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dimanche 28 décembre 2008

Lire, écrire, compter : les performances des élèves de CM2 à vingt ans d'intervalle 1987-2007 (MEN-DEPP)

Auteur : Thierry Rocher
Note d'information, n° 08.38
12.2008




Voici le résumé des résultats obtenus par cette étude :

« En 2007, la reprise d’une enquête de 1987, portant sur la lecture, le calcul et l’orthographe en fin de CM2, permet de comparer les performances des élèves à vingt ans d’intervalle, à partir des résultats observés aux mêmes épreuves. De plus, des points intermédiaires de comparaison sont disponibles, en 1997 pour la lecture et en 1999 pour le calcul. Les résultats sont contrastés selon les domaines et les périodes. En lecture, les résultats sont stables de 1987 à 1997 ; en revanche, on observe une baisse significative du score moyen entre 1997 et 2007, plus prononcée pour les élèves les plus faibles. La situation est différente en calcul : une baisse importante des performances, touchant tous les niveaux de compétences, est observée de 1987 à 1999 ; puis, de 1999 à 2007, les résultats stagnent. Concernant l’orthographe, le nombre d’erreurs, essentiellement grammaticales, constatées à la même dictée a significativement augmenté de 1987 à 2007. »

Il se confirme donc ce que nous ne cessons de répéter : plus les pratiques constructivistes se sont imposées dans les écoles primaires françaises, plus les difficultés des élèves ont augmenté et plus leur échec a été grand. La loi Jospin de 1989 a été de ce point de vue un événement déterminant. Les années 1990 ont été catastrophiques sur le plan des pratiques pédagogiques. Et les programmes de 2002 sont encore allés plus loin dans l’imposition de ces façons d’enseigner parfaitement inefficaces. Il a fallu attendre les programmes de 2008 pour que soit enfin reconnu la qualité d’un « enseignement structuré et explicite ». Au moins vingt années de perdues, une génération sacrifiée…

Il faut donc de toute urgence faire connaître aux enseignants du Primaire les techniques de l’enseignement explicite si nous voulons que nos élèves se mettent à progresser et que leurs apprentissages réussissent.

lundi 15 décembre 2008

À propos des "désobéisseurs" - « En conscience, je fais mon métier du mieux possible. »


"En conscience, je refuse d'obéir."
Alain Refalo (novembre 2008)



Une des premières choses que j’ai apprise à ma sortie de l’École normale d’instituteurs, c’est la nécessité de se montrer solidaire des collègues avec lesquels on travaille et, plus généralement, de la corporation des instituteurs dans son ensemble. Solidaires face aux élèves : on ne contredit pas un collègue. Solidaires face aux parents : on ne critique pas le travail ou l’attitude d’un collègue. Solidaires face à la hiérarchie : on ne dénonce pas les manquements d’un collègue. C’est parfois difficile, mais les problèmes doivent se régler en interne. L’expérience m’a prouvé que les écoles qui fonctionnent sont des écoles où l’équipe enseignante est soudée, solidaire.

Pour autant, je ne me sens pas solidaire des instituteurs qui se sont déclarés “désobéisseurs” depuis la Rentrée de septembre 2008. « En conscience, je désobéis » ont-ils écrit au Président de la République, au ministre, à leur recteur ou à leur IEN. Ils l’ont proclamé sur des sites Internet, des blogs, ils le publient dans des articles, dans des livres…

Les instituteurs de l’enseignement public sont des fonctionnaires et, à ce titre, ils ont un certain nombre de droits, mais aussi de devoirs. Quand on est trop torturé par sa conscience pour accomplir le service pour lequel on reçoit un traitement, on ne désobéit pas, on démissionne.

Les “désobéisseurs”, si je les ai bien lus, sont des constructivistes. Ils redoutent le retour aux fondamentaux et préfèreraient continuer à organiser des promenades pédagogiques, du théâtre, des activités de création artistique ou d’escalade, des sorties à vélo, des expériences Main à la pâte, etc. Enseigner le français, les mathématiques et la culture générale les paniquent. C’est que, pendant des années et des années, ils ont eu la possibilité de prendre leur temps en classe, d’y faire des activités ludiques sans trop de préparation et sans trop de correction, de passer dans les médias à la première visite d’un moulin à huile ou pour le défilé du carnaval pendant le temps scolaire. En un mot, d’être conforme à la pédagogie officielle recommandée, sans le moindre état d’âme. Et surtout, sans que quiconque leur reproche d’envoyer au collège des enfants ne maîtrisant pas les bases d’un enseignement élémentaire digne de ce nom.

Le cirque pédagogique a été contrarié par les programmes de Xavier Darcos, parus en 2008. D’où la réaction prévisible de tous ceux qui ont pris au pied de la lettre ce que disaient les formateurs à l’IUFM. D’autant que cela permettait de ne pas trop forcer ; le constructivisme pédagogique ayant cette particularité que tout peut se justifier. Il faut simplement veiller à rester dans le simulacre. Donc « en conscience, ils ont désobéi », croyant qu’ils pouvaient porter la palme du martyre sans courir d’autres risques que celui de la notoriété médiatique. Maintenant que les sanctions administratives commencent à tomber, ils s’étonnent, s’inquiètent et crient au scandale.

Cette contestation des programmes 2008 aurait pu être facilement menée dans un cadre syndical. Les principaux syndicats d’enseignants du Primaire sont acquis corps et âme, depuis des lustres, au constructivisme pédagogique. Les petits syndicats aussi, et peut-être même encore plus. Il n’y a que le SNUDI-FO qui ne s’aventure pas sur le terrain pédagogique qu’il juge – à juste titre – hors du champ syndical. Et le SNE qui, sans doute par choix idéologique, ose critiquer un pédagogisme réputé de gauche.

Aujourd’hui, les “désobéisseurs” et leurs défenseurs trouvent brutalement des vertus à la liberté pédagogique, alors qu’ils l’avaient niée pendant des années, les années de plomb du constructivisme pédagogique. Avec la loi Jospin de 1989, qui a officialisé le triomphe du pédagogisme, quelques instituteurs ont commencé à râler devant les dérives pédagogiques qui nous étaient imposées. Je le sais, j’étais du nombre. Pour autant, nous n’avons pas désobéi car la sanction aurait été immédiate. Nous avons résisté.

Mais, contrairement aux “désobéisseurs”, je n'ai pas l'outrecuidance de me revendiquer de la Résistance. Je laisse le mot de “résistants” à des gens bien plus courageux que moi, qui se sont battus au péril de leur vie pour que la France occupée par l’ennemi recouvre à nouveau sa liberté. La Résistance était un vrai combat que plusieurs ont payé de leur vie. Rien à voir avec l'insubordination mineure de quelques fonctionnaires bien à l'abri derrière leur statut. Les mots ne doivent pas être galvaudés.

La résistance des instructionnistes, dans les années 1990, ne portait que sur la façon d'enseigner. Certains ont eu des problèmes avec leur IEN, et l’avancement dans les échelons s’en est trouvé ralenti. Cela n’a pas été mon cas : les inspecteurs ont toujours été satisfaits de mon travail et l’ont écrit dans leurs rapports. Il faut dire aussi que j’ai toujours témoigné du respect à leur égard, étant d’une génération consciente des rapports hiérarchiques. Mes désaccords, mes doutes et mes questionnements, je les ai exprimés de façon courtoise et respectueuse. Et, à ma grande surprise, ils trouvèrent souvent un écho favorable dans le secret des entretiens particuliers.

Nous résistions comme le caillou résiste au courant des eaux sales du caniveau. Parfois même, quand ce courant était trop fort, le caillou roulait deux ou trois tours dans le sens du courant. Je me souviens ainsi de m’être intéressé à la grammaire de texte, d’avoir scrupuleusement tenté de remplir les items des livrets de compétences, ou de proposer des activités compatibles avec les études dirigées prévues par les instructions de 1995.

