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jeudi 29 mai 2014

École : la tyrannie des parents

Source : Marianne




On connaissait la violence scolaire. Celle exercée par les élèves sur leurs pauvres professeurs. Voici maintenant celle des parents, sur ces mêmes enseignants. Publié la semaine dernière, un rapport officiel dénonce la dégradation de la relation parents-profs, qui pour un directeur d’école sur deux a déjà viré à l’agression. La journaliste Anna Topaloff * qui prépare un livre sur la relation parents-enseignants parle même de « tyrannie des parents ».


Marianne : C’est la première fois qu’un rapport officiel fait état d’une « cassure » entre parents et enseignants…
Anna Topaloff : Oui, c’est un grand pas dans la bonne direction. Pendant longtemps la parole des enseignants n’a pas du tout été entendue. Quand j’ai commencé à travailler sur le sujet, je me suis heurtée à l’omerta des syndicats. Pour eux « ça n’existait pas ». Leur grande réponse c’était : « le problème est très localisé mais ça ne fait pas système ». C’est donc rassurant pour la société et pour les enseignants que le problème émerge enfin. Ça donne du poids à la parole des enseignants et leur montre qu’on les écoute. Surtout que l’étude a été faite par George Fotinos, un chercheur très respecté, spécialiste du malaise des enseignants et qui n’est pas un alarmiste. C’est même souvent quelqu’un qui conclue que tout va bien. Pour qu’il y voie un problème, c’est donc qu’il est important.
 
À qui la faute ?
Elle est souvent rejetée sur les enseignants. Mais c’est celle du système, du mode de fonctionnement du ministère. Face au conflit, les instances de l’Éducation nationale avaient tendance à donner systématiquement raison aux parents. Le mot d’ordre était : « on ne veut pas d’histoire ».
 
C’est donc aussi la faute des parents ?
Ils portent clairement une part de responsabilité. A leurs yeux, la parole de leur enfant est devenue plus importante que celle des enseignants. Ils les croient sur parole. En mode : « mon fils m’a dit que c’était vrai ». Quand bien même il aurait tout intérêt à mentir pour éviter la punition. Mais la vérité ne sort pas toujours de la bouche des enfants…
 
Près d’un directeur d’école sur deux déclare avoir été agressé au moins une fois par des parents d’élèves… Comment en est-on arrivé là ?
L’enfant est le dernier élément sur lequel les parents peuvent avoir véritablement de l’impact. C’est la chair de leur chair donc, pour les défendre, ils se permettent parfois des choses qui sont hors proportion, ils se croient tout permis. Aujourd’hui, l’enfant est le centre de l’existence d’une famille. Ce n’était pas le cas il y a 50 ans, notamment à cause de la mortalité infantile. C’était plus « marche ou crève », les enfants devaient suivre le rythme des parents. Aujourd’hui, l’enfant est au cœur du noyau familial. C’est un bienfait mais il faut comprendre que ce n’est pas sans conséquence…
 
Les enseignants ont également tendance à s’impliquer de plus en plus dans l’éducation des enfants et les parents dans leur instruction. Devant cette confusion des rôles, faut-il remettre tout le monde à sa place ?
Une solution possible serait, effectivement, de remettre les choses à plat. Mais cette notion manque de concret car l’apprentissage de la vie en collectivité se fait aussi à l’école, c’est un lieu de socialisation qui comporte forcément une part d’éducation. Ce n’est pas anodin si en 1932, le ministère de l’Instruction publique a été renommé ministère de l’Éducation nationale. Derrière ce changement de nom, il y a l’idée d’instruire et d’éduquer. Deux rôles que jouent aussi les parents. D’où une forme de confusion. Il faudrait au moins dire les choses franchement et mieux répartir les rôles, tout le monde ne peut pas tout faire. L’ennui c’est que les parents demandent de plus en plus souvent aux enseignants de se charger de l’éducation des enfants à leur place. Les professeurs leur répondent que ce n’est pas leur boulot. D’autant plus qu’ils réclament déjà plus de temps réservé à l’instruction.
 
