Source : Marianne
On connaissait la violence scolaire. Celle exercée par les
élèves sur leurs pauvres professeurs. Voici maintenant celle des parents, sur
ces mêmes enseignants. Publié la semaine dernière, un rapport officiel dénonce
la dégradation de la relation parents-profs, qui pour un directeur d’école sur
deux a déjà viré à l’agression. La journaliste Anna Topaloff * qui prépare un
livre sur la relation parents-enseignants parle même de « tyrannie des parents ».
Marianne : C’est la
première fois qu’un rapport officiel fait état d’une « cassure » entre parents et enseignants…
Anna Topaloff :
Oui, c’est un grand pas dans la bonne direction. Pendant longtemps la parole
des enseignants n’a pas du tout été entendue. Quand j’ai commencé à travailler
sur le sujet, je me suis heurtée à l’omerta des syndicats. Pour eux « ça
n’existait pas ». Leur grande réponse c’était : « le problème est très localisé
mais ça ne fait pas système ». C’est donc rassurant pour la société et pour les
enseignants que le problème émerge enfin. Ça donne du poids à la parole des
enseignants et leur montre qu’on les écoute. Surtout que l’étude a été faite
par George Fotinos, un chercheur très respecté, spécialiste du malaise des
enseignants et qui n’est pas un alarmiste. C’est même souvent quelqu’un qui
conclue que tout va bien. Pour qu’il y voie un problème, c’est donc qu’il est
important.
À qui la faute ?
Elle est souvent rejetée sur les enseignants. Mais c’est
celle du système, du mode de fonctionnement du ministère. Face au conflit, les
instances de l’Éducation nationale avaient tendance à donner systématiquement
raison aux parents. Le mot d’ordre était : « on ne veut pas d’histoire ».
C’est donc aussi la
faute des parents ?
Ils portent clairement une part de responsabilité. A leurs
yeux, la parole de leur enfant est devenue plus importante que celle des
enseignants. Ils les croient sur parole. En mode : « mon fils m’a dit que
c’était vrai ». Quand bien même il aurait tout intérêt à mentir pour éviter la
punition. Mais la vérité ne sort pas toujours de la bouche des enfants…
Près d’un directeur
d’école sur deux déclare avoir été agressé au moins une fois par des parents
d’élèves… Comment en est-on arrivé là ?
L’enfant est le dernier élément sur lequel les parents
peuvent avoir véritablement de l’impact. C’est la chair de leur chair donc,
pour les défendre, ils se permettent parfois des choses qui sont hors
proportion, ils se croient tout permis. Aujourd’hui, l’enfant est le centre de
l’existence d’une famille. Ce n’était pas le cas il y a 50 ans, notamment à
cause de la mortalité infantile. C’était plus « marche ou crève », les enfants
devaient suivre le rythme des parents. Aujourd’hui, l’enfant est au cœur du
noyau familial. C’est un bienfait mais il faut comprendre que ce n’est pas sans
conséquence…
Les enseignants ont
également tendance à s’impliquer de plus en plus dans l’éducation des enfants
et les parents dans leur instruction. Devant cette confusion des rôles, faut-il
remettre tout le monde à sa place ?
Une solution possible serait, effectivement, de remettre les
choses à plat. Mais cette notion manque de concret car l’apprentissage de la
vie en collectivité se fait aussi à l’école, c’est un lieu de socialisation qui
comporte forcément une part d’éducation. Ce n’est pas anodin si en 1932, le
ministère de l’Instruction publique a été renommé ministère de l’Éducation
nationale. Derrière ce changement de nom, il y a l’idée d’instruire et
d’éduquer. Deux rôles que jouent aussi les parents. D’où une forme de
confusion. Il faudrait au moins dire les choses franchement et mieux répartir
les rôles, tout le monde ne peut pas tout faire. L’ennui c’est que les parents
demandent de plus en plus souvent aux enseignants de se charger de l’éducation
des enfants à leur place. Les professeurs leur répondent que ce n’est pas leur
boulot. D’autant plus qu’ils réclament déjà plus de temps réservé à
l’instruction.
