Étude de l’influence des pratiques d’enseignement de la lecture et de l’écriture sur la qualité des premiers apprentissages
Dir. : Roland Goigoux
09.2016
Extrait (pp 19-21) :
L’hypothèse du rôle du caractère explicite d’une pédagogie
dans la réussite des élèves trouve sa source dans deux familles de recherche.
La première, psychologique, met en évidence le rôle des représentations
mentales et de la conceptualisation dans le développement et les
apprentissages. La seconde, sociologique, s’interroge sur l’origine des
inégalités scolaires et met l’accent sur la “connivence” entre la
socialisation familiale des élèves issus de milieux favorisés et les attendus
scolaires.
Des recherches convergentes, depuis un demi-siècle,
insistent sur le rôle important, dans les apprentissages, de ce qu’on a souvent
groupé sous le terme de métacognition : un ensemble de connaissances et de processus de régulation qui
permettent de prendre du recul par rapport à ses propres processus mentaux et
aux données de l’apprentissage. Dans le domaine de l’entrée dans l’écrit,
Downing et Fijalkow ont avancé la notion de clarté cognitive comme condition favorisant
cette entrée, en s’appuyant notamment sur les travaux de Fitts et Posner. Ils
accordent à la clarté cognitive une importance toute particulière, définissant
cette dernière comme la compréhension de deux sortes de concepts en rapport avec
la lecture : ceux concernant la compréhension des fonctions de l’écrit, et
ceux, plus techniques, auxquels on a recours pour parler de l’oral et de
l’écrit, pour décrire leur fonctionnement. De nombreux autres travaux ont suivi
et précisé la nature des métaconnaissances jouant un rôle dans l’entrée dans
l’écrit et correspondant à autant de composantes de l’apprentissage de la
lecture-écriture. Ces connaissances sont autant de représentations mentales
évolutives, de conceptualisations de la nature et des fonctions de la langue
écrite, du processus de lecture, des tâches scolaires. Ainsi, avoir compris le
principe alphabétique, ou celui de la régularité du système orthographique, mais
aussi les finalités des tâches scolaires, ouvre à la possibilité d’apprendre, y
compris par analogie, les correspondances graphophonétiques ou l’orthographe.
Ces conceptualisations sont-elles explicites ? C’est en tout cas à travers leur
verbalisation par les enfants que les chercheurs y accèdent en général. De nombreuses
recherches suggèrent qu’un rôle essentiel de l’enseignant dans l’étayage des apprentissages consiste à amener les élèves
à cette clarté cognitive, en explicitant et en faisant expliciter et clarifier
le fonctionnement de l’écrit, les stratégies, les buts et les enjeux. La
question du rapport entre connaissances implicites et explicites se pose
d’ailleurs de façon plus générale. Les élèves, dans le domaine de la lecture
comme dans celui de l’écriture, possèdent de nombreuses connaissances
implicites, des connaissances acquises par une exposition à l’écrit et aux
textes, sans qu’elles leur aient jamais été enseignées, ni même qu’elles aient
été énoncées : des recherches expérimentales l’ont mis en évidence pour la
structure des suites de lettres ou pour la morphologie. Pourtant, « les
habiletés installées par apprentissage implicite ne semblent pas être
disponibles pour l’accès conscient et pour une utilisation intentionnellement
pilotée par le lecteur ». D’où l’insistance, chez beaucoup de chercheurs en
psychologie, sur un enseignement explicite du code alphabétique. En outre,
on a montré qu’être capable de faire des liens entre les diverses situations de
travail et d’utiliser des connaissances antérieures est une condition pour
apprendre ; les élèves en échec juxtaposent les situations de classe sans les
relier. D’où l’importance des “gestes de tissage” par lesquels
l’enseignant explicite les liens et fait appel à la “mémoire didactique”,
c’est-à-dire à une mémoire partagée relative aux objets de savoir étudiés, en
particulier dans les moments d’ouverture et de clôture de séance. Dans les phases d’ouverture des séances, l’enseignant
peut recourir à un ensemble de gestes ou de procédés d’enseignement qui font référence
à des situations de travail déjà vécues ou à des connaissances antérieures.
Grâce à ce rappel, l’élève a alors « la possibilité de mobiliser un savoir
qu’il ne possédait pas complètement, un savoir qu’il n’aurait pas pu utiliser
tout seul et qui va lui permettre de donner du sens à la question dont il
s’occupe ». Pour clore la séance, l’enseignant peut procéder à ce que Brousseau
a désigné sous le terme d’“institutionnalisation des savoirs”. L’absence de ces moments d’institutionnalisation semble
particulièrement préjudiciable aux élèves.
À ces analyses, les approches sociologiques ajoutent la
dimension des inégalités de réussite scolaire, et notamment de réussite dans l’apprentissage
du lire-écrire, d’élèves issus de milieux sociaux contrastés. Entrer dans
l’écrit suppose une série de conceptualisations qui vont de pair avec une mise
à distance du langage, une capacité à prendre le langage comme objet d’étude,
et donc à passer d’une maîtrise pratique du langage à « une maîtrise symbolique, consciente et réflexive ». Or, remarque Lahire, les dispositions “méta” ne sont pas seulement des dispositions cognitives. Elles sont aussi,
dans des univers sociaux différenciés et hiérarchisés, des dispositions qu’on pourrait
qualifier de socio-politiques. En effet, les pratiques langagières étant
fondamentalement liées aux formes que prennent les relations entre les acteurs,
la maîtrise symbolique du langage, la capacité à adopter des dispositions
métalangagières peuvent impliquer, dans certains univers sociaux, la maîtrise symbolique
de ceux qui maîtrisent le langage sur le mode pratique. En outre, la méconnaissance des formes et des attendus du travail scolaire rend les savoirs visés
peu identifiables pour beaucoup d’élèves issus des milieux défavorisés. Les
modes de faire de l’enseignant peuvent aggraver ou réduire ces inégalités.
Ainsi le caractère “invisible” d’une pédagogie, qui va de pair avec
l’implicite et l’incertitude, se révèle particulièrement différenciateur, en ce
qu’il renforce l’opacité des situations scolaires pour les élèves non préparés
par leur socialisation familiale. C’est ainsi que naissent des “malentendus
sociocognitifs” entre les buts de l’enseignant et ce que certains élèves en perçoivent,
et que « l’écart se creuse entre des élèves qui sont dans l’activité
intellectuelle requise et ceux qui la miment et ne voient que les aspects les
plus extérieurs et mécaniques de la tâche scolaire ». Ainsi, si les études
anglophones sur les enseignants
efficaces mettent en évidence qu’ils explicitent les démarches et les
procédures et, même, qu’ils amènent les élèves à s’approprier un “cadrage
instruit”, c’est-à-dire à comprendre les
objectifs de l’école, les recherches que nous venons d’évoquer conduisent à penser
que cela pourrait également caractériser les enseignants les plus équitables, ceux
qui laissent le moins jouer les dispositions socialement acquises et aident les
enfants des milieux populaires à construire à l’école ce que les autres enfants
ont souvent déjà construit à la maison.
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