Lorsque j’ai adhéré à l’association Reconstruire l’école en 2002 ou que j’ai rejoint le collectif Sauver Les Lettres en 2005,  cela n’a pas eu d’incidences sur mon travail. Je ne suis pas entré en rébellion officielle. Lorsque j’ai créé le site appy.ecole en décembre 2002, je ne m’en suis pas servi pour appeler à la sédition et à la désobéissance. Je me suis contenté de mettre en ligne des documents pouvant permettre de nourrir la réflexion de mes collègues instituteurs et, plus généralement, de toute personne concernée par les problèmes éducatifs.

Ce n’est pas par idéologie que j’ai résisté, c’est par goût du travail bien fait. Issu d’une famille d’employés et d’artisans, on m’a transmis la conscience professionnelle comme une valeur importante, on m’a appris qu’il fallait mériter son salaire en faisant son métier du mieux possible. C’est pourquoi, après l’École normale, j’ai mis en pratique tout ce qu’on m’avait appris : en gros, faire du pseudo-Freinet en classe. Puis, au fil du temps, j’ai abandonné tout ce qui ne marchait pas et j’ai conservé tout ce qui favorisait la réussite de mes élèves. Ce souci d’efficacité  dans mon enseignement et de qualité dans mon travail m’a conduit, après trente ans de métier, à adopter la Pédagogie Explicite.

Il est très facile d’exprimer son désaccord, de dire son opposition, de proclamer sa désobéissance. Bref d’adopter une posture. Construire un mouvement professionnel qui s'amplifie, proposer des techniques pédagogiques qui marchent, convaincre les collègues d’entrer dans des pratiques instructionnistes, modernes et efficaces est beaucoup plus difficile. Mais pas impossible…

La seule chose que peut me dicter ma conscience, c’est de faire mon métier du mieux possible.

lundi 15 septembre 2008

Livre : Pour l’école du peuple (Célestin Freinet)


Livre

La critique de l’enseignement traditionnel


Sans surprise, Freinet attaque frontalement l’École traditionnelle (voir la quantité de citations qui suivent). Freinet donne le nom de “scolastique” à l’enseignement traditionnel. Emporté par la volonté de dénigrement, il se prend pour un Érasme ou un Rabelais : pour lui, l’enseignement traditionnel est archaïque, dépassé, inefficace, ne s’adressant qu’à l’intelligence verbale.

Dès lors, les adjectifs péjoratifs pleuvent. Bon nombre peuvent se retourner aujourd’hui contre la pédagogie Freinet elle-même qui apparaît comme dépassée, désuète et particulièrement inadaptée aux exigences d’efficacité du monde moderne.

Même si la charge de Freinet contre l’école traditionnelle est excessive, il y a quand même des critiques justifiées. Notamment sur la passivité des élèves et sur le fait que le maître faisait ses leçons sans se préoccuper de savoir si elles profitaient véritablement à toute la classe.

Mais le plus surprenant, c’est de constater l’estime portée à Freinet par certains partisans actuels de l’École traditionnelle. Ainsi, Jean-Paul Brighelli, dans un ouvrage récent [1], dit de Freinet qu’il était un « instituteur de génie ». Pas moins ! Cette grave erreur de jugement provient directement du discours convenu – et non contredit – des constructivistes, passés maîtres dans l’art de faire passer des vessies pour des lanternes.

Car le constructivisme peut en effet se revendiquer sans crainte de ce grand ancêtre. La lecture de ce livre montre combien les idées de Freinet sont passées dans l’esprit commun. Les années 70 et suivantes ont vu le triomphe de la pédagogie Freinet… et si elle a échoué, c’est simplement à cause de ses faiblesses internes, de ses partis pris et de son inefficacité revendiquée.

Disons-le clairement une fois pour toute : Freinet et sa pédagogie n’ont strictement rien d’instructionniste. Aucune équivoque ne doit désormais subsister.

