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jeudi 19 décembre 2024

Les progrès de l'Enseignement Explicite en France

 


On peut très précisément dater l’arrivée de l’Explicite en France à l’année 2005. En effet, cette année-là, suite à la publication en janvier du livre Échec scolaire et réforme éducative, Clermont Gauthier va donner deux conférences à Paris. L’une à un cercle de réflexion, la Fondapol, et la seconde à Sauver Les Lettres, un collectif d’enseignants critiques.

Malgré un auditoire probablement très intéressé et attentif, ces conférences eurent un retentissement limité qui toucha un public confidentiel. Mais heureusement, la Fondapol en tira un fascicule d’une cinquantaine de pages, librement téléchargeable sur son site, intitulé Quelles sont les pédagogies efficaces ? - Un état de la recherche.

De notre côté, nous avons mené notre carrière d’instituteurs en parallèle, de 1977 à 2016. Dans les années 1980, nous étions en poste dans une école des Quartiers Nord de Marseille, classée en zone prioritaire, où les élèves étaient tous des enfants d’immigrés récents d’Afrique du Nord.

Dans un tel contexte, pour obtenir des résultats, il fallait bien vite prendre le parti d’abandonner ce qui ne marchait pas pour conserver ce qui fonctionnait. Ainsi, devant ces élèves, il fallait impérativement partir du simple pour aller au complexe, prendre le temps d’expliquer en repartant des connaissances de base, faire preuve de beaucoup de rigueur et d’exigence, enseigner les stratégies, proposer de nombreux exercices d’entraînement, pratiquer des révisions quotidiennes. Le tout avec une gestion de classe à la fois ferme et bienveillante, facilitant la vie commune, la qualité du travail et le sens de l’effort. De fait, cette façon d’enseigner n’était plus du tout conforme à l’orthodoxie constructiviste apprise en formation.

Remarquons au passage que le consensus sur les démarches par découverte était absolu à cette époque en France. À un point tel que le mot “constructivisme” était totalement inconnu des enseignants. Le paradigme pédagogique prédominant allait tellement de soi, était tellement indépassable, qu’il n’était même pas utile de le nommer. Il était donc difficile de contrevenir à ces pratiques pédagogiques diffusées et imposées par les formateurs, les experts, le ministre, la hiérarchie, les conseillers, les syndicats, les éditeurs et les programmes.

Au tournant des années 2000, des voix ont pourtant commencé à s’élever pour dénoncer les pratiques pédagogiques désastreuses ayant cours dans les écoles françaises. Des pamphlétaires ont publié quantité d’ouvrages dénonçant l’absurdité des démarches d’enseignement entraînant la débâcle de l’École française qui avait été jadis si réputée.

Pourquoi cette prise de conscience si tardive ? Je l’explique par le renouvellement progressif des enseignants. Les jeunes instituteurs, formés aux pratiques de « l’École nouvelle » débutèrent leur carrière au courant des années 1970. Puis progressivement, ils ont remplacé les anciens qui partaient à la retraite.

Tant que les seules écoles des quartiers populaires étaient touchées, le changement de paradigme pédagogique n’était pas vraiment perçu. Mais lorsque ces nouveaux instituteurs arrivèrent dans les quartiers bourgeois, dans le courant des années 1990, les classes sociales favorisées ont commencé, elles aussi, à souffrir de pratiques pédagogiques dégradées. C’est ainsi qu’au tournant des années 2000, la contestation du dogme pédagogique constructiviste put enfin se faire entendre.

À la fin des années 1990, nous étions dans une école de village près de Nîmes dans le Gard, école dont je suis devenu ensuite le directeur. Grâce à Internet, nous fréquentions les cercles restreints d’enseignants critiques, comme Sauver Les Lettres. C’est par leur intermédiaire que nous avons eu connaissance, au printemps 2006, des conférences données par Clermont Gauthier l’année précédente et surtout de la publication en ligne du fascicule Quelles sont les pédagogies efficaces ?.

La lecture de ce document nous a permis de découvrir les travaux menés par Barak Rosenshine et le modèle d’enseignement explicite qu’il y décrit. Jusqu’alors, personne n’en avait pipé mot en France. Tous nos grands chercheurs en sciences de l’éducation et les brillants auteurs qui ont considérablement influencé les dérives du système éducatif français avaient superbement ignoré la question de l’efficacité en éducation. On s’était longuement intéressé à la façon dont l’élève apprend, comment il construit son savoir, mais la façon dont on l’enseigne, si possible efficacement, était une question considérée comme subalterne et que personne ne soulevait.

Comme bien d’autres enseignants expérimentés, nous avons retrouvé dans les pratiques explicites plusieurs dispositifs que nous avions élaborés au fil des années. Mais il y en avait d’autres auxquels nous n’avions pas pensé et qui, dès leur mise en application en classe, donnèrent des résultats tangibles et immédiats.

