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mardi 15 décembre 2009

Livre : L’éducation libertaire (Jean-Marc Reynaud et Guy Ambauves)


Livre


Voilà un petit livre qui aurait pu nous décrire la pédagogie libertaire mais qui s’est prudemment contenté de généralités, souvent limitées aux slogans connus de la mouvance anarchiste.

Le préfacier nous rappelle d’abord que « pour libérer l’homme, il faut libérer l’enfant et par la suite adapter à l’école une pédagogie nouvelle, anti-autoritaire – libertaire –, renoncer au dogmatisme autoritaire, permettre à l’enfant de s’exprimer librement sans contrainte, sans orientation imposée » (p 8). Oui, mais comment faire ?

Les auteurs recensent les diverses tentatives qui ont été menées, en ratissant large, au-delà des seuls cercles anarchistes.

Il y a d’abord les précurseurs, pères fondateurs de l’anarchisme : Max Stirner (1806-1856), Pierre-Joseph Proudhon (1809-1865), Bakounine (1814-1876).
Bien sûr, nous retrouvons en bonne place Summerhill, l’école d’A.S. Neill. Bien qu’il soit précisé dans le dernier chapitre que « Summerhill n’est pas une école alternative (…) puisqu’elle est isolée, assez fermée à l’extérieur, payante (les élèves sont des fils de bourgeois venus du monde entier) et qu’elle subissait et probablement subit encore après sa mort l’influence dirigeante d’un homme, A.S. Neill » (p 113). Nous sommes en effet assez loin des exigences anarchistes.

Il y a aussi les Communautés Scolaires de Hambourg (les maîtres-camarades), le jardin expérimental de Moscou, la “République des Enfants” de Bomposta (curieusement dans l’Espagne franquiste !), Carl Rogers, les pédagogies institutionnelles (tendance Oury, qui extrapole les techniques Freinet ; tendance Lapassade, qui prend appel sur la dynamique des groupes ; tendance Lobrot, qui s’appuie sur la non-directivité), les écoles parallèles ou alternatives (Berlin, Grande-Bretagne), et d’autres encore…

La pédagogie Freinet occupe une place à part, à la fois objet de fascination et de répulsion. Les rares fois où les auteurs s’aventurent sur le terrain des techniques pédagogiques, ils évoquent Freinet, en précisant toutefois « une partie » seulement. Laquelle ? Nous ne le saurons pas… En revanche, ils précisent : « D’un point de vue général la liberté de l’enfant, le respect de sa spécificité ne sont pas les fondements de la pédagogie Freinet. Il s’agit plus de techniques d’instruction visant à une meilleure productivité que de pédagogie libertaire. Sans vouloir verser dans le manichéisme on peut ajouter en toute honnêteté que son officialisation ne milite pas en faveur de la libération de l’enfant dont se réclament pourtant certains de ses praticiens » (p 27). Et, plus loin, ils parlent de la « récupération d’une partie – et non de la totalité – de la pédagogie Freinet » par le système autoritaire et capitaliste en place. Quelle partie ? Nous ne le saurons pas non plus. Par conséquent, si ce mouvement pédagogique a autant de défauts rédhibitoires, pourquoi s’en réclamer, même « en partie » ? Sans doute parce qu’on n’a rien d’autre à proposer…

Pourtant ce ne sont pas les tentatives spécifiquement libertaires qui manquent. Les auteurs s’attardent longuement sur l’orphelinat de Cempuis de Paul Robin qui a fonctionné de 1880 à 1894, puis “La Ruche” de Sébastien Faure (de 1904 à 1917) et enfin l’École moderne de l’Espagnol Francisco Ferrer (la première ayant été ouverte à Barcelone en 1901). Ces trois expériences ont mal fini : l’orphelinat de Cempuis a pris fin suite à une violente campagne de presse (« la porcherie de Cempuis »), “La Ruche” s’est terminée avec la Grande Guerre et Ferrer a été fusillé en 1909.

D’autres tentatives ont été menées d’abord à Goulaï-Polé, en Ukraine, pendant le soulèvement de Nestor Makhno de 1918 à 1921, puis avec le Comité de l’École Nouvelle Unifiée (CENU) pendant la Guerre civile espagnole. Une fois encore, ces tentatives furent éphémères, Makhno ayant été vaincu par les bolchéviques et les Républicains espagnols par les franquistes (le CENU avait d’ailleurs échoué dès la fin de 1937, avant même la défaite).

Donc les expériences ayant toujours peu duré et mal fini, elles ne nous apprennent pas grand chose. De plus, de l’aveu même des auteurs, elles sont très anciennes et en décalage complet avec notre époque.

Reste la théorie derrière laquelle les auteurs vont se rabattre. Pour eux, la pédagogie libertaire ne peut exister sans société libertaire : « La pédagogie, relevant du projet éducatif, est partie prenante du projet de société. Dans ces expériences, il y a pratique pédagogique consciente par rapport à une vision non formulée parce qu’inconsciente d’un projet éducatif et d’une société. Chaque instigateur, en en ayant une vision inconsciente mais personnelle, induit une expérience pédagogique spécifique. Ceci explique l’importance fondamentale de la personnalité messianique de celui qui est à l’origine de chaque expérience. Il suffit pour s’en convaincre de noter qu’on assimile toujours un nom à une expérience : Neill à Summerhill, Silva à Bemposta, Vera Schmid à Moscou, Freinet, Lobrot… (…) Si ces expériences conservent néanmoins un certain aspect subversif, elles restent de par leur existence dans les limites convenables admises par la société qui aime à profiter de certaines originalités pour assurer sa pérennité » (p 32). De même, « la lutte pour une pédagogie libertaire (…) est indissociable du cadre d’une éducation libertaire, elle-même intégrée dans une offensive générale (économique, politique, sociale…) pour une société libertaire » (p 23).