Citations :
- Cette école publique adaptée à la vie de la période 1890-1914 et qui s’obstine dans une conception pédagogique, technique, intellectuelle et morale aujourd’hui dépassée, ne répond plus ni au mode de vie, ni aux aspirations d’un prolétariat qui prend chaque jour davantage conscience de son rôle historique et humain. Cette école ne prépare plus à la vie ; elle n’est tournée ni vers l’avenir, ni même vers le présent ; elle s’obstine dans un passé révolu, comme ces vieilles dames qui, parce qu’elles ont eu un succès mérité pendant leur jeunesse ne veulent rien changer à leur genre de vie ni à la mode qui leur avait tant réussi, et qui maudissent l’évolution autour d’elles d’un monde condamné.
- La traditionnelle école publique [était] adaptée tant bien que mal à la démocratie capitaliste du début du siècle.
- Les éducateurs doivent sans plus de retard prendre conscience de cette désadaptation, opérer l’effort de rajeunissement qui s’impose, rejeter les larges chapeaux et les jupes à volants d’une époque qui a fait son temps (…) ; cesser de bouder l’avenir au nom d’une routine qui n’est plus qu’un frein dangereux à la vie qui monte.
[Introduction]
- Techniquement parlant, l’école traditionnelle était centrée sur la matière à enseigner et sur les programmes qui définissaient cette matière, la précisaient et la hiérarchisaient. A l’organisation scolaire, aux maîtres et aux élèves de se plier à leurs exigences.
- [Il faut que] l’école tourne définitivement le dos à la manie d’une instruction passive et formelle pédagogiquement condamnée.
- Théoriquement, ce redressement est aujourd’hui communément admis ; pratiquement, il se heurte aux tenaces et routinières habitudes de la scolastique ; socialement, il a contre lui tout le système de sélection, de concours, d’examen qui continue à donner les meilleures places aux outres bien pleines, au détriment des têtes bien faites.
- Cette discipline extérieure et formelle sans laquelle l’école actuelle ne serait que chaos et néant.
- Nous ne devons pas nous accommoder plus longtemps d’une école qui retarde de cent ans avec son verbalisme, ses manuels, ses manuscrits, l’ânonnement de ses leçons, la récitation de ses résumés, la calligraphie de ses modèles.
[chap. I]
- La tendance scolastique (…) veut orienter trop vite les enfants [de l’École maternelle] vers le devoir et la leçon scolaires – et donne en conséquence le pas aux activités qui préparent aux acquisitions formelles : préparation à la lecture et à l’écriture, lectures morales, initiation au calcul par des jeux ou des tableaux spéciaux, culture systématique prématurée d’une forme d’ailleurs mineure de la mémoire.
- (…) pour des réalisations non exclusivement scolastiques, mais vivantes et dynamiques.
Il faut (…) éviter à tout prix de systématiser, de scolasticer [2] ces relations [à l’École maternelle]. N’essayez même pas de faire lire le texte ; il est là, blanc sur noir, au tableau, puis en fines pattes de mouches mystérieuses sur votre beau cahier [de vie de la classe].
Et si l’enfant pédale à vide, vous pouvez l’obliger à pédaler, vous pouvez le dresser même comme on dresse l’écureuil à tourner dans sa cage…
- L’École traditionnelle est un auditorium-scriptorium dont l’amphithéâtre des grandes écoles n’est que la forme somptueuse. Pour cet auditorium-scriptorium, la disposition la plus favorable était une salle unique, suffisante certes pour le groupement assis de l’effectif scolaire, mais point trop vaste cependant pour que la voix du professeur ne s’y perde pas et que l’œil du maître puisse surveiller les derniers recoins. Ne parlons pas de la baguette qui, autrefois, devait, de la chaire, toucher jusqu’aux cancres du fond. Cette salle ne devait pas être trop généreusement ouverte sur l’extérieur, car ces ouvertures nuisaient à la résonnance de la voix doctorale et étaient susceptibles de distraire les élèves – inconvénient corrigé par la surélévation des fenêtres et l’opacité des vitres.
- Le problème [laisser des élèves seuls] serait effectivement insoluble à l’école traditionnelle où le travail est fonction de la surveillance et de l’autorité.
- L’ameublement de l’École traditionnelle est naturellement celui d’un auditorium-scriptorium : chaire surélevée, unique tableau à l’usage exclusif de l’exposé magistral ou des interrogations – bancs-pupitres pour enfants assis écrivant ou lisant (à l’exclusion de toutes autres activités, sauf clandestines) ; absence de tout espace libre dont l’utilisation n’est nullement prévue dans l’organisation pédagogique, meuble bibliothèque et compendium scientifique soigneusement fermés, à l’abri de la poussière et des mains indiscrètes et, sur une console, le  buste de la République ou le crucifix !
- La chaire surélevée du maître devient superflue.
- Croit-on vraiment avoir fait quelque besogne utile lorsqu’on l’aura [l’élève] détaché artificiellement de la lente formation fonctionnelle qui lui était essentielle pour l’initier à coups de leçons, d’exercices de mémoire et de pensums à un intellectualisme qui le dépasse ? On n’aura fait que le désaxer, le déraciner, le déséquilibrer, compromettre sa montée normale vers l’intelligence vraie.
- Par nos ateliers de travail de base, ce sont des possibilités de travail que nous offrons aux enfants et non des formes pour le dressage. Évitez de retourner à la scolastique en faisant du travail dans ces ateliers des devoirs consécutifs à certaines leçons méthodiques.
- Nous ne sommes ni pour ce silence de mort qui doit suivre, selon certains, le tintement de la cloche, ni pour cet alignement militaire où les uns crânent orgueilleusement, tandis que d’autres se cachent pour se faire oublier ou pardonner.
- La solution était toute trouvée, à l’École traditionnelle, (…) grâce aux leçons formelles et à l’emploi rigide des manuels. Quant aux recours, (…) on les réduisait au minimum pour simplifier les choses – car l’École avait essentiellement peur du multiple et du complexe.
- Dans les classes ordinaires, quand l’écolier a fini sa besogne, il y en a encore. Alors, on fait comme au régiment : on fait durer le plaisir, et c’est à qui aura fini le dernier… Ce qui est une drôle d’éducation. A moins que l’émulation et les sanctions ne viennent stimuler les as, mais les as seulement…
- (…) l’ancienne école dogmatique et passive.
- Nous nous séparons totalement de la forme scolastique que la pédagogie a donnée à cette méthode [des centres d’intérêts] depuis Decroly. Faute de moyens techniques suffisants (…), on se rabat sur une concentration plus ou moins arbitraire autour de certaines tendances dominantes.
- Nous nous garderons (…) de donner  aux seuls intérêts révélés par le texte journalier une sorte d’investiture scolastique qui réduirait aussitôt, plus ou moins arbitrairement, le complexe.
- L’École traditionnelle affirmait l’impossibilité d’une solution pratique. Aussi recommandait-elle d’éviter, d’esquiver ce complexe. Et elle l’esquivait en fermant prudemment sur la vie ambiante les portes de l’école, en réprimant le besoin d’expression de l’enfant, en limitant l’activité (…) aux seuls problèmes plus ou moins arbitrairement schématisés – dont on avait d’avance la solution. Il n’y avait ni tâtonnement ni aléa. Autorité et discipline étaient sauves… dût la vie en être irrémédiablement atteinte.
- Les outils traditionnels : le cahier et le porte-plume, les devoirs et les manuels.
- Bon gré mal gré, vous devrez en rester au Moyen Age de l’École, le seul progrès étant que la plume d’acier a remplacé la plume d’oie.
- L’école traditionnelle demande beaucoup trop à l’instituteur, moins d’ailleurs (…) dans le domaine de la technique qu’au point de vue des qualités personnelles et psychiques qu’il ne dépend pas toujours de lui de posséder ou d’acquérir : calme, droiture, autorité personnelle, intuition, patience, maîtrise de soi, abnégation, dévouement… et amour ! Et comme les instituteurs sont des hommes, qui donc ne possèdent que très exceptionnellement toutes ces qualités jugées essentielles, c’est tout le système pédagogique qui s’effondre, les instituteurs impuissants qui se lassent et se contentent enfin de  s’installer dans la pratique (…) de la moyenne routine.
- A l’inverse de l’instituteur de l’ancienne école, [l’instituteur de la nouvelle école] est rarement assis.
- Les élèves ne quittent (…) pas l’école avec, comme autrefois, un soupir de soulagement et une réaction nerveuse de batailles et de cris.
- Dans l’école nouvelle : Ni devoirs ni leçons pourtant, ni textes à apprendre par cœur.
- Si nous ne possédons qu’un matériel scientifique extrêmement réduit, il faudra bien essayer de pallier notre impuissance technique à réaliser le véritable enseignement scientifique par un retour bien regrettable aux vieilles méthodes théoriques et explicatives. Si les documents nous manquent pour une histoire vivante, et si les programmes exigent encore de nous un enseignement formel anti pédagogique, force nous sera aussi d’essayer un palliatif verbal (…). Car nous mettons loyalement les élèves eux-mêmes en face des réalités qui nous font accidentellement retourner à des pratiques dépassées. Nous n’essayons pas de parer de couleurs insidieuses des pratiques non conformes à nos méthodes de travail ; nous ne cherchons pas de mauvaises raisons (…). Mais nous disons : « Pour telles et telles raisons qui nous dépassent » – et qu’on explique – « vous devez étudier tels textes, pratiquer telle discipline… » Les enfants feront plus volontiers l’effort anormal ainsi demandé. Et l’esprit de notre enseignement n’en sera nullement affecté. [3]
- Il faut exclure d’abord de cette pratique [des questions] l’habitude qui serait naturelle dans les écoles traditionnelles de poser des colles au maître pour le malin plaisir de le voir bafouiller.
- L’École traditionnelle (…) fonctionne en milieu fermé (…). Cet isolement jaloux est la conséquence inéluctable de tout le système éducatif que nous condamnons.
- Nous savons que nous avons (…) un lourd courant à remonter, celui de tout le passé d’une École repliée sur elle-même, mystérieusement jalouse de son isolement (…). Si nous avons jeté bas ce masque scolastique, (…) l’École ne sera plus une église où l’on entre chapeau bas et mains jointes, en évitant de faire crisser sur le carreau sonore les clous des vieux souliers.
- L’accent mis de plus en plus sur le travail social véritable que l’instruction scolastique a toujours tendance à dominer et supplanter.
- Les normes de contrôle de l’École traditionnelle ne sont plus valables pour notre école du travail. Les notes étaient basées sur la récitation de leçons apprises par cœur, sur les corrections de devoirs, sur le contrôle de l’explication verbale et de la lecture à haute voix. (…) Nous ne corrigeons plus les devoirs à l’encre rouge.
- Nous sommes en effet partisan d’un contrôle, mais pas d’un contrôle jaloux et soupçonneux, en vue d’abord d’un classement plus ou moins arbitraire. Ce contrôle-là n’est recherché que par les forts en thème, les premiers de la classe qui tirent orgueil de leurs succès [4], tandis que les moyens et les faibles sont de plus en plus dominés par cette tyrannie de la note qui les rejette dans un dangereux sentiment d’infériorité.
[chap. II]
- La vieille école avait cet incontestable avantage que la marche du travail y était minutieusement réglée, du moins dans la forme, heure par heure, discipline par discipline : chaque division a fait tant de problèmes ; on a lu les pages prévues aux manuels, récité les leçons d’histoire ou de grammaire. (…) Les parents sont satisfaits de voir s’accroître ainsi, méthodiquement, le savoir de leurs enfants ; l’inspecteur est satisfait ; le programme est « vu »… Que demander de plus ?
- Il faut absolument (…) nous dépouiller de cet esprit bureaucratique qui se satisfait d’une page de manuel tournée même si la lecture n’en a été de nul profit pour personne, d’une copie méthodique ou d’une fidèle mémorisation.
- Nous comparerons (…) toute cette richesse à la passivité de la scolastique.
- Lorsqu’on considère ce total [horaires des programmes officiels] dans les écoles traditionnelles, cela se comprend pour l’ensemble des leçons dans ces disciplines. Le compte ne serait certainement plus le même si on considérait le profit individuel de ces leçons collectives.
- (…) en regard duquel la lecture traditionnelle ferait une bien piètre figure.
- Nos fichiers autocorrectifs (…) permettent à chaque enfant un maximum d’exercices que nous ne croyons guère pouvoir être dépassé dans les classes traditionnelles les plus sévères.
[chap. III]
- Comment (…) se fera le passage de la forme scolastique désuète à l’Éducation du travail ?
- Quels que soient ses titres de noblesse scolastique, le verbiage ne devrait pas avoir davantage de poids dans l’évolution de notre processus pédagogique. Sans paroles inutiles, nous présenterons les outils qui prétendent répondre à des besoins nouveaux pour la satisfaction desquels les méthodes traditionnelles se sont révélées impuissantes.
- Premier geste qui indique votre disposition à vous orienter vers une conception nouvelle de l’éducation : faire disparaître l’estrade sur laquelle trône votre chaire, qui deviendra simplement une table comme les autres, au niveau et à la mesure des autres tables.
[chap. IV]


