André TRICOT, Manuel MUSIAL
Précis d'ingénierie pédagogique
De Boeck Supérieur
02.2020
352 p
Entretien avec André Tricot
Votre livre n'est pas un manuel, ou un cours ou un
recueil ou une encyclopédie. C'est un “précis”. Que voulez-vous dire par le
choix de ce mot ?
On a poursuivi deux objectifs. Le premier, c'est de faire un
état de notre positionnement par rapport aux connaissances théoriques. On veut
essayer de répondre à la question « Qu'est-ce que concevoir un
enseignement » quand on considère qu'enseigner, c'est réussir à faire
apprendre aux élèves. Ça fait appel à des domaines scientifiques différents. Et
puis on défend un point de vue : l'idée que le métier d’enseignant est un
métier de la conception. Les enseignants sont un peu des ingénieurs. On
veut relier didactique et pédagogie.
L'ouvrage défend une théorie : celle des 3 actes (l'acte
de concevoir, l'acte d'enseigner et l'acte d'apprendre à l'école). Ne prenez-vous
pas le risque d'enfermer les enseignants dans quelque chose de prescriptif ?
On a l'ambition contraire. Si on considère qu'enseigner,
c'est aussi préparer son cours et que cela relève de l'ingénierie, cela veut
dire que chaque enseignant est concepteur d'une situation d'enseignement qui
est originale avec à chaque fois des objectifs en rapport avec les
caractéristiques de ses élèves et du temps et du matériel dont il dispose. On
dit comment utiliser les connaissances pour résoudre ce problème de conception.
Mais pour nous c'est le contraire de la procédure.
Pour nous l'enseignant est comme un ingénieur qui construit
des ponts sur différents fleuves. Chaque pont est forcément différent.
Enseigner c'est concevoir des solutions originales mais en se basant sur des
connaissances y compris scientifiques.
Vous dites, et cela fonde le reste du livre, qu'apprendre
à l'école c'est différent d'apprendre dans la vie. Quelles différences il y
a-t-il ?
Dans la vie on apprend par adaptation et nécessité. On
apprend ce dont on a besoin dans la vie de tous les jours. À l'école on apprend
des connaissances qui ne seront pas forcément utiles aujourd'hui mais qui
prendront sens plus tard.
Du coup quand on enseigne une connaissance pas immédiatement
utile on ne fait pas appel à des mécanismes d'adaptation. On va essayer de
donner du sens à l'apprentissage. C'est pourquoi la motivation est si
importante à l'école. Et c'est une des grandes difficultés du métier.
À l'école on apprend des connaissances qui n'ont pas
d'utilité immédiate et pourtant jamais l'école n'a été aussi utile
qu'actuellement, jamais le fait d'être diplômé n'a été aussi important.
Parmi les 3 Actes présentés dans l'ouvrage il y a l'Acte
d'enseigner qui se décline en 4 processus. Mais dans la classe on est face à du
vivant...
C'est une question qu'on se pose depuis des années. Il y a
bien ce côté vivant où on réagit aux questions, où on trouve un autre exemple,
où on adapte la démarche au dernier moment. C'est important de distinguer cela.
Mais la recherche montre que les enseignants qui réussissent le mieux sont ceux
qui sont les plus rigoureux dans la préparation de leur cours et les plus
souples dans la conduite de la classe.
Les 4 processus que vous évoquez sont mis dans l'ouvrage en
correspondance avec les 4 processus d'apprentissage : s'engager, se concentrer,
réaliser une tache et apprendre. Si enseigner c'est faire apprendre les élèves,
on doit trouver une correspondance entre processus d'apprentissage et processus
d'enseignement.
Cet ouvrage est pour les formateurs ?
Il y a 8 ans on avait écrit Comment concevoir un
enseignement, un livre écrit pour les enseignants débutants. Mais on s'est
rendu compte que les personnes qui parlaient du livre n'étaient pas que des
enseignants débutants mais aussi des enseignants aguerris et des formateurs. Ce
nouvel ouvrage montre l'état de notre réflexion sur ces questions et son
lectorat devrait être lui aussi large. Ce qui m'intéresse, c'est l'échange
entre chercheurs et enseignants.
Propos recueillis
par François Jarraud