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mercredi 15 octobre 2003

Livre : Journal d'une institutrice clandestine (Rachel Boutonnet)


L’auteur a eu le mérite, avec ce livre, de dénoncer l’inefficacité de la formation professionnelle initiale reçue dans les IUFM par les maîtres du Primaire. On pourrait d’ailleurs en dire autant de la formation continue, essentiellement assurée par les mêmes acteurs. Les dogmes constructivistes règnent de manière absolue parmi les “formateurs”. Personne n’ose s’en écarter pour ne pas être soupçonné de déviationnisme, comme sous les pires dictatures. Aussi, rares sont les endroits où on peut entendre la petite musique de la pédagogie explicite. Mais - soyons juste - cela arrive quelquefois. Heureusement...

Doit-on rappeler une fois de plus que toute vraie liberté pédagogique suppose un choix dans les pratiques. Quel choix a-t-on lorsque la formation professionnelle ne présente qu’une seule façon d’enseigner ? Un peu comme ces élections où il n’y avait qu’un seul candidat, celui du Parti. La liberté pédagogique a du plomb dans l'aile avant même d'entrer dans le métier.

Les Instituts Universitaires de Formation des Maîtres ont pris la succession des Écoles normales d’instituteurs où l’on servait déjà la même soupe pédagogiste. Par le fait, depuis une quarantaine d’années, les jeunes maîtres arrivent dans les écoles parfaitement incapables de prendre en charge convenablement et surtout efficacement leur classe. Ce qui est un comble pour une “formation professionnelle”. Un comble et un scandale si on considère le coût de cette véritable gabegie.

Les enseignants débutants n’ont alors d’autre choix que de mettre en œuvre les pratiques absolument inefficaces apprises lors de leur formation. Ou alors, comme Rachel Boutonnet, de revenir à des recettes antiques, comme l’utilisation de la méthode Boscher. L’auteur en parle beaucoup et considère curieusement celle-ci comme adaptée aux élèves de notre époque, bien qu’elle ait été surtout utilisée des années 1920 aux années 1950. Ce parti pris est volontaire puisqu'il existe aujourd’hui bien d’autres méthodes phono-alphabétiques, comme comme J'apprends à lire avec Léo et Léa ou la méthode Fransya, pour ne parler que des plus connues.

L’auteur a fait le choix assumé de revenir à l’École de grand-papa. Comme quoi une bonne critique peut hélas déboucher sur des choix très discutables. La solution des problèmes de l’École n’est certainement pas à chercher dans le rétroviseur…

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Journal d'une institutrice clandestine
Rachel BOUTONNET
Ramsay, 08/2003, 286 p.

Messerschmidt
Franz Xaver Messerschmidt

lundi 18 août 2003

Livre : L'école des ego (Elizabeth Altschull)



Ceux qui ont une bonne connaissance du système éducatif américain ont une longueur d’avance sur nous. Beaucoup de dispositifs mis en œuvre chez nous (comme La Main à la pâte) ne sont en fait que des resucées de dispositifs venus d’Outre-Atlantique. Où cela ne fonctionne pas mieux que chez nous.

Elizabeth Altschull est un professeur français d’origine américaine. Elle connaît donc très bien les deux systèmes éducatifs et peut donc établir des similitudes troublantes.

Exemples :
« Dans mon pays d’origine, les écoles sont devenues étrangement oppressives envers le “jeune pas assez épanoui”. C’est devenu même un grand thème littéraire. Il faut pourtant avoir une saine méfiance des bulletins qui évaluent en longues colonnes de cases à cocher les qualités supposées de l’élève : son aptitude à s’intéresser aux autres, ses leadership qualities (capacités à mener les autres), son dynamisme pour les projets proposés. Une de mes institutrices américaines, plus “formée” à la “psychologie enfantine” qu’à la grammaire, attribua mon désintérêt à ma situation familiale. Ce fait psychologique était mentionné dans mon bulletin, au détriment d’une véritable évaluation de mon niveau linguistique. Or, en l’occurrence, c’était mon bilinguisme qui m’amenait à trouver ses leçons trop faciles. »
« Quant à l’évaluation, les “sciences de l’éducation” l’ont pratiquement abolie aux États-Unis. Pas d’examen, pas de mise à l’épreuve. On dilue l’évaluation dans toutes sortes de considérations sur la motivation, les efforts, la personnalité de l’élève. Ce faisant, on s’engage dans les voies troubles de l’affectivité avec les élèves et on cesse de s’évaluer soi-même en tant qu’enseignant. »
Cela ne vous rappelle rien ?

