On peut très précisément dater l’arrivée de l’Explicite en
France à l’année 2005. En effet, cette année-là, suite à la publication en
janvier du livre Échec scolaire et réforme éducative, Clermont Gauthier
va donner deux conférences à Paris. L’une à un cercle de réflexion, la Fondapol,
et la seconde à Sauver Les Lettres, un collectif d’enseignants
critiques.
Malgré un auditoire probablement très intéressé et attentif,
ces conférences eurent un retentissement limité qui toucha un public
confidentiel. Mais heureusement, la Fondapol en tira un fascicule d’une cinquantaine
de pages, librement téléchargeable sur son site, intitulé Quelles sont les
pédagogies efficaces ? - Un état de la recherche.
De notre côté, nous avons mené notre carrière d’instituteurs
en parallèle, de 1977 à 2016. Dans les années 1980, nous étions en poste dans
une école des Quartiers Nord de Marseille, classée en zone prioritaire, où les
élèves étaient tous des enfants d’immigrés récents d’Afrique du Nord.
Dans un tel contexte, pour obtenir des résultats, il fallait
bien vite prendre le parti d’abandonner ce qui ne marchait pas pour conserver
ce qui fonctionnait. Ainsi, devant ces élèves, il fallait impérativement partir
du simple pour aller au complexe, prendre le temps d’expliquer en repartant des
connaissances de base, faire preuve de beaucoup de rigueur et d’exigence,
enseigner les stratégies, proposer de nombreux exercices d’entraînement,
pratiquer des révisions quotidiennes. Le tout avec une gestion de classe à la
fois ferme et bienveillante, facilitant la vie commune, la qualité du travail
et le sens de l’effort. De fait, cette façon d’enseigner n’était plus du tout
conforme à l’orthodoxie constructiviste apprise en formation.
Remarquons au passage que le consensus sur les démarches par
découverte était absolu à cette époque en France. À un point tel que le mot
“constructivisme” était totalement inconnu des enseignants. Le paradigme
pédagogique prédominant allait tellement de soi, était tellement indépassable,
qu’il n’était même pas utile de le nommer. Il était donc difficile de
contrevenir à ces pratiques pédagogiques diffusées et imposées par les
formateurs, les experts, le ministre, la hiérarchie, les conseillers, les
syndicats, les éditeurs et les programmes.
Au tournant des années 2000, des voix ont pourtant commencé
à s’élever pour dénoncer les pratiques pédagogiques désastreuses ayant cours
dans les écoles françaises. Des pamphlétaires ont publié quantité d’ouvrages
dénonçant l’absurdité des démarches d’enseignement entraînant la débâcle de
l’École française qui avait été jadis si réputée.
Pourquoi cette prise de conscience si tardive ? Je
l’explique par le renouvellement progressif des enseignants. Les jeunes
instituteurs, formés aux pratiques de « l’École nouvelle » débutèrent leur
carrière au courant des années 1970. Puis progressivement, ils ont remplacé les
anciens qui partaient à la retraite.
Tant que les seules écoles des quartiers populaires étaient
touchées, le changement de paradigme pédagogique n’était pas vraiment perçu.
Mais lorsque ces nouveaux instituteurs arrivèrent dans les quartiers bourgeois,
dans le courant des années 1990, les classes sociales favorisées ont commencé,
elles aussi, à souffrir de pratiques pédagogiques dégradées. C’est ainsi qu’au
tournant des années 2000, la contestation du dogme pédagogique constructiviste
put enfin se faire entendre.
À la fin des années 1990, nous étions dans une école de
village près de Nîmes dans le Gard, école dont je suis devenu ensuite le
directeur. Grâce à Internet, nous fréquentions les cercles restreints d’enseignants
critiques, comme Sauver Les Lettres. C’est par leur intermédiaire que
nous avons eu connaissance, au printemps 2006, des conférences données par
Clermont Gauthier l’année précédente et surtout de la publication en ligne du
fascicule Quelles sont les pédagogies efficaces ?.
La lecture de ce document nous a permis de découvrir les
travaux menés par Barak Rosenshine et le modèle d’enseignement explicite qu’il
y décrit. Jusqu’alors, personne n’en avait pipé mot en France. Tous nos grands
chercheurs en sciences de l’éducation et les brillants auteurs qui ont
considérablement influencé les dérives du système éducatif français avaient
superbement ignoré la question de l’efficacité en éducation. On s’était
longuement intéressé à la façon dont l’élève apprend, comment il construit son savoir,
mais la façon dont on l’enseigne, si possible efficacement, était une question
considérée comme subalterne et que personne ne soulevait.
Comme bien d’autres enseignants expérimentés, nous avons
retrouvé dans les pratiques explicites plusieurs dispositifs que nous avions
élaborés au fil des années. Mais il y en avait d’autres auxquels nous n’avions
pas pensé et qui, dès leur mise en application en classe, donnèrent des
résultats tangibles et immédiats.
