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mardi 11 octobre 2011

Livre : Sauvons les garçons ! (Jean-Louis Auduc)


Jean-Louis AUDUC : Il est directeur adjoint de l'IUFM de Créteil. Agrégé d'histoire, il dirige une collection de manuels d'éducation civique et poursuit des recherches sur l'enseignement aux publics difficiles, les relations parents-enseignants et les évolutions du système éducatif.

Résumé :
Pourquoi sauver les garçons ? On a rarement l'occasion de penser le genre masculin comme une catégorie disqualifiante. Et pourtant... à l'école, être un garçon se révèle un handicap.
La douloureuse adaptation masculine au système éducatif commence seulement à devenir visible. Aujourd'hui, sur les 150 000 jeunes sortant chaque année sans aucune qualification du système éducatif, plus de 100 000 sont des garçons. Moins précoces et moins diplômés, les garçons sont devenus en quelques décennies le sexe faible de l'école.
Ce constat reste encore largement ignoré. En plus, il dérange. Il faut pourtant comprendre les causes de cette nouvelle fracture dans le système éducatif et proposer des réponses. Car des remèdes existent et sont déjà expérimentés dans d'autres pays...



Commentaire :

Dans ce petit livre, Jean-Louis Auduc tire la sonnette d’alarme à propos d’un problème qui n’était jusqu’alors jamais évoqué : l’échec scolaire des garçons. Les faits sont indéniables car « sur les 150 000 jeunes sortant sans aucune qualification du système éducatif, plus de 100 000 sont des garçons » (p 9). Mais on a du mal à admettre la réalité de cette infériorité masculine : « Il est difficile pour ceux et celles qui ont travaillé toute leur vie sur les discriminations dont souffrent toujours les femmes de percevoir qu’à l’école, désormais, les situations se sont inversées » (p 69). « La réalité de l’échec masculin passe souvent inaperçue, à l’école comme dans l’opinion publique. Les uns et les autres éprouvent, pour différentes raisons, un certain malaise à reconnaître que les garçons rencontrent plus de difficultés au sein du système éducatif. Que ce soient pour les convaincus de la supériorité masculine, pour les féministes ou les égalitaristes, le constat déplaît et ne suscite que peu de curiosité. Pour tous, il n’y a aucune raison pour que les garçons soient particulièrement en échec » (p 80). « Comme les hommes sont censés être dominants, leur conditionnement sexué n’est pas perçu comme un problème. Pourtant, ces stéréotypes limitent les garçons de la même manière que les filles » (p 64).

L’auteur s’attache à dresser l’inventaire des causes de ce phénomène.
Il y a d’abord – et je dirai surtout – des causes culturelles et sociales : « Partout où la domination masculine fut historiquement plus prégnante, les femmes se sont emparées de l’école, et ce sont les garçons, élevés dans un contexte culturel les assurant le plus entièrement de leur supériorité, qui sont aujourd’hui les plus confrontés à l’échec scolaire. La France participe pleinement aux caractéristiques des pays du Sud » (p 40). C’est l’éducation reçue dans les familles qui en est responsable : « Les différences sexuées dans les parcours scolaires ne peuvent être pensées en dehors de l’institution de la famille. (…) La majorité des parents, encore aujourd’hui, conserve des représentations sexuées des métiers préférables pour les enfants. Si celles-ci contribuent à limiter l’horizon professionnel des filles, elles concourent également à négliger l’échec scolaire masculin en supposant que l’insertion professionnelle des garçons sera plus aisée. (…) Une moindre présence paternelle pèse également sur le manque d’implication des garçons dans leur scolarité. (…) Les femmes assumant la quasi-totalité du soutien scolaire parental, elles sont plus attentives aux résultats de leurs filles, alors que les garçons ne reçoivent pas le même accompagnement de la part de leur père. (…) Même si le niveau d’éducation de la mère demeure pour les garçons un facteur présageant de leur réussite scolaire, cette corrélation est moins perceptible que pour les filles. Qui plus est, cette absence de père référent s’accentue encore aujourd’hui avec le développement des familles recomposées, au sein desquelles la mère représente en général le pivot constant autour duquel va évoluer la structure familiale » (p 58-59).


