Beaucoup
font référence à ce livre. Je l'ai donc lu... et j'ai
trouvé qu'il avait bien vieilli ! Toutefois un certain
nombre de passages ne peuvent laisser indifférents dans le
contexte que nous vivons aujourd'hui. Aussi, je les livre à
votre réflexion :
chap. II : « Je
ne promettrai donc pas le plaisir, mais je donnerai
comme fin la difficulté vaincue. (...) Tout l'art est à
graduer les épreuves et à mesurer les efforts ; car la
grande affaire est de donner à l'enfant une haute idée de
sa puissance, et de la soutenir par des victoires. »
chap. III : « Il
faut que l'enfant cherche de lui-même la difficulté, et
refuse d'être aidé ou ménagé. (...) L'enfant ne désire
rien de plus que de ne plus être enfant. »
chap. IV : « C'est
pourquoi je ne crois pas trop à ces leçons amusantes qui
sont comme la suite des jeux. Ce sont rêveries de braves
gens qui n'ont pas appris le métier. (...) La cloche ou
le sifflet marquent la fin des jeux et le retour à un ordre
plus sévère ; et la pratique enseigne qu'il n'y faut point
un insensible passage, mais au contraire un total changement. »
chap. V : « L'homme
se forme par la peine ; ses vrais plaisirs, il doit les
gagner, il doit les mériter. Il doit donner avant de
recevoir. C'est la loi. (...) Tout l'art d'instruire est d'obtenir
(...) que l'enfant prenne de la peine et se hausse à l'état
d'homme. (...) C'est pourquoi je suis bien loin de croire
que l'enfant doive comprendre tout ce qu'il lit et
récite. »
chap. VI : « Il n'y a de progrès, pour nul écolier au monde, ni en
ce qu'il entend, ni en ce qu'il voit, mais seulement en
ce qu'il fait. »
chap. IX : « C'est
au père qu'il convient d'agir en père, au maître en
maître. (...) La force du maître, quand il blâme, c'est
que l'instant d'après il n'y pensera plus ; et l'enfant
le sait très bien. »
chap. X : « Un père, si éminent qu'il soit, ne sait pas bien instruire ses propres enfants. »
chap. XI : « Il
ne faut point se hâter de juger les caractères,
comme si l'on décrète que l'un est sot et l'autre paresseux
pour toujours. »
chap. XIII : « Les
grandes personnes ne doivent jamais jouer avec
les enfants. (...) Quand un enfant se trouve séparé
des enfants de son âge, il ne joue bien que seul. »
chap. XVI : « Vous
dites qu'il faut connaître l'enfant pour
l'instruire ; mais ce n'est point vrai ; je dirais plutôt
qu'il faut l'instruire pour le connaître. »
chap. XX : « Si
l'art d'instruire ne prend pour fin que d'éclairer
les génies, il faut en rire, car les génies bondissent
au premier appel, et percent la broussaille. Mais ceux qui
s'accrochent partout et se trompent sur tout,
ceux qui sont sujets à perdre courage et à
désespérer de leur esprit, c'est ceux-là qu'il
faut aider. »
chap. XXIV : « La mémoire n'est pas la condition du travail,
mais en est bien plutôt l'effet. (...) Les travaux d'écolier
sont des épreuves pour le caractère, et non point pour
l'intelligence. (...) Il s'agit de surmonter
l'humeur, il s'agit d'apprendre à vouloir. »
chap. XXV : « Il faut, dès les premières années, pousser aussi avant qu'on pourra. »
chap. XXVI : « Les
meilleurs écoliers de la primaire comptent
bien, et l'on se moque du lycéen qui sait la théorie
de l'addition et qui compte mal. »
chap. XXIX : « Le
maître d'école veut qu'on cherche et qu'on
trouve ; il appelle l'intelligence ; il ne pense pas au papier
perdu ; mais plutôt il veut placer le petit sot en
présence de sa propre sottise, par elle-même
ridicule. »
chap. XXXII : « Il faudrait apprendre à se tromper aussi de bonne humeur. »
chap. XXXIII : « Je
veux un instituteur aussi instruit qu'il se
pourra ; mais instruit aux sources. L'Enseignement Supérieur
instruit de source. (...) Il faut qu'un instituteur soit
instruit, non pas en vue d'enseigner ce qu'il
sait, mais afin d'éclairer quelque détail en
passant. (...) Pour l'ordinaire, je conçois la
classe primaire comme un lieu où l'instituteur ne travaille
guère, et où l'enfant travaille beaucoup. (...) Le maître
surveillera de haut, délivré de préparation, de
ces épuisants monologues, et de ces ridicules
entretiens pédagogiques, où l'on ressasse au
lieu d'acquérir. Libre de fatigue, et gardant
du temps pour lui-même, il s'instruira sans cesse. »
chap. XXXV : « Il
faut dire que ces pédagogues bavards finiront
par rendre impossible un métier déjà difficile,
et qu'au surplus ils ne connaissent point. »
chap. XXXVI : « Il
n'y a qu'une manière d'imprimer l'orthographe
et la grammaire dans une tête d'enfant ; c'est de répéter
et de faire répéter, c'est de corriger et de faire corriger.
