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jeudi 8 août 2013

L’enseignement efficace… donc explicite




À la page 25, le rapport de l’IGEN sur L’évaluation des enseignants pose la question : Qu’est-ce qu’une séquence d’enseignement efficace ?

Et voici la réponse qui nous est livrée :

« Le consensus qui se dessine débouche en effet sur les conclusions suivantes, peut-être temporaires, mais du moins partagées, et pas nécessairement faciles à mettre en œuvre.
Une séquence d’enseignement efficace doit :
- reposer sur des objectifs clairs : avant chaque séquence, les élèves doivent savoir le plus clairement possible ce qu’on attend d’eux et ce qu’ils devront être capables de faire à son issue ;
- s’appuyer sur une structure explicite qui rende visible le cœur de l’apprentissage : les élèves doivent connaître à l’avance le déroulement de la séquence, les étapes qu’ils auront à franchir, les outils qu’ils utiliseront, voire les difficultés auxquelles ils seront confrontés… Ces deux premières conditions semblent s’imposer tout particulièrement pour des élèves issus de milieux dits défavorisés ;
- débuter par une récapitulation des acquis antérieurs et une justification de leur utilité, permettant l’ancrage des connaissances nouvelles ;
- se poursuivre par une contextualisation : concrètement, c’est à travers une situation-problème qu’une notion nouvelle sera introduite, lorsque la discipline enseignée le permet ;
- comporter un temps d’entraînement et de répétition suffisant : la recherche conduit à souligner l’utilité, voire la nécessité, du “sur-apprentissage”, l’automatisation de “routines cognitives” libérant l’esprit pour des tâches plus complexes. Cette dimension quantitative apparaît essentielle aux yeux de chercheurs, par ailleurs de sensibilités différentes ;
- intégrer de nombreuses phases de régulation : l’enseignant doit constamment s’assurer, par des rétroactions, des questionnements, des exemples et des  contre-exemples, que les élèves valident, ajustent, consolident et approfondissent leurs connaissances ;
- comporter le temps de travail utile le plus élevé possible : il appartient à l’enseignant de préparer et d’organiser la classe de manière que les activités et les démarches qui ne contribuent pas directement aux apprentissages soient le plus réduites possibles. »

Hormis le recours à la “situation-problème” – dont on se demande ce qu’elle vient faire à la place de l’exemple sur lequel repose le modelage – tout le reste s’inspire directement et étroitement de la démarche d’enseignement explicite !

Et les rapporteurs de conclure que ces recommandations « constituent une aide importante à la détermination des critères de l’évaluation. » 

Si c'est le cas, il se confirme donc que la page constructiviste est bel et bien en train d’être tournée…

vendredi 2 août 2013

Constructivisme / Instructionnisme





J’ai déjà signalé la parution du rapport de l’IGEN sur L’évaluation des enseignants. Revenons aujourd’hui sur un point important qui est abordé dans le passage que je reproduis ci-dessous : l’éventail des démarches pédagogiques. Les inspecteurs généraux observent que cet éventail va du constructivisme à l’instructionnisme.

Voilà la nouveauté !

Jusqu’à présent, dans les textes officiels, il n’y avait pas d’éventail. Il y avait la bonne méthode constructiviste – la seule qui méritait qu’on s’y arrête – et les restes d’un enseignement traditionnel qu’il fallait impérativement évacuer.

Les inspecteurs généraux admettent de surcroît que le constructivisme « n’a jamais fait l’objet de recherches susceptibles de le valider ». Après quarante années de mise en œuvre, il faudrait que ce constat soit enfin gravé dans le marbre et surtout dans les esprits des formateurs, des “experts” et de la hiérarchie intermédiaire. La qualité de l’enseignement dispensé en France aurait beaucoup à y gagner.

