Comme pour le précédent, le titre est trompeur dans la mesure où ne sont développés que quelques aspects seulement de ce qu’il annonce. Dans La destruction de l’enseignement élémentaire et ses penseurs, on s’attendait au procès de Jean Piaget, pilier du constructivisme et de sa justification. Or… rien. À peine son nom apparaît-il dans cette suite. De manière très fugace. Peut-être est-ce un effet de la solidarité entre psychologues (Liliane Lurçat est docteur en psychologie) ?
Comme dans le premier ouvrage, l’auteur fait une recension de livres et d’articles pour étayer son propos. Sources d’un intérêt inégal et pour la plupart oubliées, plus de dix ans plus tard.
Liliane Lurçat semble avoir découvert le mot “pédagogisme” entre ses deux livres (dans le premier, elle parlait plutôt d’Éducation Nouvelle et de constructivisme). Elle définit le “pédagogisme” ainsi : « La pédagogie n’est pas séparable des connaissances à transmettre. Elle prend des formes différentes selon les disciplines. À l’inverse, le pédagogisme sépare la pédagogie des disciplines. Il veut se situer au-dessus des connaissances à transmettre auxquelles il substitue un arsenal de techniques et de procédés. » Je préfère, et de loin, la distinction établie par Fanny Capel. Il semble bien, en effet, que Liliane Lurçat confonde pédagogie et didactique. Quant aux techniques et aux procédés, c’est la caractéristique de toute pédagogie, y compris les plus efficaces.
Confondre la pédagogie et le “pédagogisme” est, selon moi, rédhibitoire. C'est l'erreur classique des partisans de l'enseignement traditionnel.
Là où l’auteur est plus convaincant, c’est sur la question de l’égalité. L’école doit offrir une égalité de droits, notamment le droit de recevoir un enseignement de qualité. De cette évidence qui remonte à Condorcet, on est passé avec les “pédagogistes” à une « égalité des chances », qui sous-entend que chaque élève doit avoir “la chance” de réussir, quelle que soient ses aptitudes ou son implication. Et l’on s’étonne ensuite que tous ceux qui restent sur le carreau soient déçus et manifestent parfois avec violence leur mécontentement. Quand ce ne sont pas leurs parents !
Pour cacher les piètres résultats obtenus par les élèves les plus faibles, on les fait passer automatiquement en classe supérieure. Du coup, ils sont contents et leurs parents aussi. Cela nous amène à un des postulats du constructivisme : la nécessaire hétérogénéité des classes. « L’école de masse (…) se caractérise par le désir de scolariser tous les élèves sur le même modèle. Désormais, ils doivent suivre le même enseignement dans les mêmes classes, quelle que soit leur destination future. On appelle ce mélange des enfants : l’hétérogénéité des élèves, en opposition aux classes constituées de manière plus homogène d’élèves destinés à des études semblables. » D’où l’évocation de « l’enfance massifiée » dans le sous-titre. Or, comme le remarque très justement l’auteur, « l’hétérogénéité des niveaux n’engendre pas miraculeusement une homogénéité des résultats ». C’est l’exemple même de la fausse bonne idée parce que, dans ces classes hétérogènes, tous les élèves perdent en fait leur temps : les élèves en difficultés n’ont pas le temps de rattraper leur retard, les bons élèves s’ennuient et les moyens se débrouillent selon les jours. C’est la version pédagogique du lit de Procuste [1].
Liliane Lurçat remarque très justement que cette nouvelle école, par son inefficacité revendiquée, favorise les favorisés (les “héritiers”, disait Bourdieu) et coule les autres. « L’imprécision des démarches, l’absence de rigueur pédagogique favorisent la confusion et l’incompréhension, tandis que les automatismes de base : lire, écrire et calculer, ne sont pas installés chez beaucoup d’enfants qui ne bénéficient pas du soutien familial, et mal installés chez beaucoup d’autres, dont les connaissances sont lacunaires à des niveaux très élémentaires. »
Parangon du pédagogisme : Philippe Meirieu. La dernière partie du livre lui est consacrée. Il le mérite. En 1998, il est au faîte de sa gloire : il a l’oreille du ministre Allègre et vient d’être nommé directeur de l’INRP. « Ses idées sont largement diffusées dans l’école par l’action conjuguée des instances hiérarchiques et des associations militantes ; elles se sont imposées au niveau ministériel, par les responsabilités qui lui ont été confiées ». Liliane Lurçat fait une recension de quelques-uns de ses ouvrages. Les commentaires sont intéressants, mais ils n’ont pas la puissance argumentative développée par Denis Kambouchner. Principal chef de file des “pédagogistes”, Meirieu veut modifier la société grâce à l’école. Les “pédagogistes” « ont en commun la volonté de créer une école permettant de faire passer dans la réalité l’idée qu’ils se font de la société future ». Leur projet n’est donc pas pédagogique, il est politique. On peut donc dire qu’ils ignorent l’obligation de laïcité des écoles publiques et même qu’ils méprisent les valeurs démocratiques de notre société en cherchant à imposer leurs conceptions de manière totalitaire. D’où le titre du livre. Pour eux, l’école n’est qu’un « puissant moyen d’agir sur la société ». Comme dans les totalitarismes qui ont ensanglanté le XXe siècle…
Nous avons donc la réponse à la question posée dans le titre : « Vers une école totalitaire ? ». Devant les écoles constructivistes, on peut donc légitimement placer le panneau : « Danger, école ! »... et fuir.
[1] . Procuste sévissait le long de la route qui va d'Athènes à Éleusis. Il offrait l'hospitalité aux voyageurs qu'il capturait pour les torturer ainsi : il les attachait sur un lit, où ils devaient tenir exactement ; s'ils étaient trop grands, Procuste coupait les membres qui dépassaient ; s'ils étaient trop petits, il les étirait jusqu'à ce qu'ils atteignent la taille requise.
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Vers une école totalitaire ? – L'enfance massifiée à l'école et dans la société
Liliane LURÇAT
François-Xavier de Guibert, 10.1998, 170 p.
François-Xavier de Guibert, 10.1998, 170 p.
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