Mais d’après l’étude,
le problème entre parents et enseignants est relativement récent : comment
explique-t-on ce changement ?
L’école ne remplit plus ses promesses. Nous sommes dans une
société où avoir un diplôme ne suffit plus pour trouver un emploi. Le deal
était le suivant : vous nous amenez vos enfants propres et nourris, et en
échange on vous les rend instruits, prêts à travailler. Mais en sortant,
beaucoup sont au chômage. L’école n’est plus une garantie. Il y a donc moins de
confiance de la part des parents envers l’école et l’idée qu’ils sont en droit
de regarder ce qui s’y fait a commencé à germer.
N’y a-t-il pas aussi
une perte de confiance des parents vis-à-vis des valeurs républicaines
enseignées à l’école ?
Pas vraiment, c’est surtout la question du vivre-ensemble
qui se pose. Dans le Jura, j’ai étudié une petite école d’à peine 12 enfants :
aucun ne pouvait manger avec l’autre. Non seulement il y a ceux qui veulent
manger hallal ou casher, mais en plus il y a les végétariens ou ceux qui
veulent manger bio… Sous la pression des parents, une excursion à Besançon, la
grande ville du coin, a même dû être annulée. C’est là qu’on voit qu’on a du
mal à faire l’impasse sur ses intérêts personnels au profit de l’intérêt
général.
L’école est-elle
devenue trop démocratique ?
C’est vrai qu’on a du mal à accepter l’idée que l’école est
une institution qui, comme toutes les autres, fonctionne avec ses propres
règles. Ce n’est pas une démocratie. C’est une juridiction à part, un système
particulier. En faisant rentrer les parents dans ce système, on laisse croire à
un faux idéal démocratique au sein de l’école. La preuve qu’il n’existe pas
c’est qu’aujourd’hui règne la loi du plus fort: les parents engagent un bras de
fer avec les directeurs et enseignants pour obtenir gain de cause pour leur
enfant. Mais tous ne sont pas égaux devant la protestation: comment contester
une note quand on est un père immigré peu instruit qui ne connaît pas bien les
codes pour le faire ? A l’inverse, la mère de famille bourgeoise peut
facilement jouer à la pleureuse et menacer de casser les pieds du rectorat.
Pourtant, l’étude
révèle que le climat à l’intérieur de l’école s’est, lui, nettement amélioré,
ces dix dernières années. Neuf directeurs d’école sur 10 en sont « satisfaits »
contre seulement 8 sur 10, en 2004.
Oui, parce que le problème de la violence scolaire entre
enfants et adultes a été largement pris en compte par les pouvoirs publics au
cours des dernières années. Elle résiste mais on ose la regarder en face. Il y
a maintenant un nouveau problème à régler. Pendant mon enquête, j’ai rencontré
une enseignante qui avait puni un enfant de deux heures de colle. La mère a cru
son enfant, a protesté, et au final, le gamin n’a écopé que d’une punition avec
sursis. Mais après ça, il a tenu tête à la responsable toute l’année sur le
mode : « Je vais le dire à ma mère ». Comment lui inculquer la notion de
respect après ça ? La responsabilité des parents vis à vis de leurs enfants est
au moins de ne pas contester devant eux les décisions du professeur.
Faut-il rééduquer les
parents ?
Il faut en tout cas les laisser à la porte de l’école. Je
suis contre cette tendance de vouloir les intégrer au milieu scolaire. En cela,
je ne suis pas d’accord avec Georges Fotinos. Être un bon parent, c’est aussi
savoir lancer son enfant dans le monde, le laisser entre les mains du système.
C’est important pour tout le monde. À la fois pour les parents, qui ne doivent
pas se sentir omnipotents, et pour les enfants qu’il faut responsabiliser.
Et former les
enseignants à la relation avec les parents ?
Non, il faut surtout mieux former les enseignants à leur
discipline. Être carré et renforcé dans ses connaissances, c’est le meilleur
moyen d’être sûr de soi et de ne pas se laisser impressionner par les demandes
contradictoires des parents.
Propos recueillis par Kevin Erkeletyan
* Anna Topaloff publie La
Tyrannie des parents d’élève, chez Fayard. Sortie le 27 août 2014.