Source : De Orbis Terrae Concordia
par Kevin Queral
Voilà maintenant plusieurs décennies que l’on voit
épisodiquement resurgir le même débat autour de l’école française : la mise en scène vous en est
certainement familière.
D’un côté, ceux que nos médias ont pris l’habitude d’appeler républicains,
partisans d’un retour aux anciennes méthodes d’apprentissages, de l’autorité du
maître, de la méritocratie. De l’autre, ceux que nous entendons couramment
baptisés du nom de pédagogistes : ce seraient quant à eux la
communauté des chercheurs en sciences de l’éducation et leurs adeptes :
constructivisme, bienveillance, enfant au centre des apprentissages,
cognitivisme, compétences, et autres pédagogies par projet seraient le fruit de
leurs travaux universitaires.
Les premiers accusent ainsi les seconds d’un effondrement de
notre système d’instruction. Les seconds arguent de la scientificité de leur
démarche, évoquent la massification scolaire et promeuvent un enseignement
centré sur l’élève en
guise de panacée.
C’est en somme Alain Finkielkraut face à Philippe Meirieu.
Ainsi posés les termes du débat, il n’est guère surprenant
que la joute oratoire ne couronne jamais véritablement de champion. Car en
l’espèce, si cet habituel numéro de duettistes est souvent pittoresque, il est
toutefois pourvu d’un vice de taille, celui d’escamoter habilement et
durablement une tierce appréciation : celle précisément des chercheurs en
science de l’éducation catégoriquement opposés aux vues de leurs confrères
pédagogistes !
Accroire au monolithisme doctrinal des sciences de
l’éducation, voilà l’écueil où viennent se fracasser invariablement nos
opinions. Essayons alors de nous éloigner des récifs…
Un schisme méconnu du grand public et des
enseignants.
L’univers de la recherche en science de l’éducation, tout
comme celui d’un grand nombre de disciplines universitaires au demeurant, n’est
bien évidemment pas d’un seul tenant. Et s’il ne saurait être question ici de
dresser un inventaire exhaustif de ses différentes écoles, il est toutefois
possible d’inscrire toutes ses tendances au sein de deux grandes catégories.
Dans un récent article, le professeur de l’Université Laval, Clermont Gauthier,
les définit d’ailleurs ainsi :
- D’un côté, les approches centrées sur l’enseignement (basic
skills models ou modèles académiques), orientées vers un enseignement
systématique des apprentissages de base (lecture, écriture, mathématiques).
- De l’autre, les approches centrées sur l’élève, appelées
modèles cognitivistes (cognitive skills models) ou modèles affectifs (affective
skills models). Les premiers centrés sur le respect du niveau de l’enfant
et de son style d’apprentissage ; les seconds sur le respect du rythme de
chacun, de ses besoins et de ses intérêts.
Cliquer pour agrandir
Tableau
synthétique des deux grandes écoles de pédagogie,
L’antagonisme des deux postulats est manifeste. Bien sûr,
les républicains seraient naturellement mieux disposés à défendre
la première famille théorique. Mais pour de curieuses raisons, la plupart
d’entre eux semblent ignorer jusqu’à son existence même, n’en reprenant jamais
ni les études ni la philosophie générale dans leurs appels à la restauration
d’un ordre pédagogique ancien.
C’est ainsi qu’invariablement, si l’on dit en France « sciences
de l’éducation », personne n’imagine découvrir autre chose que les travaux de
la seconde école.
Que disent les tenants des pédagogies structurées
?
C’est peu dire que cette approche souffre dans les médias
autant qu’au sein de l’éducation nationale d’un déficit de publicité
considérable. C’est pourquoi il nous semble important d’en présenter rapidement
les préconisations majeures et les conclusions générales.
Cela peut paraître stupide, mais il fallait d’abord vérifier
que l’enseignant avait réellement une influence sur la progression de ses
élèves. Si tel n’était pas le cas, il était en effet de peu d’importance de
chercher à déterminer de quelle manière il devait conduire ses cours.
C’est ainsi que différentes études statistiques ont été
conduites dans plusieurs états au cours du temps. Retenons ici celle dirigée
par William Sanders en 1996 à
la demande du ministère de l’éducation du Tennesse (TVAAS) et dont les
conclusions démontrent que l’enseignant a bel et bien un effet sur ses élèves
et particulièrement sur les plus faibles d’entre eux.