(...) C'est en récitant, en lisant, en copiant
et recopiant, que l'enfant retient à la fin
quelque chose. »
chap. XXXVIII : « La
lecture qui ânonne ne sert à rien. Tant que
l'esprit est occupé à former les mots, il
laisse échapper l'idée. (...) Il faut seulement choisir
les premiers exercices de façon que l'apprenti puisse aller
très vite sans se tromper ; et en somme, au
lieu d'aller du lent au vif, ce qui est
trompeur, il faut aller, et toujours en vitesse, du simple
au complexe. »
chap. XXXIX : Alain parle à un moment du « plaisir de deviner » en
lecture (sans doute en prolongement de la citation
ci-dessus du chap. XXXVIII, qui, elle, tombe sous le sens). Ce
passage m'a fait bondir après avoir constaté
depuis tant d'années tous les ravages que ce
“plaisir” fait dans les classes.
chap. XLII : « Écrire
et compter, cela s'apprend assez vite. Lire,
voilà le difficile, j'entends lire aisément,
vivement, sans effort, de façon que l'esprit se détache
de la lettre, et puisse faire attention au sens. »
chap. XLIII : « Les essais [aujourd'hui on dirait 'les expériences pédagogiques'] sont
décidés en partie par des hommes qui
enseignaient bien, mais qui n'enseignent plus ;
en partie par d'autres qui enseignaient mal et qui, par cette
raison même, ont choisi d'administrer ; en partie par
les hommes des bureaux, qui n'ont jamais
enseigné, qui n'en seraient point capables, et
que je me permets d'appeler les illettrés de l'instruction
publique. »
chap. LIV : « L'art d'apprendre se réduit donc à imiter
longtemps et à copier longtemps, comme le moindre musicien
le sait, et le moindre peintre. »
chap. LVI : « Le
problème dès le commencement est celui-ci ; il
faut que l'enfant arrive à s'intéresser à des
objets qui, par eux-mêmes, ne l'intéressent
point. »
chap. LX : « La
démocratie a pour premier devoir de revenir
aux traînards, qui sont multitude ; car, selon l'idéal
démocratique, une élite qui n'instruit pas le peuple est
plus évidemment injuste qu'un riche qui touche ses
loyers. »
chap. LXI : « Il n'est pas bon que le pouvoir d'observer se développe plus vite que l'art d'interpréter. »
chap. LXXV : « L'enseignement
primaire est livré aux médecins aliénistes. On
sait comment ils se trompèrent en
reconstruisant l'homme raisonnable d'après le fou. (...) Quand
il [le pédagogue des enfants déficients] est
parvenu à ouvrir ces mémoires rebelles et à
éduquer ces attentions instables, il croit
avoir trouvé le secret d'instruire, et nous
l'apporte. Et tout ce que fait le maître d'école
lui paraît hors de propos, ou prématuré. (...) J'y
vois pourtant un inconvénient [à ce qu'on pourrait appeler aujourd'hui “les pédagogies actives”],
hors du temps perdu par les maîtres qui ont
déjà assez à faire, c'est que les enfants ainsi
entrepris travaillent presque toujours
au-dessous de leur force. »
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Propos sur l'éducation
Alain
1932