"En conscience, je refuse d'obéir."
Alain Refalo (novembre 2008)
Une des premières choses que j’ai apprise à ma sortie de l’École
normale d’instituteurs, c’est la nécessité de se montrer solidaire des
collègues avec lesquels on travaille et, plus généralement, de la
corporation des instituteurs dans son ensemble. Solidaires face aux
élèves : on ne contredit pas un collègue. Solidaires face aux parents :
on ne critique pas le travail ou l’attitude d’un collègue. Solidaires
face à la hiérarchie : on ne dénonce pas les manquements d’un collègue.
C’est parfois difficile, mais les problèmes doivent se régler en
interne. L’expérience m’a prouvé que les écoles qui fonctionnent sont
des écoles où l’équipe enseignante est soudée, solidaire.
Pour autant, je ne me sens pas solidaire des instituteurs qui se sont
déclarés “désobéisseurs” depuis la Rentrée de septembre 2008. « En
conscience, je désobéis » ont-ils écrit au Président de la République,
au ministre, à leur recteur ou à leur IEN. Ils l’ont proclamé sur des
sites Internet, des blogs, ils le publient dans des articles, dans des
livres…
Les instituteurs de l’enseignement public sont des fonctionnaires et,
à ce titre, ils ont un certain nombre de droits, mais aussi de devoirs.
Quand on est trop torturé par sa conscience pour accomplir le service
pour lequel on reçoit un traitement, on ne désobéit pas, on démissionne.
Les “désobéisseurs”, si je les ai bien lus, sont des
constructivistes. Ils redoutent le retour aux fondamentaux et
préfèreraient continuer à organiser des promenades pédagogiques, du
théâtre, des activités de création artistique ou d’escalade, des sorties
à vélo, des expériences Main à la pâte, etc. Enseigner le français, les
mathématiques et la culture générale les paniquent. C’est que, pendant
des années et des années, ils ont eu la possibilité de prendre leur
temps en classe, d’y faire des activités ludiques sans trop de
préparation et sans trop de correction, de passer dans les médias à la
première visite d’un moulin à huile ou pour le défilé du carnaval
pendant le temps scolaire. En un mot, d’être conforme à la pédagogie
officielle recommandée, sans le moindre état d’âme. Et surtout, sans que
quiconque leur reproche d’envoyer au collège des enfants ne maîtrisant
pas les bases d’un enseignement élémentaire digne de ce nom.
Le cirque pédagogique a été contrarié par les programmes de Xavier
Darcos, parus en 2008. D’où la réaction prévisible de tous ceux qui ont
pris au pied de la lettre ce que disaient les formateurs à l’IUFM.
D’autant que cela permettait de ne pas trop forcer ; le constructivisme
pédagogique ayant cette particularité que tout peut se justifier. Il
faut simplement veiller à rester dans le simulacre. Donc « en
conscience, ils ont désobéi », croyant qu’ils pouvaient porter la palme
du martyre sans courir d’autres risques que celui de la notoriété
médiatique. Maintenant que les sanctions administratives commencent à
tomber, ils s’étonnent, s’inquiètent et crient au scandale.
Cette contestation des programmes 2008 aurait pu être facilement
menée dans un cadre syndical. Les principaux syndicats d’enseignants du
Primaire sont acquis corps et âme, depuis des lustres, au
constructivisme pédagogique. Les petits syndicats aussi, et peut-être
même encore plus. Il n’y a que le SNUDI-FO qui ne s’aventure pas sur le
terrain pédagogique qu’il juge – à juste titre – hors du champ syndical.
Et le SNE qui, sans doute par choix idéologique, ose critiquer un
pédagogisme réputé de gauche.
