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vendredi 8 décembre 2006

Livre : À bonne école (Jean-Paul Brighelli)


Brighelli était un pamphlétaire utile lorsqu'il disait un certain nombre de vérités que le “pédagogiquement correct” a chassées des écoles. Cette dictature molle qui s’est tellement imposée au fil des années, jusqu'à très récemment.

L’auteur s’en prend aux pédagogistes. Un passage évoque comment ils ont investi les différents niveaux hiérarchiques de l’Éducation nationale : « Puis ils se sont recrutés les uns les autres. En investissant les organes de décision, pendant que les soutiers continuaient à travailler dans les écoles, les collèges et les lycées. Ce n’est un secret pour personne : les pédagogues sont presque tous des gens sans diplômes, qui ont enseigné aussi peu que possible dans le primaire ou le secondaire. Des imposteurs. Cette incompétence qui fait leur force, ils l’ont camouflée sous un discours de cuistres, tout en se faisant donner en sous-main, sur tapis vert, les diplômes qu’ils n’avaient pas. Demandez donc à ces gens qui s’affichent certifiés ou agrégés quand, et avec quels programmes, ils ont effectivement passé les concours ! » (p 90). C’est tellement vrai que l’on s’étonne aujourd’hui que personne ne s’en soit rendu compte plus tôt. Le ton devient menaçant : « Peut-être faudra-t-il un jour demander des comptes à ceux qui ont affirmé, depuis vingt ans, que l’ignorance c’est la force, et que l’esclavage, c’est la liberté » (p 301).

Brighelli s’intéresse au Primaire qu'il connaît pourtant très mal, et veut redonner toute sa place et son importance à la Maternelle : « D’abord, avant tout, reprendre la formation à la base, à l’école maternelle et au CP, là où tout se joue avant six ans - et, aujourd’hui, pour le pire. Et, de proche en proche, remettons le Savoir, le Travail, l’Effort, l’Humilité et la Difficulté vaincue au centre du système » (p 33). La mission difficile est résumée en une phrase : « D’un enfant-roi, l’école doit faire un élève parmi d’autres » (p 170).

L'auteur écrit, avec raison, qu’« instituteur et professeur sont deux métiers distincts, non seulement parce qu’ils ne s’adressent pas aux mêmes publics, et n’enseignent pas la même chose, mais parce que fondamentalement l’essence de ces deux professions est dissemblable. Un instituteur enseigne des certitudes, un professeur enseigne des doutes » (p 139-140).

Brighelli propose des solutions originales. En matière de redoublement, il faudrait dire aux parents qui s’y opposent : « Autant revenir au système de l’examen : vous voulez absolument passer ? Très bien : prouvez que vous en êtes capable » (p 179). Pour l’inspection aussi, j’ai trouvé une excellente idée : « Un système d’inspection en deux temps, pour évaluer l’état des élèves, puis pour évaluer leur niveau quelques mois plus tard » (p 280). Ce système, sans doute difficile à mettre en place dans les conditions actuelles, serait plus juste que ce que nous connaissons : « Et je passe sur ces inspections, particulièrement dans le primaire, où pour d’obscures raisons idéologiques, on apprécie moins le travail effectif qui se fait, ou le niveau des élèves, que la procédure. Non pas : “Les objectifs sont-ils atteints ?” mais : “L’enseignant est-il, face à ses apprenants, un vrai pédagogue selon les normes de saint IUFM ?” » (p 150).

Terminons sur ce propos que je partage totalement : « La question n’est pas de promettre la lune à tous les enfants. C’est de permettre à tous d’aller au plus haut de leurs capacités - pas de leurs ambitions. Ce serait déjà formidable » (p 278).

Lorsqu'il a écrit ce livre, l'auteur ne s'était pas encore fait enrôler par la frange la plus sectaire des partisans de l'enseignement traditionnel.