Le parti pris politique


Freinet était communiste [5], ce qui est parfaitement son droit.

Toutefois nous savons maintenant que la pédagogie ne fait pas bon ménage – en termes d’efficacité – avec l’idéologie.

Le titre même du livre – Pour l’école du peuple – est assez éloquent en lui-même, témoin d’une époque (la Libération) où l’Armée rouge venait d’écraser l’Allemagne hitlérienne et où Staline était encore le Petit Père des peuples.

Citations :
- Une réadaptation de notre école publique s’impose (…) dans un monde que nous espérons être bientôt celui du socialisme triomphant.
- Les enfants (…) sont appelés à construire un monde meilleur que celui que nous avons laissé s’écrouler comme un lamentable château de cartes.
- Le peuple accédant au pouvoir aura son école et sa pédagogie.
[chap. I]
- Nous mentionnerons comme points essentiels à considérer : a/ la santé des parents et la lutte contre les causes qui la compromettent prématurément : condition prolétarienne, marâtre, taudis, alcoolisme (…).
- Un tel milieu existe rarement, du moins dans les familles de travailleurs dominées par la malédiction capitaliste.
- Le fait de faire des plans a montré sa supériorité dans le domaine industriel ou agricole, jusqu’à régenter toute l’activité économique de grands États contemporains. [6]
- Voilà maintenant notre usine en fonctionnement, dit Freinet en parlant de la classe.
[chap. II]


La pédagogie Freinet


J’ai regroupé, en vrac, ce qui distingue la pédagogie Freinet.

Bon nombre de ces pratiques sont passées dans les classes ordinaires, sans que les maîtres en aient conscience. On fait comme cela sans se poser de questions : depuis les années 70, on nous répète qu’il faut enseigner de cette façon. C’est le triomphe de la pédagogie “active” [7]. C’est la victoire posthume de Freinet et de l’influence écrasante – et désastreuse – de sa pédagogie sur les pratiques enseignantes. Avec généralement l’assentiment chaleureux des équipes de circonscription…

Il suffirait seulement que l’on se pose la question de l’efficacité : il ne resterait alors pas grand-chose de tout cet assemblage obsolète.

Faire du Freinet :
- Coopérative de classe
- Cahier de vie de la classe
- Livre de vie personnel
- Journal scolaire (manuscrit ou imprimé)
- Échanges avec d’autres écoles
- Imprimerie – Limographe (qui est l’ancêtre de la photocopieuse [8])
- Frise animée sur les murs de la classe
- Fichiers autocorrectifs
- Travail par groupes
- Ateliers (Travail des champs. Élevage – Forge et menuiserie – Filature, tissage, couture, cuisine, ménage – Constructions, mécanique, commerce – Prospection, connaissances, documentation – Expérimentations – Création, expression et communication graphiques – Création, expression et communication artistiques)
- Réunion hebdomadaire de la coopérative scolaire (avec président et secrétaire, l’instituteur « s’est humblement placé au fond de la salle »)
- Journal mural qui reflète la vie communautaire de l’école pendant la semaine écoulée, avec 3 colonnes : « Nous critiquons… Nous félicitons… Nous demandons… » (C’est parfois le maître lui-même qui est mis en cause. (…) On discute. L’instituteur reconnaît de bonne grâce certaines erreurs (…), des faiblesses… Tout le monde peut se tromper… Nous tâcherons de mieux faire…) [9].
- Sanctions : Dans la pratique, (…) il ne faut pas trop compter sur les sanctions pour améliorer une situation quelle qu’elle soit. La critique collective, la reconnaissance des fautes, le sentiment communautaire, le désir de mieux faire, se montrent en général suffisamment efficaces. La seule sanction régulière est ordinairement de réparer le mal, de refaire ce qui a été défait, de nettoyer ce qui a été sali, d’aider à une tâche pour compenser le tort causé à la classe… Une petite amende est pourtant prévue pour certains délits : le produit s’en va à la caisse de la coopérative… Il n’y a pas de petits bénéfices ! [10]
- Sorties “pédagogiques” (que Freinet appelle « promenades scolaires »)
- Exposés (que Freinet appelle « conférences »)
- Plan individuel de travail hebdomadaire établi par les élèves (« avec la collaboration du maître »)
- Textes libres
- Travail manuel
- Le moins possible de travail commun par niveaux.
- Jardin scolaire
- Étude du milieu local
- Enquêtes
- Dessin libre
- Cinéma (mais pas le cinéma scolaire : fausse conception de l’outil scolaire), disques, radio (mais pas la radio scolaire : nuisible par ce qu’elle apporte de superficialité et de disharmonie dans la réalisation de notre école), machines à écrire
- Boite à questions
- Travail libre - Plans de travail - Journal mural
- Fichier scolaire coopératif - La bibliothèque de travail
- Ateliers dans une pièce attenante (ou dans le corridor)
- Contrôle par brevets
- Théâtre de marionnettes


L’école maternelle


Curieusement Freinet n’hésite pas à s’en prendre à Montessori. Entre “rénovateurs” de l’École, la concurrence devait être rude.

Pour Freinet, il ne doit y avoir aucune leçon en Maternelle. Donc aucun apprentissage systématique et structuré, bien que la GS soit une classe capitale dans la scolarité primaire.

À la place, il ergote sur le « travail-jeu » ou le « jeu-travail » qui, du point de vue sémantique, semblent avoir autant de différences que bonnet blanc ou blanc bonnet.