Aujourd’hui, les “désobéisseurs” et leurs défenseurs trouvent
brutalement des vertus à la liberté pédagogique, alors qu’ils l’avaient
niée pendant des années, les années de plomb du constructivisme
pédagogique. Avec la loi Jospin de 1989, qui a officialisé le triomphe
du pédagogisme, quelques instituteurs ont commencé à râler devant les
dérives pédagogiques qui nous étaient imposées. Je le sais, j’étais du
nombre. Pour autant, nous n’avons pas désobéi car la sanction aurait été
immédiate. Nous avons résisté.
Mais, contrairement aux “désobéisseurs”, je n'ai pas l'outrecuidance de me revendiquer de la Résistance. Je laisse le mot de “résistants” à
des gens bien plus courageux que moi, qui se sont battus au péril de
leur vie pour que la France occupée par l’ennemi recouvre à nouveau sa
liberté. La Résistance était un vrai combat que plusieurs ont payé de
leur vie. Rien à voir avec l'insubordination mineure de quelques fonctionnaires bien à l'abri derrière leur statut. Les mots ne doivent pas être galvaudés.
La résistance des instructionnistes, dans les années 1990, ne portait que sur la façon d'enseigner.
Certains ont eu des problèmes avec leur IEN, et l’avancement dans les
échelons s’en est trouvé ralenti. Cela n’a pas été mon cas : les
inspecteurs ont toujours été satisfaits de mon travail et l’ont écrit
dans leurs rapports. Il faut dire aussi que j’ai toujours témoigné du
respect à leur égard, étant d’une génération consciente des rapports
hiérarchiques. Mes désaccords, mes doutes et mes questionnements, je les
ai exprimés de façon courtoise et respectueuse. Et, à ma grande
surprise, ils trouvèrent souvent un écho favorable dans le secret des entretiens
particuliers.
Nous résistions comme le caillou résiste au courant des eaux sales du
caniveau. Parfois même, quand ce courant était trop fort, le caillou
roulait deux ou trois tours dans le sens du courant. Je me souviens
ainsi de m’être intéressé à la grammaire de texte, d’avoir
scrupuleusement tenté de remplir les items des livrets de compétences,
ou de proposer des activités compatibles avec les études dirigées
prévues par les instructions de 1995.
Lorsque j’ai adhéré à l’association Reconstruire l’école en 2002 ou que j’ai rejoint le collectif Sauver Les Lettres
en 2005, cela n’a pas eu d’incidences sur mon travail. Je ne suis pas
entré en rébellion officielle. Lorsque j’ai créé le site appy.ecole
en décembre 2002, je ne m’en suis pas servi pour appeler à la sédition
et à la désobéissance. Je me suis contenté de mettre en ligne des
documents pouvant permettre de nourrir la réflexion de mes collègues
instituteurs et, plus généralement, de toute personne concernée par les
problèmes éducatifs.
Ce n’est pas par idéologie que j’ai résisté, c’est par goût du
travail bien fait. Issu d’une famille d’employés et d’artisans, on m’a
transmis la conscience professionnelle comme une valeur importante, on
m’a appris qu’il fallait mériter son salaire en faisant son métier du
mieux possible. C’est pourquoi, après l’École normale, j’ai mis en
pratique tout ce qu’on m’avait appris : en gros, faire du pseudo-Freinet
en classe. Puis, au fil du temps, j’ai abandonné tout ce qui ne
marchait pas et j’ai conservé tout ce qui favorisait la réussite de mes
élèves. Ce souci d’efficacité dans mon enseignement et de qualité dans
mon travail m’a conduit, après trente ans de métier, à adopter la
Pédagogie Explicite.
Il est très facile d’exprimer son désaccord, de dire son opposition,
de proclamer sa désobéissance. Bref d’adopter une posture. Construire un
mouvement professionnel qui s'amplifie, proposer des techniques
pédagogiques qui marchent, convaincre les collègues d’entrer dans des
pratiques instructionnistes, modernes et efficaces est beaucoup plus
difficile. Mais pas impossible…
La seule chose que peut me dicter ma conscience, c’est de faire mon métier du mieux possible.