Les 16 et 17 mars
derniers, s’est tenue à Lyon une conférence de consensus sur la lecture,
organisée par le CNESCO et l’IFÉ (donc méfiance !). Selon la présentation qui nous en est faite, « Cette conférence de consensus avait pour
objectif d’établir un dialogue entre des experts et des membres de la
communauté éducative afin de faire des recommandations basées sur les résultats
de la recherche, les connaissances scientifiques et les pratiques de terrain,
nationales et internationales, concernant l’apprentissage et l’enseignement
continus de la lecture dans l’école française. »
Il est vrai que la
lecture est un secteur particulièrement sinistré de l’École française. Quarante
années à utiliser des méthodes mixtes, à départ global plus ou moins long, finit
pas laisser des traces. Une fois de plus, les lubies constructivistes sont
passées par là et ont conduit à un désastre. Qu’on en juge :
- selon l’enquête CEDRE,
39 % des élèves quittent le Primaire avec des difficultés en lecture : ils
ne sont pas capables de savoir de quoi parle un texte ou de relier entre elles
des informations fournies par le texte ;
- à la fin du collège, 37
% des élèves ont, selon PISA, un niveau de compréhension insuffisant ;
- entre PISA 2000 et PISA
2012, le pourcentage de jeunes en grande difficulté de lecture (ne pas
comprendre un texte simple) est passé de 15 % à 19 % ;
- en éducation
prioritaire, la part des mauvais lecteurs est le double de la moyenne nationale,
33 % contre 18 % : « Les élèves
des établissements les plus défavorisés ne maîtrisent que 35 % des compétences
attendues en français en fin de 3e contre 60 % en 2007 » (selon
l’enquête CEDRE).
Dès lors, le jury de
cette conférence a donc rendu, le 8 avril 2016, ses recommandations (au nombre
de 47). Ceux qui sont intéressés se reporteront à la Synthèse des recommandations, que je ne vais pas m’amuser à détailler. Sachez
seulement que, dans les 12 pages du texte, le mot « explicite »
revient 8 fois. Mais depuis les articles du Centre Alain Savary, on sait que les tenants du constructivisme
pédagogique n’hésitent plus à reprendre ce mot à leur compte, et surtout - hélas - à leur
façon.
Mais soyons positifs. En notant au passage qu’on reconnaît à nouveau quelque mérite à la lecture à voix haute (pratique qui
avait été honnie pendant des années par les “spécialistes” constructivistes qui
trouvaient cela trop traditionnel). Et surtout, il est dit aussi : « Le recours à un
enseignement explicite des mécanismes
et des stratégies
de lecture parallèlement à une
pratique importante de la lecture, pour en assurer l’automatisation. »
Depuis le temps qu'on le répète, cela fait plaisir de voir ce fait enfin admis !
Mais le gros morceau, c’est
« l’apprentissage de la compréhension ». La compréhension est l’obsession
des constructivistes qui répètent depuis toujours « Le sens, le sens », comme Toinette
disait « Le poumon, le poumon ! ». Ainsi, c’est « pour
faire du sens » qu’on a omis pendant des années à enseigner le
déchiffrage. Aujourd’hui, on admet à contrecœur qu’il faut déchiffrer pour lire,
mais surtout il faut de la compréhension. Bien sûr que lire c’est
comprendre, mais comment comprendre si on ne sait pas déchiffrer correctement ?
Dans la lignée de Goigoux
et de Cèbe, on apprend maintenant des stratégies de compréhension des textes,
et cet apprentissage doit se faire de façon explicite. C’est la grande mode depuis peu de temps chez les constructivistes. Mais attention, ne rêvons pas, l’explicite
n’est admis que pour apprendre des stratégies de compréhension et surtout rien d’autre.
Manque de chance, la compréhension d’un texte, quel qu’il soit, dépend
essentiellement des connaissances et de la culture qu’on a pu acquérir
antérieurement. Qu’on me donne un texte sur le boson de Higgs, si je ne sais
même pas qu’il existe une physique des particules élémentaires, ce sera pour
moi de l’hébreu et j’aurai beau user de toutes les stratégies qu’on m’aura
appris même explicitement, je n’y comprendrai rien ou très peu. Et en tout cas, ce genre d’activité sera pour moi d’un ennui mortel, faisant passer à la trappe le fameux « plaisir de lire » que cette conférence recherche comme le Saint-Graal.
Plutôt que d’apprendre
des stratégies, il vaut mieux acquérir une solide culture de base. Mais cela, les
pratiques constructivistes en sont bien incapables. Cette façon d’enseigner déstructurée, complexe et inefficace ne laisse que des bribes de savoirs en fin de scolarité, quelques épaves qui surnagent après le naufrage.
Car le problème est là :
tant que le constructivisme pédagogique continuera d’influencer lourdement toutes les
démarches d’enseignement, on pourra faire toutes les conférences de consensus
que l’on veut, cela ne débouchera sur rien de tangible. Surtout si c'est l'IFÉ, ex-INRP, ex-INP, qui en reste le maître d'œuvre.
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