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À bonne école
Jean-Paul BRIGHELLI
Jean-Claude Gawsewitch, Paris, 03/2006, 335 p.

lundi 11 septembre 2006

Les pédagogies constructivistes écopent d'un 0 pointé aux USA

Source : Le Courrier

Christophe Koessler
Paru le Lundi 11 Septembre 2006




L'Association refaire l'école et la droite tirent à boulets rouges sur certaines pédagogies renforcées par la rénovation. Leur référence ? Clermont Gauthier, un chercheur québécois, qui se prononce pourtant contre le redoublement.

Pas une semaine ne passe sans que l'Association refaire l'école (Arle) ou la droite ne fustigent “les pédagogistes”, perçus comme les fossoyeurs de l'école genevoise. En cause surtout : les méthodes pédagogiques d'inspirations “socio-constructivistes”, qui ont été renforcées pendant la période de rénovation de l'école primaire depuis 1994. Même si celles-ci ne sont liées directement ni aux notes, ni à la question du redoublement, les deux chevaux de bataille de l'Arle. Même si, encore, l'initiative de l'Arle reste muette sur la question des pédagogies. Seul le contre-projet de la droite demande un contrôle politique des innovations pédagogiques à venir.

Ces “nouvelles” pédagogies ont été progressivement adoptées à Genève pour rompre avec l'enseignement traditionnel ex-cathedra, perçu comme peu efficace et inégalitaire. La théorie – forgée par Jean Piaget – stipule que les connaissances ne sont en général pas directement transmissibles du professeur à l'élève, elles sont “construites” par celui qui apprend. Ainsi, les écoliers doivent passer par des situations d'apprentissages, des expériences, ou des “projets” qui leur permettent de découvrir par eux-mêmes l'objet de leurs apprentissages, guidé en cela par l'enseignant. Seule manière pour l'élève d'assimiler véritablement les connaissances, plutôt que de les apprendre par cœur, le temps d'une épreuve.


Lecture et estime de soi

Or, pour l'Arle, cette approche a montré son inefficacité. De nombreuses études empiriques, réalisées aux États-Unis, auraient démontré leurs très mauvais résultats. Ces recherches ont été résumées par le professeur québécois en sciences de l'éducation Clermont Gauthier, principale référence académique de l'Arle, qui s'oppose lui-même à la rénovation de l'école québécoise lancée en 2000.
Dans un article récent, le chercheur reprend à son compte les études américaines. Les seules, selon lui, à avoir utilisé des méthodes expérimentales, véritablement scientifiques, pour évaluer les résultats de différentes pédagogies. Les conclusions de l'étude nommée Follow through, menée sur une période de 10 ans dans les années 1970, et portant sur 70 000 élèves provenant de 180 écoles, sont sans appel pour M. Gauthier.
Non seulement l'application des méthodes constructivistes a donné des résultats calamiteux dans l'enseignement des disciplines de base, lecture, écriture, mathématiques, mais également au niveau des aptitudes intellectuelles (la résolution de problèmes) et affectives (l'estime et l'image de soi).
Une découverte très surprenante pour le chercheur, car l'objectif de ces pédagogies était justement de favoriser les deux dernières, dans l'espoir qu'elles aient ensuite un effet sur les aptitudes de base. “Un enfant épanoui et dont l'intérêt et l'intelligence sont stimulés apprend mieux”, pourrait-on résumer. Or, même sur ce plan, l'application de ces pédagogies a entraîné des effets négatifs, insiste M. Gauthier, qui assure que depuis l'étude Follow through, de nombreuses autres recherches ont confirmé ces résultats.