Il est par conséquent impossible de mettre en œuvre une pédagogie libertaire dans une société autoritaire : « La pédagogie libertaire conçue comme une fin en soi dans le cadre d’un système social autoritaire est utopique : il faut le dire et le répéter » (p 107). Ceux qui tentent malgré tout de la mettre en pratique se trompent lourdement : « Notre constatation au sujet des expériences de pédagogie libertaire actuelles est qu’elles se fourvoient dans l’illusion pédagogique ou dans la marginalité » (p 107). Ce qui n’est pas faux. Et pour ceux qui n’auraient pas encore compris, les auteurs ajoutent : « Employer une pédagogie libertaire au sein de l’éducation nationale étatique implique une nécessaire volonté de destruction de cette institution car penser qu’il est possible de libérer l’enfant dans cet abattoir relève de l’illusion la plus totale. Actuellement, la vague progressiste d’éducateurs et d’enseignants se fourvoie allègrement dans un réformisme inqualifiable » (p 111). L’école ordinaire devient un « abattoir », rien de moins…

La seule possibilité serait de transformer les écoles en comités révolutionnaires autonomes (!), « comme centres de luttes sociales (pour participer directement à la destruction de l’école officielle et du système autoritaire dans son ensemble) et qu’elles se donnent les moyens d’une certaine autonomie (en réalisant un aspect productif de l’école par l’éducation intégrale) » (p 110). Ce concept d’“éducation intégrale” est surprenant sous la plume d’auteurs anarchistes, tant il fleure bon l’embrigadement de la jeunesse propre aux régimes autoritaires.

Alors que faire en attendant la Révolution sociale ? La pédagogie libertaire ne pourrait-elle pas nous donner les clés d’un enseignement possible ?

Pour le constat de départ, les auteurs se rallient à la thèse devenue commune de Bourdieu sur les “héritiers” : « L’école a pour objet “d’instruire” mais en réalité elle “enregistre” des différences pour les reproduire sous forme d’inégalités. Elle participe ainsi au processus éducatif général qui a pour but d’intégrer l’enfant au système existant » (p 21). Ou plus loin : « Il faut se battre pour expliquer que l’éducation nationale dispense un enseignement de classe, une culture bourgeoise, que son véritable rôle consiste à enregistrer des différences pour les reproduire sous formes d’inégalités sociales. (…) L’éducation libertaire intégrale et permanente, concrétisée par des techniques pédagogiques libertaires est une alternative de classe à l’oppression de la bourgeoisie en la matière » (p 109).

Dans cette dernière citation, les auteurs parlent de « techniques pédagogiques libertaires », mais toujours sans aucune description. Ce flou systématique est expliqué quelques pages plus loin : « Ne nous faisons pas les apôtres d’un type d’action [pédagogique] précis. Nous sommes arrivés à l’élaboration théorique de ce que doit être l’esprit d’une pratique authentique de l’éducation et de la pédagogie libertaires, mais la concrétisation de nos analyses dépend, elle, de la spécificité de chacun et pourra en conséquence, prendre des formes multiples. » (p 112). En conséquence, chacun fera ce qu’il veut ou ce qu’il peut, à condition de respecter « l’esprit d’une pratique authentique de l’éducation et de la pédagogie libertaires ».

Puisque nous ne pouvons avoir une description de la pédagogie libertaire, voyons ce que les auteurs nous disent des grandes lignes qui caractérisent l’éducation libertaire. Nous les trouvons p 38-39 :
- l’enfant est capable d’autogérer sa vie à l’école ;
- l’enfant est autonome : il décide en toute liberté de ses activités ;
- le respect de la sexualité de l’enfant ;
- l’enfant doit aller à la connaissance et non l’inverse ;
- le maître est un maître-camarade dont le rôle ne consiste qu’à offrir une aide à l’enfant.

Point par point, nous retrouvons le credo des tenants des pédagogies “actives” et du constructivisme pédagogique. J’utilise le mot credo car ces axiomes sont en réalité des croyances ne reposant sur aucune justification scientifique sérieuse. C’est cette escroquerie pédagogique qui triomphe depuis les années 1970…

Les auteurs ont écrit leur livre en 1978. Ils critiquent une école qui est à cette époque en passe de disparaître. C’est l’école traditionnelle sur laquelle tous les partisans de l’École “nouvelle” – dont apparemment les libertaires – tirent à boulets rouges depuis le début du XXe siècle. Je place nouvelle entre guillemets car si elle l’était effectivement avant la Guerre de 14, un siècle plus tard elle paraît au contraire obsolète.

Depuis la parution de ce livre, nous avons permis à l’enfant d’autogérer sa vie à l’école en instituant par exemple les conseils de classe à la Freinet ou en permettant aux élèves d’élaborer eux-mêmes leurs “contrats de vie”. L’enfant décide de ses activités puisque tout doit partir de ses motivations : il apprendra ce qu’il a envie d’apprendre. C’est lui qui doit aller à la connaissance – on dira maintenant à la compétence – et non l’inverse qui est une hérésie pour le constructivisme. L’enseignant devrait devenir à terme une sorte d’animateur, même de “gentil animateur” pour que chaque école se transforme en une sorte de centre de vacances. Le respect de la sexualité des enfants s’applique maintenant dès le collège : il n’est qu’à voir les tenues vestimentaires de certains élèves ou les couples enlacés lors des sorties pédagogiques.

Est-ce que tout cela a amélioré le niveau éducatif dans notre pays ? Absolument pas. C’est précisément l’inverse qui s’est produit. A tel point que certains se prennent maintenant de nostalgie pour l’école traditionnelle et rêvent de revenir cinquante ans en arrière !

