Source : Atlantico
Entretien avec Pierre Duriot
Une nouvelle fois, la France se fait remarquer par ses
piètres résultats en matière d'inégalités scolaires, reléguée aux dernières
places des pays riches. C'est ce que révèle le nouveau bilan Innocenti rédigé par l'UNICEF.
Atlantico : Ce jeudi,
l'UNICEF a publié son 13e bilan Innocenti qui révèle que la France
figure parmi les pays riches les plus inégalitaires en matière d'éducation (35e
place, et 12,7 % des élèves en-dessous des standards PISA). Qu'est-ce qui
explique cette piètre performance ?
Pierre Duriot : Ce n'est pas une nouveauté,
c'est juste la confirmation du chemin pris depuis plusieurs années et qui se
confirme à chaque rapport international mettant en cause les inégalités et
le niveau général de l'instruction.
Il s'agit d'une tendance lourde puisque les mauvais
chiffres, comme les bons, ne s'infléchissent que sur une période d'une dizaine
d'années. Plusieurs causes sont à
pointer, pas toutes uniquement de la faute de l'école. Structurellement,
l'ensemble de la société devient inégalitaire ; en cela l'école suit les statistiques économiques sur
les écarts de richesses et de salaires dans la société, mais elle y colle alors
qu'elle devrait les compenser en partie. L'école fait aussi avec l'évolution
de la société, et notamment en ce qui concerne les problèmes sociétaux liés à
la famille - désagrégée, recomposée, monoparentale, moins bien structurée et
moins structurante. L'école
souffre aussi de l'absence de mixité sociale, de disparité de cultures, de
trop grande féminisation de son personnel. Un autre rapport
récent, paru dans Le Monde, pointait les différences significatives
dans la réussite scolaire des garçons issus des différentes origines
migratoires présentes en France et leurs scolarisations respectives dans des
établissements hiérarchisés. Un rapport fort peu politiquement correct
et passé presque inaperçu. Langues, cultures, ségrégation sociale, ségrégation
économique, nouvelles modes éducatives, addictions diverses aux
écrans, s'additionnent pour rendre la tâche de l'école de plus en plus
difficile.
Mais celle-ci n'a pas correctement rempli ses missions,
c'est le moins que l'on puisse dire. Elle a abandonné en partie l'enseignement et l'instruction pour se
focaliser sur des items éducatifs, pour ne pas dire politiques. À ceux
qui en douteraient, on peut étaler moult directives ministérielles sur les
combats contre le racisme, l'homophobie, le respect des cultures allogènes. On
peut citer également les multiples “sensibilisations”, à la nutrition, au
secourisme, au code de la route, à l'hygiène ; les sorties permanentes au
musée, au spectacle ; ou encore pour apprendre à nager ou même faire du
vélo ! Autant de signes d'une prise en charge éducative dont une
bonne part pourrait être considérée comme relevant de la famille, de
centres de loisirs, de stages en associations, mais totalement inappropriée à
l'école ainsi déshabillée, désacralisée, déculturée.
Ce faisant, l'école de l'apprentissage est devenue l'école
du vivre-ensemble et plus loin, du menu à la carte, tant les entorses au “menu”
républicain ont été nombreuses pour des raisons inavouables, de respect mal
placé ou d'électoralisme. Mais l'école
a aussi créé de l'illusion avec sa pédagogie de la réussite, supprimant ainsi
les mauvaises notes, les mauvaises appréciations, les
travaux de base incontournables comme les tables ou les règles, définitivement
étiquetés comme ingrats et de toute façon inadaptés au nouvel état d'esprit
d'enfants souvent gratifiés en permanence et sans contrepartie. Elle a aussi
dévalorisé ses examens, donnant de trop bonne grâce un bac devenu totalement
inadapté à la simple poursuite d'études un tant soit peu intéressantes : les élèves ne sont d'ailleurs pas dupes
et visent les mentions pour être crédibles. Le tout en passant à côté de
métiers manuels ou de filières professionnelles que l'on essaie de reconquérir
après les avoir perdues trois décennies durant, au prix de notre industrie.
Enfin, il y a ce gros tiers d'enfants, bien pointés par
l'UNICEF, entre 30 et 35 %, souffrant de ces nouvelles formes de misères et
d'exclusions, par la pauvreté due à l'absence de travail ou de perspectives de
travail, mais aussi par la pauvreté de certains terroirs ou quartiers, à la
ville comme à la campagne, l'exclusion par la pauvreté de la culture, ou la
non-adhésion à la culture, l'absence de repères familiaux, de cadres
institutionnels, de personnes identificatoires… Avec tous ces enfants-là,
l'école n'a pas su se réinventer ; elle en est restée à ce qu'on appelle
dans le jargon des enseignants le pédagogisme. Toutes ces raisons, mises
bout à bout, mais toujours étayées par une “bien-pensance” obligatoire,
aboutissent au classement que l'on connaît et aucun des mauvais classements qui
tombent depuis une quinzaine d'années ne semble devoir inciter à la remise en
cause des choix ou des non-choix qui ont été effectués.
Que penser de ce résultat, au regard notamment des dépenses engagées en matière d'éducation ?
Pierre Duriot : Cela s'explique par un mauvais
choix d'options à tout le moins, ou pire, de mauvais choix délibérés, ceux
qui consisteraient à liquider l'école en organisant sa
médiocrité. L'école publique “gratuite”, ce n'est pas l'option libérale “laïque”
; le paramètre a l'air d'en déranger certains. “Obligatoire” est devenu un mot
totalitaire quand celui de “collective” ne correspond plus ni à l'époque, ni à
l'idéologie. L'argent est mis au
service d'une école politisée et débouche de fait sur une progression des
écoles privées et confessionnelles. Il y a, dans le discours
gouvernemental, un énorme mensonge, corroboré par les résultats obtenus.
Y a-t-il un moment
particulier à partir duquel le système éducatif français s'est mis à produire
des inégalités ? N'y a-t-il pas eu “trahison” du mythe fondateur de l'école
républicaine ?
Pierre Duriot : En fait, le système scolaire a commencé à vraiment
produire des inégalités quand le système économique a commencé lui aussi à produire
de l'inégalité : 1973. Le premier crash pétrolier, la remise
des clés au système bancaire privé, l'abandon des souverainetés nationales, le
tout amplifié par le pédagogisme, les renoncements successifs à l'effort, à
l'excellence, à l'instruction, au profit de la transmission idéologique, du
passage d'une école centrée sur le travail et le mérite à une école centrée sur
l'enfant, son désir, son bien-être et la satisfaction de ses parents électeurs.
Mais tout cela a été graduel et surtout pétri de bons sentiments. Encore une
fois, soit nous avons fait de mauvais choix, soit nous avons fait le choix
objectif de la liquidation de l'outil scolaire massif des Trente
Glorieuses au profit d'une école privée, payante, de reproduction des élites et
qui concerne actuellement environ 25 % de bons et très bons élèves.
Quelles mesures conviendrait-il de prendre pour réduire structurellement ces inégalités ?
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