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jeudi 15 juillet 2004

Livre : Et vos enfants ne sauront pas lire... ni compter (Marc Le Bris)



Ce livre marque une étape importante dans le mouvement de refondation d’une École de qualité en France. Il est écrit par un témoin de ce que tous les instituteurs ont vécu depuis la fin des années 1970. Tout d’abord la formation à l’École normale, au cours de laquelle étaient autant glorifiées les pédagogies “actives” que dénigrés les maîtres ayant de l’ancienneté, soupçonnés de faire du traditionnel. Les jeunes instituteurs des années 1980 ont mis en œuvre la méthode globale, les mathématiques modernes, l’éveil. Mais les plus conscients d’entre eux ont fini par se rendre compte que ces pratiques pédagogiques étaient souvent loufoques et pas du tout efficaces. La loi Jospin de 1989 a permis au pédagogisme de triompher dans le système scolaire français. Les méthodes constructivistes sont devenues la règle et gare à qui ne les pratiquait pas en classe. Le Bris en a fait l’amère expérience car sa façon d’enseigner n’était plus dans l’orthodoxie pédagogique imposée. Il raconte que ses inspecteurs le lui ont reproché, le sanctionnant par des notes médiocres qui ralentissaient ses prises d’échelons et freinaient l’augmentation de son salaire. Pourtant il est certain que Le Bris enseignait de manière plus efficace qu’au début de sa carrière. Les tracasseries administratives dont il a été victime ont eu paradoxalement un effet heureux. Elles l’ont poussé à s’engager dans le collectif Sauver Les Lettres, à réfléchir sur les causes de la décomposition de l’École en France et à écrire ce livre référence. Celui-ci a eu un retentissement certain au moment de sa parution puisque le ministre de l’Éducation d’alors, François Fillon, en avait fait une lecture très favorable.
 

J’ai lu le livre de Le Bris à l’été 2004 avec le plus extrême intérêt. Je me suis reconnu dans nombre de constats qu’il faisait, d’autant plus que j’ai suivi le même parcours professionnel que lui, les ennuis avec les inspecteurs en moins. Mais il y avait un point avec lequel je n’étais déjà pas d’accord à l’époque : la nostalgie de Le Bris pour l’École d’autrefois et pour les pratiques d’enseignement traditionnelles. Certes l’École des années 1950 formait mieux les élèves qu’elle recevait que celle des années 1990. Certes l’enseignement traditionnel, parce qu’il est instructionniste et qu’il met la priorité sur la transmission des connaissances, obtenait de bien meilleurs résultats que l’enseignement constructiviste des quarante dernières années. Mais je ne crois pas que la solution des problèmes actuels consiste à rouvrir de vieux manuels scolaires trouvés chez les antiquaires et à ranimer la pédagogie qui les inspirait. Les temps ont changé, la société a changé, les élèves ont changé. De l’eau a coulé sous les ponts, des technologies nouvelles sont apparues, la concurrence entre les pays est devenue acharnée, la nécessité d’être efficace s’impose désormais de manière vitale. Le modèle de l’École de la République défini à la fin du XIXe siècle est obsolète. Il faut inventer une nouvelle École de qualité, moderne et instructionniste.
 

Même si nos chemins sont désormais trop divergents, je conserve de l’estime pour Marc Le Bris et je recommande la lecture de ce livre important.

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Et vos enfants ne sauront pas lire... ni compter ! – La faillite obstinée de l'école française 
Marc LE BRIS
Stock, 03/2004, 402 p.

Livre : Propos sur l'éducation (Alain)



Beaucoup font référence à ce livre. Je l'ai donc lu... et j'ai trouvé qu'il avait bien vieilli ! Toutefois un certain nombre de passages ne peuvent laisser indifférents dans le contexte que nous vivons aujourd'hui. Aussi, je les livre à votre réflexion :

chap. II : « Je ne promettrai donc pas le plaisir, mais je donnerai comme fin la difficulté vaincue. (...) Tout l'art est à graduer les épreuves et à mesurer les efforts ; car la grande affaire est de donner à l'enfant une haute idée de sa puissance, et de la soutenir par des victoires. »

chap. III : « Il faut que l'enfant cherche de lui-même la difficulté, et refuse d'être aidé ou ménagé. (...) L'enfant ne désire rien de plus que de ne plus être enfant. »

chap. IV : « C'est pourquoi je ne crois pas trop à ces leçons amusantes qui sont comme la suite des jeux. Ce sont rêveries de braves gens qui n'ont pas appris le métier. (...) La cloche ou le sifflet marquent la fin des jeux et le retour à un ordre plus sévère ; et la pratique enseigne qu'il n'y faut point un insensible passage, mais au contraire un total changement. »

chap. V : « L'homme se forme par la peine ; ses vrais plaisirs, il doit les gagner, il doit les mériter. Il doit donner avant de recevoir. C'est la loi. (...) Tout l'art d'instruire est d'obtenir (...) que l'enfant prenne de la peine et se hausse à l'état d'homme. (...) C'est pourquoi je suis bien loin de croire que l'enfant doive comprendre tout ce qu'il lit et récite. »

chap. VI : « Il n'y a de progrès, pour nul écolier au monde, ni en ce qu'il entend, ni en ce qu'il voit, mais seulement en ce qu'il fait. »

chap. IX : « C'est au père qu'il convient d'agir en père, au maître en maître. (...) La force du maître, quand il blâme, c'est que l'instant d'après il n'y pensera plus ; et l'enfant le sait très bien. »

chap. X : « Un père, si éminent qu'il soit, ne sait pas bien instruire ses propres enfants. »

chap. XI : « Il ne faut point se hâter de juger les caractères, comme si l'on décrète que l'un est sot et l'autre paresseux pour toujours. »

