Dans Questions vives –
Recherches en éducation (vol. 6, n° 18 – 2012), Laurent Talbot, un maître
de conférence en sciences de l’éducation à Toulouse, a écrit un article intitulé
“Les recherches sur les pratiques d’enseignement efficaces – Synthèse, limites
et perspectives”.
En voici un extrait :
« Premièrement et de manière assez surprenante, certaines
études tendraient à démontrer que les enseignants efficaces et équitables
mettraient en place des activités d’enseignement “directes”, “explicites ”,
“systématiques ” ou “instructionnistes” (Dubé et al., 2011 ; Feyfant, 2011 ; Bissonnette et al., 2005 ; Swanson, 1999
cité par Briquet-Duhazé dans ce numéro). Ces recherches de type “processus-produits”
(les performances scolaires des élèves sont envisagées comme étant directement
le produit du processus d’enseignement élaboré par le professeur) déterminent
les caractéristiques de l’activité efficace des enseignants à travers leur
structuration en quatre phases essentielles :
- un premier temps de
démonstration relativement long de la
part de l’enseignant qui peut être magistral ou frontal, cette activité est
généralement peu différenciée, une mise en situation est opérée (rappel des
connaissances antérieures signifiantes par rapport aux apprentissages nouveaux
envisagés), les objectifs de l’activité et le niveau de performances attendues
sont clairement définis et les notions de bases nécessaires sont rappelées,
quelques exemples sont présentés et une démonstration est effectuée ;
- une deuxième phase
durant laquelle le professeur donne un (des) exercice(s) d’illustration à
réaliser généralement au sein du grand groupe classe collectivement,
l’enseignant pose des questions et guide l’activité d’apprentissage ;
- le troisième temps
est consacré à des exercices d’application réalisés pour le coup
individuellement, l’enseignant pourra alors évaluer les performances des élèves
et leur proposer des feedbacks sur les réponses données et les stratégies
utilisées ;
- et enfin, dans un
dernier temps, le professeur organise des révisions régulières et répétitives
en insistant sur les apprentissages de base et leur évaluation.
Ces quatre phases sont
parfois détaillées en sept temps essentiels :
1) Mise en
situation : rappel des connaissances antérieures signifiantes par rapport
aux apprentissages nouveaux.
2) Présentation des
objectifs d’apprentissage.
3) Présentation des
nouveaux éléments de connaissance de façon magistro-centrée généralement.
4) Pratique guidée
avec le groupe classe.
5) Correction et
rétroaction (objectivation) toujours avec l’ensemble du grand groupe d’élèves.
6) Pratique
indépendante (exercices autonomes et individuels), entraînements.
7) Révision régulière
(synthèse périodique de ce qui a été appris), évaluations sommatives,
contrôles. »
Manifestement, c’est à contrecœur que l’auteur reconnaît l’efficacité
des pratiques explicites et instructionnistes. Il ajoute même que cela lui apparaît
« de manière surprenante » !
La surprise n’existant que pour un partisan avéré du constructivisme. Le ton est donné…
Nous avons donc affaire à quelqu’un qui n’aime pas ce que la
recherche démontre au sujet de l’enseignement efficace. Dès lors, tout va être
bon pour mettre en doute, dénigrer, dénaturer les résultats de cette recherche.
Premier (et habituel) recours : présenter l’enseignement
explicite comme « les nouveaux
habits de la pédagogie traditionnelle » (selon l'expression de P. Watrelot sur le site des Cahiers pédagogiques, 09.2013). Quitte à
tordre la réalité et à faire des amalgames douteux. Ainsi Laurent Talbot
présente le modelage comme un temps « relativement
long ». Première erreur (ou mensonge), en pédagogie explicite le
rythme de la leçon est primordial, donc le modelage est bref. D’une part pour ne
pas saturer la mémoire de travail et d’autre part pour ne pas excéder la
capacité d’attention des élèves. Par ailleurs, notre auteur parle d’enseignement « magistral ou frontal » ou de
présentation « magistro-centrée »,
ce qui est la caractéristique même d’un enseignement traditionnel. Comme les
exercices d’illustration et les exercices d’application en lieu et place de
pratique guidée et de pratique autonome. En corollaire, aucune mention sur ce qui distingue nettement l'enseignement explicite du traditionnel : l’accent mis sur la métacognition et la nécessité d’un maintien
solide et durable en mémoire en long terme. D'ailleurs, les mots “métacognition” ou
“mémoire” ne figurent même pas dans cet article !