Ne pas confondre théorie et pratique

Pour Philippe Perrenoud, professeur à l'Université de Genève et l'un des pionniers de la rénovation, Clermont Gauthier ne s'en prend pas aux théories constructivistes, mais à ses usages pédagogiques simplistes : « Ces théories ne suggèrent aucunement que l'enfant doit tout réinventer, encore moins qu'il faut ne pas intervenir. Elles invitent au contraire à une grande rigueur dans la conception et la gestion des situations d'apprentissage ». M. Perrenoud sous-entend que la formation des maîtres n'a pas suivi en matière de pédagogies constructivistes : « La formation des enseignants doit devenir beaucoup plus pointue dans ce domaine », soutient-il. Une évolution des méthodes pédagogiques ne s'opère en effet pas du jour au lendemain, selon lui.
Le chercheur rétorque aussi que « la rénovation genevoise n'est pas liée à une méthode d'enseignement particulière. » Contrairement à la réforme québécoise, elle n'a pas fait du constructivisme son étendard : « Elle a un autre objet : une organisation du travail plus favorable à une pédagogie différenciée. » Une organisation qui s'est traduite en cycles d'apprentissages, en suivi individualisé de chaque élève par des équipes pédagogiques, et par la suppression du redoublement et de la sélection sur la base des notes. Innovations qui ne sont pas directement liées aux pédagogies d'inspiration constructiviste. Il est donc curieux, pour M. Perrenoud, « que l'on cherche à tirer de travaux de M. Gauthier des critiques d'une rénovation genevoise édifiée sur d'autres bases. »




« Une note ne dit pas grand-chose ! »


Clermont Gauthier se prononce, depuis l'université de Laval, contre les thèses principales de l'Arle sur les notes et le redoublement.

Les études que vous citez montrent les mauvais résultats des pédagogies constructivistes dans la pratique. Comment l'expliquer ?
Clermont Gauthier : La théorie constructiviste est intéressante. Mais ses déductions pédagogiques conduisent à des abus. Prenez l'affirmation : “le maître ne peut pas transmettre”. Dans certains cas, on en conclut que le maître doit s'effacer, et remplir uniquement le rôle de guide. On laisse l'élève évoluer seul. Par ailleurs, les écoliers sont confrontés à des tâches, à des “mises en situation”, pour lesquelles ils n'ont pas les connaissances préalables. Ils vont donc faire des erreurs qui, faute de pouvoir être corrigées, vont se cristalliser et perdurer avec le temps. De plus, ces méthodes nécessitent beaucoup de compétences différentes de la part des maîtres.

Les résultats de ces études ne sont-ils pas valables seulement pour le contexte économique, social et culturel des États-Unis ?
Non, une étude transversale dans dix pays a permis de généraliser leurs conclusions.

Pourtant la Finlande expérimente ces pédagogies avec succès... Peut-on réellement invalider ces approches ?
D'autres facteurs peuvent expliquer ce succès. L'écart de la langue finnoise entre l'écrit et l'oral est très limité par exemple. Leur culture valorise aussi beaucoup l'école et les enseignants. C'est le contraire chez nous en ce qui concerne les maîtres. Mais peut-être que ces pédagogies ont des effets positifs dans d'autres cultures, je ne peux les disqualifier totalement.

Comment expliquer que ces méthodes n'obtiennent pas, d'après-vous, de bons résultats sur le plan affectif ?
Parce que c'est la réussite des élèves qui améliore l'image qu'ils ont d'eux-mêmes. Si on travaille directement sur l'image de soi, ce n'est pas sûr qu'elle s'améliore. De même, comment développer un esprit critique sans connaissances préalables? Il ne se développe pas par magie mais s'installe dans la mesure où l'élève dispose d'un savoir de base.

Quelles sont les pédagogies qui ont donné de bons résultats ?
Ce sont les méthodes dites “explicites”. On part du plus simple pour aller au plus compliqué, en fractionnant le savoir de manière très structurée. Le maître présente tout d'abord les nouvelles connaissances à apprendre, en rappelant celles qui sont déjà requises pour les comprendre, puis propose des exercices et des tâches pour les exercer. Durant cette phase, l'enseignant va suivre les élèves individuellement et repérer et corriger leurs erreurs au fur et à mesure. On s'assure immédiatement que l'élève a compris.

