J’ai déjà signalé la parution du rapport de l’IGEN sur L’évaluation des enseignants. Revenons aujourd’hui sur un point important qui est
abordé dans le passage que je reproduis ci-dessous : l’éventail des
démarches pédagogiques. Les inspecteurs généraux observent que cet éventail va
du constructivisme à l’instructionnisme.
Voilà la nouveauté !
Jusqu’à présent, dans les textes officiels, il n’y avait pas
d’éventail. Il y avait la bonne méthode constructiviste – la seule qui méritait
qu’on s’y arrête – et les restes d’un enseignement traditionnel qu’il fallait
impérativement évacuer.
Les inspecteurs généraux admettent de surcroît que le
constructivisme « n’a jamais fait l’objet
de recherches susceptibles de le valider ». Après quarante années de
mise en œuvre, il faudrait que ce constat soit enfin gravé dans le marbre et
surtout dans les esprits des formateurs, des “experts” et de la hiérarchie
intermédiaire. La qualité de l’enseignement dispensé en France aurait beaucoup
à y gagner.
Le mot “instructionnisme” fait aussi son apparition,
méritant même une note de bas de page : « Le terme “instructionnisme”, inventé par Seymour Papert dans les
années 1980, par opposition au “constructivisme” n’est pas régulièrement
utilisé par les pédagogues. Mais il résume assez bien l’esprit d’un enseignement
dont la priorité est la transmission des habiletés et des connaissances de
celui qui sait vers celui qui ne sait pas. » Excellente définition sur
laquelle il n’y a rien à redire.
Sous la plume des inspecteurs généraux, la Pédagogie
Explicite apparaît comme le paradigme de l’instructionnisme. À juste titre. Cité
comme son illustration française, le site Form@PEx a, de toute évidence,
été consulté attentivement par les rapporteurs. Nos efforts d’explication, d’information
et de formation se trouvent, à cette occasion, bien récompensés. Nous avons
donc bien fait de tenir bon et de ne pas abandonner à chaque tempête que nous
avons dû essuyer. Car avoir raison avant les autres se paie souvent fort cher.
« Entre ces deux
termes, on trouve naturellement nombre de positions intermédiaires » :
et les inspecteurs de citer l’exemple du cognitivisme, pourtant fort proche de
la démarche explicite. L’importance que nous donnons à la métacognition et aux
stratégies d’apprentissage en témoigne amplement.
À mes yeux, ces “positions intermédiaires” sont plutôt
occupées par tous ceux qui saupoudrent leur pratique constructiviste de moments
d’enseignement explicite. Sans se rendre compte que les philosophies éducatives
qui animent ces deux courants opposés sont parfaitement antinomiques. Faire un
peu d’explicite au milieu d’une pédagogie de découverte est un non-sens qui
révèle l’absence de professionnalisme et d’expertise dans son métier. Ainsi, la
voiture de course explicite pourrait-elle traîner la caravane constructiviste ?
Certainement pas : la démarche n’est pas conçue pour cela. La Pédagogie
Explicite répond à un impératif d’efficacité, alors que les pratiques
constructivistes obéissent de leur côté à des critères purement idéologiques.
D’ailleurs, à propos des discussions pédagogiques en France,
les rapporteurs parlent d’un « affrontement
à caractère idéologique ». “Affrontement” est bien le mot. Mais le
caractère idéologique est à chercher du côté constructiviste qui, par exemple,
se définit toujours comme “progressiste” (bien que ses pratiques pénalisent lourdement les élèves
des milieux socioculturels défavorisés, allez comprendre !). Les partisans
de l’Enseignement Explicite, quant à eux, se veulent des professionnels pour
lesquels seuls comptent les résultats obtenus en matière de réussite des
élèves. Pour nous, toute autre considération – surtout idéologique – n’a aucune
valeur.
Reste un dernier point et pas des moindres. Quand l’enseignant
explicite tombe sur un IEN constructiviste, que se passe-t-il ? Les
inspecteurs généraux notent que « le
risque est grand (…) d’évaluer les enseignants selon le rapport qu’ils
entretiennent avec lui [le constructivisme]. » Dans ce cas, l’entretien
risque d’être forcément houleux, et le rapport qui suivra forcément défavorable.
On se retrouve alors dans la situation incroyable où on est pénalisé parce qu’on
est efficace avec les élèves !
C’est donc pour cette raison que la Pédagogie Explicite doit
s’imposer dans la hiérarchie intermédiaire. Le mouvement dans ce sens est déjà
à l’œuvre, le nombre des inspecteurs qui écoutent avec attention et intérêt ce
que nous disons augmente sensiblement. Mais le constructivisme étant toujours omniprésent,
ce mouvement de ralliement reste discret même s’il est bien réel. Une sorte de
nicodémisme pédagogique qui ne s’avoue que dans le cadre d'une discussion privée.