Le projet d’éducation libertaire auquel les auteurs de ce livre ont souscrit n’est qu’une dangereuse mystification. Cette façon d’enseigner met en place tous les ingrédients favorisant un régime totalitaire. Des citoyens instruits, cultivés et éclairés peuvent participer à la vie démocratique. Mais pas des abrutis dont on a formaté la pensée, bloqué tout accès à la culture et amputé les connaissances de base. Les néo-pédagogies, par leur inefficacité revendiquée, font en fait le lit de la tyrannie. Et ce n’est pas pour rien si elles ont séduit un temps les dictatures communistes et fascistes.

Il faudrait enfin ouvrir les yeux, camarades ! Surtout si vous vous revendiquez anarchistes.

Tout être humain, et notamment parmi les plus pauvres, mérite un vrai enseignement de base, un accès facilité à la culture et une libre assimilation des valeurs universelles. Pour cela, il faut mettre en place un enseignement instructionniste avec la transmission des connaissances et des habiletés, moderne avec des objectifs tournés vers le futur, efficace avec un maximum d’apprentissages solides et durables.

Tout le reste n’est que foutaise…

Écoutons ce que disait Stirner : « La culture générale dispensée par l’école doit être une éducation pour la liberté et non pour la soumission : la vraie vie c’est d’être libre ! » (p 45).

Tout est dit.

_________________________
L’éducation libertaire
Jean-Marc REYNAUD et Guy AMBAUVES
Spartacus, Série B – n° 93 (05.1978), 126 p.


jeudi 1 octobre 2009

Livre : Cinq mémoires sur l'instruction publique (Condorcet)

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Présentation, notes, bibliographie et chronologie par 
Charles COUTEL et Catherine KINTZLER.

Voilà un livre fondateur qui énonce un certain nombre de principes relatifs à l’instruction publique, sur lesquels on ne doit pas transiger. J’en retiens cinq qui sont particulièrement importants à mes yeux : 

1/ À l’école, la mission d’instruire. À la famille, la mission d’éduquer. Condorcet le dit très clairement : « Il faut donc que la puissance publique se borne à régler l’instruction, en abandonnant aux familles le reste de l’éducation. » (p 87) 


2/ L’instruction est la base de toute vie démocratique. Imposer la démocratie à un peuple d’ignares est voué d'emblée à l’échec. La puissance publique doit d’abord former les citoyens. Condorcet : « L’homme libre qui se conduit par lui-même a plus besoin de lumières que l’esclave qui s’abandonne à la conduite d’autrui. » (p 235). Et les commentateurs d’expliciter : « L’instruction publique a pour tâche d’aider tout citoyen à délibérer avec lui-même et avec les autres. (…) Il importe qu’un lien s’établisse entre l’épistémologique (quels savoirs enseigner ?), le didactique (comment présenter ces savoirs pour qu’ils instruisent réellement ?) et le juridico-politique (comment mettre ces savoirs au service du bien public ?). L’horizon éthico-humaniste de l’instruction (de quoi ces savoirs me délivrent-ils ?) se dessine alors. » (p 11). De même : « L’instruction est condition philosophique de la formation d’un sujet politique autonome ; sans elle, un peuple souverain est exposé à devenir son propre tyran. » (p 23). Dans le débat sur la formation du citoyen ou du travailleur, la question est tranchée par la priorité que donne Condorcet au citoyen : « L’instruction publique a le devoir de libérer : l’assujettissement trop précoce à une routine professionnelle est contraire à sa vocation ; on n’a pas le droit de former un travailleur si on n’instruit pas préalablement et parallèlement le sujet rationnel libre qu’est le citoyen. » (p 310). Tout cela doit rester parfaitement clair. De plus, une bonne instruction qui n’est pas l’apprentissage d’un métier ne se fait pas pour autant au détriment de la formation du travailleur. Condorcet le rappelle lui-même : « L’instruction, quelle qu’elle soit, ne mettra jamais un homme à portée de remplir au moment même l’emploi public qu’on voudra lui confier ; mais elle doit lui donner d’avance les connaissances générales sans lesquelles on est incapable de toutes les places, et la facilité d’acquérir celles qu’exige chaque genre d’emploi. » (p 134). L'instruction ouvre toutes les voies professionnelles.


3/ Les programmes doivent être établis par des savants, les seuls capables de déterminer les éléments indispensables de leur science. « Condorcet académicien s’avise que les savants doivent et peuvent déterminer l’élémentarisation de leur domaine d’étude. » (p 15). Et « seuls les plus savants peuvent déterminer les savoirs élémentaires enseignables. » (p 17). 


4/ Les enseignants doivent rester indépendants face aux groupes de pression, qu’ils soient publics ou privés. « La fonction de la loi est de prendre des dispositions permettant de mettre à l’abri des pouvoirs (…) ceux qui sont chargés d’enseigner et de chercher (…). » (p 316). Condorcet le dit : « La puissance publique ne peut même, sur aucun objet, avoir le droit de faire enseigner des opinions comme des vérités. (…) Son devoir est d’armer contre l’erreur, qui est toujours un mal public, toute la force de la vérité ; mais elle n’a pas droit de décider où réside la vérité, où se trouve l’erreur. » (p 88). Ainsi, pour prendre deux exemples actuels, un enseignant ne doit pas délivrer à ses élèves un prêchi-prêcha bien-pensant pour lutter contre l’homophobie ou contre le racisme. Il doit faire en sorte que ses élèves parviennent à un niveau d’instruction suffisant pour rejeter à l’âge adulte les comportements homophobes ou racistes. Ce qui sera d’ailleurs bien plus efficace. 


