Translate

mercredi 13 janvier 2016

L’évolution du métier d’enseignant – Entretien avec Christian Maroy




Christian Maroy, professeur à l'Université de Montréal, est spécialiste des politiques éducatives. 

Peut-on définir des évolutions générales du métier d'enseignant dans les pays développés ?

De façon variable selon les systèmes éducatifs et les sociétés, on peut avancer que le travail enseignant se diversifie, se complexifie et s’intensifie. Les modèles de référence et les rôles se diversifient: ils ne doivent plus seulement être un « maitre instruit », mais être surtout des « pédagogues » et s’impliquer dans leur école comme organisation. De nouveaux rôles (travailleur social, psychologue, …)  s’imposent et sont plus ou moins acceptés comme partie intégrante de la tâche. Leurs tâches en classe deviennent aussi plus complexes, parfois beaucoup plus difficiles, leurs activités dans l’école beaucoup plus diverses et multiples, alors que les attentes organisationnelles et institutionnelles à leur égard s’élèvent et sont plus contrôlées.
Par exemple, les enseignants se retrouve devant des classes où les élèves ont des rapports à l’apprentissage diversifiés, et qui peuvent être relativement hétérogènes sur le plan des acquis scolaires, des aptitudes ou des comportements, ce qui rend la gestion de classe plus complexe et difficile. Cela nécessite de l’enseignant une capacité à gérer des processus d’apprentissage différenciés, mais aussi des compétences relationnelles et émotionnelles pour se contrôler, gérer la distance avec les élèves, gérer la démotivation ou l’agressivité.
Par ailleurs dans l’établissement, une exigence de coordination accrue apparaît aussi entre les classes et le travail de chaque enseignant individuel. Nombre de politiques éducatives et d’autorités scolaires cherchent en effet à renforcer l’autonomie de gestion des établissements tout en les soumettant à des exigences accrues d’évaluation externe et de reddition de compte sur les résultats de leurs élèves. Cela va de pair avec la promotion de directions d’établissements plus fortes et faisant preuve de « leadership » notamment pédagogique, au point que pour nombre de chercheurs, on assiste à une managérialisation des écoles

Peut-on parler d'un nouveau métier ou simplement d'une  évolution du métier d'enseignant ?

Le cœur du métier reste inchangé, il s’agit toujours d’un travail centré sur l’enseignement et les élèves, de plus en plus chargé de stimuler, de structurer et d’accompagner l’apprentissage des élèves et cela en devant tenir compte tout à la fois de balises et de prescriptions ministérielles et de la diversité et des incertitudes des situations dans le quotidien. Cette base est liée à la forme scolaire  qui reste toujours bien en place. Pour l’essentiel, une école est toujours une somme de classes, découpées selon les âges des élèves et des matières.

Qu'est ce qui sous-tend ces évolutions ?

Des évolutions du public élève, mais aussi des changements dans les politiques scolaires et les attentes institutionnelles à l’égard des enseignants. L’école obligatoire s’est étendue à toutes les couches de la société et la scolarité se prolonge. Les jeunes sont aussi soumis à d’autres sources de savoirs et informations (Internet..) et à d’autres spécialistes de l’éducation que les enseignants. Dans le même temps, les enseignants sont mis en face d’une attente politique relativement nouvelle de faire « réussir tous les élèves » ou à tout le moins le plus grand nombre, jusqu’à la fin du premier cycle de l’enseignement secondaire, le collège pour la France. Enfin, une incitation politique à intégrer les élèves « aux besoins particuliers » (handicapés, en difficulté d’apprentissage ou manifestant des troubles de comportement) dans les classes régulières a également vu le jour.

Ces exigences nouvelles ont-elles été suivies d'améliorations de la condition enseignante ou le sentiment de dégradation est-il le plus fréquent ?

Cela dépend vraiment d’un contexte à l ‘autre. Le sentiment de dégradation semble quand même assez répandu, puisque un peu partout on s’inquiète – l’OCDE – en tête ­ de la perte d’attractivité du métier ou des difficultés d’entrée dans le métier. Ce sentiment de dégradation peut être ressenti pour des raisons fort variables autant en raison de l’intensification ou de la complexification du travail que d’une dégradation des conditions d’emploi dans certains contextes nationaux (mais ceci n’est hélas pas spécifique aux métiers enseignants et varie selon les pays).

Ces exigences supposent de la formation. A-t-elle suivi ? Sa place dans le métier a-t-elle changé ?

Oui dans de très nombreux pays, la formation enseignante cherche à être renforcée et améliorée (son allongement, son universitarisation, la mise en place d’approche par compétences avec davantage d’alternance entre pratique et théorie). La formation continue et le développement professionnel des enseignants deviennent aussi de plus en plus une obligation plutôt qu’un avantage ou un droit.  Cependant, les modèles de référence de cette formation sont toujours très controversés. Il y a toujours débat entre un accent accru sur la formation disciplinaire et une formation pédagogique réduite, ou à l’opposé une volonté de « professionnaliser » le métier par des connaissances pédagogiques et des habiletés relationnelles ou émotionnelles accrues.

A l'occasion des réformes, les autorités dénoncent “le conservatisme enseignant”. Quelle lecture avez-vous de ces résistances ?

J’ai toujours été très réticent à cette lecture. Au début des années 2000, j’avais fait une enquête auprès des enseignants belges, et une grande majorité d’entre eux déclaraient être prêts à changer leurs pratiques pour améliorer la réussite ; pour eux, l’inégalité entre élèves n’était pas seulement liée aux inégalités dans la société ou à l’organisation du système scolaire. Il ne faut donc pas stigmatiser les enseignants, en essentialisant « leur résistance au changement ».
Cependant, la question est davantage de savoir que les voies (diverses) de changement des pratiques ou des structures scolaires sont des enjeux sociaux ou scolaires. Les réformes éducatives, l’amélioration des pratiques ne sont pas seulement des questions techniques (dont les solutions viendraient de la seule recherche). Ce sont aussi des questions auxquelles il faut associer les enseignants. Sans nier non plus que des clivages politiques ou idéologiques se creusent autour des questions scolaires et  traversent aussi la profession enseignante : par exemple celle des inégalités ou de la ségrégation scolaire, celle des savoirs, compétences (cognitives et non cognitives) à transmettre à l’école. Mais l’association des enseignants aux débats et aux expérimentations doit faire partie de la solution, à mon sens.

En France le métier est encore défini statutairement par un nombre d'heures de cours. Est-on dans les derniers pays dans ce cas ?

Oui, la plupart des pays européens définissent à présent les tâches de façon plus large, ne réduisant pas le métier aux heures de cours (et le temps de préparation ou de correction associés). Des heures de coordination, de formation sont aussi pris en compte.  Au Québec, par exemple, un temps de présence et de disponibilité des enseignants dans les écoles est prescrit (32 heures par semaine), ce qui peut favoriser leur travail en équipe par exemple ou l’organisation du travail de remédiation. Mais les bâtiments scolaires incluent des espaces de travail de qualité pour les enseignants. Bref, avant d’importer une solution étrangère, il faut réfléchir à ses « conditions » matérielles ou autres d’application.

Propos recueillis par François Jarraud


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Les commentaires reçus n’ont pas tous vocation à être publiés.
Étant directeur de publication de ce blog, seuls les textes qui présentent un intérêt à mes yeux seront retenus.