« Je ferai partie de ceux qui font vivre cette émergence d’une pédagogie explicite qui est la clé du rebond de notre école. » (p 108)
J’ai déjà eu l’occasion de dire tout le bien que je pensais
du livre de Jean-Michel Blanquer, L’École de demain. Il m’a donc paru indispensable
de lire L’École de la vie, paru deux
ans auparavant. D’autant que, depuis mai 2017, Jean-Michel Blanquer est devenu ministre de
l’Éducation nationale et a entrepris avec détermination le redressement de
l’École française laissée en déshérence depuis des années, et particulièrement
sous les ministres du gouvernement précédent.
Ce livre éclaire la pensée pédagogique et éducative de Jean-Michel
Blanquer. Sa lecture est de surcroît très agréable car entre les chapitres,
l’auteur raconte des anecdotes qui expliquent son cheminement intellectuel et ses
choix pour l’École.
Jean-Michel Blanquer accorde une importance toute particulière à l’éducation
des enfants : « L’éducation
est, dans l’ordre de la vie personnelle, le premier des biens, équivalant pour
l’esprit à ce qu’est la santé pour le corps » (p 10). Et dans cette
éducation l’École primaire est fondamentale, voire vitale : « L’éducation fournit les outils
d’interprétation du monde par le détour de conceptualisations qui sont le socle
de toutes les acquisitions qui suivront. Il en résulte logiquement que l’on
doit accorder une importance vitale à cette “acquisition des fondamentaux”,
objectif incontournable de l’école primaire » (p 16).
Et l’École primaire commence avec la maternelle : « L’école maternelle doit être considérée
comme une école à part entière, avec ses exigences et ses règles » (p
30). L’école maternelle est une école, et non une garderie gratuite où on
occupe les enfants comme on peut : « Il ne faut pas avoir peur de considérer la grande section comme une
propédeutique au cours préparatoire » (p 37). C’est d’ailleurs dès la
maternelle qu’on devrait dépister les élèves qui présentent des retards
cognitifs, au risque de déplaire aux belles âmes “progressistes” qui s’y sont toujours
opposé : « Le repérage précoce
constitue l’un des rares leviers dont dispose l’école pour lutter avec
efficacité contre la difficulté scolaire. En effet, il est évident qu’agir tôt
démultiplie l’efficacité du remède. Hélas, pour éviter la “stigmatisation”, on
renonce à l’identification, dans un raisonnement présenté comme progressiste et
qui s’avère en réalité totalement archaïque et conservateur puisqu’il conduit à
figer les situations et à laisser les plus fragiles de côté » (p 40).
L’importance de la maternelle voudrait que les enseignants
qui y exercent reçoivent une formation spécifique : « Aujourd’hui, ni les concours de recrutement
ni les dispositifs de formation n’introduisent de distinction entre les
enseignants qui vont enseigner en maternelle et ceux qui se destinent aux
classes élémentaires. Pourtant, il serait logique – et probablement efficace –
d’identifier d’une part un ensemble de compétences communes pour l’ensemble des
professeurs du premier degré et d’autre part des certifications spécifiques
pour enseigner à tel ou tel niveau de l’école » (p 35). Une formation
professionnelle des enseignants du Primaire avec un tronc commun et des
spécialisations selon le niveau auquel on se destine.
L’école élémentaire a une mission fondamentale : « À l’école élémentaire, cette vision débouche
sur une priorité absolue : apprendre à lire, à écrire et à compter. Et
donner ainsi à l’enfant le socle de toute interaction en société pour lui
permettre ensuite d’accéder au doute, au sens de l’argumentation, à une
épistémologie de plus en plus complexe » (p 56).
« Les idées sont
claires aujourd’hui sur ce qui fonctionne bien au cours des premières années de
l’apprentissage de l’enfant, à l’école maternelle comme à l’école élémentaire.