Citations :
[L’école maternelle] est la période du travail qui (…) se présente sous les deux formes parallèles et complémentaires de jeu-travail et de travail-jeu. (…) Nous ne faisons aucune place aux leçons sous quelque forme qu’elles se présentent, même attrayantes.
A l’École maternelle surtout, nous réduirions volontiers à néant tout enseignement plus ou moins didactique.
Contre la méthode Montessori :
(…) des Jardins d’enfants, dont Mme Montessori avait lancé l’idée, mais qui, selon nous, étaient d’une conception faussement scientifique, trop formelle, qui ne répondait qu’à quelques-uns seulement des besoins fonctionnels des enfants auxquels ils étaient destinés.
Les méthodes les plus perfectionnées – celle de Mme Montessori par exemple – n’ont pas envisagé la vie de l’enfant dans sa complexité diverse, mais une éducation systématique qui limite le tâtonnement à un certain nombre d’activités bien définies, préparées et prévues à l’avance par l’éducateur. De ce fait, l’École maternelle, même chez Mme Montessori, reste un coin de jardin d’acclimatation.
On peut dire que Mme Montessori et les éducatrices françaises ont porté presque à sa perfection l’École maternelle section de jardin d’acclimatation.
Par le matériel Montessori lui-même, prétendument scientifique, l’enfant (etc.)
[chap. II]


La méthode “naturelle” d’apprentissage de la lecture


Nous en arrivons à la méthode d’apprentissage de la lecture, que Freinet veut “naturelle”. Il s’agit en fait d’une méthode globale, dont nous connaissons aujourd’hui les ravages commis sur des générations d’élèves qui ont été des “mal appris” de la lecture, faux dyslexiques en série.

Freinet avait d’ailleurs écrit en 1959 un texte – que ses thuriféraires passent volontiers aujourd’hui sous silence – pour défendre la méthode globale d’apprentissage de la lecture : La méthode globale, cette galeuse !. Les curieux pourront toujours entrer ce titre dans un moteur de recherche afin d’en retrouver le texte sur Internet. La lecture en vaut le coup !

Mais intéressons-nous à cette fameuse méthode “naturelle”.

Citation :
- L’enfant parle, voit se fixer au tableau, sous une forme nouvelle, les pensées ou les actes exprimés ; par son propre travail il transforme ce texte manuscrit en une émouvante page imprimée (…). De cette imprégnation permanente résulte la fixation dans la mémoire visuelle, aidée par la mémoire auditive, des formes, des mots et des phrases dans leur rapport avec l’idée exprimée. (…) Il se produit un travail profond, fruit d’une riche expérience tâtonnée qui aboutit à ce résultat : sans exercice spécial, l’enfant reconnaît progressivement un nombre plus grand de mots ; il les reconnaît non seulement par le graphisme, mais par l’idée à laquelle est lié ce graphisme. Reconnaissance des mots et compréhension vont de pair, participent au même processus. L’enfant reconnaît d’abord – sans lire – les textes familiers, puis certaines phrases des textes (…), et il en déduit parfois la compréhension instantanée des phrases et des mots inconnus. Puis il reconnaîtra des passages entiers de livres faciles ; puis il abordera les difficultés sérieuses. L’enfant sait lire sans exercice de lecture. Il sait lire d’abord parce qu’il reconnaît sous le graphisme manuscrit ou imprimé la pensée qui y était endormie ; c’est comme s’il entendait à distance la parole des absents ou, éloignée dans le temps, celle des morts. Qu’importe s’il ne lit pas encore couramment à haute voix. Ce n’est là, à tout prendre, qu’un exercice fastidieux et à peu près souverainement inutile, que l’École  a toujours hissé au rang d’une nécessité parce qu’elle est impuissante à contrôler la compréhension muette.
[chap. II]


L’apprentissage de l’écriture


L’apprentissage de l’écriture ne manque pas également de surprendre : Freinet recommande de faire “dessiner” un texte.

Sans oublier de partir du texte, pour aller au mot et enfin aux lettres. Toujours partir du complexe pour aller au simple, ce qui est l’orthodoxie du constructivisme.

Avec aussi l’alibi récurent de la compréhension qui doit tellement primer sur tout, que le reste n’existe plus. Inutile de pédaler dès lors qu’on a compris comment faire du vélo.

Citations :
- [L’enfant] dessine par imitation le texte manuscrit, puis s’intéresse plus spécialement aux mots, aux lettres. (…) Le passage du dessin à l’écriture est achevé.
- Qu’on ne s’émeuve pas de voir nos enfants « dessiner » un texte au tableau, qu’ils ne savent pas lire, mais qu’ils comprennent parfaitement.
[chap. II]


Contre une école instructionniste


Freinet s’oppose sans ambiguïté à une école efficace qui transmette les connaissances.

Il critique les parents d’élèves qui veulent que leurs enfants aillent à l’école pour y acquérir « une instruction suffisante ». S’élever dans l’échelle sociale grâce à l’école est une « considération humaine »… Freinet n’a pas ce genre de priorités.

C’est un constructiviste pur et dur. La base de la pratique pédagogique est le tâtonnement, l’expérience… Tant pis si cela prend du temps : en effet si l’élève n’apprend pas cette année, il apprendra l’année prochaine. Combien de fois n’avons-nous pas entendu cet argument qui justifie toutes les inefficacités à propos des Cycles mis en place par la loi Jospin de 1989.

Citations :
- Pour la plupart des parents, ce qui importe, en effet, ce n’est point la formation, l’enrichissement profond de la personnalité de leurs enfants, mais l’instruction suffisante pour affronter les examens, occuper des places enviées, entrer dans telle école ou prendre pied dans telle administration. Considérations humaines certes (…).
- Nous mettrons donc l’accent non plus sur la matière à mémoriser, sur les rudiments de sciences à étudier, mais : a/ sur la santé et l’élan de l’individu (…) ; b/ sur la richesse du milieu éducatif ; c/ sur le matériel et les techniques (…).
[chap. I]
- Résistez le plus possible à la tendance (…) qui pousse à pratiquer dogmatiquement une initiation méthodique qui a pour but d’abréger l’expérience tâtonnée, et dans certains cas même, d’en faire l’économie. L’enfant peut effectivement parvenir plus vite à lire et à écrire, mais c’est au détriment de la série d’expériences intermédiaires que nous jugeons, bien à la légère, inutiles.
- La présence de l’instituteur n’est, en aucun point, nécessaire en permanence. Il aide qui sollicite son concours. A moins qu’il s’attarde parfois, par goût personnel, à soigner un tirage de luxe à l’imprimerie, à parfaire un cliché lino ou une illustration au limographe, à retoucher un objet fabriqué en travail manuel, à faire de la musique… Cela dépend, certes, de ses aptitudes et de ses goûts personnels.
- Si le milieu familial et social était suffisamment compréhensif des nécessités normales de notre pédagogie, nous ferions à nos élèves la même confiance que la maman fait à son jeune enfant. Ce que l’enfant n’acquiert pas aujourd’hui, ou cette semaine, ou même cette année, il l’apprendra plus tard.
[chap. II]


Les erreurs pédagogiques


J’ai pointé un certain nombre d’erreurs pédagogiques ontologiques du constructivisme.

Freinet s’appuyait sur la psychologie pour justifier ses choix. Hélas pour lui, les récentes recherches en psychologie cognitive contredisent aujourd’hui la plupart de ses affirmations.