À Genève, le débat est polarisé par la question des notes et du redoublement. Qu'en pensez-vous ?
Les études ont montré que le redoublement n'entraîne pas les effets escomptés. Cela n'est pas en stigmatisant qu'on aide les élèves. Quand les élèves sont mis sur une voie de garage, ils y restent. Toutefois, si on rompt avec le redoublement, il faut absolument soutenir intensivement les élèves en difficulté. Quant aux notes, elles ne m'ont jamais posé de problèmes. Il est bon de se comparer aux autres. Mais une note ne dit pas grand chose. Si j'ai 90 points sur 100, cela ne me renseigne pas sur mes lacunes. Je préfère qu'on me dise que je peux accorder cinq participes passés sur dix par exemple. En réalité, c'est surtout la manière d'enseigner qui compte, pas les notes. Il y a un substrat idéologique à la question des notes. Je ne suis pas un nostalgique de l'école d'autrefois.
Propos recueillis par CKr

jeudi 15 juin 2006

Livre : La fabrique du crétin (Jean-Paul Brighelli)



C'est le livre qui a fait connaître Jean-Paul Brighelli du grand public.

Brighelli y bouscule les règles de la bienséance et de la bienpensance. Il dit haut et fort ce que tout le monde constate et que tout le monde tait par pusillanimité. C’est qu’il est des choses à ne pas dire dans cette dictature pédagogique qui s’est établie en France des années 1970 aux années 2000.

Et que dit Brighelli ? « Pour mettre à genoux ce qui fut l’un des meilleurs systèmes éducatifs du monde, il a fallu une singulière conjuration de volontés perverses et de bonnes intentions imbéciles. On ne détruit pas sans effort, en une vingtaine d’années, ce que la République a mis un siècle à édifier. » Qui dénonce-t-il ? Les néo-libertaires et les néo-libéraux qui ont fait une curieuse alliance pour démolir l’École française. Et ils ne sont pas les seuls quand on observe « la pression conjointe des babas, des bobos, des psychos, des tenants de l’épanouissement personnel, des cathos compassionnels, du SGEN-CFDT, des syndicats (?) lycéens, et d’associations de parents d’élèves fantoches, plus soucieuses du confort de leur progéniture que de la qualité des enseignements délivrés… »

Les néo-pédagogues ne sont pas en reste. Eux qui ont mis en place les sciences de l’Éducation, conçues comme des machines de guerre contre tout bon sens pédagogique. L’auteur s’en prend particulièrement aux didacticiens dont il résume en une phrase la “science” : « Qu’est-ce que la didactique ? C’est l’art d’apprendre à apprendre ce que l’on ne sait pas. » Dans un tel contexte, les enseignants soucieux de continuer à faire un travail de qualité se sont vus contraints de passer dans la clandestinité. « Les professeurs des écoles compétents ne doivent leur compétence qu’à leur valeur propre, et à l’art de la ruse, qui leur a permis de survivre en milieu hostile, parmi les didacticiens de toutes farines qui imposent leurs vues sur la pédagogie, en s’efforçant de faire croire qu’il s’agit d’une science, quand il s’agit d’un art. » Tout cela pour parvenir à quel but ? « Dans l’idéal, l’école sera elle-même l’un de ces supermarchés du rien, où “l’apprenant” viendra faire le plein de vide. »

Voilà donc dénoncée avec talent et vigueur la politique suivie en France depuis les années 70 pour l’Éducation nationale, aussi bien par les ministres de gauche que ceux de droite, dans un bel unanimisme destructeur. Du moins pour les enfants des autres, pas pour les leurs : « Curieusement, les écoles et les lycées d’élite ne sont pas concernés par ce fatras pédagogique. Ni, à vrai dire, par les réformes successives des programmes. On y étudie à l’ancienne, avec des résultats… à l’ancienne. » Et l’on apprend, au détour d’une page, que les deux fils de Bourdieu sont devenus des “héritiers”, l’un sociologue et l’autre philosophe !