Il semblerait malheureusement que même madame Florence
Robine n’ait pas connaissance de ces recherches lorsqu’elle affirme que l’enfant n’a pas besoin de maître pour apprendre.
Cliquer pour agrandir
Cet apport de l’enseignant est appelé en toute inélégance
“effet-maître”. Ajoutons immédiatement qu’il est passablement ignoré ou minoré
par les pédagogistes français, comme le déploraient déjà en 2012 Véronique Bedin et Dominique Broussal dans
un excellent article.
La question de la pédagogie employée par le professeur est
donc absolument centrale.
Or, contrairement aux pédagogies centrées sur l’élève, les
approches centrées sur l’enseignement impliquent une plus grande activité du
professeur.
Voici donc la manière dont un cours devrait être dispensé
selon les enseignements dits structurés, et plus particulièrement selon la
méthode Direct Instruction (voir ces liens pour
davantage de précisions) :
1– La
mise en situation : l’enseignant présente clairement l’objet de la
leçon, en explicite les attendus et s’assure de la maîtrise des connaissances
préalables par sa classe.
2– La
leçon (3 étapes) :
- Le “modelage”.
L’enseignant exécute devant ses élèves et à voix haute toutes les
opérations intellectuelles nécessaires à la compréhension. Il présente les
informations en petites unités, allant de la plus simple à la plus
complexe.
- La
pratique dirigée : l’enseignant ne laisse pas sa classe en autonomie. Il
vérifie la compréhension de sa classe en lui proposant des tâches
semblables à celles qu’il a présentées lors de la phase de modelage. Par
un jeu des questions-réponses guidé par le maître, les élèves ont une
rétroaction immédiate sur leur compréhension. Cette pratique est prolongée
le temps nécessaire.
- La pratique autonome : les élèves sont laissés en autonomie sur des tâches toujours similaires et en grand nombre.
3- L’objectivation : l’enseignant synthétise
et réexplicite ce qui doit être su et compris.
Comment a-t-on choisi entre ces deux
pédagogies ?
À l’heure de la réforme du collège 2016, des parcours spiralaires, des îlots curriculaires, des
savoir-être soclés, des EPI le Cid-Flamenco-Guernica-Paëlla, et de
l’abandon des contenus pour les compétences, en un mot, de l’extravagant
triomphe des pédagogies par découverte, il nous faut certainement conclure à la
supériorité du second modèle sur le premier.
Comment en effet imaginer aujourd’hui l’absence complète de
dispositifs issus des préconisations des pédagogies structurées, voire leur
unanime condamnation, si ce n’est par la démonstration empirique de leur
inefficience ?
Les non spécialistes seront certainement surpris d’apprendre
qu’aucune étude comparative de grande ampleur n’a jamais été menée en Europe à
ce sujet, principalement pour des raisons budgétaires.
Mais, en 1967, le gouvernement fédéral américain, afin
d’optimiser ses dépenses d’éducation, décida du lancement d’un programme
comparatif sans précédent : le projet Follow Through.
Ainsi, de 1968 à 1977, une vingtaine de pédagogies furent
évaluées auprès de 352 000 élèves et de nombreuses données furent collectées.
Il s’agit là de la seule étude statistique de grande ampleur et prolongée dans
le temps dont nous disposons encore de nos jours. De plus, le gouvernement
américain finança jusqu’à 1995 différents statisticiens afin d’affiner et de
réexaminer les modèles utilisés.
Voici les résultats de cette étude :
Cliquer pour agrandir
Cliquer pour agrandir
Ces chiffres ont de quoi laisser songeurs : les pratiques
centrées sur l’enseignement obtiennent en tous points de meilleurs résultats
que les pratiques centrées sur l’élève !
La plus grande surprise ne réside pas tellement dans le fait
que les élèves démontrent de plus grandes capacités dans la maîtrise des basic
skills(mathématiques, lecture, orthographe, langue), mais bien dans le fait
que ceux qui ont reçu un enseignement structuré possèdent également une
meilleure estime d’eux-mêmes et de plus grandes facultés cognitives.
La défaite des tenants des modèles cognitifs et affectifs
est ici totale. La polémique pouvait commencer.
Les vaincus dénoncèrent la déficience du modèle statistique
utilisé, mais de manière surprenante toutes les contre-expertises (House et Glass 1979, Bereiter 1981, Becker et
Carnine, 1981, Lipsey et Wilson, 1993, Watkins 1996, Crahay, 2000, Borman,
2002) ne firent que confirmer et parfois amplifier les premières conclusions.