La progressivité de l’apprentissage, la détection des problèmes le plus tôt
possible, le déploiement d’exercices adaptés à chaque âge et à chaque
compétence, la prise en compte des enjeux de la sociabilité et des capacités
d’empathie de l’enfant, la place décisive accordée au langage et donc à la
lecture et à l’écriture en instaurant le développement de la conscience
phonologique en maternelle et le caractère systématique de la méthode dite
“syllabique” en CP, l’importance de l’exercice de la mémoire et du travail sur
la résolution de problèmes, sont autant d’éléments essentiels (…) et qui
peuvent être consacrés dans les programmes (…), dans les manuels et dans la
formation des professeurs. » (p 272)
Justement, Jean-Michel Blanquer revient sur la question des
méthodes de lecture et explique pourquoi elle reste toujours un problème : « La dégradation qu’elle [la méthode globale]
a entraînée a été d’autant plus grave qu’elle s’est accompagnée d’une
incapacité de l’institution à admettre son échec. Plutôt que de reconnaître
lucidement les erreurs qui avaient été commises et de rétablir ce qui devait
l’être, on a préféré biaiser avec le réel. Depuis deux ou trois décennies, nous
sommes donc dans une sorte d’entre-deux mal défini, dont le ministère essaie de
se dédouaner en invitant les enseignants à définir leurs propres méthodes au
nom de la liberté pédagogique » (p 58). Toujours ce même milieu d’“experts”
ou supposés tels qui sabotent – le mot n’est pas trop fort – l’enseignement au
nom de croyances sans aucun fondement : « Alors même que des études internationales nombreuses et sérieuses
avançaient à grands pas dans la compréhension des mécanismes d’acquisition de
la lecture et de l’écriture, alors même que des chercheurs français, venus
notamment des sciences cognitives et de la linguistique, démontraient quelles
approches fonctionnaient et quelles approches ne fonctionnaient pas, le petit
milieu qui fait autorité en France en sciences de l’éducation choisissait de
rester à l’écart, simplement pour ne pas se contredire » (p 58-59). La
dénonciation de ceux que j'appelle les saboteurs est très claire : « J’affirme que c’est en toute connaissance de
cause qu’une partie de l’inspection générale du premier degré et de la caste de
ceux qui s’étaient créé un magistère d’influence à travers la formation des
maîtres a persévéré dans l’erreur pour ne pas avoir à se déjuger. Cet
entêtement a eu des conséquences dramatiques sur le niveau de lecture des
élèves en France depuis trente ans et peut être considéré comme étant à la
source d’autres dégradations pédagogiques et éducatives. Une génération a
assumé de sacrifier les générations suivantes au nom de lubies qu’elle n’a pas
voulu abandonner parce que ces lubies avaient l’aura du progressisme. J’ai pu
ainsi observer que certains auteurs ou inspecteurs, constatant les ravages de
la méthode globale, ont préféré nier l’évidence plutôt que de reconnaître les
erreurs commises. C’est ainsi que l’on a prôné jusqu’à il y a peu des méthodes
mixtes qui sont en réalité de mauvais compromis » (p 59). Pour
dénigrer les méthodes phono-alphabétiques, les constructivistes de tout poil répètent
leur argument mis au point dans les années 1970 qui tient en trois mots : le sens, le sens, le
sens. Or, « Apprendre à déchiffrer
ne doit donc en aucun cas être opposé à la question du sens. Tout au contraire,
l’automatisation de la lecture est indispensable pour libérer l’attention et la
mémoire de travail, au service de la compréhension du texte » (p 60).
Cet intérêt de mettre en place des automatismes n’est d’ailleurs pas propre à
la lecture : « En mathématiques
comme en français, il est important d’installer des automatismes le plus tôt
possible. D’où l’importance d’exercices accomplis selon une visée pédagogique
précise » (p 63). C’est une des missions essentielles de l’École
primaire : si ces automatismes ne sont pas mis en place à cette étape du
cursus scolaire, ils ne le seront jamais par la suite.
« Les méthodes
d’apprentissage nous renvoient à ce que l’on pourrait appeler un
néoclassicisme, au sens où il s’agit, à la lumière des choses prouvées, de
retrouver des démarches qui fonctionnent pour les articuler avec de nouvelles
approches pédagogiques vivantes et stimulantes. Ce que la méthode scientifique
nous apporte pourrait permettre à notre école primaire d’être meilleure qu’elle
n’a jamais été. » (p 68-69)
Tout au long du livre, Jean-Michel Blanquer insiste sur l’intérêt
qu’il y a à s’appuyer sur la recherche scientifique sérieuse pour déterminer
quelles sont les pratiques d’enseignement efficaces. « L’“école de la vie” consiste donc à remettre
les étapes dans le bon ordre : une école primaire qui s’appuie sur des
méthodes dont on s’assure scientifiquement qu’elles ont fait leurs
preuves ; une école secondaire qui tienne compte de la diversité des
élèves pour mieux donner à chacun ce qui lui convient » (p 16). Plus
loin : « C’est d’ailleurs
pourquoi il ne faut pas avoir peur du mot “méthodes”. Oui, il y a des méthodes
qui font leurs preuves et d’autres qui font la preuve qu’elles ne fonctionnent
pas ! » (p 35). L’auteur indique même la façon dont il faut s’y
prendre pour obtenir des données probantes. L’École d’économie de Paris « a en particulier systématisé
l’approche par “randomisation” permettant d’apprécier la valeur ajoutée d’une
politique donnée : on regarde les effets sur un groupe d’élèves et on les
compare à un autre groupe témoin qui a été constitué par tirage au sort au sein
d’un même ensemble d’individus » (p 178). Les expérimentations qui
sont menées n’ont rien à voir avec celles chères aux constructivistes qui font
n’importe quoi sous couvert d’“innovation”. « Pour être efficace, l’expérimentation ne saurait s’apparenter à une
forme d’expérimentalisme échevelé. Elle doit au contraire être au service de
ces points de repère essentiels que sont les apprentissages fondamentaux »
(p 181). Il faut aussi s’inspirer de ce qui se fait de mieux à l’étranger :
« Moderniser notre approche
scientifique de l’école, c’est d’abord admettre l’importance considérable du
comparatisme. Cela signifie qu’il faut bien connaître les systèmes éducatifs
étrangers, mais aussi s’intéresser aux études sur l’éducation menées dans le
monde entier, de façon à s’en inspirer » (p 185).