Il s’agit là d’un vrai scandale et l'auteur pose alors la seule question qui vaille : « Quelle école allons-nous laisser derrière nous ? »

Les instituteurs et les professeurs ont encore leur mot à dire, s’ils veulent bien se mobiliser pour défendre leur métier et revenir à un enseignement de qualité. Je leur laisse méditer cette phrase si vraie : « Chaque renoncement d’un enseignant est une victoire de la Bêtise. »

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La fabrique du crétin – La mort programmée de l'école
Jean-Paul BRIGHELLI
Jean-Claude Gawsewitch, Paris, 07/2005, 221 p.

mercredi 15 février 2006

Le pédagogisme ou l'enseignement du vide (Fanny Capel)

Source : Qui a eu cette idée folle un jour de casser l’école ? (Ramsay, 2004, pp 92 à 97) 


École ruinée


Qu'est-ce que le pédagogisme ? Il est nécessaire de faire un retour sur cette conception de l'enseignement qui, née de groupes de réflexion qui existent depuis plus de cent ans [1], a été imposée dogmatiquement à tous les professeurs depuis la loi d'orientation de 1989, et irrigue les discours de nombreux formateurs d'IUFM.

Il y a lieu de distinguer le “pédagogisme” de la péda­gogie. La proximité des termes pourrait faire croire que l'appel­lation péjorative en “isme”, utilisée pour désigner les avatars d'une “nouvelle pédagogie”, conduit à disqualifier toute pratique et toute réflexion pédagogique ainsi que les méthodes dites actives. Ce serait évidemment un contresens. La péda­gogie est l'ensemble des méthodes et des pratiques, objet ou non d'une théorisation, qui cherchent à faciliter et assurer la transmission des savoirs. L'initiative pédagogique est le fait de l'enseignant, quel qu'il soit, et elle fait partie intégrante de son métier. Un enseignant est donc par définition un pédagogue, c'est-à-dire, celui qui conduit (ago) l'enfant (ped) vers le savoir. Mais tous les enseignants ne sont pas pour autant des “pédagogistes”.

L'expression péjorative de “pédagogisme” désigne les réflexions théoriques qui se développent en faisant abstraction de la spécificité de l'enseignement de chaque discipline, et en insistant sur des démarches générales, non sur les contenus de l'enseignement. Cette dénomination a quelque chose d'artificiel dans la mesure où elle regroupe des œuvres et des penseurs différents, mais elle se présente comme un outil conceptuel utile car elle désigne tout de même une sensibilité commune dont il est possible de dégager quelques éléments caractéristiques.

Le pédagogisme se caractérise d'abord par une méfiance extrême à l'égard de l'acte d'enseigner. La représentation prévaut d'un élève passif face à un professeur qui déverserait son savoir dans le récipient servant de cerveau à l'“appre­nant”. L'institution scolaire est envisagée dans sa fonction d'endoctrinement au service d'un pouvoir jugé mauvais, et le professeur et l'élève sont nécessairement dans un rapport conflictuel et violent. Pour Philippe Meirieu, la pédagogie qui consiste à transmettre des connaissances en les imposant, c'est « l'infernal projet de Frankenstein [2] ». Pire, « quand il faudrait tenter de construire un avenir possible ensemble, Frankenstein veut imposer son pouvoir... Frankenstein reste dans la logique du rapport de force. Rien d'autre que la haine [...] ne pourra jamais relier ces deux êtres ». Une telle conception est si carica­turale qu'elle ne peut constituer un schéma explicatif ou critique de la transmission [3].

En conséquence, un certain nombre de procédés qui tendent à faire de l'élève son propre professeur se trouvent valorisés par les pédagogistes : les méthodes dites actives, l'autodidaxie, ou encore le constructivisme, opposés de manière simpliste aux autres méthodes pédagogiques - au premier rang desquelles le cours magistral. Le pédagogisme, en prétendant rendre la pédagogie toujours plus active, se pose en remède contre la démotivation des élèves. Mais en fait, il substitue l'agitation à l'activité : les enfants doivent pouvoir se lever et se déplacer à tout moment dans la classe ; ils doivent travailler en petits groupes, en échangeant leurs idées ; ils doivent apprendre en jouant.