5/ Il doit exister une saine concurrence entre les écoles, qu’elles soient publiques ou privées. « Il est nécessaire, pour éviter les effets du monopole, que se développe un réseau privé d’enseignement, distinct du réseau public. » (p 316) 


Pour conclure, je dirai que Condorcet est, d'une certaine manière, un précurseur de l’enseignement explicite lorsqu’il écrit cette phrase que les enseignants explicites pourraient reprendre mot pour mot : « Ce n’est point ce que l’on a appris qui est utile, mais ce que l’on a retenu. » (p 76). Et plus loin : « Il faut encore que les méthodes d’enseigner se perfectionnent, de manière que le même temps et la même attention suffisent pour acquérir des connaissances plus étendues. » (p 345). C’est la définition même de l’enseignement efficace que nous prônons…


Au total, un livre à lire et à méditer. D’autant que la présentation faite par Charles Coutel et Catherine Kintzler est un modèle d’érudition qui éclaire parfaitement le discours de Condorcet.


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Cinq mémoires sur l'instruction publique
CONDORCET
GF-Flammarion, n° 783, 380 p.


samedi 15 août 2009

Livre : Une école sous influence (Jean-Paul Brighelli)


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J’avais remis la lecture de ce livre à plus tard. Parce que je sentais que le sujet était plus polémique qu’utile au combat mené contre le pédagogisme. Cela n’a d’ailleurs pas manqué puisque la publication de ce livre a marqué la rupture complète entre ces deux acteurs médiatiques de la refondation de l’École que sont l’auteur et Laurent Lafforgue, à la fois mathématicien renommé et catholique convaincu. 

Brighelli s’empare du drapeau de la laïcité pour mener le combat d’un agnostique militant et libertin, mettant toutes les religions dans le même sac et ce sac jeté dans la mer de l’obscurantisme qui « éteint les lumières ». Le tout avec un vrai talent de plume, un grand sens de la formule choc… et de l’argument taillé à l’emporte-pièce.

Le problème majeur qu’évoque l’auteur est la manifestation de l’islam dans les écoles. Qui, selon lui, devrait purement et simplement être interdite. Et, pour faire bonne mesure, même chose pour les chrétiens et les juifs. Avec cet objectif, curieux par son antinomie : « Interdire définitivement toute manifestation religieuse – et, plus largement, toute expression d’intolérance. » J’avais bien fait de remettre la lecture à plus tard…

D’abord, descendant d’une famille vaudoise puis réformée ayant souffert de persécutions religieuses pendant des siècles, je reconnais à chaque fidèle le droit le plus absolu de vivre sa foi à sa guise, dès lors que la manifestation de cette foi ne gêne pas l’ordre public. La France, malgré les droits de l’Homme, a conservé secrètement une habitude d’intolérance religieuse, qui ne se retrouve pas par exemple dans les pays anglo-saxons. Et les athées n’échappent pas à cette malédiction, comme le démontre suffisamment ce livre.

Pour ce qui concerne plus spécifiquement les musulmans, je trouve scandaleux de les avoir encouragés à venir en France… pour leur reprocher trente ans après d’être ce qu’ils sont. Si on ne voulait pas de burqa dans nos rues, il ne fallait pas accepter l’immigration en provenance de la terre d’Islam. Par ailleurs, il me paraît tout à fait injuste de blâmer les élèves qui portent le hijeb et de fermer les yeux (si je puis dire !) devant les élèves qui exhibent leur string et plus encore. On exclut les premières, pas les autres. Dès lors que la France a renoncé à faire porter un uniforme aux élèves, le vêtement ne devrait pas poser problème. Sinon on risque de fixer des limites forcément contestables : pourquoi seraient-elles la religion et non la décence, ou autre chose encore ?

Enfin, ma conception de la laïcité n’est pas l’interdiction de la religion. La laïcité est le devoir de neutralité que doit respecter tout enseignant, en tant que fonctionnaire. En classe, je ne m’interdis pas de parler des différentes religions ou de l’athéisme, mais je ne proclame pas ma foi calviniste qui ne regarde personne dans le cadre de ma mission d’enseignement. Pourquoi s’offusque-t-on aujourd’hui des élèves qui se disent musulmans et ne dit-on rien quand des professeurs arrivent en classe arborant un T-shirt avec la tête du Che ou passant leur année à délivrer un enseignement étroitement inspiré par leur lubie du moment. Au mépris de tout élémentaire devoir de réserve.

Ce qui ne doit pas être toléré à l’école (habillement, propos, attitudes…) s’applique à tout le monde, aussi bien aux élèves entre eux qu’aux enseignants. Il ne doit pas y avoir deux poids deux mesures : la laïcité n’est pas à géométrie variable selon les sympathies ou les humeurs. Sans parler du respect que l’on doit à tout être humain et aux convictions qui sont les siennes, même si elles sont parfaitement étrangères aux nôtres, dès lors qu’on l’a cordialement invité chez nous et chaudement encouragé à s’y sentir chez lui. La question de l’immigration et de ses effets aurait dû être posée avant que le mouvement ne s’amorce. Et cette question doit se poser à ceux qui nous gouvernent et non peser sur les descendants d’immigrés. En confondant injustement l’effet et la cause. Ce qui est le défaut de ce livre…

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Une école sous influence – ou Tartuffe-roi
Jean-Paul BRIGHELLI
Jean-Claude Gawsewitch, Paris, 10/2006, 275 p.

mercredi 15 juillet 2009

Livre : De l'école (Jean-Claude Milner)

Voilà encore un livre unanimement reconnu comme une étape majeure dans le combat de refondation de l’École en France. Je l’ai donc lu et je dois avouer qu’il m’en a beaucoup coûté d’aller jusqu’au bout. Une fois de plus, je me trouve en désaccord complet avec mes petits camarades, ou supposés tels.