Ces analyses postérieures permirent aussi d’exhiber quelques
phénomènes méconnus : réduire par exemple un effectif ne serait efficace que
quand la pédagogie l’est aussi ! Dit sommairement, mieux vaudrait un
enseignement structuré à trente, qu’un groupe autonome de cinq élèves engagés
dans une pédagogie par projet !
La dispute autour de ces données et de leurs conséquences
n’a depuis pas cessé outre-Atlantique. Les circonstances notamment qui ont
amené le gouvernement américain à ne pas tenir compte de ces résultats et à
continuer de financer également tout type de pédagogie fait encore aujourd’hui
débat (voir The Follow Through Evaluation).
En France, il semblerait que le déni soit parfait. On feint
d’ignorer cette étude et quand certains chercheurs essaient de la mettre en
avant, les arguments pédagogistes se résument souvent à l’attaque ad hominem,
ou au dédain.
Ont-ils une meilleure étude à citer ? Non. On peut aussi
lire couramment sous leur plume qu’il est impossible de mener un étude
statistique rigoureuse à si grande échelle : c’est particulièrement arrangeant
lorsque l’on en a aucune à proposer… et permet aussi plaisamment de continuer à
deviser du sexe des anges sans craindre qu’advienne un jour une forme de
mesure, pourtant parfaitement nécessaire.
Le contenu des débats entre Serge Pouts-Lajus, Mario Richard et Steeve Bissonnette est
à ce sujet assez édifiant.
Mais plus encore, se pose désormais la question de la
scientificité d’un certain nombre de recherches pédagogiques. Quelles études
statistiques les soutiennent ? Les a-t-on soumises à l’épreuve du même crible
que les résultats de Follow Through ?
Le rôle des affects et des sympathies idéologiques jouent
définitivement un trop grand rôle et dessert lourdement l’avancée de recherches
opératoires.
En définitive, le choix entre les deux catégories de
pédagogie n’a aucunement été fait en suivant des critères scientifiques
indubitables.
Que faire désormais ?
De nombreux parents et enseignants contemplent, interdits,
les recommandations des nouveaux programmes de cycle 3 et 4 : logique
curriculaire (plus que contestée), approches par compétences (promues par l’OCDE et tout aussi contestées),
travail en îlots, interdisciplinarité contrainte, disparition de l’étude
rigoureuse de la langue, étude thématique de l’Histoire, pédagogie par projet
systématique, silence du professeur changé en animateur…
Il en va de ce regard certainement comme de celui de l’abbé
cistercien découvrant en son temps l’hérésie cathare, oscillant quelque part
entre incrédulité et aversion. Pour sûr cependant, il croit distinguer le
visage de la folie grimaçante !
Il serait certes plaisant, au point où nous sommes rendus,
de suivre le mot d’Amaury lors
du sac de Béziers (« Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens. »),
ce serait là une joyeuse réplique aux humiliations et renoncements imposés
depuis des décennies par un certain catéchisme pédagogiste devenu dogmatique et
autoritaire.
Mais nous manquerions alors notre but, et nous dirions que
l’étude scientifique de l’enseignement est définitivement une faillite.
Rouvrons plutôt de manière fracassante les débats clos sans
avoir été tranchés, demandons la rationalité aux chercheurs, exigeons des
mesures et des protocoles valides et disqualifions enfin ceux qui refuseraient
de s’y soumettre.
"Ces analyses postérieures permirent aussi d’exhiber quelques phénomènes méconnus : réduire par exemple un effectif ne serait efficace que quand la pédagogie l’est aussi ! Dit sommairement, mieux vaudrait un enseignement structuré à trente, qu’un groupe autonome de cinq élèves engagés dans une pédagogie par projet !"
RépondreSupprimerCertes, mais toutes choses égales par ailleurs, la taille de la classe a une répercussion sur le niveau obtenu en fin d'année, en tout cas dans les petites classes. Il vaut mieux le préciser car les gérants de l'EN seraient bien capables d'arguer de la mise en place d'un enseignement efficace pour justifier des effectifs plus lourds
http://www.formapex.com/editoriaux/589-attention-ecole-en-perte-de-moyens-thibault-gajdos
Vous avez raison ! Ils font feu de tout bois !
SupprimerExcellent article pour prendre un peu de hauteur...
RépondreSupprimer