Entre laboratoire et terrain : comment la
recherche fait ses preuves en éducation
Olivier Rey
Dossier de veille de l'IFÉ, n° 89
01.2014
L’IFÉ (ex-INRP) n’aime pas les instructionnistes, la
pédagogie explicite et tout ce qui se réclame de l’efficacité en enseignement.
Et le fait subtilement savoir à chaque nouvelle parution. Celle-ci n’échappe
pas à la règle.
Dans cette étude, Olivier Rey part des résultats décevants
du dernier PISA pour concéder qu’ « il
devient dès lors stratégique de disposer d’une recherche en éducation forte,
bien structurée et apte à fournir aux praticiens comme aux décideurs de
politique publique des éclairages sur les questions cruciales d’éducation ».
C’est bien notre point de vue.
Mais l’auteur ajoute aussitôt : « C’est là que le bât blesse… ». Car,
comme tout le monde, il constate que « les
sciences de l’éducation, cadre disciplinaire censé rassembler les recherches
dans ce domaine, ont en effet une piètre réputation dans le monde universitaire
comme dans de nombreux cercles politiques et médiatiques, et au sein même du
système éducatif. »
Et pour illustrer cette mauvaise réputation, Olivier Rey
rappelle « la façon dont les IUFM
ont été brocardés, puis “supprimés” dans un discours présidentiel, comme la
dissolution de l’Institut national de la recherche pédagogique (INRP) dans
l’indifférence générale en 2010, est symptomatique de cet état d’esprit ».
À qui la faute ?
Depuis une quarantaine d’années, les sciences de l’éducation
sont la chasse gardée des constructivistes en tout genre, et surtout des plus
radicaux. Les IUFM ne formaient les enseignants qu’à cette démarche
pédagogique, et malheur à ceux qui ne s’y soumettaient pas. On parlait à juste
titre de « formatage idéologique », sans le moindre rapport avec la
réalité du métier, des classes et des élèves. Au terme de cette “formation”,
les enseignants n’avaient plus qu’à tout oublier s’ils voulaient enfin être
efficaces et il ne leur restait plus qu'à se former sur le tas… au détriment des cohortes d’élèves qui
se voyaient sacrifiées dans les premières années de leur carrière. Un scandale
absolu ! Aussi, lorsque les IUFM ont été supprimés, les seuls qui ont
versé des larmes étaient les formateurs bien installés dans ce fromage. Mais je
conviens que la suppression n’était pas la solution, loin de là. Quand un
médecin a affaire à un malade, il ne doit pas lui venir en aide par
l’euthanasie. Il fallait réformer les IUFM en commençant par virer tous les
“formateurs” incompétents et par instaurer la pluralité dans
l’apprentissage des démarches pédagogiques.
Quant à la dissolution de l’INRP, on peut dire que les mêmes
causes engendrent les mêmes effets. Un discours à sens unique, systématiquement
favorable au constructivisme, a fini par lasser tout le monde sauf une petite coterie de convaincus. Pourtant le “RP” du sigle signifie
“recherche pédagogique” : on aurait aimé là aussi un peu plus de
pluralisme et un peu moins de parti pris.
Remarque incidente en forme de consolation pour l'auteur : les IUFM
et l’INRP ont certes été supprimés, mais les ESPÉ et l’IFÉ les ont fait
renaître de leurs cendres peu de temps après. Et avec les mêmes !
Sur le terrain, les collègues instituteurs et professeurs
des écoles ont, pour la plupart, été littéralement dégoûtés par les discours
abscons entendus dans les animations pédagogiques ou à l’IUFM, que ce soit en formation
initiale ou continue. Qui n'a pas connu les travaux en groupe où on nous laissait patauger en
toute orthodoxie constructiviste ? Résultat : rien ne pouvait être réinvesti
le lendemain dans sa salle de classe. Et si on essayait, cela foirait immanquablement. À de rares exceptions près : il paraît que maintenant certains formateurs
se mettent à l’explicite, sans avoir peur d'être dénoncés !
Tout cela a abouti à un comble : les praticiens ne veulent plus entendre
parler de pédagogie. Même lorsqu’on leur explique que certaines recherches en
sciences de l’éducation peuvent servir, qu’il existe des chercheurs sérieux et
des études performantes qui nous offrent une assise théorique solide et
documentée. Cette allergie aux sciences de l’éducation et à la pédagogie, nous
la ressentons vraiment avec Form@PEx dont l’objet est justement de mettre à la
disposition de nos collègues praticiens ce que la recherche produit de plus
intéressant et de plus efficace à mettre en œuvre en classe.
De son côté, Olivier Rey écrit : « Au-delà des procès idéologiques, une autre
façon d’aborder la question est apparue plus récemment en France, consistant à
opposer ce qu’on estime être la recherche traditionnelle en éducation et les “recherches
scientifiques” qu’il faudrait développer ». Moi, j’aurais parlé de “recherches bidon” et de recherches sérieuses, en mettant des guillemets aux premières et pas aux secondes. Pour les distinguer les unes des autres, rien de plus simple : on utilise la taxonomie
d’Ellis et Fouts (dont l’étude qui nous occupe ne pipe mot).
Olivier Rey connaît bien, lui aussi, la différence entre ces deux types
de recherche : « Il y aurait
d’un côté les recherches “scientifiques” qui reprennent très précisément les
protocoles des sciences expérimentales et miment autant que possible la
situation du laboratoire (avec groupe témoin, variables contrôlées, etc.), et
de l’autre côté les recherches “idéologiques”, qui prôneraient des méthodes
basées sur des convictions militantes sans “preuves” scientifiques ».