Mais d’après l’étude, le problème entre parents et enseignants est relativement récent : comment explique-t-on ce changement ?
L’école ne remplit plus ses promesses. Nous sommes dans une société où avoir un diplôme ne suffit plus pour trouver un emploi. Le deal était le suivant : vous nous amenez vos enfants propres et nourris, et en échange on vous les rend instruits, prêts à travailler. Mais en sortant, beaucoup sont au chômage. L’école n’est plus une garantie. Il y a donc moins de confiance de la part des parents envers l’école et l’idée qu’ils sont en droit de regarder ce qui s’y fait a commencé à germer.
 
N’y a-t-il pas aussi une perte de confiance des parents vis-à-vis des valeurs républicaines enseignées à l’école ?
Pas vraiment, c’est surtout la question du vivre-ensemble qui se pose. Dans le Jura, j’ai étudié une petite école d’à peine 12 enfants : aucun ne pouvait manger avec l’autre. Non seulement il y a ceux qui veulent manger hallal ou casher, mais en plus il y a les végétariens ou ceux qui veulent manger bio… Sous la pression des parents, une excursion à Besançon, la grande ville du coin, a même dû être annulée. C’est là qu’on voit qu’on a du mal à faire l’impasse sur ses intérêts personnels au profit de l’intérêt général.
 
L’école est-elle devenue trop démocratique ?
C’est vrai qu’on a du mal à accepter l’idée que l’école est une institution qui, comme toutes les autres, fonctionne avec ses propres règles. Ce n’est pas une démocratie. C’est une juridiction à part, un système particulier. En faisant rentrer les parents dans ce système, on laisse croire à un faux idéal démocratique au sein de l’école. La preuve qu’il n’existe pas c’est qu’aujourd’hui règne la loi du plus fort: les parents engagent un bras de fer avec les directeurs et enseignants pour obtenir gain de cause pour leur enfant. Mais tous ne sont pas égaux devant la protestation: comment contester une note quand on est un père immigré peu instruit qui ne connaît pas bien les codes pour le faire ? A l’inverse, la mère de famille bourgeoise peut facilement jouer à la pleureuse et menacer de casser les pieds du rectorat.
  
Pourtant, l’étude révèle que le climat à l’intérieur de l’école s’est, lui, nettement amélioré, ces dix dernières années. Neuf directeurs d’école sur 10 en sont « satisfaits » contre seulement 8 sur 10, en 2004.
Oui, parce que le problème de la violence scolaire entre enfants et adultes a été largement pris en compte par les pouvoirs publics au cours des dernières années. Elle résiste mais on ose la regarder en face. Il y a maintenant un nouveau problème à régler. Pendant mon enquête, j’ai rencontré une enseignante qui avait puni un enfant de deux heures de colle. La mère a cru son enfant, a protesté, et au final, le gamin n’a écopé que d’une punition avec sursis. Mais après ça, il a tenu tête à la responsable toute l’année sur le mode : « Je vais le dire à ma mère ». Comment lui inculquer la notion de respect après ça ? La responsabilité des parents vis à vis de leurs enfants est au moins de ne pas contester devant eux les décisions du professeur.
 
Faut-il rééduquer les parents ?
Il faut en tout cas les laisser à la porte de l’école. Je suis contre cette tendance de vouloir les intégrer au milieu scolaire. En cela, je ne suis pas d’accord avec Georges Fotinos. Être un bon parent, c’est aussi savoir lancer son enfant dans le monde, le laisser entre les mains du système. C’est important pour tout le monde. À la fois pour les parents, qui ne doivent pas se sentir omnipotents, et pour les enfants qu’il faut responsabiliser.
 
Et former les enseignants à la relation avec les parents ?
Non, il faut surtout mieux former les enseignants à leur discipline. Être carré et renforcé dans ses connaissances, c’est le meilleur moyen d’être sûr de soi et de ne pas se laisser impressionner par les demandes contradictoires des parents. 


Propos recueillis par Kevin Erkeletyan

* Anna Topaloff publie La Tyrannie des parents d’élève, chez Fayard. Sortie le 27 août 2014.

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