Nous fûmes donc tout de suite convaincus du potentiel de renouveau pédagogique qu’offrait le modèle de Rosenshine.

Nous décidâmes alors de faire connaître l’Enseignement Explicite par l’intermédiaire de notre site Internet qui, jusqu’alors, évoquait les problèmes éducatifs et bénéficiait déjà d’un nombre de visites non négligeable. Au début de l’été 2006, nous demandons aux instituteurs qui sont intéressés de nous rejoindre au sein d’un réseau d’enseignants du Primaire. Le projet démarre et nous parvenons rapidement à rassembler plusieurs dizaines de collègues prêts à expérimenter les pratiques explicites dans leur classe.

L’année suivante, nous créons l’association “La 3e voie…”, afin de donner une forme légale à notre réseau d’instituteurs. Cela nous conduit à rencontrer à Paris le ministre de l’Éducation d’alors. Celui-ci a écouté avec intérêt nos explications relatives à l’Enseignement Explicite, et nous a fait bénéficier d’une subvention. Avec cet argent, nous organisons en 2010 un stage de formation conduit par Steve Bissonnette et Mario Richard. L’association fonctionne avec un site qui lui est dédié, une liste de discussion qui permet les échanges d’expériences, un groupe d’animateurs chargés de faire vivre le réseau qui compte près de 300 adhérents à la fin de l’année 2010.

Mais tous ces efforts ont d’abord suscité l’hostilité non pas des militants constructivistes comme on aurait pu s’y attendre, mais des partisans de l’enseignement traditionnel. Ceux-ci, en effet, ne comprenaient pas pourquoi nous nous intéressions autant aux pratiques pédagogiques. À leurs yeux, nous étions des « pédagogistes » au même titre que les partisans du constructivisme.

À cela s’est ajoutée par la suite une tentative de récupération, lorsque l’influence de notre association et le nombre de ses adhérents ont fini par exciter les appétits d’officines traditionalistes en panne d’idées pédagogiques.

Dès lors, nous reprîmes notre liberté fin 2010 en créant le site Form@PEx. Avec l’expérience acquise, nous donnons à ce site Internet une double vocation :

- d’une part, compiler tous les travaux sur l’Enseignement Explicite, non seulement ceux de Barak Rosenshine mais aussi ceux, nombreux, de Clermont Gauthier, Steve Bissonnette et Mario Richard, et d’autres encore à leur suite ;

- d’autre part, de faciliter l’auto-formation des enseignants par des articles de vulgarisation, par des documents pédagogiques, par des vidéos, par des schémas explicatifs, etc.

C’est ainsi que Form@PEx constitue aujourd’hui, avec plus de 500 articles, une référence sur ce thème. Sa fréquentation augmente d’une année sur l’autre. Depuis sa création, le site a connu plus de 400 000 visites (près de 300 par jour en ce moment).

Nous avons également mis en ligne deux blogs, Pour une pédagogie renouvelée et Explicitement vôtre, afin de pouvoir répondre directement aux polémiques. Celles-ci ne sont plus le fait des partisans du traditionnel, qui ont pratiquement disparu de la scène pédagogique. Mais ce sont les militants constructivistes qui ont fini par se réveiller et par se rendre compte du danger que nous représentions pour eux. Si, dans un premier temps, ils s’étaient contentés de nous ignorer superbement, ils ont ensuite commencé à dire que nous étions des nostalgiques de l’enseignement traditionnel. Et pour terminer, ils ont décidé de récupérer l’expression « enseignement explicite » tout en taxant le modèle de Rosenshine d’« enseignement direct », le tout dans l’espoir de redorer le blason terni de leurs pratiques.

Nous sommes également présents sur les réseaux sociaux (Twitter, Facebook, LinkedIn). Bien que les controverses y soient parfois virulentes, cette présence nous permet de toucher beaucoup de monde. La preuve en est les messages privés, les courriels et les prises de contact que nous recevons très régulièrement.

Bien que maintenant à la retraite, nous continuons toujours nos activités en faveur de la promotion et de la diffusion de l’Enseignement Explicite en alimentant le site Form@PEx, en écrivant dans nos blogs, en étant présents sur les réseaux sociaux, en répondant aux diverses demandes émanant d’enseignants aussi bien du Primaire que du Secondaire.

À notre grande satisfaction, nous constatons que notre courant pédagogique se renforce de jour en jour et que ses partisans, de plus en plus nombreux, n’hésitent plus à se faire entendre dans le monde francophone.

Le travail que nous avons entrepris depuis 2006 porte enfin ses fruits…

 

[Article mis en ligne le 20.11.2019]

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