La thèse de l’auteur repose sur une conviction : il existe trois « forces ténébreuses » (!) à l’œuvre pour démolir l’École : les gestionnaires, les chrétiens et les instituteurs. Oui, vous avez bien lu.

Cela mérite quelques explications.

Les gestionnaires sont les fonctionnaires du ministère des Finances qui, par radinerie pure et simple, réduisent les coûts. L’auteur – qui se révèle très vite un fin analyste – affirme aussi que les enseignants inquiètent le gestionnaire parce que « l’enseignant est à la fois un fonctionnaire et un savant » ! Soit.

Les chrétiens sont également coupables car, toujours selon l’auteur, « depuis 1945, tous les thèmes de toutes les réformes de tous les niveaux d’enseignement sont d’origine chrétienne ». Langevin et Wallon, tous deux adhérents du Parti communiste, doivent se retourner dans leur tombe, car leur fameux plan a servi de matrice à toutes les décisions désastreuses prises pour accompagner la massification scolaire.

Restent les instituteurs. L’auteur leur en veut tout particulièrement et n’a pas de mots assez durs pour les stigmatiser. Ainsi, ils constituent « une corporation, aussi fermée, aussi jalouse de ses prérogatives, aussi arrogante à l’égard d’autrui, aussi terrible envers ceux qui la combattent que les corporations médiévales ». Et toc ! Ajoutant : « Certains d’entre eux, il est vrai, ne sont rien d’autre que des instituteurs glorifiés, heureux de leur ignorance, puisqu’elle ne les empêche pas, bien au contraire, d’enseigner ce qu’ils ne savent pas et de faire la leçon à ceux qui savent ». Re-toc ! « En vérité, les établissements scolaires tenus par la Corporation (les écoles primaires et une partie des collèges) sont justement ceux dont on est sûr qu’ils fonctionnent d’une manière catastrophique ». N’en jetez plus, la cour est pleine…

Et pourquoi cette corporation d’instituteurs nuisibles est-elle si redoutable et si malfaisante ? Parce qu’elle fait de la pédagogie.

Suit un procès en sorcellerie qui vaut son pesant d’or : « Ne croire ni à la pédagogie ni aux sciences de l’éducation, c’est mettre tout ce qui s’émet sous ce nom au rang, disons, de l’astrologie ». Ailleurs : « Nous mettons au défi ceux qui ont si souvent sur les lèvres le prédicat pédagogique (…) de citer une proposition assurée, un argument incontestable, un texte rigoureux ou simplement intéressant ou, plus simplement encore, bien écrit : il n’y en a pas ». Et encore : « La croyance à la pédagogie implique, de toute nécessité, qu’on accorde à la forme de la transmission une importance cruciale : c’est à ce prix en effet qu’elle peut s’attribuer quelque vraisemblance. Il faut que la différence des contenus transmis n’affecte pas la généralité des règles intrinsèques de la transmission, dont elle a, prétend-elle, édifié la théorie et la pratique ». Enfin : « Question tabou : la thèse familière des spécialistes de l’éducation et des réformateurs qui, explicitement ou implicitement, s’en inspirent, c’est que les contenus n’importent pas. Seule importe la forme, c’est-à-dire les méthodes pédagogiques : celles-ci seront d’autant plus pures que les contenus seront plus pauvres ». Réapparaît alors le sempiternel et inepte débat sur la primauté de la pédagogie ou des contenus. Comme le constructivisme s’est réclamé de la pédagogie, ceux qui pensent en raccourci vouent aux gémonies toute forme de pédagogie et montent au pinacle les contenus. Air connu, surtout chez les partisans de l’enseignement traditionnel, qui sont si peu à l’aise en pédagogie.

Et si les deux, pédagogie et contenus, avaient leur importance ? Surtout au Primaire. Choisir une pédagogie efficace permet justement de faire passer des contenus exigeants. La nécessité pédagogique est une évidence qui échappe à nombre de professeurs du Secondaire qui, par conséquent, la nient. Sans doute parce que les instituteurs et les professeurs, bien qu’ils soient enseignants, exercent deux métiers différents. Les instituteurs n’ont pas à faire la leçon aux professeurs… et les professeurs n’ont pas à dire aux instituteurs comment enseigner.

Justement, notre auteur aborde aussi – à sa façon – les différences entre instituteurs et professeurs : « La Corporation n’affirme pas seulement détenir la science pédagogique ; elle prétend aussi en avoir le monopole : les instituteurs et PEGC savent enseigner – en vérité, ils ne savent rien d’autre – ; ils sont aussi les seuls à savoir enseigner. Tous les autres types d’enseignants en sont du même coup dévalués, et singulièrement, ceux qui s’autorisent de leur discipline et de la maîtrise qu’ils en ont ». Autrement dit les instituteurs ne savent rien d’autre que la pédagogie (qui est comparable à l’astrologie, voir plus haut), alors que les professeurs ont la maîtrise de leur discipline. Les instituteurs sont des imbéciles, mais les professeurs sont des savants : « Ce qui les rassemble [les professeurs], c’est une haute image d’eux-mêmes, non pas en tant qu’individus, mais en tant que corps. Si de plus l’image est si haute, c’est pour une raison essentielle : elle inclut une relation à un savoir, le plus souvent défini en termes de discipline et garanti par un passage dans l’enseignement supérieur. Agrégé ou certifié, le professeur de lycée ne se pense pas comme un enseignant, terme indifférencié cher à la Corporation et aux chrétiens, mais comme un philosophe, un mathématicien, un historien, etc. » Les instituteurs appartiennent à une corporation, les professeurs font partie d’un corps. Les premiers sont des charlatans ignares, incultes et dangereux, les seconds sont des spécialistes cultivés, érudits et compétents. « Celui qui engage un individu comme spécialiste de la transmission d’un savoir ne doit tenir compte que de la maîtrise que détient cet individu de ce savoir ». En d’autres termes, seul le savoir disciplinaire suffit pour faire le métier d’enseignant. Les autres savoirs, dont celui de l’action pédagogique, ne comptent pas. Démonstration terminée.

