Ce livre est une transcription d’émissions sur le thème de l’école, ou plutôt de la crise de l’école dont on sait ce qu’en pense Alain Finkielkraut. Sa position peut se résumer par cette phrase : « Je vois l’école faire naufrage. Pensez-vous que j’exagère et même que j’ai la berlue ? » (p 129).
Quelles sont les raisons de ce naufrage ? Dès la préface, A. Finkielkraut pose le problème dans ces termes : « La crise de l’école (…) est-elle imputable au grand déluge des réformes ou au conservatisme crispé de maîtres qui s’acharnent à offrir le même enseignement que celui qu’ils ont reçu sans tenir aucun compte de l’évolution du monde ? » (p 10).
Le “déluge des réformes” a fini par imposer le pédagogisme, c’est-à-dire les pratiques inefficaces du constructivisme cher à Piaget, à Freinet, à Meirieu et à de nombreux autres “experts” du système éducatif. Marc Le Bris résume parfaitement cette démarche recommandée aux futurs maîtres dès la fin des années 1970 dans les écoles normales d’instituteurs et encore aujourd’hui, quarante ans après, dans les IUFM. « On propose [à l’élève] de fabriquer une boîte à mouchoirs disposant d’une ouverture sur le dessus. À cet effet, on lui fournit du carton, des ciseaux et de là, il est censé déduire que deux droites perpendiculaires sont plus faciles à manipuler que deux droites qui ne le sont pas. Comme, en général, l’enfant seul ne bouge pas, reste comme un chou dans son champ, on décide de les mettre en groupe de façon à susciter la discussion entre eux. Cette discussion doit déboucher sur la construction autonome du savoir. Le conflit entre enfants de huit-neuf ans ne tarde pas à surgir. Si le maître se révèle suffisamment avisé, ou hypocrite, pour réussir à empêcher le conflit de tourner à l’échange de coups de poing, en toute logique postmoderne, la construction autonome d’un concept neuf émergera de ce “conflit sociocognitif” » (p 84). Avec de telles façons d’enseigner, il était inéluctable que l’école fasse naufrage. « C’est finalement la question générale qui se pose à tous les étages de l’école : les élèves y apprennent-ils quelque chose de manière solide et rigoureuse ? » (p 60). Pour Fanny Capel qui pose cette vraie question, la réponse est non. Et elle a raison…
Les poncifs erronés sur lesquels s’appuie le constructivisme ont parallèlement entraîné une évolution déplorable des attentes des élèves et de leurs parents. « Les élèves sont invités à se penser comme des ayants-droit à l’éducation, aux diplômes, à l’emploi. La formation n’est plus un but mais un dû » (p 135). A. Finkielkraut précise : « Si la doxa elle-même souffle à l’adolescent déçu par une mauvaise note ou une appréciation sévère qu’il vient de subir une intolérable humiliation, où trouvera-t-il la ressource de s’instruire, c’est-à-dire de se faire mal ? Commuer systématiquement l’échec de l’élève en échec de l’école, (…) c’est de la non-assistance à personne en danger » (p 140). Et toujours à propos des notes : « Lorsqu’on aura convaincu tout le monde que la moindre mauvaise note est humiliante, que les professeurs sont des monstres, ne cherchant qu’à sélectionner en fonction du milieu social, (…) on aura définitivement brisé la relation entre le maître et l’élève en instillant, dans l’esprit des familles et celui des élèves, qu’il convient de se méfier du professeur et de l’école » (Natacha Polony, p 139). Circonstance aggravante, les parents se montrent bien souvent incapables d’éduquer leurs enfants : « Des parents déboussolés, dépourvus de normes éducatives, de règles, cherchant désespérément des repères dans les médias » (Dominique Pasquier, p 17).
Le pédagogisme a fini par s’imposer avec le temps. Mais il est impossible aujourd’hui de continuer à dissimuler ses résultats. « La situation est à proprement parler délirante : on fait faire de la philosophie en maternelle et, à l’université, on réintroduit la culture générale parce que les étudiants ne savent plus rien » (Marc Le Bris, p 79).
Pour autant, faut-il en revenir à l’enseignement traditionnel ? A. Finkielkraut le suggère à longueur d’émissions. Il cite R. Boutonnet et L. Lafforgue qui sont effectivement des références dans ce domaine. Il constate amèrement que « la pédagogie n’est plus au service des savoirs » (p 48) et appelle de ses vœux « le primat de l’instruction sur la pédagogie » (p 50). Comme s’il fallait établir une hiérarchie entre les savoirs et les moyens de les transmettre ! Si on donne la priorité aux connaissances sans avoir des techniques d’enseignement efficaces, qu’est-ce que cela va donner ? La réponse est claire : un autre naufrage.
A. Finkielkraut fait partie des nostalgiques. Son monde est celui « d’avant les nouvelles technologies » (p 26). Il a l’ordinateur en horreur, comme Internet (il faut « se désensorceler d’Internet » – p 157), comme « l’anglais international » (p 199). Il tient des propos ambigus sur l’immigration, rejetant sur les enfants d’immigrés les erreurs commises par les politiques suivies ces quarante dernières années. Tout cela le décrédibilise considérablement, mais c’est hélas devenu le dénominateur commun des partisans de l’enseignement traditionnel. Il suffit de consulter les blogs de Natacha Polony ou de Jean-Paul Brighelli pour constater cette grave dérive. Sans s’en apercevoir, certains sont devenus la caricature que leurs adversaires faisaient d’eux. Mauvais choix…
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La querelle de l'école
dir. Alain FINKIELKRAUT
Stock/Panama, 228 p.09/2007
Franz Xaver Messerschmidt