également condamnables, le
spontanéisme de l'élève qui « construit seul son savoir » et le cours magistral.
Faux clivage, fausse opposition, faux extrêmes. Fausse objectivité mais vraie
idéologie. Le passage le plus intéressant se situe au début de l'ouvrage lorsque,
plantant le décor, Meirieu retrace la généalogie des pédagogistes, plongeant dans l'histoire des adeptes des méthodes éducatives nouvelles (Maria Montessori, Célestin Freinet et d'autres moins connus) « pédagogues (qui) se sont bien souvent retrouvés en pleine tourmente, n'accédant que fort rarement à un strapontin universitaire, victimes d'attaques tous azimuts, payant très cher en invectives de toutes sortes la petite notoriété à laquelle ils parvenaient parfois ».
Au-delà du baragouin victimaire, on comprend bien que le pédagogisme est,
comme toute idéologie, dépendant des conditions historiques de sa naissance, en l'occurrence les années 1920, après la Première Guerre mondiale : le pédagogisme sera donc pacifiste, humaniste, internationaliste, socialiste. Ses adversaires seront la guerre, l'armée, la discipline, l'autorité, la nation, la France, le drapeau, le patriotisme. Il sera avec les pacifistes des années 1930 (dont la plupart finiront dans la Collaboration en 1940 au nom de la paix et de l'Europe), avec les communistes en 1945 et les antiracistes depuis les années 1980. Trois pacifismes, trois universalismes, qui se jettent, comme le fleuve se jette dans la mer, dans l'alliance avec trois totalitarismes, noir, rouge, vert.
Meirieu a raison de brocarder ses contempteurs qui situent l'acte de naissance du pédagogisme en Mai 68. Il avait pris le pouvoir dès 1945 avec la mainmise
communiste sur l'éducation nationale, incarnée par le fameux rapport Langevin-
Wallon, que Meirieu révère encore aujourd'hui. Notre auteur nous résume son
principe avec obligeance : « école unique pour l'organisation, éducation nouvelle
pour la pédagogie ».
On ne peut être plus clair : nos pédagogistes, selon la bonne vieille logique
mafieuse, ont fait de l'entrisme Rue de Grenelle, noyauté les principaux postes et, profitant admirablement de la centralisation administrative française, diffusé leurs « méthodes nouvelles » dans tout le corps du mammouth !
De la belle ouvrage. Quand le général de Gaulle revenu au pouvoir en 1958 s'est
aperçu de la catastrophe, il a tenté de revenir en arrière (si on en croit les
Mémoires de son conseiller pour l'éducation, Jacques Narbonne), mais n'a jamais réussi à se faire obéir de ses ministres, aux mains des syndicats. Avant même Mai 68, de Gaulle lui-même a cédé, comme on le comprend en relisant les propositions très « modernistes » de son ministre de l'Éducation, Alain Peyreffite. Mai 68 n'est pas l'origine du pédagogisme, mais son triomphe : plus personne ne résiste aux nouveaux maîtres de l'école. L'objectif est bien l'annihilation de toute autorité et de tout enseignement des grandes œuvres françaises. Le mot d'ordre est alors de « détruire la culture bourgeoise ».
Le succès sera total. Dans la deuxième partie de son livre, Meirieu retrouve son
naturel ennuyeux et jargonnant. Il confond obéissance et soumission, sélection et inégalité, noyant la transmission des savoirs dans « un collectif qui travaille
vraiment », exaltant « l'école inclusive », mettant dans le même sac la mixité
culturelle dans les lycées internationaux et dans les maternelles de banlieue «
avec des bénéfices intellectuels et sociaux considérables pour les intéressés ». On comprend qu'il se moque de la culture dont il fait l'éloge hypocrite : « Que la
connaissance en soi ne fascine plus, et c'est peut-être alors l'infinie richesse des
miroitements du connaître qui pourra mobiliser nos élèves. Que la culture en tant que telle ne soit plus attractive n'est peut-être pas une mauvaise chose. »
Il nous explique que le but de toute éducation est de se « dégager de l'emprise du capitalisme pulsionnel promu par le néolibéralisme triomphant ». Il n'a pas lu les travaux de l'Américain Christopher Lasch qui avait analysé avec une rare finesse comment les industriels américains, passant d'un capitalisme de production à un capitalisme de consommation, avaient délibérément sapé toutes les structures qui enserraient l'individu roi : famille, patriarcat, église, patrie. Comme par hasard, cette mutation anti-autoritaire datait des années 1920, années de naissance des « méthodes éducatives nouvelles » chères aux pédagogistes à la Meirieu ! Ce dernier rejette aussi avec véhémence la démonstration, faite de livre en livre, par Jean-Claude Michéa, de l'alliance entre libéraux et libertaires, pour abattre toute discipline, toute autorité, toute transmission, dans la famille, comme dans l'école, afin que règne le seul individualisme, et cette fameuse « emprise du capitalisme pulsionnel » que Meirieu dénonce avec des larmes dans les yeux. Larmes de crocodile. On rit pour ne pas pleurer. On est passé de Calimero au Docteur Folamour.
[1] . Calimero, seul poussin noir dans une portée de jaunes, il porte sur la tête sa coquille d'oeuf à moitié brisée. L'expression « c'est vraiment trop injuste » peut éventuellement faire référence à ce personnage.