C’est particulièrement vrai dans les pays méditerranéens et dans les milieux défavorisés : « L’écart sexué de performances s’éclaire lorsqu’il est articulé à la variable de l’origine sociale. (…) Cet écart est plus significatif dans les pays méditerranéens et au sein des familles issues des milieux les moins favorisés. (…) Dans toutes ces familles, les filles peuvent se sentir valorisées à l’école, ce qui n’est pas toujours le cas à la maison, où elles sont l’auxiliaire de la mère et où les garçons seront tenus pour des “petits rois” » (p 62-63).

D’autant plus lorsque le rôle de l’école est dévalué ou nié : « Même si toutes les statistiques disent le contraire, certaines familles adhèrent encore à la légende, commentée abondamment par certains médias, des chômeurs diplômés plus nombreux que les chômeurs non qualifiés. Rappelons que pour les 15-24 ans, le taux de chômage des jeunes personnes sans qualification atteint 45 %, alors qu’il n’est que de 12 % en moyenne pour ceux qui possèdent un diplôme, même minime » (p 61).

À l’autre bout de l’échelle sociale, le problème se pose beaucoup moins : « Parce qu’un niveau scolaire élevé des parents garantit, en général, aux enfants une faible adhésion aux stéréotypes de sexes, plus on monte dans l’échelle sociale, plus l’écart de résultats entre filles et garçons s’amenuise. Ainsi, les difficultés scolaires masculines concernent davantage la masse que l’élite » (p 102).

Par l’éducation qu’ils reçoivent à la maison, les garçons affichent un comportement totalement inadapté au cadre scolaire, contrairement aux filles : « L’une des raisons les plus évidentes de cet écart de résultats réside dans les comportements de chacun à l’école. Les filles méritent leur avance. Elles travaillent davantage. (…) Indiscipline et désinvolture sont, en majeure partie, masculines » (p 45). « Les stéréotypes sexués transmis aux garçons, qui apprennent la compétition, l’affirmation du moi, la suprématie de l’activité physique, rendent leur adaptation au système scolaire plus difficile. Dès le primaire, un bon élève, c’est un ensemble d’attitudes : des devoirs soignés, être à l’heure, être à l’écoute de l’enseignant, ne pas s’agiter, avoir son matériel, des cahiers bien tenus… » (p 53). « Cette culture de l’indiscipline caractéristique de la socialisation scolaire masculine participe sans nul doute à produire les conditions de l’écart de résultats constaté entre les filles et les garçons » (p 56-57).


Et cela se produit dès l’élémentaire : « Dès l’école primaire, les garçons manifestent un retard dans l’acquisition de la lecture et de l’écriture. Redoublant davantage que les filles, ils représentent la quasi-totalité des effectifs des structures pour élèves en refus scolaire ou coupables de comportements violents » (p 10).


Cela a notamment pour conséquence de tendre, à l’école, les relations entre filles et garçons : « Humiliés face à des filles en réussite, pour démontrer une supériorité inexistante dans les classes, certains [garçons] vont bousculer, agresser physiquement, voire sexuellement, leurs camarades [filles] » (p 68). « La conviction de leur supériorité confronte les garçons à des contradictions insolubles en ne se traduisant pas par une supériorité intellectuelle sur les filles de leur classe. Leurs modes de défense sont alors de dévaluer les savoirs scolaires et de se rebeller contre l’école » (p 13).


Pourtant, selon l’auteur, la solution ne consiste pas à revenir sur la mixité : « Selon de nombreuses études, la non-mixité ne produit en soi aucune amélioration des résultats scolaires masculins. (…) Plusieurs études (…) avancent l’idée que la non-mixité avantagerait les filles » (p 77 et 78). Tout au plus, on peut envisager que « pour mieux prendre en compte (…) les approches de chacun, (…) certaines disciplines comportent quelques heures de cours où garçons et filles seraient séparés » (p 86).