Enfin, cerise sur le gâteau, l’auteur invente une nouvelle tare : le « méridionalisme » (p 140), sans la définir vraiment. Pour l'auteur, le Midi fait probablement partie des pays sous-développés. Avec ce livre, moi qui suis Marseillais de naissance, Languedocien de cœur et instituteur de profession, j’aurai bu le calice jusqu’à la lie…

À fuir absolument.

_________________________
De l'école
Jean-Claude MILNER
Le Seuil, 05/1984, 152 p.


Messerschmidt
Franz Xaver Messerschmidt

mercredi 1 avril 2009

Livre : L'école et son double - Essai sur l'évolution pédagogique en France (Nathalie Bulle)





Nathalie BULLE : Docteur, habilitée à diriger des recherches, et chercheure au CNRS.

Résumé :
Dans cet ouvrage, est posée une question simple mais essentielle pour toutes les sociétés démocratiques et libérales : pourquoi le processus de démocratisation des systèmes éducatifs occidentaux a-t-il justifié un recours de plus en plus important à la pensée pédagogique dite moderne et un discrédit progressif de l'enseignement des disciplines, de leurs méthodes et de leurs contenus ?
Cette question apparaît d'autant plus déterminante que les transformations pédagogiques n'ont pas été portées par des débats d'idées. Elles ont suivi une voie définie en profondeur. Elles ont servi, dans leur ensemble, une idée philosophique de l'homme et de la société qui dépasse les clivages politiques et remonte aux débuts des sciences de l'homme.
En montrant comment la démocratisation des systèmes éducatifs a suscité un appel d'idées pédagogiques opposées aux besoins fondamentaux de l'enseignement, l'auteur met au jour une série stupéfiante de croyances fausses qui se sont constituées autour de l'école, de ses succès comme de ses échecs. De façon concise et claire, L'école et son double offre au lecteur des clés de compréhension de la crise que connaît l'enseignement en France, et présente les principes qui peuvent contribuer à changer le devenir qui se dessine pour l'école.



Commentaire : 

L’école et son double marque un tournant dans la sociologie de l’éducation. Jusqu’à présent, cette branche des sciences de l’éducation (faisant chorus avec les autres) avait toujours justifié le recours aux pratiques constructivistes comme solution à la massification de l’école. Bourdieu avait bien parlé d’enseignement explicite dans les années 1960, mais tout cela était bien oublié depuis… 


L’auteur s’inscrit à rebours de cette “tradition” avec un ouvrage savant, parfois même austère, qui ne se lit pas comme une quelconque vulgarisation pour gens pressés. Nathalie Bulle a étudié avec une extrême rigueur son dossier. Ses références sont multiples et parfois inhabituelles, couvrant une vaste période allant de la fin du XIXe siècle aux années 2000. Sa recherche a utilisé des auteurs et des archives peu fréquentés jusqu’alors, bien que cruciaux. L’analyse est très solide, décortiquant avec minutie des faits et des réalités que les partisans du constructivisme auraient voulu continuer à maintenir sous le boisseau (voir le commentaire peu amène sur l’ouvrage paru dans les Cahiers pédagogiques !). Les arguments s’enchaînent avec une logique imparable et dégonflent petit à petit la baudruche “progressiste”. 


Prenons comme seul exemple un chapitre d’une douzaine de pages. Il est de notoriété publique que les constructivistes se sont toujours réclamés de la démocratie et des valeurs sociales (pensons à l’illustre Freinet et à ses descendants, par exemple). Les méthodes pédagogiques “nouvelles” ou “actives” posent « comme priorité à l’acte pédagogique la socialisation, la création d’habitudes conformes à l’ordre social souhaité ». Dans ces pratiques, le maître se transforme « en une sorte de directeur de conscience ». Or, nous apprenons, dans le chapitre “Pédagogies modernes et totalitarismes” (p 159-171), que les dictatures fasciste, nazie et communiste ont adopté ces méthodes pédagogiques. On comprend pourquoi. L’objectif de façonner le comportement futur de l’homme à travers celui de l’enfant qu'il est encore est un objectif totalitaire. Et l’auteur de conclure : « Un régime totalitaire est bien servi par une pensée pédagogique qui dénigre la formation intellectuelle et la transmission culturelle ». Les champions de la démocratie ont ainsi servi de modèles aux pires des dictateurs… 


Je ne résiste pas également à reproduire cette citation d’un auteur américain (Robert M. Hutchins) qui écrivait en 1953 ce qui reste étrangement valable pour la France d’aujourd’hui : « Le syllogisme est le suivant : tout le monde a droit à l’enseignement. Mais seulement un petit nombre a les capacités de recevoir un bon enseignement. Ceux qui ne peuvent recevoir un bon enseignement doivent en recevoir un pauvre, parce que chacun a droit à l’enseignement. Quiconque favorise un bon enseignement doit, donc, être anti-démocratique, parce qu’un petit nombre seulement en a les capacités, alors que le vrai démocrate insiste sur l’enseignement de tous. La conséquence est que ceux qui croient aux capacités des individus sont qualifiés de réactionnaires et d’anti-démocratiques, tandis que ceux qui doutent de ces capacités se disent démocrates. » 


L’auteur constate ailleurs avec beaucoup de justesse que « le processus éducatif est, au total, de nature schizophrénique. L’école valorise des qualités, la spontanéité, la participation, l’esprit d’équipe, l’initiative, qui, en fin de compte, ne sont pas celles qu’elle évalue. Elle gratifie en réalité des modes de réalisation, le travail, la concurrence, et l’imitation des modèles, dont elle dément par ailleurs la valeur ». Un autre constat fait pour l’Amérique des années 1950 reste dramatiquement valable pour les écoles françaises contemporaines : « Le mouvement éducatif porté par les éducateurs “progressistes” avait vécu, mais les idées qu’il nourrissait faisaient désormais partie des pratiques pédagogiques courantes. » D’où la difficulté de faire évoluer les pratiques, bien que la faillite des pédagogies “actives” soit devenue évidente aux yeux de tous. 