Le mot “instructionnisme” fait aussi son apparition, méritant même une note de bas de page : « Le terme “instructionnisme”, inventé par Seymour Papert dans les années 1980, par opposition au “constructivisme” n’est pas régulièrement utilisé par les pédagogues. Mais il résume assez bien l’esprit d’un enseignement dont la priorité est la transmission des habiletés et des connaissances de celui qui sait vers celui qui ne sait pas. » Excellente définition sur laquelle il n’y a rien à redire.

Sous la plume des inspecteurs généraux, la Pédagogie Explicite apparaît comme le paradigme de l’instructionnisme. À juste titre. Cité comme son illustration française,  le site Form@PEx a, de toute évidence, été consulté attentivement par les rapporteurs. Nos efforts d’explication, d’information et de formation se trouvent, à cette occasion, bien récompensés. Nous avons donc bien fait de tenir bon et de ne pas abandonner à chaque tempête que nous avons dû essuyer. Car avoir raison avant les autres se paie souvent fort cher.

« Entre ces deux termes, on trouve naturellement nombre de positions intermédiaires » : et les inspecteurs de citer l’exemple du cognitivisme, pourtant fort proche de la démarche explicite. L’importance que nous donnons à la métacognition et aux stratégies d’apprentissage en témoigne amplement.

À mes yeux, ces “positions intermédiaires” sont plutôt occupées par tous ceux qui saupoudrent leur pratique constructiviste de moments d’enseignement explicite. Sans se rendre compte que les philosophies éducatives qui animent ces deux courants opposés sont parfaitement antinomiques. Faire un peu d’explicite au milieu d’une pédagogie de découverte est un non-sens qui révèle l’absence de professionnalisme et d’expertise dans son métier. Ainsi, la voiture de course explicite pourrait-elle traîner la caravane constructiviste ? Certainement pas : la démarche n’est pas conçue pour cela. La Pédagogie Explicite répond à un impératif d’efficacité, alors que les pratiques constructivistes obéissent de leur côté à des critères purement idéologiques.

D’ailleurs, à propos des discussions pédagogiques en France, les rapporteurs parlent d’un « affrontement à caractère idéologique ». “Affrontement” est bien le mot. Mais le caractère idéologique est à chercher du côté constructiviste qui, par exemple, se définit toujours comme “progressiste” (bien que ses pratiques pénalisent lourdement les élèves des milieux socioculturels défavorisés, allez comprendre !). Les partisans de l’Enseignement Explicite, quant à eux, se veulent des professionnels pour lesquels seuls comptent les résultats obtenus en matière de réussite des élèves. Pour nous, toute autre considération – surtout idéologique – n’a aucune valeur.

Reste un dernier point et pas des moindres. Quand l’enseignant explicite tombe sur un IEN constructiviste, que se passe-t-il ? Les inspecteurs généraux notent que « le risque est grand (…) d’évaluer les enseignants selon le rapport qu’ils entretiennent avec lui [le constructivisme]. » Dans ce cas, l’entretien risque d’être forcément houleux, et le rapport qui suivra forcément défavorable. On se retrouve alors dans la situation incroyable où on est pénalisé parce qu’on est efficace avec les élèves !

C’est donc pour cette raison que la Pédagogie Explicite doit s’imposer dans la hiérarchie intermédiaire. Le mouvement dans ce sens est déjà à l’œuvre, le nombre des inspecteurs qui écoutent avec attention et intérêt ce que nous disons augmente sensiblement. Mais le constructivisme étant toujours omniprésent, ce mouvement de ralliement reste discret même s’il est bien réel. Une sorte de nicodémisme pédagogique qui ne s’avoue que dans le cadre d'une discussion privée. Mais tout cela changera bien plus vite qu’on ne le pense : le revirement sera rapide et impressionnant.


