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vendredi 20 mai 2016

Rapport de l'Unicef sur l’enfance : comment les politiques égalitaristes ont aggravé les inégalités scolaires, au point de faire de la France l'un des pires élèves parmi les pays riches

Source : Atlantico

Entretien avec Pierre Duriot




Une nouvelle fois, la France se fait remarquer par ses piètres résultats en matière d'inégalités scolaires, reléguée aux dernières places des pays riches. C'est ce que révèle le nouveau bilan Innocenti rédigé par l'UNICEF.

Atlantico : Ce jeudi, l'UNICEF a publié son 13e bilan Innocenti qui révèle que la France figure parmi les pays riches les plus inégalitaires en matière d'éducation (35e place, et 12,7 % des élèves en-dessous des standards PISA). Qu'est-ce qui explique cette piètre performance ? 

Pierre Duriot : Ce n'est pas une nouveauté, c'est juste la confirmation du chemin pris depuis plusieurs années et qui se confirme à chaque rapport international mettant en cause les inégalités et le niveau général de l'instruction.
Il s'agit d'une tendance lourde puisque les mauvais chiffres, comme les bons, ne s'infléchissent que sur une période d'une dizaine d'années. Plusieurs causes sont à pointer, pas toutes uniquement de la faute de l'école. Structurellement, l'ensemble de la société devient inégalitaire ; en cela l'école suit les statistiques économiques sur les écarts de richesses et de salaires dans la société, mais elle y colle alors qu'elle devrait les compenser en partie. L'école fait aussi avec l'évolution de la société, et notamment en ce qui concerne les problèmes sociétaux liés à la famille - désagrégée, recomposée, monoparentale, moins bien structurée et moins structurante. L'école souffre aussi de l'absence de mixité sociale, de disparité de cultures, de trop grande féminisation de son personnel. Un autre rapport récent, paru dans Le Monde, pointait les différences significatives dans la réussite scolaire des garçons issus des différentes origines migratoires présentes en France et leurs scolarisations respectives dans des établissements hiérarchisés. Un rapport fort peu politiquement correct et passé presque inaperçu. Langues, cultures, ségrégation sociale, ségrégation économique, nouvelles modes éducatives, addictions diverses aux écrans, s'additionnent pour rendre la tâche de l'école de plus en plus difficile.
Mais celle-ci n'a pas correctement rempli ses missions, c'est le moins que l'on puisse dire. Elle a abandonné en partie l'enseignement et l'instruction pour se focaliser sur des items éducatifs, pour ne pas dire politiques. À ceux qui en douteraient, on peut étaler moult directives ministérielles sur les combats contre le racisme, l'homophobie, le respect des cultures allogènes. On peut citer également les multiples “sensibilisations”, à la nutrition, au secourisme, au code de la route, à l'hygiène ; les sorties permanentes au musée, au spectacle ; ou encore pour apprendre à nager ou même faire du vélo ! Autant de signes d'une prise en charge éducative dont une bonne part pourrait être considérée comme relevant de la famille, de centres de loisirs, de stages en associations, mais totalement inappropriée à l'école ainsi déshabillée, désacralisée, déculturée.
Ce faisant, l'école de l'apprentissage est devenue l'école du vivre-ensemble et plus loin, du menu à la carte, tant les entorses au “menu” républicain ont été nombreuses pour des raisons inavouables, de respect mal placé ou d'électoralisme. Mais l'école a aussi créé de l'illusion avec sa pédagogie de la réussite, supprimant ainsi les mauvaises notes, les mauvaises appréciations, les travaux de base incontournables comme les tables ou les règles, définitivement étiquetés comme ingrats et de toute façon inadaptés au nouvel état d'esprit d'enfants souvent gratifiés en permanence et sans contrepartie. Elle a aussi dévalorisé ses examens, donnant de trop bonne grâce un bac devenu totalement inadapté à la simple poursuite d'études un tant soit peu intéressantes : les élèves ne sont d'ailleurs pas dupes et visent les mentions pour être crédibles. Le tout en passant à côté de métiers manuels ou de filières professionnelles que l'on essaie de reconquérir après les avoir perdues trois décennies durant, au prix de notre industrie.
Enfin, il y a ce gros tiers d'enfants, bien pointés par l'UNICEF, entre 30 et 35 %, souffrant de ces nouvelles formes de misères et d'exclusions, par la pauvreté due à l'absence de travail ou de perspectives de travail, mais aussi par la pauvreté de certains terroirs ou quartiers, à la ville comme à la campagne, l'exclusion par la pauvreté de la culture, ou la non-adhésion à la culture, l'absence de repères familiaux, de cadres institutionnels, de personnes identificatoires… Avec tous ces enfants-là, l'école n'a pas su se réinventer ; elle en est restée à ce qu'on appelle dans le jargon des enseignants le pédagogisme. Toutes ces raisons, mises bout à bout, mais toujours étayées par une “bien-pensance” obligatoire, aboutissent au classement que l'on connaît et aucun des mauvais classements qui tombent depuis une quinzaine d'années ne semble devoir inciter à la remise en cause des choix ou des non-choix qui ont été effectués.