Plus grave, les méthodes dites actives sont souvent des tech­niques de manipulation mentale qui tendent à laisser croire que l'enfant peut, « par sa propre activité [4] », si possible ludique, reconstruire seul les savoirs accumulés par l'humanité depuis des millénaires. L'élève n'est plus en position de recevoir un enseignement, au contraire, il construit lui-même ses propres savoirs. On trouve de nombreux exemples de constructivisme dans les instructions officielles, nous l'avons vu. De façon géné­rale, dès qu'il n'y a plus d'enseignement rigoureux, lorsqu'on perd son temps à “faire découvrir” au lieu d'enseigner ou qu'on se refuse innocemment ou malignement aux exercices patients, systématiques et progressifs qui coûtent de la peine aux professeurs et aux élèves - mais qui leur procurent aussi du plaisir -, on peut parler de constructivisme.

L'accent est ainsi mis sur l'“apprenant”, l'élève placé au centre du système éducatif par la loi d'orientation de 1989. Il s'agirait donc de libérer l'enfant du carcan de l'institution scolaire afin de laisser spontanément sa personnalité se déve­lopper. La culture, loin d'être un effort sur soi pour se hisser au-dessus de soi grâce à l'action conjuguée de l'enseignant et de l'élève, devient un développement des aptitudes ou compé­tences de l'enfant sans contrainte ni obligation. À cet égard, l'influence de Rousseau sur les théories pédagogistes à travers certains passages de l’Émile ou de l'éducation est évidente.

Le philosophe genevois y écrit par exemple qu'il faut « consi­dérer l'homme dans l'homme et l'enfant dans l'enfant [5] ». De tels aphorismes ont permis de justifier une idolâtrie de l'enfant comme dans ce passage édifiant de Frankenstein pédagogue où Philippe Meirieu déclare qu'il faut « saluer celui qui nous arrive [l'élève] d'où qu'il vienne comme un sauveur possible, une sorte de Noël au quotidien ». Mais à lire un autre passage de l'Émile, on s'aperçoit que, sous couvert de laisser libre l'enfant, c'est l'étrange volonté de toute-puissance du maître qui se donne libre cours : « Qu'il [l'élève] croie toujours être le maître, et que ce soit toujours vous qui le soyez. Il n'y a point d'assujettissement si parfait que celui qui garde l'apparence de la liberté ; on captive ainsi la volonté même. Le pauvre enfant qui ne sait rien, qui ne peut rien, qui ne connaît rien, n'est-il pas à votre merci ? Ne disposez-vous pas, par rapport à lui, de tout ce qui l'environne ? N'êtes-vous pas le maître de l'affecter comme il vous plaît ? Ses travaux, ses jeux, ses plaisirs, ses peines, tout n'est-il pas dans vos mains sans qu'il le sache ? Sans doute il ne doit faire que ce qu'il veut; mais il ne doit vouloir que ce que vous voulez qu'il fasse ; il ne doit pas faire un pas que vous ne l'ayez prévu ; il ne doit pas ouvrir la bouche que vous ne sachiez ce qu'il va dire [6]. » Sans vouloir évidemment généraliser, ce propos très pédagogiquement incorrect de Rousseau montre assez bien que les méthodes actives peuvent se révéler être des techniques de manipulation plutôt que des vecteurs de libération par le travail personnel, lorsque l'enfant n'y est pas préparé faute d'avoir reçu une instruction suffisante au préalable. Étrangement, ce passage de Rousseau n'est jamais commenté par les pédagogistes. Le péda­gogisme, on le voit, est sous-tendu par des présupposés idéolo­giques très discutables, voire dangereux.