Extrait du rapport (pp 23-25) :
« Si la personne enseignante pèse, sous les réserves mentionnées, d’un certain poids dans les résultats des élèves, les méthodes utilisées ont également fait l’objet de recherches approfondies, qui conduisent à des résultats fiables.
Toutefois, avant de présenter ces résultats, il faut rappeler qu’en France les discussions pédagogiques revêtent souvent une dimension d’affrontement à caractère idéologique, dont il convient de se déprendre. De manière extrêmement sommaire, on peut définir les extrémités et les points centraux d’un continuum qui va du socioconstructivisme à l’instructionnisme en passant par le cognitivisme.
Le socioconstructivisme s’apparente à la pédagogie “invisible” (Bernstein) ou “expressive” (Éric Plaisance). Inspiré des travaux de Vygotski et de Piaget, et illustré entre autres par ceux de Philippe Mérieux ou Philippe Perrenoud, il considère que tout apprentissage durable, revêtant un caractère social, est le fruit d’une activité du sujet au cours de laquelle le conflit entre ses représentations antérieures et les représentations auxquelles il doit accéder d’une part, l’interaction avec ses pairs d’autre part, lui permettent de (re)construire des savoirs contextualisés qui ne sauraient, sous peine d’insignifiance, être transmis purement et simplement, ni acquis éléments par éléments. Les concepts tels que “construction”, de “sens”, de “projet interdisciplinaire”, de “situation problème globale”, sont au centre de cette conception, défiante à l’égard de tout processus d’acquisition mécanique, répétitif, élémentaire et fondé sur la transmission, la mémorisation, la répétition et l’entraînement. Le socioconstructivisme, peut-être parce qu’il ne débouche pas sur des pratiques d’enseignement formalisées, mais plutôt sur des orientations pédagogiques assez générales, n’a jamais réellement fait l’objet de recherches susceptibles de le valider.
L’instructionnisme, à l’autre extrémité du spectre pédagogique, est notamment illustré par le courant de la “pédagogie explicite”, beaucoup plus présent dans les pays anglo-saxons qu’en Europe méditerranéenne, et illustré entre autres par les travaux de Barak Rosenshine, Clermont Gauthier, Steve Bissonnette, Mario Richard ou encore, en France, par le site Formapex. La pédagogie explicite est fondée sur un enseignement structuré qui prend ses distances avec une pédagogie de découverte centrée sur l’élève et préconise une stratégie d’enseignement systématique et organisée en étapes dûment séquencées et intégrées. Ces étapes sont : la “mise en situation”, au cours de laquelle l’enseignant présente l’objectif d’apprentissage et indique les contenus qui seront abordés ; l’“expérience d’apprentissage” (qui inclut successivement le “modelage”, la “pratique guidée” et la “pratique autonome”), et l’“objectivation”, ou sélection et synthèse des éléments essentiels à retenir, qui permettront leur intégration et leur organisation en mémoire. La pédagogie explicite a fait l’objet de plusieurs recherches et d’une importante méta-analyse qui semblent témoigner de son efficacité, au moins avec les jeunes élèves et dans les disciplines fondamentales et instrumentales.
Entre ces deux termes, on trouve naturellement nombre de positions intermédiaires parmi lesquelles on peut ranger celles qui se rattachent au courant cognitiviste, issu des travaux d’Ausubel, qui insiste sur les phénomènes d’“ancrage” (articulation des nouvelles connaissances avec les anciennes), de “représentations structurantes”, de “stratégies d’apprentissage” et de “métacognition”.
Le risque est grand, devant un tel éventail, d’opter, plus ou moins consciemment, pour tel ou tel courant, et d’évaluer les enseignants selon le rapport qu’ils entretiennent avec lui, et les inspecteurs n’y échappent pas toujours. Aussi est-il préférable de recenser les paramètres qui, à travers la littérature pédagogique, semblent s’imposer, quelle que soit la “philosophie” de référence. Modestes, mais précis, ils concernent donc non pas l’efficacité des enseignants, ni même celle des pratiques enseignantes en général, mais celle des séquences d’enseignement spécifiques. Si l’ambition est moins grande, les conclusions sont plus sûres. »