L’école peut utilement lutter contre les stéréotypes qui desservent les garçons : « Dans le cadre spécifique de l’environnement scolaire, la déconstruction et la remise en cause des stéréotypes sexués paraissent aujourd’hui plus nécessaires aux garçons qu’aux filles » (p 54). «  Il est important de démontrer à l’école l’arbitraire des croyances sur le féminin et le masculin, et particulièrement à ceux dont les familles les reproduisent sans questionnement » (p 85). Mais il ne faut pas se leurrer car l’école pèse bien moins que la famille dans la transmission des valeurs : « L’école ne peut, à elle seule, déconstruire les stéréotypes sexués transmis au sein de la famille. » (p 83). Il arrive même que ce soit l’enseignant lui-même qui ait des idées préconçues : « L’école, loin de corriger les représentations traditionnelles transmises au sein de la famille, contribue à les confirmer. (…) La croyance des instituteurs dans la supériorité des garçons en mathématiques et des filles en littérature est décelée, dès l’école primaire, alors même que les différences de performances sont inexistantes » (p 57).


Un des aspects du problème est que la profession enseignante est massivement féminisée. Or, « peu de garçons envisagent de choisir un métier qu’ils ont vu durant leur enfance exercé par des femmes. Si l’on encourage les filles à intégrer des disciplines scientifiques, il faudrait encourager les garçons à devenir enseignants, juges, infirmiers ou assistants sociaux, autant de professions massivement féminisées aujourd’hui » (p 90). La parité homme-femme devrait jouer dans l’enseignement aussi : « La valorisation culturelle et collective des garçons s’effectue toujours par l’intermédiaire de qualités s’exprimant en dehors de l’école, telles que la force, le courage, l’adresse, l’impulsivité ou l’insoumission. Présenter en classe des parcours scolaires masculins réussis permettrait aux jeunes garçons de s’identifier à des hommes estimés pour leurs compétences scolaires » (p 96).


On ne permet plus aux garçons certains jeux qui seraient trop violents (qu’on appelait autrefois des “jeux de garçons” où les coups, les plaies et les bosses n’étaient pas rares) : « Le genre masculin, longtemps bénéficiaire d’une suprématie indiscutée, est aujourd’hui l’objet de représentations négatives dues, pour l’essentiel, au fait que la violence est désormais inacceptable » (p 67). « Parce que nous tolérons de moins en moins la violence et l’existence des risques, nous avons rendu l’école de plus en plus aseptisée. (…) Aujourd’hui, nous judiciarisons la moindre blessure, le moindre incident, la moindre querelle entre jeunes… » (p 95). Mais en interdisant tout, on ne supprime pas les risques, bien au contraire : « Une étude concernant les jeux dangereux chez les élèves a (…) montré que plus la gestion de la cour de récréation est stricte (interdiction de jeux de balles, interdiction de sauter ou de courir…), plus les risques de comportements extrêmes, tels que les arrêts volontaires de la respiration ou le jeu du foulard, sont grands chez les jeunes garçons » (p 95).


Reste la question pédagogique : « Cet échec massif et précoce des garçons ne fait aujourd’hui l’objet d’aucune prise en charge spécifique. Alors que de nombreuses publications se penchent sur les outils pédagogiques de la réussite des filles, aucun manuel à l’usage des enseignants ne questionne les caractéristiques du rapport masculin à l’école. (…) La communauté pédagogique n’arrive pas à faire de l’échec scolaire masculin un sujet de réflexion, un axe de lecture, un objet d’intervention » (p 11). Et l’auteur de proposer comme solutions pédagogiques de développer des situations de coopération entre élèves ou de minimiser la compétition… Ce qui est un peu court, surtout dans une école où la compétition est bannie depuis près de quarante ans et où les situations de coopération à la Freinet ont échoué lamentablement.


C’est d’ailleurs le principal défaut de ce livre : parler - du bout des lèvres - de solutions pédagogiques qui n’en sont pas. Alors que les pratiques d’enseignement  explicites ont fait la preuve de leur efficacité, surtout dans les quartiers difficiles, avec des élèves en difficultés dont nombre de garçons. L'auteur aurait dû s'informer !


Mais, à cette réserve près, la lecture du livre de Jean-Louis Auduc est très intéressante parce qu’elle bouscule nos propres idées reçues sur les discriminations homme-femme qui s’opèrent à rebours dans le cadre scolaire. Le sauvetage des garçons passe d’abord par une prise de conscience.


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Sauvons les garçons !
Jean-Louis AUDUC
Descartes & Cie, 11/2009, 103 p.