On retrouve tout ce qui fait débat depuis une dizaine d’années. Y compris les notes, dont on aura deviné à l’avance que Freinet n’y était pas favorable. Comme les corrections en rouge…

Citations :
- Le vrai but éducatif : l’enfant développera au maximum sa personnalité.
- L’école de demain sera centrée sur l’enfant. [11]
[chap. I]
- L’éducation véritable se poursuit selon un principe général d’expérience tâtonnée qui prime toutes autres méthodes plus ou moins scientifiques. L’éducation systématique est dans l’erreur lorsqu’elle prétend substituer ses méthodes rationnelles à un processus qui est la loi même de la vie.
- Les individus retardés, ou tarés [12], gravissent plus difficilement les échelons et n’abordent jamais la période du travail.
- Ce n’est là que prospection et aménagement, adaptés (…) plus particulièrement aux anormaux [13] qui s’y sont attardés. L’enfant normal veut et doit, à cet âge, aller plus avant.
- Nous orienterons de préférence les enfants vers le langage global, de relation et d’expression selon le processus naturel.
- [Le dessin] doit être absolument libre. (…) Ne donnez aucun conseil ; ne jugez pas… Contentez-vous de vous intéresser à l’œuvre réalisée.
- Nos techniques nouvelles répondent à cette nécessité pédagogique de motivation. (…) Nous avons réalisé pratiquement cette motivation par notre technique : expression libre, polycopie ou imprimerie, illustration, réalisation d’un journal scolaire (…), échange [avec des écoles correspondantes].
- Pour peu que nous l’y aidions [l’enfant] se rendra maître des techniques, par le même processus qui l’a rendu maître de la technique du langage.
- Ce qui ne veut pas dire qu’on atteindra d’emblée ainsi la perfection dans l’harmonie scolaire. Si le mécanisme était parfaitement réglé, s’il n’y avait pas parmi les élèves des nerveux, des anormaux, des étourdis, des violents, peut-être. [14]
- Les enfants peuvent se perfectionner dans la connaissance formelle de la grammaire (nécessité imposée par les programmes plus que pédagogiquement justifiée).
- Pour les matières de culture générale (histoire, géographie, sciences), on avance au fur et à mesure que naissent ou s’imposent certaines curiosités.
- Les avantages pédagogiques de la rédaction libre et spontanée, motivée par l’imprimerie, le journal scolaire et les échanges interscolaires.
- Sans matériel pas de pédagogie Freinet : C’est sur cette base matérielle et technique que s’appuie tout notre système éducatif.
- L’efficience intellectuelle, morale, sociale, de votre éducation n’est pas conditionnée exclusivement (…) par la personnalité de l’éducateur ou la valeur magique d’une méthode. Elle est fonction du matériel employé, de la perfection de ce matériel et de l’organisation technique du travail.
- Deux élèves sont partis dans le village. Ils vont relever sur le fronton des vieilles maisons les enseignes, dates et inscriptions qui leur sont nécessaires pour un travail qu’ils préparent. [15]
- Certains travaux sont faits par l’élève comme il l’entend et quand bon lui semble.
- L’imprimerie présente une perte de temps reconnue par Freinet lui-même, car avec une machine à écrire, en quelques minutes on perfore une page de texte qui aurait demandé au total une heure au moins de composition à l’imprimerie.
- Les travaux aux jardins, les promenades scolaires, les sorties d’étude ou de visites, individuelles ou collectives, s’insèrent normalement dans notre processus de travail.
- Ce contrôle ne doit pas être le fait de l’instituteur seul, à cause des risques humains de partialité, d’arbitraire et d’erreurs. Les élèves eux-mêmes collaborent à leur propre contrôle (…). Ce contrôle enfin ne s’exercera pas exclusivement sur le résultat formel obtenu, mais sur la qualité aussi de l’effort fourni [16]. Il ne suppose qu’exceptionnellement la compétition, du moins par notes chiffrées [17].
- Après avoir longuement expliqué la « tyrannie de la note », Freinet précise au risque de passer pour « scolastique » : Nous y ajoutons la note prévue pour la discipline, la propreté, la vie communautaire.
- Ce système de brevets [de maîtrise dans les branches vitales d’activité] remplace très avantageusement le système d’émulation par classement actuellement usité. Il n’y a pas de premiers et de derniers.
[chap. II]
- On ne se lance pas, de but en blanc, dans une technique nouvelle pour laquelle on n’est point entraîné… Il ne s’agit pas d’abandonner d’un coup tout un passé dont on ressent les faiblesses, pour tenter une nouveauté que seuls quelques êtres d’élite peuvent spontanément dominer. [18]
[chap. IV]


Ce qu’est la pédagogie Freinet en réalité


Freinet se fait l’écho – pour s’en défendre avec véhémence – de critiques qui s’exprimaient déjà à son époque. Celles-ci étaient hélas parfaitement fondées, considérant ce que la pédagogie Freinet a donné dans la réalité des écoles.

Je me suis amusé à retourner le sens des phrases pour retrouver une vision exacte de la réalité.

Citations :
- Une école anarchique dans laquelle le maître ne parviendra pas toujours à maintenir sa nécessaire autorité.
[chap. I]
- Il n’y a vraiment que les pédagogues pour prétendre brûler les étapes, réussir mieux que la nature, et qui s’obstinent orgueilleusement dans leurs erreurs malgré l’évidence de leurs échecs.
- Dans les réunions hebdomadaires de la coopérative scolaire s’expriment toutes tendances à la médisance, à la calomnie, à la méchanceté mesquine.
- Ébloui par la complexité, on s’abîme dans la superficialité et le papillonnement.
- Vous pouvez, à un pauvre [élève], montrer le plan d’un travail qui l’intéresse, qu’il comprend et pour lequel il se sent de suffisantes aptitudes. Mais s’il n’a pas ensuite (…) les outils nécessaires, il tâtonnera inutilement, essaiera de suppléer par sa bonne volonté et son habileté (…). Il n’en échouera pas moins lamentablement, et il sera guéri, peut-être à jamais, de sa confiance en lui et de son enthousiasme.
- Les enfants (…) se fatiguent et s’énervent. Vous êtes contraint d’intervenir, parfois sans succès. Pendant ce temps, vous négligez d’autres tâches indispensables. Nervosité, désordre, déficience.
- Fatigue encore, nervosité, dispute, désordre, perte de temps des élèves et des maîtres.
- Et nous n’oublierons pas que va immanquablement à la faillite le magasin qui prétend se lancer dans la complexité des articles (…) : il est mal approvisionné, avec des articles de qualité douteuse ; les vendeurs fouillent en vain le désordre des casiers insuffisants (…). Désordre aussi, énervement des vendeurs, jurons inutiles des chefs de rayon, mécontentement des clients, déficience générale catastrophique.
- Cette séance de réponse aux questions dégénère en vain bavardage, les élèves enchaînant questions sur questions au fur et à mesure de vos explications.
- Un inutile et dangereux papillonnement.
- Chaque fois que l’élève a fait de son mieux, il mériterait la note maximum, quel que soit le résultat. [19]
- Justification pédagogique pour maîtres paresseux : Comme les fiches sont autocorrectives, il ne s’agit pas de revoir tous les exercices, mais de contrôler la forme et les résultats, ce qui est très rapide.
[chap. II]
- Avouons-le, nous [sommes] assez souvent désespérés.
- Il reste (…) très souvent dans notre esprit comme une vague conscience d’insuffisance. (…) La manie du scrupule formel nous reprend. [20]
- Quand le doute risquerait de nous tourmenter, nous feuilletterons le journal scolaire réalisé depuis le début de l’année.
[chap. III]
- Jamais nous ne pourrons parvenir à cette perfection dans la diversité. Nous n’avons pas assez de souplesse, pas assez d’aptitudes. Cela nous demandera trop de travail. J’ai peur de ne pas réussir !
[chap. IV]



Les points d’accord


Pour terminer sur une note positive, j’ai noté quelques – rares – points d’accord.

Citations :
- On ignorait le travail à l’École maternelle, comme aux degrés suivants d’ailleurs. On se contentait du principe d’activité qui n’en est qu’une contrefaçon.
- C’est la nature et la forme du travail scolaire qui doivent déterminer la structure des locaux.
- Au spectacle de la sortie d’une classe, on peut juger de son degré d’organisation fonctionnelle.
- A l’encontre de certains théoriciens d’éducation nouvelle, nous ne pensons pas que nous devions laisser les enfants aller exclusivement au gré de leurs tendances et de leurs fantaisies individuelles.
[chap. II]

Nous pourrions même reprendre mot pour mot certaines citations de Freinet pour définir ce que nous faisons.