Nous fûmes donc tout de suite convaincus du potentiel de
renouveau pédagogique qu’offrait le modèle de Rosenshine.
Nous décidâmes alors de faire connaître l’Enseignement
Explicite par l’intermédiaire de notre site Internet qui, jusqu’alors, évoquait
les problèmes éducatifs et bénéficiait déjà d’un nombre de visites non
négligeable. Au début de l’été 2006, nous demandons aux instituteurs qui sont
intéressés de nous rejoindre au sein d’un réseau d’enseignants du Primaire. Le
projet démarre et nous parvenons rapidement à rassembler plusieurs dizaines de
collègues prêts à expérimenter les pratiques explicites dans leur classe.
L’année suivante, nous créons l’association “La 3e voie…”,
afin de donner une forme légale à notre réseau d’instituteurs. Cela nous
conduit à rencontrer à Paris le ministre de l’Éducation d’alors. Celui-ci a écouté
avec intérêt nos explications relatives à l’Enseignement Explicite, et nous a
fait bénéficier d’une subvention. Avec cet argent, nous organisons en 2010 un
stage de formation conduit par Steve Bissonnette et Mario Richard.
L’association fonctionne avec un site qui lui est dédié, une liste de discussion
qui permet les échanges d’expériences, un groupe d’animateurs chargés de faire
vivre le réseau qui compte près de 300 adhérents à la fin de l’année 2010.
Mais tous ces efforts ont d’abord suscité l’hostilité non
pas des militants constructivistes comme on aurait pu s’y attendre, mais des
partisans de l’enseignement traditionnel. Ceux-ci, en effet, ne comprenaient
pas pourquoi nous nous intéressions autant aux pratiques pédagogiques. À leurs
yeux, nous étions des « pédagogistes » au même titre que les partisans du
constructivisme.
À cela s’est ajoutée par la suite une tentative de
récupération, lorsque l’influence de notre association et le nombre de ses
adhérents ont fini par exciter les appétits d’officines traditionalistes en
panne d’idées pédagogiques.
Dès lors, nous reprîmes notre liberté fin 2010 en créant le
site Form@PEx. Avec l’expérience acquise, nous donnons à ce site
Internet une double vocation :
- d’une part, compiler tous les travaux sur l’Enseignement
Explicite, non seulement ceux de Barak Rosenshine mais aussi ceux, nombreux, de
Clermont Gauthier, Steve Bissonnette et Mario Richard, et d’autres encore à
leur suite ;
- d’autre part, de faciliter l’auto-formation des
enseignants par des articles de vulgarisation, par des documents pédagogiques,
par des vidéos, par des schémas explicatifs, etc.
C’est ainsi que Form@PEx constitue aujourd’hui, avec
plus de 500 articles, une référence sur ce thème. Sa fréquentation augmente
d’une année sur l’autre. Depuis sa création, le site a connu plus de 400 000 visites
(près de 300 par jour en ce moment).
Nous avons également mis en ligne deux blogs, Pour une
pédagogie renouvelée et Explicitement vôtre, afin de pouvoir
répondre directement aux polémiques. Celles-ci ne sont plus le fait des partisans
du traditionnel, qui ont pratiquement disparu de la scène pédagogique. Mais ce
sont les militants constructivistes qui ont fini par se réveiller et par se
rendre compte du danger que nous représentions pour eux. Si, dans un premier
temps, ils s’étaient contentés de nous ignorer superbement, ils ont ensuite commencé
à dire que nous étions des nostalgiques de l’enseignement traditionnel. Et pour
terminer, ils ont décidé de récupérer l’expression « enseignement explicite »
tout en taxant le modèle de Rosenshine d’« enseignement direct », le tout dans
l’espoir de redorer le blason terni de leurs pratiques.
Nous sommes également présents sur les réseaux sociaux
(Twitter, Facebook, LinkedIn). Bien que les controverses y soient parfois
virulentes, cette présence nous permet de toucher beaucoup de monde. La preuve
en est les messages privés, les courriels et les prises de contact que nous recevons
très régulièrement.
Bien que maintenant à la retraite, nous continuons toujours
nos activités en faveur de la promotion et de la diffusion de l’Enseignement
Explicite en alimentant le site Form@PEx, en écrivant dans nos blogs, en
étant présents sur les réseaux sociaux, en répondant aux diverses demandes
émanant d’enseignants aussi bien du Primaire que du Secondaire.
À notre grande satisfaction, nous constatons que notre
courant pédagogique se renforce de jour en jour et que ses partisans, de plus
en plus nombreux, n’hésitent plus à se faire entendre dans le monde francophone.
Le travail que nous avons entrepris depuis 2006 porte enfin
ses fruits…
[Article mis en ligne le 20.11.2019]