Pour savoir quelles tendances vont être suivies par le système éducatif français, il suffit d’aller voir ce qui se fait de pire aux États-Unis.

Bien entendu, on ne va pas y chercher les bonnes pratiques comme le Direct Instruction d’Engelmann, et on ne lit pas ce que dénonce E.D. Hirsch Jr dans ses livres.

Lorsque j’ai rencontré Elizabeth Altschull, elle s’est montrée très intéressée par les techniques de la Pédagogie Explicite. Elle avait le projet de créer une revue instructionniste sur le modèle des Cahiers pédagogiques. Mais cela ne s’est pas fait. Dommage…

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Elizabeth ALTSCHULL
Albin Michel, 165 p
08/2002

dimanche 10 août 2003

Livre : Comment la gauche a perdu l'école (Emmanuel Davidenkoff)



Le point de départ de ce livre, paru en février 2003, est l’élection présidentielle du 21 avril 2002 et la façon dont Lionel Jospin, premier ministre sortant de la cohabitation, s’est fait éliminer dès le premier tour. Le candidat du Parti socialiste a obtenu 22 % des votes enseignants (contre 31 % pour le PS aux élections européennes de 1999, 46 % pour la gauche plurielle aux législatives de 1997). Il était donc légitime qu’Emmanuel Davidenkoff cherche une explication à cette érosion indiscutable, et c’est ce qu’il a fait dans ce livre écrit d’une plume alerte et dont la lecture est agréable.

Extrait :
« Toutes les enquêtes sur l’image de l’école et des enseignants le confirment depuis des années : la France a massivement confiance dans l’institution scolaire et dans ceux qui la font vivre. Le pacte fondateur de la République, qui lie les Fran­çais à leur école, n'est donc pas rompu.
Pas encore rompu ? C'est la crainte qui hante et struc­ture ce livre. Car la plupart des indicateurs qui étaient dans le rouge il y a vingt ans le sont toujours, comme si la gauche, au mieux, n'avait fait que retarder l'inéluctable déclin du projet né des Lumières d'une école qui serait à la fois le produit et la matrice d'une société plus juste. Ce livre explore ceux qui m'ont paru les plus névralgiques pour jauger l'action de la gauche depuis vingt ans. Posons-les d'ores et déjà, dans l'ordre dans lequel cet ouvrage les aborde.
La méritocratie semble en panne alors que son hon­nête fonctionnement est la condition sine qua non sans laquelle la survivance d'un double système d'enseignement supérieur – universités et grandes écoles – n'est rien d'autre qu'une machine à reproduire voire à accentuer les privilèges de la naissance qu'elle prétendait combattre. Les réponses offertes aux plus modestes et aux défavorisés n'ont pas empêché leur confinement dans des filières qu'on a laissées se ghettoïser. Nombre d'enseignants, dont les conditions de vie n'ont rien de catastrophique au regard de celles de la population active, se disent et se vivent démunis et oubliés. L'administration n'a que les appels à la “bonne volonté” à se mettre sous la dent pour avancer, faute de récompenses symboliques ou matérielles significatives. Le débat public paraît en panne quand il ne se résume pas à des échanges d'anathèmes ou d'invectives qui, plus sûrement encore que les erreurs passées, font le lit des extrémismes. À force d'empiler les missions, l'école ne sait plus dire, simplement, quelle est sa mission. Les savoirs enseignés, que ce soit en termes de découpage ou de méthodes, n'intègrent qu'au compte-gouttes les apports de la recherche, dans toutes les disciplines. Le service public a ouvert insidieusement puis explicitement de larges pans à la privatisation de l'école. »
Excellent constat… toujours pertinent une dizaine d’années plus tard.

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Emmanuel DAVIDENKOFF
Hachette Littérature, 335 p
02/2003