Citations :
- Notre révolution pédagogique devra naître du désordre existant, construire le futur au sein du présent, convaincre plus que contraindre, et convaincre non par des mots, mais par l’évidence d’un progrès essentiel dans l’organisation, par l’éblouissement d’une efficience décuplée.
[chap. I]

- Nos réalisations sont toujours, exclusivement, le fruit d’une expérience tâtonnée pratiquée à même le travail scolaire avec les enfants (…). Aucune de nos innovations n’a son origine dans une idée a priori qu’on essaie de faire passer dans les faits : c’est à même le travail journalier que nous avons adapté les outils anciens, forgé et perfectionné les outils nouveaux.
- Parce que nous voulons construire effectivement et solidement à partir du réel, nous cherchons des outils, des techniques, une organisation qui permettent des résultats éducatifs maximum avec des instituteurs qui restent dans la norme des humains : c’est-à-dire qui peuvent perdre leur calme en bien des circonstances, qui n’ont pas toujours une suffisante patience, ne sont pas d’une habileté remarquable, (…). Ce n’est pas là tracer un tableau péjoratif des éducateurs actuels, mais se placer en face des réalités.
[chap. II]




[1] . Fin de récré - Pour une refondation de l’école (Gawsewitch, 2008), page 58.
[2] . Sic !
[3] . Prendre les élèves à témoins pour que « l’esprit de notre enseignement » soit préservé, c’est dégager bien facilement ses responsabilités de professionnel de l’enseignement. En d’autres termes, le maître explique à ses élèves qu’il pourrait faire du bon travail mais que, faute de moyens, il fait un travail déplorable. La responsabilité glisse ainsi de l’instituteur vers la mairie ou l’État…
[4] . Nous remarquons dans ces lignes (« forts en thèmes », « premiers de la classe », « orgueil » et non fierté des résultats obtenus) le mépris affiché par Freinet pour les bons élèves.
[5] . Ce qui ne l’empêche pas d’utiliser un registre religieux pour parler du métier d’enseignant : il parle du « champ de notre sacerdoce » [chap. II]. Le sacerdoce, le dévouement, la vocation… n’appartiennent pas au registre professionnel que nous voulons pour le métier d’enseignant.
[6] . Allusion à l’économie planifiée des pays socialistes.
“Une économie planifiée est une économie dirigée, généralement à l’échelle d’un État, au moyen d’un plan fixant les objectifs de production sur une période annuelle ou pluriannuelle. Autrement dit, elle désigne un mode d'organisation fondé sur la propriété collective ou étatique des entreprises qui se voient imposer des objectifs de production par un plan centralisé. Elle peut être démocratique ou non, selon les différents pays qui l'ont appliquée. Elle caractérise les pays dits du « socialisme réel » (par la propagande officielle) jusqu'au début des années 1990.” (Wikipédia, article Économie planifiée)
[7] . Cela perdure dans les Programmes de 2008 qui prescrivent de faire La main à la pâte en Sciences.
[8] . La photocopieuse est utilisée à outrance dans toute pédagogie qui se veut “active”.
[9] . Freinet parle d’une « atmosphère familiale d’autocritique » pour cette sorte de Tribunal du peuple hebdomadaire.
Plus loin, Freinet expose une autre pratique qui tourne également souvent au règlement de comptes : « L’élève responsable passe la revue de propreté. Les enfants sales ou mal coiffés, passent au lavabo d’où ils reviennent beaux et neufs. (Ce n’est pas une punition.) ». Cette dernière remarque entre parenthèses en dit long malgré elle. En effet, ce n’est pas aux élèves, fussent-ils “responsables”, de veiller à la propreté et à l’hygiène de leurs camarades.
[10] . Les amendes en monnaie sonnante et trébuchantes, il fallait y penser… et surtout oser ! En ce sens, la pédagogie de Freinet est effectivement nouvelle.
[11] . « L’école de demain » a donc vu le jour avec la loi Jospin de 1989, avec la centration sur l’apprenant.
[12] . Ces épithètes sont surprenantes dans la bouche d’un pédagogue qui cherche à développer au maximum la personnalité des élèves.
[13] . Encore une épithète qui vient à l’encontre de la philosophie éducative proclamée par ailleurs.
[14] . Encore une curieuse façon de parler des élèves pour une pédagogie qui se voulait “nouvelle”.
[15] . Outre le fait que cette “enquête” soit d’une utilité pédagogique plus que douteuse, on notera que les élèves peuvent quitter l’école sans la moindre surveillance.
[16] . Curieusement, dans l’évaluation de l’effort fourni, Freinet ne soupçonne plus « les risques humains de partialité, d’arbitraire et d’erreurs ». Freinet ne nous donne pourtant pas la solution qui permettrait d’évaluer objectivement les efforts des élèves.
[17] . Donc la compétition – pratique malsaine – existe dans une classe Freinet, même si elle reste exceptionnelle.
[18] . C’est bien le problème de la pédagogie Freinet qui semble bel et bien réservée à « quelques êtres d’élite ».
[19] . On récompense l’effort d’une note sans valeur, on n’évalue pas l’acquisition de la connaissance ou de l’habileté.
[20] . Il y a de quoi ! Freinet parle de la journée de “travail” : réaliser un imprimé, amorcer un travail, écouter une conférence, recevoir des imprimés, des lettres et un colis. Freinet dit : « Nous sentons que nous avons bien travaillé ». Certes, et en plus le maître ne sera pas fatigué en fin de journée…

_________________________
Pour l’école du peuple ­– Guide pratique pour l’organisation matérielle, technique et pédagogique de l’école populaire
Célestin FREINET
François Maspero / Petite collection Maspero, n° 51 (Paris, 1969 - 1ère édition : 1946)
181 p.


Livre : L'imposture pédagogique (Isabelle Stal)

J’apprécie les livres écrits par des gens qui savent de quoi ils parlent. L’auteur connaît les IUFM puisqu’elle y travaille, et tout ce qu’elle en dit correspond à ce que l’on perçoit lorsqu’on approche les formateurs lors des stages de formation continue ou, pire encore, lors de la formation initiale. Elle parle (p 62) de « mafia pédagogique » : c’est exactement le terme qui convient, tant une petite coterie s’est accaparée par cooptation tous les postes ou prébendes qui permettent d’échapper aux élèves. Ces planqués donnent des leçons de pédagogie alors qu’ils ont tout fait pour se sortir du quotidien de leur classe. Curieux paradoxe qui n’a échappé à aucun praticien de terrain.

Le pédagogisme qui règne en maître dans les IUFM est décrit avec une grande justesse. Je vous livre cette tirade tellement vraie : « L’idéologie (…) a jeté à bas tout l’édifice de l’ancienne école avec la violence d’une révolution culturelle, poussant sur le devant de la scène scolaire des courants pédagogiques naguère confidentiels, sous-produits de toutes les variantes possibles de l’utopie communiste, imposant leurs thèses à la très grande majorité des enseignants jusqu’à modeler leurs conceptions et leurs pratiques et assurant ainsi son emprise sur des générations de maîtres qui, mal instruits mais intellectuellement intimidés, ont fini, sans adhérer à aucune idée véritable, par se soumettre à la toute-puissante, à l’omniprésente doctrine de la pédagogie » (p 27). Les pédagogies soi-disant nouvelles tiennent dans cette formule choc : « Les enseignants feignent d’enseigner et les élèves feignent d’apprendre » (p 10).