Il faut aussi se tourner vers les sciences cognitives et ce
qu’elles nous apprennent des processus d’apprentissage : « Alors que, pour moderniser l’éducation, nous
avons longtemps cherché comment “apprendre à apprendre”, les sciences
cognitives nous permettent aujourd’hui, et pour la première fois, d’apporter
des réponses scientifiquement fondées à cette interrogation fondamentale »
(p 186).
« Après les
sciences cognitives et l’épistémologie des disciplines, le dernier niveau de
scientificité à promouvoir porte sur l’évaluation des expérimentations et plus
largement des résultats des pratiques d’enseignement. (…) L’évaluation
scientifique des pratiques d’enseignement et de leurs résultats était
traditionnellement peu développée en France, peut-être en raison de la
difficulté de l’institution scolaire à accepter la pertinence d’un regard
extérieur, fût-il scientifique. » (p 187)
En France, les sciences de l’éducation se sont en effet
mises très tôt au service du constructivisme pédagogique, d’où le peu d’intérêt
qu’elles présentent et la méfiance, voire le rejet, qu’elles suscitent chez les enseignants
sérieux confrontés aux réalités des classes. « Il faut prendre au sérieux la question de la recherche en
éducation. Or la France a pris, au cours des dernières décennies, un mauvais
chemin avec pour conséquence un véritable divorce entre le milieu et l’esprit de
la recherche d’une part et le monde de l’éducation d’autre part.
Pourquoi ? Parce qu’en France les “sciences de l’éducation” se sont en
partie égarées » (p 183). “Égarées”, le mot est faible. « Une certaine science de l’éducation (…) y a
établi son nid [dans les IUFM] pour diffuser une vulgate faible, voire
franchement erronée scientifiquement. C’est d’ailleurs au cours de ces
années 1990 que l’on a vu s’affaisser le niveau de l’école » (p 242).
A contrario, dans la description que Jean-Michel Blanquer
livre de ces pratiques efficaces, on reconnaît les caractéristiques de l’Enseignement
Explicite. Ainsi : « La
progressivité de l’apprentissage est un principe fondamental de toute
pédagogie. On doit aller du plus simple au plus complexe » (p 20).
Ailleurs : « Une pédagogie
pertinente s’attache donc à ce que chaque marche soit assurée avant de passer à
la suivante » (p 102). Et aussi : « On doit (…) insister sur l’importance de l’“effet maître” qui, contre
tous les déterminismes sociaux, montre que la qualité pédagogique de chaque
professeur est, d’abord et avant tout, le facteur déterminant du progrès de
l’élève » (p 184-185).
Lors de son passage au cabinet du ministre de Robien, Jean-Michel
Blanquer note : « Pour la
première fois depuis longtemps, les enseignants de France voient venir depuis
le ministère une pensée pédagogique que l’on peut qualifier à tous égards
d’explicite. En français, en mathématiques et dans d’autres domaines, le
message que nous faisons passer est celui de la nécessité d’un enseignement
clair et progressif. Cela nous vaudra d’être copieusement brocardés »
(p 108). Brocardés par les mêmes militants constructivistes et leurs
groupuscules qui régentent les pratiques d'enseignement depuis une quarantaine d'années.
