Libération,
10.09.2017
Les deux techniques
cohabitent dans les écoles, et les difficultés persistent. L’approche
syllabique, qui permet un décodage fluide des mots, n’exclut en rien
le travail sur la compréhension.
Écartons deux fausses oppositions, omniprésentes ces
temps-ci dans la presse, et qui masquent la réalité du problème de
l’apprentissage de la lecture. Entre méthode globale et syllabique, d’abord.
Actuellement, 90 % des enseignants pratiquent une variété de méthodes “mixtes”
qui conjuguent un apprentissage du décodage syllabe par syllabe, essentiel dans
la démarche syllabique, et des procédures d’identification des mots écrits
empruntées à la globale. Les tenants de ces méthodes mixtes ont beau jeu dans
ces conditions de rétorquer à ceux qui mettent en cause l’inefficacité de la
globale que plus aucun maître ne pratique aujourd’hui la globale pure. L’affaire
paraît réglée, et l’on s’évite tout questionnement sur les difficultés
d’apprentissage persistantes et massives à l’entrée dans la culture écrite. Écartons
aussi l’opposition gauche-droite, plus implicite. La syllabique étant associée
à la droite, les tenants de l’ordre pédagogique aujourd’hui établi, des
méthodes mixtes s’identifient dès lors au progressisme. Une politisation qui
bloque la réflexion.
Les difficultés ne tiennent pas aux enfants : tous les
élèves, hors cas cliniques, peuvent entrer normalement dans la culture écrite.
Elles ne tiennent pas à la qualité des maîtres. Les 131 enseignants
enquêtés en 2015 dans l’étude coordonnée par Roland Goigoux se signalent
par leur expérience et assurance professionnelles : or, il s’avère que
cette élite compte autant de maîtres efficaces et inefficaces qu’au plan
national. Elles ne tiennent pas au fait d’enseigner ou pas le décodage, que
tous les enseignants pratiquent. Reste la façon de le faire, où tout se joue.
Quelle que soit leur diversité, les modes “mixtes” d’enseignement de la lecture
présentent trois constantes : au départ, la reconnaissance globale d’un
certain nombre de “mots outils” ; ensuite, le travail sur des textes plus
ou moins déchiffrables, mais qui ne le sont jamais entièrement, les élèves
étant encouragés à pratiquer la “lecture devinette” ; conjointement, au nom du “lire,
c’est comprendre”, un travail sur la compréhension dissocié du décodage et qui
finit par en prendre la place sans que son aisance et sa fluidité soient
complètement acquises.
C’est pourquoi, au-delà des querelles politiques,
réhabiliter la méthode syllabique nous semble indispensable. Par la règle du “tout
déchiffrable”, elle exclut la lecture devinette sans pour autant s’opposer au
travail sur la compréhension. Il faut ne jamais avoir appris à lire à
quiconque pour méconnaître la propension des élèves à se précipiter pour
deviner, imaginer, et éviter un décodage toujours pénible au début. Plutôt que
d’encourager ce réflexe, l’apprentissage syllabique ramène constamment et
précisément au texte écrit, dont il propose une appropriation progressive,
méthodique, systématique. Puisqu’il y a avec elle tout à déchiffrer et rien à
deviner, apprendre à lire peut contribuer à enrichir un lexique qui peut donc
être découvert et pas seulement reconnu. Mais ici le travail sur la
compréhension ne saurait être dissocié de l’acquisition d’un déchiffrage
fluide, condition essentielle pour entendre ce qu’on lit.
Toutes les enquêtes statistiques menées au plan
international depuis la fin du siècle dernier convergent pour valider
l’essentiel des préconisations de la méthode syllabique, laquelle
reste pourtant, et paradoxalement, d’un usage très minoritaire – notamment dans
l’école publique (1). Une chose est sûre : quand dans la France du
XXIe siècle un jeune sur cinq au sortir de sa scolarité est en grande
difficulté de compréhension de l’écrit (selon les données convergentes de PISA et
du ministère), refuser de réexaminer les convictions pédagogiques et les
habitudes de travail professionnel les plus ancrées est assurément
problématique.
(1) Voir Jean-Pierre Terrail, “Enquêtes sur l’apprentissage
de la lecture. Bilan 2000-2016 et enseignements”, Groupe
de recherche sur la démocratisation scolaire (GRDS), 2016.
Jérôme Deauvieau, professeur de sociologie à l’École normale
supérieure
Janine Reichstadt, professeure honoraire à l’Espé de
Créteil
Jean-Pierre Terrail, professeur honoraire à l’université de
Versailles–Saint-Quentin-en-Yvelines
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