On perçoit nettement que l’auteur se montre très favorable à un enseignement explicite et structuré. Un chapitre est d’ailleurs consacré à “L’efficacité comparée des pédagogies” (p 207-210). On y retrouve les travaux de Clermont Gauthier et de son équipe sur l’enseignement efficace, preuve s’il en fallait de la qualité des références évoquée plus haut. L’auteur y évoque les conclusions du projet Follow Through montrant la supériorité du Direct Instruction sur toute autre pratique pédagogique, constructiviste ou traditionnelle.


La seule réserve que je ferais porte sur le mot “progressistes” dont l’auteur se sert pour désigner les partisans du constructivisme. Il est la traduction du mot américain “progressivist” qui ne comporte pas l’idée de progrès contenue dans le mot français “progressiste”. Est “progressivist” le partisan de la “progressive education”, celle centrée sur l’élève. Il vaudrait donc mieux le traduire par le néologisme “progressiviste” qui convient davantage aux responsables de la régression majeure qu'a connue le système d'enseignement français ces quarante dernières années. En conclusion, je recommande la lecture de ce livre important pour la mise en place d’une école de qualité en France. Le vent tourne aussi en sociologie, et c’est tant mieux…

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L'école et son double - Essai sur l'évolution pédagogique en France 
Nathalie BULLE
Herman (coll. Société et pensées), Paris, 02/2009, 324 p.

Livre : L'enseignement de l'ignorance (Jean-Claude Michéa)



Je me suis enfin contraint à lire “le” Michéa. Quitte à décevoir tous ceux qui n’ont de cesse d’en tresser les louanges, je dois avouer que ce livre m’a déplu et sur la forme et sur le fond. 

Sur la forme, car on y retrouve toutes les ficelles de celui qui veut davantage faire étalage d’érudition qu’œuvre utile. À commencer par un apparat critique extravagant pour le format de ce livre : notes de bas de page à profusion plus notes de fin de texte… qui comportent elles-mêmes des notes de bas de page ! J’ai même vu une note de bas de page occuper la totalité d’une page (p 127). Cette avalanche de notes dans les notes agace le lecteur plus qu’elle ne le renseigne. Autre indice de fatuité intellectuelle : affirmer l’importance verticale d’auteurs parfaitement inconnus en dehors de quelques microcosmes restreints ou faire des citations interminables tirées de livres oubliés de tous pour illustrer une idée qu’on a d’ailleurs perdue en cours de route. Il y a toutes les apparences du discours intellectuel, mais qu’en est-il du contenu ?

Pas grand-chose non plus. En tout cas sur l’École. Sur le reste, en revanche, on trouve de tout. Cela va des Guignols de l’info à Adam Smith, de Chesterton à Halloween. Quant à l’École, la cause de tous ses malheurs vient du capitalisme. La thèse est simple : le capitalisme aurait besoin de travailleurs flexibles et de citoyens stupides, ce qui implique une éducation où les jeunes seront préparés à faire n’importe quoi et à penser ce qu’il faut. Cette thèse simpliste est contredite, par exemple, par la publication en 1983 du rapport A nation at risk qui prônait au contraire l’excellence en éducation ; les Américains s’étant aperçus qu’un enseignement médiocre plombait leur économie dans la concurrence capitaliste mondiale. Qu’est-ce qui rapporte de l’argent ? Des ouvriers incapables ou des ouvriers performants ? La réponse est pourtant simple à trouver.

L’auteur croit à la théorie du complot : il mentionne avec dégoût des groupes occultes comme le Siècle ou la Trilatérale. Il croit qu’il s’agit d’un plan concerté. Pas moi. Je pense plus prosaïquement que la débâcle de l’École résulte de la crise des valeurs des sociétés post-industrielles, dont le monde du spectacle et celui des médias font l’infatigable promotion depuis les années 1960. Et ce, sans que les intellectuels dénoncent le danger de cette mentalité de gavés avec la vigueur qu’il aurait fallu, étant eux-mêmes sous le charme ou en pointe. Mentalité de gavés qui se retrouve dans les pratiques pédagogiques inefficaces du constructivisme qui nécessitent toujours plus de temps et toujours plus de moyens, et qui revendiquent toujours moins d’efforts et toujours moins d’ambition. Où sont les esprits libres ? Où sont ceux qui regimbent et qui n’acceptent pas cette déconfiture ? Qui est capable de mener le combat ? Certainement pas un révolutionnaire de salon...

Ajouté à cela que l’auteur entonne l’antienne contre l’ordinateur à l’École, et la coupe est pleine. À rebours de cette position archaïque, je rappelle que l’informatique est aujourd’hui aussi néfaste au travail scolaire que le stylo à bille l’avait été dans les années 1970. De nouveaux outils apparaissent, il faut que les élèves apprennent à les maîtriser. Que cela convienne à ceux d’un âge mûr – pour rester poli – ou pas.