Un bel exemple de ces recherches idéologiques basées sur des convictions
militantes nous est offert par le travail
d’Yves Reuter sur les miracles accomplis par la pédagogie Freinet dans un
quartier de la banlieue de Lille.
Pour bien flétrir les recherches scientifiques, on parle de « positivisme ». Exemples :
« on constate sur ces questions une
tendance assez forte au positivisme », « une certaine dérive positiviste ». En ajoutant : « comme si certaines méthodes expérimentales
offraient des raccourcis pour un accès immédiat au “réel”, débarrassé de toute
valeur ou idéologie ».
À ce stade, pour remettre les choses en ordre, je préfère laisser la parole à Gauthier et al. (2013) :
« En éducation, il nous manque la plupart du temps des données, des preuves, des études rigoureuses ; conséquemment, chacun se laisse happer par l'air du temps, la mode, ce qui est populaire et dominant. À cet égard, on observe un phénomène assez courant que l'on appelle la “circularité des références”. Un certain nombre de penseurs de l'éducation, assez prolifiques et connus d'ailleurs, se citent mutuellement. Ce phénomène de citations en boucle crée une sorte d'effet de science et fait passer pour de la recherche ce qui n'est en réalité qu'une espèce de mantra pseudo-scientifique, c'est-à-dire de simples opinions reprises de multiples fois par ces stars de l'éducation et qui produisent, par leur récurrence, un effet de vérité trompeur. Par exemple, la plupart des auteurs francophones en éducation qui affichent l'étiquette “constructiviste” prennent appui sur les mêmes références, se renvoient l'ascenseur et se citent mutuellement. On cherche en vain des preuves empiriques et des données probantes et, au bout du compte, on en arrive progressivement à la conclusion qu'elles n'existent tout simplement pas. »
Pour Olivier Rey, « la
recherche en éducation doit par conséquent toujours osciller entre chercher à
s’approcher le plus possible du Vrai, scientifiquement étayé, et du Bien, qui
est affaire de valeurs et d’éthique, sans se replier ni sur l’un ni sur l’autre ».
Décryptons : nous avons le camp du Vrai (les
instructionnistes) et le camp du Bien (les constructivistes). Hélas pour ces considérations simplistes, depuis le projet Follow
Through, on sait que l’on peut faire à la fois du Vrai et du Bien grâce à
une pédagogie explicite qui facilite les apprentissages et favorise la réussite, ce qui augmente
mécaniquement l’estime de soi.
L’auteur définit parfaitement l’Evidence-Based
Education (EBE) :
« Le concept
recouvre trois objectifs distincts bien qu’étroitement liés par les promoteurs
de l’EBE :
− baser les politiques
et les pratiques éducatives sur les résultats (« preuves ») de la recherche ;
− améliorer pour ce
faire la qualité scientifique de la recherche en éducation et en particulier sa
capacité à fournir des résultats probants de nature causale sur les activités
éducatives (telle intervention produit tel effet) ;
− privilégier des
méthodologies répondant à cet objectif, notamment les démarches expérimentales
(ou quasi expérimentales) ainsi que les “revues systématiques de recherches”
(ou méta-analyses). »
Il précise même, très justement, que « l’EBE est en effet le double produit d’une
critique, souvent virulente, de la recherche en éducation traditionnelle et de
l’ambition de reproduire dans le champ de l’éducation des méthodes utilisées
dans le champ des sciences naturelles, et particulièrement de la médecine ».
À ce propos, il rappelle ce que Slavin disait : « La révolution
scientifique qui a profondément transformé la médecine, l’agriculture, les
transports, la technologie et d’autres champs au cours du XXe siècle a laissé complètement intact le champ de l’éducation ». Hélas...
À la fin de son étude, Olivier Rey s’intéresse au problème
de l’étanchéité entre le monde de la recherche et le monde des praticiens. Il
essaie de répondre à la question de savoir d’où viennent les convictions des
enseignants. Selon lui, « les
enseignants agissent plus sur la base de croyances fondées sur leur expérience que
de connaissances produites par la recherche ». Et pour cause !
Ils ont une indigestion de « connaissances produites par la recherche »
qui ne leur ont servi à rien dans la pratique concrète de leur métier... ou qui les a noyés dans des pratiques complètement
inefficaces dans le pire des cas. Quand la recherche conduit au burn-out, on évite de
s’y intéresser !
Le malheur, c’est que les enseignants jettent le bébé avec l’eau (sale)
du bain. Les données probantes validées par des travaux sérieux, solides et
tangibles, sont ignorées. Beaucoup “bricolent” leurs solutions avec quelques
recettes glanées sur Internet. Sans se poser la question de la philosophie éducative (constructivisme ou
instructionnisme ?), sans donner de la cohérence à leur pédagogie en
fonction de ce choix initial (en mélangeant des pratiques traditionnelles
et de découverte), sans pouvoir justifier la base théorique des démarches
qu’ils mettent en œuvre en classe (ni auprès de la hiérarchie, ni auprès des
parents d’élèves).
Le site Form@PEx entend faire un travail de diffusion et de
vulgarisation des résultats de la recherche sur l’efficacité en
enseignement. Il joue donc le rôle d’intermédiaire entre recherche et
praticiens. De fait – comme nous l’apprend cette étude – avec Form@PEx, nous
assumons 8 missions :
« − faciliter les
relations entre les différentes parties prenantes en recherche et en éducation
;
− accroître la
visibilité des résultats de la recherche ;
− améliorer
l’accessibilité des recherches par des formats adaptés ;
− accroître
l’implication dans la recherche par différents modes ;
− influencer les
politiques publiques ;
− développer la
capacité à intégrer les recherches ;
− aider l’implantation
des résultats de recherche et le développement organisationnel. »
Du moins, nous essayons…