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samedi 26 mars 2016

Enseignement direct - Instruction directe

Enseignement direct
(interprétation constructiviste)


En janvier 2016, le Centre Alain Savary (une émanation de l’IFÉ) publiait à grand fracas une série d'articles sur l’enseignement explicite : Enseigner plus explicitement – L’essentiel en 4 pages. Un travail « nourri par la formation nationale de formateurs REP organisée par la DGESCO à Poitiers et Lyon en 2015 ». Au vu du résultat, les pauvres formateurs REP ont dû avoir une indigestion de propos abscons présentant une sorte d’enseignement explicite incompréhensible, complètement étranger à ce que Barak Rosenshine a décrit sous ce nom dans les années 1980. J’ai d’ailleurs déjà eu l’occasion de parler de ce qui apparaît au final comme une minable tentative de récupération constructiviste. Décidément, tout ce que touchent ces gens-là finit en eau de boudin. Même les meilleures choses…

Je voudrais revenir toutefois sur un « élément de langage » qui est réapparu à plusieurs reprises depuis janvier, signe qu’il s’agit bien d’une façon de parler concertée et répétée. Le vrai et authentique Enseignement Explicite (auquel nous mettons désormais des majuscules pour le distinguer des succédanés constructivistes) se voit maintenant désigné dans les cercles de la recherche pédagogique française sous le nom d'« enseignement direct » ou d'« instruction directe ». Voir, par exemple, ce qu’en dit Sylvie Cèbe dans son intervention. En substance, on nous explique que « “Enseignement explicite” ne se confond pas avec le concept “d’instruction directe”, développée au Québec. Pour Sylvie Cèbe, “enseigner de manière explicite” se rapporte davantage à une préoccupation professionnelle de l’enseignant qu'à une méthode systématique. » On remarquera au passage que, comme Barak Rosenshine est superbement ignoré dans ces « quatre pages » - bien qu’il soit “le père” de l’enseignement explicite -, ce sont nos amis canadiens (dont seul Steve Bissonnette a l’honneur d’être cité) qui apparaissent comme les vilains instructionnistes, inventeurs d’un « enseignement direct ».

Rappelons que lorsqu’on parle d’« instruction directe », cela renvoie au Direct Instruction (développé par Siegfried Engelmann et ses collaborateurs dans les années 60 et suivantes). Barak Rosenshine s’est servi des résultats obtenus par le Direct Instruction dans le fameux projet Follow Through pour décrire les différents paramètres à observer (ou à éviter) afin de mettre en œuvre un enseignement efficace. Pour autant, l’enseignement explicite défini par Rosenshine (et repris par Clermont Gauthier, Steve Bissonnette et Mario Richard) est différent du Direct Instruction. Alors que Rosenshine décrit ce qu’il faut faire (et ne pas faire), le Direct Instruction va plus loin en donnant aux enseignants des scripts de leçon à suivre à la virgule près, car tout a été pensé et testé au préalable pour obtenir une efficacité maximum. 

Notons au passage que les enseignants français disent rejeter cette façon de faire car ils ne se considèrent pas comme des “techniciens” tout juste bons à appliquer une méthode, même si celle-ci est réputée efficace. Pourtant, bon nombre d’entre eux recherchent sur Internet des recettes clés en main et des plans de leçon tout préparés. Par conséquent, les scripts façon Direct Instruction ne seraient pas du luxe pour donner un cadre cohérent à une démarche pédagogique et pour faire d’un amateur montant son enseignement de bric et de broc un professionnel responsable. Mais c’est une autre histoire…

« Enseignement direct », disent les constructivistes. Il en faudrait d’ailleurs peu, dans leur bouche, pour que cet enseignement direct ne soit de fait « directif », ce qui est pour eux le comble de l’horreur pédagogique. D’ailleurs, le Café pédagogique parle de l’enseignement direct comme d’« une forme assez contestée d'enseignement » dans cet article. Pour les constructivistes, l’enseignement explicite est un « état d’esprit », mais absolument pas une démarche pédagogique. Résumons : sur une heure de classe, les élèves doivent patauger pendant 55 minutes devant une situation complexe et il reste 5 minutes à leur enseignant pour expliquer ce qu’ils devaient « découvrir » par eux-mêmes pour construire leur savoir. C’est vrai que, dans ce cas, il y a intérêt à avoir un « état d’esprit » explicite. Reste à savoir si, au final, la démarche constructiviste y gagne en efficacité…

Autre tendance qui court sur Internet : le mélange. Sur le modèle de nos chercheurs en sciences de l’éducation, il est pédagogiquement correct de dire qu’il est « bon de varier les approches » dans la mesure où, bien sûr, l'ensemble reste d'inspiration constructiviste. Ainsi, on peut donc jouer quelques (fausses) notes d’explicite dans la symphonie des démarches par découverte. Et malheur à celui qui dit le contraire !

Les constructivistes dénigrent et méprisent l’« enseignement direct » ou l’« instruction directe ». Ils l'amalgament à l'enseignement traditionnel honni. Ils préfèrent promouvoir un enseignement plutôt constructivo-explicite, c’est-à-dire un machin ignoble dont des exemples abstrus sont donnés sur cette page, avec des schémas débiles dont voici un aperçu :



Enseignement explicite
(interprétation constructiviste)


Avec cette récupération de l’Explicite, on retrouve toutes les manœuvres habituelles des constructivistes : lorgner une bonne pratique, y récupérer ce qui est nouveau pour en faire quelque chose d’indigeste et d’inefficace, disqualifier le reste en le traitant de « direct », ignorer et mépriser ceux qui ont fait connaître cette bonne pratique (Rosenshine et nos amis canadiens), battre le rappel des idiots utiles sur les réseaux sociaux pour faire la promotion de la « nouveauté », en parler dans le Café pédagogique et sans doute bientôt dans les Cahiers pédagogiques, obliger les formateurs à s’aligner sur le nouveau dogme, faire de l’œil à la hiérarchie intermédiaire, se mettre un ministre incompétent dans la poche. Et le tour est joué !

Il faudra bien, un beau jour, renvoyer aux poubelles de l'histoire pédagogique ces usurpateurs tout juste capables de changer l'or en plomb...



La Joconde
(interprétation constructiviste)


2 commentaires:

  1. Sébastien D.5 mai 2017 à 20:52

    Avant d'être des théories de l'enseignement, le constructivisme et le socio-constructivisme sont des théories de l'apprentissage. Il faut savoir comment on apprend pour bien enseigner!

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  2. Le malheur, c’est que même comme théories de l’apprentissage le constructivisme et le socioconstructivisme reposent sur des bases qui sont erronées.
    Il n’est qu’à se reporter à la théorie de la charge cognitive et à la distinction qu’il faut faire entre les connaissances et habiletés biologiquement primaires (par exemple reconnaître des visages ou apprendre à parler, qui ne nécessitent pas un apprentissage structuré) et celles qui sont biologiquement secondaires (l’étude de la langue, les mathématiques, la culture générale qui s’enseignent dans un cadre scolaire, et si possible de manière explicite pour les installer solidement et durablement).
    Voir à ce propos un document récemment publié (en anglais) sur les travaux, entre autres, de John Sweller.

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