Toutefois, on aura noté dans la citation ci-dessus que l’auteur ne parle pas de pédagogisme mais de pédagogie. Elle déteste et dénonce à ce point le pédagogisme, les (fausses) sciences de l’éducation, la psychopédagogie foireuse de Piaget, le volapuk des esprits creux qu’elle finit, emportée par son élan, par rejeter également la pédagogie, les (véritables) sciences de l’éducation, la psychologie cognitive, le vocabulaire pédagogique spécialisé. Le ras-le-bol est tel que tout est voué aux gémonies sans prendre garde qu’on jette le bébé avec l’eau du bain. Il ne reste alors plus d’autre solution que de pleurer sur l’École de jadis, celle des années 50 au plus tard…

Il est vraiment malheureux que le courant hostile au constructivisme soit peuplé à ce point de traditionalistes qui n’ont aucune perspective moderne à proposer. On ressort les vieux manuels, on pleure sur les vieux maîtres si dévoués qui avaient la vocation et exerçaient leur sacerdoce comme d’humbles artisans. Ah ! Monsieur Germain, l’instituteur d’Albert Camus ! Les hussards noirs, la blouse grise, le bonnet d’âne, la plume Sergent-Major et les vieux traités poussiéreux de pédagogie à la grand-papa arriveront juste derrière. On est contre l’informatique à l’école, contre l’apprentissage d’une langue vivante, contre les calculettes, bref contre tout ce qui a été inventé après 1960. Et bien sûr, la nostalgie s’accompagne d’acrimonie. Nous sommes chez les réformateurs cacochymes et atrabilaires…

Ce manque de perspectives et cette hargne finissent par lasser les instructionnistes qui ne veulent pas remplacer la mafia pédagogiste par la mafia traditionaliste, qui serait plus terrible encore considérant la violence des propos qu’elle tient.

L’auteur avait cependant remarqué que le ministre Xavier Darcos substitua habilement au printemps 2008 l’obligation de résultats à l’obligation de méthode. Ce constat qui devrait nous réjouir ne figure que dans une note de bas de page (p 21). Que l’on cesse donc de pleurnicher sur une École morte il y a cinquante ans. Retroussons nos manches et mettons en place dans les classes les pratiques d’enseignement instructionnistes, efficaces et modernes avec la pédagogie explicite, dont les techniques ont été mises au point dans les années 80.

L’avenir de l’École nous appartient, pas son passé.

_________________________
L'imposture pédagogique
Isabelle STAL
Perrin, Paris, 08/2008, 216 p.


Franz Xaver Messerschmidt

jeudi 15 mai 2008

Livre : Il faut fermer les écoles maternelles (Julien Dazay)




L’auteur, présenté comme Inspecteur de l’éducation nationale, connaît manifestement très bien la réalité des écoles maternelles. C’est pourquoi sa critique porte…

Tout le monde en prend pour son grade. D’abord les enseignants : « En réalité, on occupe beaucoup les élèves. Et les enseignants enseignent très peu. » Cela fait l’affaire de bon nombre de collègues plus aptes à supporter le bruit qu’à enseigner, il n’est qu’à voir le barème dont il faut généralement se prévaloir pour obtenir un poste en maternelle.

Ensuite les parents, qui sont devenus des sortes de vaches sacrées dans les écoles depuis que les pouvoirs politiques (de gauche ou de droite) se sont avisés qu’en nombre d’électeurs, les parents pesaient bien plus que les enseignants. Il est assez jubilatoire de lire ce qu’en dit l’auteur : « Tous [les parents] exigent le droit de mettre à l’école leur enfant le plus tôt possible (à deux ans), le plus vite possible et quelquefois le plus longtemps possible. » Et de se poser la question : « Pour l’immense majorité des familles, l’école maternelle n’est-elle pas avant tout un dispositif de garde gratuit ? » Les portraits qu’il brosse sont hélas d’une actualité quotidienne sous les préaux. Cela va d’un extrême à l’autre : « Parmi eux [les parents d’élèves], on trouve une petite proportion d’individus particulièrement désagréables qui considèrent l’école comme une garderie à laquelle on n’a pas de compte à rendre. (…) Ces parents en réalité ne respectent pas l’institution. Elle doit être à leur service, un point c’est tout. » Ou alors : « Il y a ces familles qui veulent tout savoir et qui harcèlent littéralement les enseignants matin, midi et soir pour que la journée et les exploits de leurs enfants leur soient racontés dans les moindres détails. » Le malheur, c’est que ces extrêmes sont de plus en plus fréquents parmi les parents d’élèves, y compris en Élémentaire.

En fait, l’École maternelle est devenue anachronique : « Accepter l’idée que cette institution n’est plus adaptée dans sa structure actuelle à la société du XXIe siècle, c’est prendre en compte les besoins des familles qui ont largement évolué depuis l’“invention” des maternelles à la fin du XIXe. » Ainsi, « petit à petit, un outil magnifique a glissé vers des usages de moins en moins explicites pour les enseignants, de moins en moins lisibles pour les parents, de moins en moins essentiels et efficaces pour les élèves. » Nous en sommes même arrivés à un point où « aucun pays en Europe ne songe aujourd’hui à s’inspirer de notre “modèle” en matière de petite enfance. Aucun. »

Les nostalgiques de l’École d'autrefois recommandent, sans surprise, d’en revenir à ce que préconisait Pauline Kergomard pour la Maternelle. Or l’auteur rappelle à juste titre que « Pauline Kergomard s’oppose à la tendance qui voudrait faire de ces écoles [maternelles] des lieux d’instruction à part entière. Par son influence et son poste [inspectrice générale des écoles maternelles], elle parvient à faire acter à travers les programmes que le jeu est le premier travail du jeune enfant. (…) Elle oppose le jeu à l’apprentissage, veut lutter contre la rigidité des enseignements, introduire plus de jeu et alléger les programmes jugés trop scolaires pour elle. Elle considère que de nombreux apprentissages ne sont pas à la portée des tout-petits. Sa démarche, très « rousseauiste », est notamment fondée sur le respect de la liberté de l’enfant. » Dans la généalogie du constructivisme, Pauline Kergomard a donc toute sa place. On est très loin de l’instructionnisme que nous défendons.

D’autant qu’ « on commence à peine à se rendre compte que l’épanouissement c’est loin d’être suffisant. Et que, finalement, on pourrait peut-être apprendre des choses à ces enfants ? Si on leur apprenait à apprendre plutôt qu’à jouer ? Et si l’école maternelle constituait enfin un véritable temps de transition entre la famille et l’école élémentaire, un espace plus exigeant, plus normatif. Pourquoi l’école maternelle ne serait-elle pas plus rigoureuse, plus normative ? Comme une vraie école ? »

Pour l’auteur, on l’aura compris, « il faut oser la scolarisation obligatoire des enfants à cinq ans et leur offrir l’enseignement auquel ils ont droit. Il faut cesser ces hésitations, cette perte de temps qui finalement empêche nos enfants de commencer à savoir lire, écrire et compter à partir de cinq ans. » Pour cela, « il faut arrêter de confondre les notions “d’enseignement” et “d’éducation” » et « il faut impérativement, dès la rentrée de septembre, engager les élèves de grande section dans les apprentissages qui mettent en liaison le dire-lire-écrire. Combien d’élèves aujourd’hui écrivent mal, tiennent mal leur stylo, adoptent des attitudes complètement à l’opposé du plus simple apprentissage de base ? »

L’auteur rejoint complètement ce que nous ne cessons de répéter : « Les apprentissages sont la composante fondamentale de la mission des enseignants. » Et nous pouvons tout à fait souscrire à cette conclusion : « Il est urgent de redresser ces situations abusives. Le rôle des ATSEM doit être reconsidéré. L’autorité des directeurs et directrices réaffirmée. Le pouvoir pédagogique des enseignants renforcé. Dans chaque école, l’enseignant est le professionnel de l’enseignement. Personne ne peut remettre en cause ses compétences, empiéter sur sa fonction ou la dévaloriser. Pas plus les agents communaux, que les parents. »

Voilà très certainement un livre à lire…

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Il faut fermer les écoles maternelles – Le plaidoyer d'un inspecteur de l'Éducation nationale
Julien DAZAY
Michalon, Paris, 03/2008, 121 p.