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vendredi 15 janvier 2016

L’enseignement explicite à la sauce constructiviste





À l’occasion d’une session de formation des formateurs en éducation prioritaire organisée à l’IFÉ, le Centre Alain Savary a mis en ligne le 13 janvier dernier une série d’articles consacrés à l’enseignement explicite.

Cela peut paraître très surprenant quand on sait que le Centre Alain Savary est une émanation de l’IFÉ, qui était autrefois l’INRP, mais qui reste toujours un repère de constructivistes convaincus.

Le premier article est intitulé Enseigner explicitement : l’essentiel en quatre pages. Voici son introduction :
« "Enseigner plus explicitement" semble être un levier efficace pour les apprentissages de tous les élèves, et particulièrement ceux les plus scolairement fragiles, les plus dépendants de l’action du maître, si on en croit les textes récents de l’institution scolaire, mais aussi plusieurs courants de la pédagogie ou de la recherche. "L’explicitation" contribuerait à réduire les inégalités scolaires. »
On notera le « semble », le « si on en croit » et le « contribuerait » au conditionnel qui expriment d’emblée une certaine circonspection de bon aloi. On se demande bien à ce moment-là pourquoi des constructivistes se mêlent d’enseignement explicite, puisque cette démarche va à l’encontre de toutes leurs croyances.

La réponse est simple : le Référentiel de l’éducation prioritaire, paru en janvier 2014, exprime la nécessité « d’enseigner plus explicitement ». De même, les nouveaux programmes pour les cycles II, III et IV, utilisent à de nombreuses reprises le mot « explicite ». Donc l’IFÉ est bien obligé de faire semblant de s’y intéresser.

Mais le rédacteur de la page nous prévient d’emblée : « Encore faut-il savoir de quoi il s’agit, et quelles controverses ce terme peut susciter. » Il y aurait donc plusieurs façons d’enseigner explicitement ?

Oui, bien sûr, selon l’IFÉ ! Il y a les bonnes façons qui sont passées à la moulinette constructiviste et la mauvaise façon d’inspiration instructionniste. La preuve nous est donnée dans le paragraphe consacré aux « différents cadres théoriques ».

Selon l’IFÉ, la pédagogie explicite, c’est d’abord Fayol, Cèbe et Goigoux qui s'intéressent notamment à l'enseignement explicite de la compréhension des textes (l'utilisation de l'explicite la plus contestable puisque, selon E.D. Hirsch, la compréhension des textes résulte du vocabulaire et de la culture générale que l'on a acquis auparavant ; nul besoin de stratégies mais de connaissances). « Ces chercheurs demandent donc aux enseignants de consacrer un temps suffisant aux répétitions, aux verbalisations qui guident l’action, à l’explication collective des conditions de réussite des tâches, parce que “réussir n’est pas comprendre” ». On peut donc réussir ses apprentissages sans avoir rien compris ! Cela commence bien...

Ensuite vient le vilain canard noir :
« Une autre acception de l’enseignement explicite est popularisée par le canadien Steve Bissonnette, qui prône l’« instruction directe ». Selon lui, les mesures de soutien efficace passent par des actions de dire (rendre explicites les intentions et objectifs de la leçon pour les élèves, rendre explicite les prérequis dont les élèves auront besoin), de montrer (l’enseignant exécute la tâche et énonce le raisonnement adapté à haute voix) et de guider (l’enseignant amène les élèves à rendre explicite leur raisonnement préalable, fournit les rétroactions nécessaires). Les compétences ou les savoirs qui les composent sont décomposés en éléments les plus simples pour que les élèves apprennent progressivement, notamment pour les élèves en difficulté. Trois étapes au cours de la leçon sont donc récurrentes : le modelage (enseigner quoi, pourquoi, comment, quand et où, faire, par une démonstration magistrale) ; la pratique dirigée (proposer des tâches semblables à celles du modelage mais avec des rétroactions régulières et échanges d’idée entre élèves pour s’assurer de leur compréhension) ; la pratique autonome ou indépendante (l’élève réinvestit seul ce qu’il a compris du modelage dans des problèmes ou des questions). »
L’instruction directe, quelle horreur ! Si ce n’est que Steve Bissonnette, Mario Richard et Clermont Gauthier (les deux derniers ont été gentiment oubliés) parlent constamment d’enseignement explicite et non d’instruction directe. Ils s’intéressent de près au Direct Instruction américain, qui est une forme très cadrée et normée d’enseignement explicite, mais leur inspiration première vient des travaux de Barak Rosenshine. Ce dernier est le “père” de l’enseignement explicite, dont il a décrit les caractéristiques dès les années 1980. On ne peut véritablement pas parler d’enseignement explicite sans évoquer ses travaux, notamment sa dernière parution : Les principes d’enseignement, qui est la synthèse de son œuvre (2010).