Au final, voici un livre qui plaira sûrement à ceux qui veulent un alibi de gauche (la lutte contre le capitalisme) pour dénoncer la faillite de l’enseignement de ces quarante dernières années. Piètres convictions qui situent sur un terrain politique inaccessible des problèmes qui restent au quotidien bien pratiques. Et pour cela, le livre de Michéa ne m’a strictement rien apporté…

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L'enseignement del'ignorance – Et ses conditions modernes
Jean-Claude MICHÉA
Éd. Climats (coll. Micro-Climats), 09/1999, 139 p.


Franz Xaver Messerschmidt

dimanche 15 février 2009

Livre : Enseigner (dir. Vincent Dupriez et Gaëtane Chapelle)

Livre


Vincent DUPRIEZ : Professeur de sciences de l'éducation à l'Université de Louvain - Louvain-la-Neuve (Belgique). Il développe ses recherches dans le cadre du GIRSEF. 
Gaëtane CHAPELLE : Docteur en psychologie, responsable de développement à l'Institut Demos et chercheur associé du Centre de recherche sur la formation du CNAM.

Résumé :
Enseigner. Un verbe simple, une action complexe. Dont le cœur repose sur la pédagogie. Et sur une question centrale : toutes les pratiques pédagogiques se valent-elles ? La plupart des enseignants, des élèves et des étudiants seront d'accord pour répondre par la négative à cette question. Cependant, lorsqu'il s'agit de se mettre d'accord et d'identifier des “bonnes” pratiques pédagogiques, le débat est souvent difficile, voire houleux.
D'abord, parce que le choix de telle ou telle pédagogie repose sur des enjeux sociaux, et renvoie à la définition des missions de l'école, qui sont parfois contradictoires. Mais aussi parce que la recherche en pédagogie ne donne pas de réponse univoque sur les meilleures méthodes ou pratiques à adopter. Faut-il, par exemple enseigner en cheminant du simple au complexe, ou l'inverse ? Quel est le rôle de la didactique ? Des méthodes comme la pédagogie par résolution de problèmes sont-elles efficaces ? Et pour quels élèves ? Nombreux sont les travaux sur de telles questions, dont il importe de connaître les conclusions pour orienter sa pratique d'enseignement.
De même, la meilleure façon de transformer les pratiques pédagogiques, en vue d'obtenir une meilleure efficacité, ne fait pas l'unanimité. Faut-il proposer des réformes de grande ampleur, conçues par les chercheurs et généralisées à de très nombreuses écoles et enseignants ? Ou faut-il construire les “bonnes” pratiques avec les enseignants eux-mêmes ? Quel peut-être le rôle du chef d'établissement dans la transformation des pratiques ? Comment prendre en compte le travail quotidien de l'enseignant ? Là encore, il n'existe pas une seule réponse, même si un consensus important est présent : dans tous les cas, rien ne peut se faire sans les enseignants eux-mêmes.
Cet ouvrage ne prétend pas répondre définitivement à toutes ces questions. Mais il permet, grâce aux contributions des meilleurs chercheurs de langue française dans ce domaine, d'analyser les débats, d'en mesurer les enjeux et d'identifier des pistes de travail.



Commentaire :

Ce livre a été publié en 2007 dans une collection qui a « pour vocation d’établir des ponts entre la recherche et les pratiques en éducation ». Il exprime enfin la préoccupation d’un enseignement efficace, préoccupation qui semble être de plus en plus partagée sous l’effet des enquêtes internationales comparant les résultats des systèmes éducatifs de chaque pays. À ce titre, les directeurs de publication ont fait appel à Clermont Gauthier, Steve Bissonnette et Mario Richard pour écrire un chapitre sur l’enseignement explicite. Une place lui est donc réservée à côté du socioconstructivisme, ce qui est une grande nouveauté ! Il est vrai que la plupart des auteurs qui ont par ailleurs collaboré à ce livre ne sortent pas du dogme constructiviste, malgré la faillite patente et persistante de ce dernier… 


Remercions donc Vincent Dupriez et Gaëtane Chapelle d’avoir osé écrire dans leur introduction : « Pour qu’un enseignement soit efficace, il semble important qu’il repose sur des objectifs clairs et sur une structure explicite ». Le monde de la recherche serait-il en train d’admettre que l’enseignement explicite représente désormais une solution pédagogique qu’il convient sérieusement d’envisager ?


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Enseigner
Sous la direction de Vincent DUPRIEZ et Gaëtane CHAPELLE
PUF, coll. Apprendre, Paris, 03/2007, 229 p.


jeudi 15 janvier 2009

Livre : Fin de récré (Jean-Paul Brighelli)


Ce livre évoque un peu l'enseignement explicite. Toutefois le lecteur non averti risque de rester sur sa faim en n’apprenant rien de ce qu’il est exactement. Il y a même des approximations qui finissent par devenir des inexactitudes (les « pédagogues » de Follow Through, l’assimilation du surapprentissage au par-cœur). Pour toute définition, on lit que la pédagogie explicite se situe « quelque part entre ces méthodes qui n’ont d’actives que le nom et la relation purement verticale d’un enseignement magistral ». Manifestement, l'auteur ne sait pas trop de quoi il parle...

Pour le reste, on retrouve l’approche traditionnelle de l’enseignement que l'auteur connaît bien mieux. Mais comment ne pas paraître passéiste lorsqu’on cite chaleureusement Gabriel Compayré (1843-1913), Jules Ferry (1832-1893), Pauline Kergomard (1838-1925), sans oublier l’inévitable Ferdinand Buisson (1841-1932) ?

Cette position anachronique plombe hélas considérablement le courant instructionniste… Notamment parmi les collègues instituteurs en exercice dont aucun - à part quelques originaux - ne veut revenir à l’École d’autrefois.

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Fin de récré – Pour une refondation de l'école
Jean-Paul BRIGHELLI
Jean-Claude Gawsewitch, Paris, 03/2008, 319 p.



Messerschmidt
Franz Xaver Messerschmidt