Mais tout cela changera bien plus vite qu’on ne le pense : le revirement
sera rapide et impressionnant.
Extrait du rapport (pp 23-25) :
« Si la personne
enseignante pèse, sous les réserves mentionnées, d’un certain poids dans les résultats
des élèves, les méthodes utilisées ont également fait l’objet de recherches approfondies,
qui conduisent à des résultats fiables.
Toutefois, avant de
présenter ces résultats, il faut rappeler qu’en France les discussions pédagogiques
revêtent souvent une dimension d’affrontement à caractère idéologique, dont il convient
de se déprendre. De manière extrêmement sommaire, on peut définir les
extrémités et les points centraux d’un continuum qui va du socioconstructivisme
à l’instructionnisme en passant par le cognitivisme.
Le
socioconstructivisme s’apparente à la pédagogie “invisible” (Bernstein) ou “expressive”
(Éric Plaisance). Inspiré des travaux de Vygotski et de Piaget, et illustré
entre autres par ceux de Philippe Mérieux ou Philippe Perrenoud, il considère
que tout apprentissage durable, revêtant un caractère social, est le fruit
d’une activité du sujet au cours de laquelle le conflit entre ses
représentations antérieures et les représentations auxquelles il doit accéder
d’une part, l’interaction avec ses pairs d’autre part, lui permettent de (re)construire
des savoirs contextualisés qui ne sauraient, sous peine d’insignifiance, être transmis
purement et simplement, ni acquis éléments par éléments. Les concepts tels que “construction”,
de “sens”, de “projet interdisciplinaire”, de “situation problème globale”,
sont au centre de cette conception, défiante à l’égard de tout processus d’acquisition
mécanique, répétitif, élémentaire et fondé sur la transmission, la
mémorisation, la répétition et l’entraînement. Le socioconstructivisme,
peut-être parce qu’il ne débouche pas sur des pratiques d’enseignement
formalisées, mais plutôt sur des orientations pédagogiques assez générales, n’a
jamais réellement fait l’objet de recherches susceptibles de le valider.
L’instructionnisme, à
l’autre extrémité du spectre pédagogique, est notamment illustré par le courant
de la “pédagogie explicite”, beaucoup plus présent dans les pays anglo-saxons
qu’en Europe méditerranéenne, et illustré entre autres par les travaux de Barak
Rosenshine, Clermont Gauthier, Steve Bissonnette, Mario Richard ou encore, en
France, par le site Formapex. La pédagogie explicite est fondée sur un enseignement
structuré qui prend ses distances avec une pédagogie de découverte centrée sur
l’élève et préconise une stratégie d’enseignement systématique et organisée en
étapes dûment séquencées et intégrées. Ces étapes sont : la “mise en situation”,
au cours de laquelle l’enseignant présente l’objectif d’apprentissage et
indique les contenus qui seront abordés ; l’“expérience d’apprentissage” (qui
inclut successivement le “modelage”, la “pratique guidée” et la “pratique autonome”),
et l’“objectivation”, ou sélection et synthèse des éléments essentiels à
retenir, qui permettront leur intégration et leur organisation en mémoire. La
pédagogie explicite a fait l’objet de plusieurs recherches et d’une importante
méta-analyse qui semblent témoigner de son efficacité, au moins avec les jeunes
élèves et dans les disciplines fondamentales et instrumentales.
Entre ces deux termes,
on trouve naturellement nombre de positions intermédiaires parmi lesquelles on
peut ranger celles qui se rattachent au courant cognitiviste, issu des travaux d’Ausubel,
qui insiste sur les phénomènes d’“ancrage” (articulation des nouvelles connaissances
avec les anciennes), de “représentations structurantes”, de “stratégies d’apprentissage”
et de “métacognition”.
Le risque est grand,
devant un tel éventail, d’opter, plus ou moins consciemment, pour tel ou tel
courant, et d’évaluer les enseignants selon le rapport qu’ils entretiennent
avec lui, et les inspecteurs n’y échappent pas toujours. Aussi est-il
préférable de recenser les paramètres qui, à travers la littérature
pédagogique, semblent s’imposer, quelle que soit la “philosophie” de référence.
Modestes, mais précis, ils concernent donc non pas l’efficacité des
enseignants, ni même celle des pratiques enseignantes en général, mais celle
des séquences d’enseignement spécifiques. Si l’ambition est moins grande, les
conclusions sont plus sûres. »