J'ai bien cherché dans ces « quatre pages » sur l’enseignement explicite, je n'ai pas trouvé un mot sur Barak Rosenshine ! Un peu comme si on parlait du système solaire sans parler du Soleil...

Si Rosenshine est absent, le cadre théorique n’oublie pas Jean-Yves Rochex qu’on peut voir dans une vidéo avec Philippe Meirieu (!) où ils discutent à bâtons rompus d’enseignement explicite… sans bien sûr un seul mot sur son fondateur et sur les chercheurs canadiens qui l'ont fait connaître dans le monde francophone. Entre “spécialistes” de la même obédience, on ne parle pas de ce qui fâche.

Le “cadre théorique” se termine - last but not the least - par un membre du GFEN, groupuscule qui est aux antipodes de tout enseignement efficace ! L’extrait cité vaut d'ailleurs son pesant d’or : « « [Certaines réponses] aux difficultés des élèves se traduisent par une adaptation des tâches dans le sens de la simplification, de la fragmentation, d’un surcroît d’aide qui, en fait, au lieu d’aider les élèves, viennent enkyster et accroître la différence par rapport aux autres élèves, et donc participe à asseoir les difficultés alors même que l'on voudrait les résoudre. Et tout ça à l’insu des enseignants... » Faute de s'appuyer sur des études tangibles, on affirme ses opinions et cela tient lieu de recherche !

Au passage, rappelons à ceux qui l’aurait oublié que le GFEN fut jadis un satellite du PCF peuplé de staliniens purs et durs qui ont fait bien des misères au camarade Freinet (entre pédagogues “nouveaux” les querelles étaient sanglantes). Il y a quelques années, le GFEN avait sorti un article d’anthologie sur la pédagogie explicite (un des premiers de cette veine explicite constructiviste) qui lui avait valu une excellente réponse de Françoise Appy, dont voici un extrait : « Méfions-nous donc des labels “explicite” qui commencent à parsemer certaines pratiques constructivistes pensant ainsi redorer le blason de méthodes maintenant assimilées dans l’opinion au laxisme, à l’inefficacité et à l’injustice sociale. L’Enseignement Explicite est porteur d’un véritable rapport à l’efficacité, il s’appuie sur des études probantes et sur tout ce que nous savons maintenant du fonctionnement du cerveau humain. En aucune manière, il n’est compatible avec l’utilisation de méthodes de découverte comme moyen d’apprentissage. » Déjà, nous percevions que l’enseignement explicite allait être récupéré par les constructivistes, d’où l’usage des majuscules pour distinguer la vraie version (celle de Barak Rosenshine) des resucées qui sont autant de perversions.

C’est d'ailleurs une habitude des constructivistes de récupérer tout ce qui est nouveau pour en faire des usines à gaz parfaitement absconses et inefficaces. L'enseignement explicite en est à son tour la victime.

Et c'est ce succédané poussif d'enseignement explicite que l’IFÉ a osé proposer comme formation de formateurs. 

Après avoir lu cette première des quatre pages, on peut se dispenser de voir les autres : l'une intitulée Enseigner plus explicitement : Pourquoi ? Qui ? Quand ? Quoi ? Où ?, dans laquelle interviennent des “spécialistes” qui ne pipent toujours pas mot sur le travail de Rosenshine ; l'autre intitulée Enseigner plus explicitement, un outil pour la formation ?, avec des schémas ésotériques et sans rapport avec le sujet de la soi-disant formation, comme celui-ci :




Reste la dernière page : Enseigner plus explicitement, bibliographie / sitographie. On y trouve seulement 18 références, dont une seule se rapporte à Steve Bissonnette. Quant à la sitographie, elle ne comporte aucun lien. Le site Form@PEx, avec ses centaines d’articles sur l’Enseignement Explicite, n’y figure pas.

Les pauvres formateurs ont manifestement eu droit à une formation frelatée. Une de plus...


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