Au passage, j’observe un point avec lequel je suis tout
particulièrement d’accord et que j’ai mis en œuvre - malgré les critiques - durant toute ma carrière :
« J’essaie (Jean-Michel Blanquer
est alors recteur de l’académie de Créteil) de
remettre à l’honneur les distributions de prix de fin d’année. À mes yeux,
elles font partie de ces rituels indispensables qui représentent un temps fort
de la vie d’une personne, souvent même d’une famille, une somme de travail que
l’institution reconnaît. Il est normal qu’une cérémonie solennelle consacre
cela. J’ai entendu toutes les critiques sur ces sujets. Aucune ne m’a touché.
J’ai encouragé les établissements à le faire et je suis venu à de nombreuses
manifestations. C’est chaque fois la même joie, la même fierté des élèves et de
leur famille. Voir cela me donne une énergie qui m’immunise contre tous les
grincheux » (p 127-128). Et les “grincheux” ne manquent pas…
Pourquoi n’a-t-on pas encore mis en œuvre les pratiques
efficaces d'enseignement, alors qu’elles sont maintenant connues ? « Notre système scolaire, par son mode
d’organisation, favorise l’existence de dogmes officiels qui peuvent empêcher
les acteurs d’agir dans la bonne direction. Symétriquement, on ne doit pas
laisser ces mêmes acteurs sans indication ni connaissance sur ce qui est
valable et ce qui ne l’est pas, au regard de la rechercher et des comparaisons
que l’on peut mener. Un juste milieu consiste donc à bien identifier un spectre
de principes, de réflexes professionnels, de stratégies pédagogiques prouvées
et éprouvées auxquels les maîtres et maîtresses peuvent se référer et qu’ils
font avancer par leur propre expérience » (p 28). Ces “dogmes
officiels” sont ceux du constructivisme pédagogique et ils prévalent depuis trop longtemps avec les ravages que tout le monde peut aujourd’hui
constater. « Trop d’acteurs
importants sont imprégnés d’idéologies dépassées et n’ont cessé de s’opposer
aux impulsions qui ont pu exister à partir des années 2000 en matière
d’apprentissages fondamentaux. Leur influence est souvent inversement
proportionnelle à leur scientificité. Cet état de fait appelle une vigoureuse
réforme du système d’inspection en France, articulée aux évolutions nécessaires
de l’organisation de la recherche en matière d’éducation et de ses conséquences
sur la formation. Il faut que le discours de l’institution repose sur des bases
véritablement scientifiques » (p 66). Tout cela appelle un changement
radical : « L’époque où un
professeur pouvait dire : « Je sais ce qui est bon pour mes élèves,
mais je ne le fais pas parce que ce n’est pas conforme aux règles du jeu »
est désormais révolue » (p 176).
Ce sont les élèves les plus démunis qui font les frais des
“nouvelles pédagogies”, ceux dont la famille ne peut compenser les errements de l’école :
« On peut aujourd’hui formuler
l’hypothèse qu’une part importante des inégalités qui se creusent entre les
élèves viennent du fait que c’est en zone défavorisée que l’on trouve le plus
de pratiques inefficaces en matière d’acquisition des fondamentaux »
(p 68). Et les partisans du constructivisme pédagogique se disent
“progressistes”…
« Par le passé,
ce ministère [de l’Éducation nationale] a connu beaucoup d’erreurs à grande
échelle qui ont été commises parce que les responsables ont souhaité
généraliser d’emblée des idées qu’ils croyaient justes pour tout le monde. La
sagesse impose au contraire de commencer par prouver qu’une idée va dans la
bonne direction, avant de la généraliser. Et, pour cela, il faut l’évaluer avec
méthode » (p 141). L’ancienne ministre Vallaud-Belkacem aurait dû s’en
inspirer au lieu de suivre les préconisations de la camarilla constructiviste
qui avait alors ses entrées et les honneurs au ministère.
L’École repose sur les enseignants qui la maintiennent à
bout de bras malgré les réformes saugrenues qui se sont succédé depuis les
années 1970. Ils assurent au mieux la transmission des connaissances et des
habiletés, parfois au détriment de leur carrière, souvent sans aucun soutien, toujours
en contradiction avec les préconisations officielles étroitement inspirées du
constructivisme pédagogique. Jean-Michel Blanquer le dit très bien : « Du respect et de la confiance placée dans la
figure du professeur dépend la réussite de l’école » (p 241).
Un livre à lire pour connaître notre
nouveau ministre qui s’engage résolument sur la voie d’une École enfin efficace. Il mérite donc tout notre soutien dans cette louable ambition.
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Jean-Michel BLANQUER
Éditions Odile Jacob, 310 p, 09.2014
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