Mon commentaire : La coïncidence a voulu que l'article de Normand Baillargeon reproduit ci-dessous ait paru le lendemain de la mort de Siegfried “Zig” Engelmann, le fondateur du Direct Instruction américain, survenue le 15 février 2019. Ce texte rend ainsi involontairement et fort opportunément hommage à son œuvre.
Source : Le Devoir
Normand Baillargeon
Direct Instruction
Un nouveau bilan à méditer
Avant toute chose, une
mise en garde : je vous emmène aujourd’hui sur un terrain miné. Ce
dangereux territoire a pour nom “méthodes pédagogiques”. S’il est à ce point
périlleux, c’est qu’il est le lieu de virulents débats : conceptuels,
méthodologiques, mais aussi idéologiques.
Pour circuler avec une
certaine sûreté sur ce territoire, une boussole sera fort utile. Je suggère
celle qui permet de distinguer d’une part des méthodes pédagogiques centrées
sur l’élève et, d’autre part, des méthodes pédagogiques centrées sur
l’enseignant.
En première
approximation, les premières miseront surtout sur la participation active de
l’élève, invité par exemple à découvrir ce qu’on veut lui faire apprendre. Les
deuxièmes miseront plutôt sur un enseignant prenant les commandes et présentant
de manière séquencée, systématique et précise le contenu à faire apprendre.
Ces dernières méthodes
comprennent toutes ces pratiques qu’on regroupe sous l’appellation de méthodes
instructionnistes. Parmi elles, il en est une appelée “instruction directe”
(ID) — DI, ou Direct
Instruction, en anglais, puisque cette approche provient des États-Unis, où
elle est apparue il y a une cinquantaine d’années.
L’ID en quelques mots
L’ID a été développée par
Siegfried Engelmann (1931), un philosophe de formation, puis en collaboration
avec des collègues. Les idées fondamentales sur lesquelles elle repose sont les
suivantes.
Tous les enfants peuvent
apprendre si on utilise la bonne méthode d’instruction et s’ils maîtrisent les
connaissances préalables nécessaires pour acquérir une nouvelle connaissance.
Pour respecter ces
principes, l’enseignant présente son contenu de manière séquencée et non
ambiguë : l’élève peut alors correctement inférer ce qu’il doit apprendre.
Il le pratique ensuite jusqu’à la maîtrise et possède dès lors un nouvel outil
dans son répertoire cognitif : il pourra en user pour acquérir de
nouvelles connaissances.
Engelmann et ses
collaborateurs ont rédigé plus de cent programmes d’instruction directe fondés
sur ces principes.
Notons que rien de tout
cela n’interdit que l’enseignant puisse aussi utiliser des stratégies qui
sollicitent la participation des élèves — il peut, et même doit poser de brèves
questions pour s’assurer que telle chose a été comprise, par exemple.
Peu de temps après sa
création, l’ID a été testée dans le cadre de Follow Through, qui est la plus longue étude longitudinale jamais
réalisée en éducation. On y comparait sur plusieurs plans diverses méthodes
pédagogiques. La grande gagnante, sur tous les plans ? L’ID.
Elle a été testée de
nombreuses fois depuis lors. Avec quels résultats ? Une méta-analyse qui
se penche sur toutes ces mises à l’épreuve réalisées depuis un demi-siècle est
parue en 2018.
La récente
méta-analyse
Par méta-analyse, pour le
dire en un mot, on désigne des méthodes statistiques qui synthétisent des
résultats de recherche portant sur un objet commun en cherchant à repérer des
schèmes, des désaccords et des tendances alors perçues comme plus ou moins
lourdes.
Les résultats rapportés
par la méta-analyse The Effectiveness of Direct Instruction Curricula —
ils concernent la lecture, les mathématiques, la langue et bien d’autres sujets
— vont dans le sens de ceux de Follow
Through. Les auteurs rapportent les inévitables limitations de leur travail
et demandent qu’on poursuive les recherches. Je vous invite à lire l’article
pour en savoir plus. Mais il reste que les effets des programmes d’ID sont
décrits comme « constamment positifs »
et même, pour la plupart des critères étudiés, « grandement positifs ».
Des réflexions en
revenant du champ de mines
Presque rien de toute
l’abondante littérature de l’ID (programmes, ouvrages théoriques, articles…)
n’est offert en français. Et même dans le monde anglo-saxon, la méthode reste
largement méconnue et sous-utilisée. Les auteurs concluent d’ailleurs leur
texte en évoquant cela comme une manière d’énigme : « Malgré le fait qu’une très imposante
quantité de travaux de recherche en montre l’efficacité, l’ID n’a été ni
largement diffusée ni utilisée à grande échelle. »
Cela, suggèrent-ils,
pourrait être dû à la popularité du constructivisme en éducation et à la
méconnaissance de ce qu’est réellement l’ID. Souvent, en tout cas, elle est
condamnée d’avance, typiquement considérée comme malsaine, contraire à la
nature, à ce qui vaut mieux pour l’enfant, et ainsi de suite.
Peut-être. Mais cette
méconnaissance et cette sous-utilisation d’une pratique que la recherche
recommande restent troublantes.
À ce propos, je dois dire
qu’une des lectures troublantes que j’ai faites en éducation est justement un
ouvrage de Siegfried Engelmann paru en 1992, dans lequel il soulevait
précisément cette énigme.
Engelmann avançait
quelques hypothèses pour la résoudre. Mais le titre de son livre (War Against the Schools’ Academic Child Abuse) ne laissait aucun doute sur
les effets auxquels, selon lui, conduisent cette méconnaissance et cette
sous-utilisation : à de la maltraitance d’enfants par le milieu de
l’enseignement.