D'un point de vue plus technique, le pédagogisme fait l'éloge d'un formalisme abstrait puisque les méthodes pédagogiques sont séparées dans une très large mesure des disciplines dont le découpage et la validité sont contestés. Il s'agit d'être très vigi­lant face à l'idée d'inter- ou de transdisciplinarité promue par les pédagogistes. L'interdisciplinarité en tant que telle n'est pas une mauvaise idée, pour qui possède déjà de solides acquis disciplinaires. Toutefois, lorsque les pédagogistes se saisissent de cette notion, elle devient un concept lourdement idéolo­gique, assez confus mais clairement dirigé contre les disci­plines comme en témoigne cette définition tirée du Dictionnaire encyclopédique de l'éducation et de la formation [7] (qu'il aurait été plus honnête à bien des égards d'appeler le dictionnaire du pédagogisme) : « Interdisciplinarité : une modalité pédago­gique destinée à se substituer plus ou moins (sic !) aux disci­plines dont le découpage arbitraire (sic !) ne correspond plus à l'identité actuelle des nouveaux savoirs. » D'une certaine façon, ce discours sur l'interdisciplinarité a visiblement pour finalité de confondre les professeurs en leur faisant toucher leur point d'incompétence. On sait que le ressentiment pédagogiste trouve à se satisfaire dans une situation où professeur et élève sont sur un pied d'égalité, de préférence dans le même constat d'ignorance.

Le pédagogisme a ainsi servi à légitimer la baisse généra­lisée des horaires disciplinaires et l'allègement des programmes, puisqu'il affirme que, plutôt que de maîtriser de prétendus faits, il importe d'apprendre à apprendre, et que le professeur ne doit plus être un “transmetteur”, mais doit devenir un “entraîneur [8]. Le pédagogisme a aussi présidé à l'introduction de pratiques interdisciplinaires et constructivistes comme les TPE et les IDD ; ou encore à l'uniformisation des méthodes pédagogiques sur des bases pseudo-rationnelles - le travail en “séquences didactiques” s'applique désormais presque partout, en langues vivantes et anciennes comme en français et en histoire.

En somme, le pédagogisme est une tentative de déscolariser l'enfant au sein même de l'école. Même s'il s'habille le plus souvent des meilleures intentions, le pédagogisme est une forme d'« abandon pédagogique [9] » des enfants. Il n'a donc rien à voir avec la pédagogie, qui est le fait d'élever l'enfant vers le savoir.

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[1] . Les réflexions des fondateurs du pédagogisme (Pestalozzi, Dewey, G. S. Hall, Piaget, Freinet...) datent du début du XXe siècle, voire de la fin du XIXe siècle. On peut ainsi lire dans Scool and society, ouvrage de John Dewey publié en 1899, ces lignes qui ont pu inspirer les slogans de la loi Jospin de 1989 : « Le changement qui se produit aujourd'hui dans l'éduca­tion est une permutation du centre de gravité de l'école. C'est une transfor­mation, une révolution, semblable à celle que Copernic introduisit en faisant du soleil le centre de gravité de l'univers. Pour nous, l'élève devient le soleil autour duquel doivent graviter les apprentissages. Il est le centre par rapport auquel ils s'organisent (...). Apprendre ? Oui bien sûr, mais à partir de la vie, apprendre à travers et en rapport avec le vécu qui est le leur. »
[2] . Philippe Meirieu, Frankenstein pédagogue, ESF, 1996, p. 80.
[3] . Dans un autre registre plus politique et moins agressif contre la trans­mission du savoir, l'accusation a été clairement portée contre le système d'instruction de reproduire les classes sociales à l'aide notamment de violences symboliques (Pierre Bourdieu) ou d'être une entreprise d'inculcation de valeurs et de savoirs assimilables dans certains cas à une véritable colonisation (François Dubet).
[4] . Ce sont les termes mêmes de la loi d'orientation de 1989 de Lionel Jospin (BO numéro spécial du 4 août 1989).
[5] . Émile ou de l'éducation, Livre I, Garnier, 1964.
[6] . Ibid., Livre II.
[7] . Dictionnaire encyclopédique de l'éducation et de la formation, Nathan Université, Paris, 1998.
[8] . Philippe Meirieu, Enseigner, scénario pour un métier nouveau, ESF, 1989.
[9] . C'est le mot très fort et très juste de Liliane Lurçat, chercheur au CNRS, auteur d'ouvrages dénonçant les ravages du pédagogisme à l'école primaire, dont La Destruction de l'École élémentaire et ses penseurs (Fran­çois-Xavier de Guibert, 1998), ou encore Vers une école totalitaire ? (1999).