Que penser de ce résultat, au regard notamment des dépenses engagées en matière d'éducation ?

Pierre Duriot : Cela s'explique par un mauvais choix d'options à tout le moins, ou pire, de mauvais choix délibérés, ceux qui consisteraient à liquider l'école en organisant sa médiocrité. L'école publique “gratuite”, ce n'est pas l'option libérale “laïque” ; le paramètre a l'air d'en déranger certains. “Obligatoire” est devenu un mot totalitaire quand celui de “collective” ne correspond plus ni à l'époque, ni à l'idéologie. L'argent est mis au service d'une école politisée et débouche de fait sur une progression des écoles privées et confessionnelles. Il y a, dans le discours gouvernemental, un énorme mensonge, corroboré par les résultats obtenus.

Y a-t-il un moment particulier à partir duquel le système éducatif français s'est mis à produire des inégalités ? N'y a-t-il pas eu “trahison” du mythe fondateur de l'école républicaine ? 

Pierre Duriot : En fait, le système scolaire a commencé à vraiment produire des inégalités quand le système économique a commencé lui aussi à produire de l'inégalité : 1973. Le premier crash pétrolier, la remise des clés au système bancaire privé, l'abandon des souverainetés nationales, le tout amplifié par le pédagogisme, les renoncements successifs à l'effort, à l'excellence, à l'instruction, au profit de la transmission idéologique, du passage d'une école centrée sur le travail et le mérite à une école centrée sur l'enfant, son désir, son bien-être et la satisfaction de ses parents électeurs. Mais tout cela a été graduel et surtout pétri de bons sentiments. Encore une fois, soit nous avons fait de mauvais choix, soit nous avons fait le choix objectif de la liquidation de l'outil scolaire massif des Trente Glorieuses au profit d'une école privée, payante, de reproduction des élites et qui concerne actuellement environ 25 % de bons et très bons élèves.

Quelles mesures conviendrait-il de prendre pour réduire structurellement ces inégalités ?

Pierre Duriot : Il faut surtout changer de logiciel de pensée, savoir quelles missions sont celles de l'école, recentrer ses actions, mieux former les professeurs ; passer de la réussite obligatoire et béate ou de l'abandon pur et simple à la gestion et la résolution de la situation d'échec ou de problème ; repenser au travail, au mérite, à la récompense, aux modèles identificatoires, pourquoi pas à l'uniforme. Repenser aussi la valorisation des métiers, des filières professionnelles, dans une école, lieu sacralisé d'une transmission ne souffrant pas la revendication identitaire ou religieuse, mais également en prise avec la société civile et économique. Mais au-delà, il sera nécessaire que la société toute entière corrobore le discours du travail, du mérite et de l'excellence, ce qui pour le moment est loin d'être le cas.



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