Plus fort encore : Laurent Talbot parle de huit autres
mystérieuses « macro-variables »
concernant l’enseignement efficace qui « sont plus proches des théories socio-constructivistes de
l’apprentissage et de l’enseignement ». Quelles sont ces
“macro-variables” ? On ne sait pas. Tout ce qu'on sait, c'est qu'elles sont huit...
On l’aura compris, le ton général de cet article, et plus
largement de ce numéro de Questions vives,
est particulièrement défavorable aux pratiques instructionnistes. On tient à nous faire savoir
que le constructivisme n’est pas mort : peu importe ce qu’assènent les
données probantes en matière d’enseignement efficace.
Nous arrivons ainsi aux « limites de ce type de recherche », qui est le cœur de l’article de Laurent Talbot,
le reste n’étant qu’une entrée en matière. On nous prévient d’emblée : « Nous avons distingué huit éléments qui nous
semblent poser problème. » Décidément, la démonstration par huit
semble être sans appel.
En fait, nous avons droit à un florilège d’arguments, dont certains
sont des resucées déjà entendues à l’IFÉ ou sur d’autres sites éminemment
constructivistes. Voyons donc ce qu’il en est :
1/ Reproche : Les
recherches sont centrées sur l’élémentaire et le secondaire. Disons que
cela représente quand même au moins dix années dans la scolarité d’un élève. Ce
qui n’est pas rien.
2/ Pinaillage : Quelle
définition donner au mot « efficacité » ? Selon moi, il
suffit d’ouvrir un dictionnaire pour avoir la réponse.
3/ Ergotage : Est-ce
l’enseignant qui est efficace ou l’enseignement ? Rappelons que les
pratiques d’enseignement efficaces ont été établies en observant les pratiques
des enseignants efficaces. L’un n’allant pas sans l’autre.
4/ Scepticisme : Les
études processus-produits ne rendent pas compte « de certains phénomènes ».
Comme si les chercheurs en enseignement efficace étaient des novices qui n’avaient
pas pesé chaque terme de leur enquête afin de retenir l’essentiel sans s’encombrer
du dérisoire ou du hors-sujet.
5/ Relativisation : Les
élèves apprennent aussi en dehors de l’activité du maître. Surtout dans un
contexte constructiviste où les familles sont bien obligées de prendre en
charge ce qui n’est plus appris en classe.
6/ Suspicion : Comment
évaluer les performances des élèves ? Pourquoi pas en prenant des
classes témoins et en les comparant aux classes testées, comme le font tous les
chercheurs sérieux. Il est remarquable de ne trouver dans cet article aucune
mention du Projet Follow Through.
7/ Dénigrement : Pratiques
déclarées ou pratiques effectives ? Les chercheurs sont allés dans les
classes pour observer les enseignants dans l’exercice leur métier, ils ne se
sont pas contentés de les écouter décrire leurs pratiques.
8/ Défiance : Les
résultats des recherches seraient contradictoires. Hélas pour l’auteur,
toutes les données probantes sur l’efficacité en enseignement sont étonnamment convergentes
et ce, quels que soient les pays où les études ont été réalisées.
Parions que ces “arguments” vont refleurir sous la plume de
tel ou tel. Les partisans du constructivisme sont bien embêtés face aux données
probantes sur l’enseignement efficace. D’une part, celles-ci montrent l’inefficience
des pédagogies de découverte. D’autre part, ces études récentes renvoient les
pratiques constructivistes – qui datent du début du XXe siècle – au musée de la
pédagogie, avec l’enseignement traditionnel. Un comble !
Après un rapide survol des autres articles de ce dossier
thématique de Questions vives, il
apparaît que tout le reste est du même tonneau. On ne s’étonnera donc pas que
le site Form@PEx n’ait rien publié à ce sujet, tant est grand le parti-pris
clairement affiché.
La revue est sous-titrée Recherches
en éducation. Il me semble que, pour ce numéro, Procès en éducation aurait mieux convenu…