mercredi 1 février 2006

Livre : Qui a eu cette idée folle un jour de casser l'école ? (Fanny Capel)


Fanny Capel réagit à la parution, en avril 2003, de la Lettre à tous ceux qui aiment l’école, de Luc Ferry. Le ministre de l’Éducation nationale alors en fonction y affichait quelques intentions louables mais l’auteur constate au terme d’une analyse serrée que « les changements de fond ne sont pas à l’ordre du jour » (p 150). Et c’est bien ce qui pose problème…

Un certain nombre de tares devenues ontologiques minent le système éducatif. À commencer par la confusion entre la pédagogie et sa forme dégénérée, le pédagogisme, ainsi que par l’omnipotence de la didactique. Surtout dans les IUFM qui essaient - de plus en plus mal, il est vrai - de formater les nouveaux enseignants au discours pédagogique dominant, à savoir le constructivisme des savoirs. Ce qui est présenté comme une vérité verticale est d’une inefficacité remarquable dans les classes, notamment dans les milieux socio-culturellement défavorisés. Les tenants des pédagogies innovantes ne veulent plus d’enseignants qui transmettent le savoir mais des sortes de gentils animateurs.


La massification de l’enseignement ne s’est pas accompagnée par sa démocratisation. La camarilla pédagogiste s’est alors mise à inventer des remèdes qui empirent le mal. Prenons un exemple : on décide, contre toute évidence, que le fait de redoubler est mauvais pour un élève en difficulté, en confondant la cause et la conséquence. Dès lors, tout le monde passe en classe supérieure, quel que soit le niveau atteint. La bonne volonté affichée de l’élève devient plus importante que ses résultats. Mais alors, l’hétérogénéité des classes devient insupportable. On décide alors, contre toute évidence, que cette hétérogénéité est une bonne chose. Et on invente la remédiation basée sur la pédagogie différenciée : celle-ci permet, contre toute évidence, de donner en classe des cours particuliers aux élèves décrochés. Et comme le niveau de connaissances exigé reste toujours inaccessible au plus grand nombre, on allège de plus en plus les programmes. Jusqu’à obtenir des aberrations puisque dans le même temps où on demande de moins en moins de choses aux élèves, on attend d’eux, contre toute évidence, qu’ils sachent mettre en relations des connaissances qu’ils n’ont jamais acquises.


Fanny Capel analyse parfaitement cette cascade de décisions catastrophiques, l’une entraînant l’autre dans une course éperdue vers l’écroulement complet du système éducatif français.


J’ai pourtant noté deux points concernant le Primaire sur lesquels je ne suis pas d’accord avec l’auteur :
- le premier lié à la contestation de la décentralisation en 2003 (pp 123-124) évoque les écoles primaires, alors que celles-ci sont depuis bien longtemps des écoles communales, avec comme partenaire la municipalité qui dispense le budget et qui emploie les personnes assurant l’entretien des classes ;
- le second suggère un maximum de 15 élèves par classe d’Élémentaire, ce qui me paraît trop peu : la dynamique de classe se dégrade si on s’éloigne en plus ou en moins d’un idéal que je situe autour de 20 élèves. Je rejoins en revanche totalement Fanny Capel lorsqu’elle parle d’inventer une école qui n’a jamais existé (p 228). Nous ne voulons pas non plus d'une école révolue !


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Qui a eu cette idée folle un jour de casser l'école ? - Document 
Fanny CAPEL
Ramsay, 03/2004, 289 p.