chap. XIII : « Les grandes personnes ne doivent jamais jouer avec les enfants. (...) Quand un enfant se trouve séparé des enfants de son âge, il ne joue bien que seul. »

chap. XVI : « Vous dites qu'il faut connaître l'enfant pour l'instruire ; mais ce n'est point vrai ; je dirais plutôt qu'il faut l'instruire pour le connaître. »

chap. XX : « Si l'art d'instruire ne prend pour fin que d'éclairer les génies, il faut en rire, car les génies bondissent au premier appel, et percent la broussaille. Mais ceux qui s'accrochent partout et se trompent sur tout, ceux qui sont sujets à perdre courage et à désespérer de leur esprit, c'est ceux-là qu'il faut aider. »

chap. XXIV : « La mémoire n'est pas la condition du travail, mais en est bien plutôt l'effet. (...) Les travaux d'écolier sont des épreuves pour le caractère, et non point pour l'intelligence. (...) Il s'agit de surmonter l'humeur, il s'agit d'apprendre à vouloir. »

chap. XXV : « Il faut, dès les premières années, pousser aussi avant qu'on pourra. »

chap. XXVI : « Les meilleurs écoliers de la primaire comptent bien, et l'on se moque du lycéen qui sait la théorie de l'addition et qui compte mal. »

chap. XXIX : « Le maître d'école veut qu'on cherche et qu'on trouve ; il appelle l'intelligence ; il ne pense pas au papier perdu ; mais plutôt il veut placer le petit sot en présence de sa propre sottise, par elle-même ridicule. »

chap. XXXII : « Il faudrait apprendre à se tromper aussi de bonne humeur. »

chap. XXXIII : « Je veux un instituteur aussi instruit qu'il se pourra ; mais instruit aux sources. L'Enseignement Supérieur instruit de source. (...) Il faut qu'un instituteur soit instruit, non pas en vue d'enseigner ce qu'il sait, mais afin d'éclairer quelque détail en passant. (...) Pour l'ordinaire, je conçois la classe primaire comme un lieu où l'instituteur ne travaille guère, et où l'enfant travaille beaucoup. (...) Le maître surveillera de haut, délivré de préparation, de ces épuisants monologues, et de ces ridicules entretiens pédagogiques, où l'on ressasse au lieu d'acquérir. Libre de fatigue, et gardant du temps pour lui-même, il s'instruira sans cesse. »

chap. XXXV : « Il faut dire que ces pédagogues bavards finiront par rendre impossible un métier déjà difficile, et qu'au surplus ils ne connaissent point. »

chap. XXXVI : « Il n'y a qu'une manière d'imprimer l'orthographe et la grammaire dans une tête d'enfant ; c'est de répéter et de faire répéter, c'est de corriger et de faire corriger. (...) C'est en récitant, en lisant, en copiant et recopiant, que l'enfant retient à la fin quelque chose. »

chap. XXXVIII : « La lecture qui ânonne ne sert à rien. Tant que l'esprit est occupé à former les mots, il laisse échapper l'idée. (...) Il faut seulement choisir les premiers exercices de façon que l'apprenti puisse aller très vite sans se tromper ; et en somme, au lieu d'aller du lent au vif, ce qui est trompeur, il faut aller, et toujours en vitesse, du simple au complexe. »

chap. XXXIX : Alain parle à un moment du « plaisir de deviner » en lecture (sans doute en prolongement de la citation ci-dessus du chap. XXXVIII, qui, elle, tombe sous le sens). Ce passage m'a fait bondir après avoir constaté depuis tant d'années tous les ravages que ce “plaisir” fait dans les classes.

chap. XLII : « Écrire et compter, cela s'apprend assez vite. Lire, voilà le difficile, j'entends lire aisément, vivement, sans effort, de façon que l'esprit se détache de la lettre, et puisse faire attention au sens. »

chap. XLIII : « Les essais [aujourd'hui on dirait 'les expériences pédagogiques'] sont décidés en partie par des hommes qui enseignaient bien, mais qui n'enseignent plus ; en partie par d'autres qui enseignaient mal et qui, par cette raison même, ont choisi d'administrer ; en partie par les hommes des bureaux, qui n'ont jamais enseigné, qui n'en seraient point capables, et que je me permets d'appeler les illettrés de l'instruction publique. »

chap. LIV : « L'art d'apprendre se réduit donc à imiter longtemps et à copier longtemps, comme le moindre musicien le sait, et le moindre peintre. »

chap. LVI : « Le problème dès le commencement est celui-ci ; il faut que l'enfant arrive à s'intéresser à des objets qui, par eux-mêmes, ne l'intéressent point. »

chap. LX : « La démocratie a pour premier devoir de revenir aux traînards, qui sont multitude ; car, selon l'idéal démocratique, une élite qui n'instruit pas le peuple est plus évidemment injuste qu'un riche qui touche ses loyers. »

chap. LXI : « Il n'est pas bon que le pouvoir d'observer se développe plus vite que l'art d'interpréter. »

chap. LXXV : « L'enseignement primaire est livré aux médecins aliénistes. On sait comment ils se trompèrent en reconstruisant l'homme raisonnable d'après le fou. (...) Quand il [le pédagogue des enfants déficients] est parvenu à ouvrir ces mémoires rebelles et à éduquer ces attentions instables, il croit avoir trouvé le secret d'instruire, et nous l'apporte. Et tout ce que fait le maître d'école lui paraît hors de propos, ou prématuré. (...) J'y vois pourtant un inconvénient [à ce qu'on pourrait appeler aujourd'hui “les pédagogies actives”], hors du temps perdu par les maîtres qui ont déjà assez à faire, c'est que les enfants ainsi entrepris travaillent presque toujours au-dessous de leur force. »

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Propos sur l'éducation
Alain 
1932