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lundi 19 janvier 2015

Le refus catégorique des bonnes pratiques




Claude Lessard vient de publier un bouquin sur les politiques éducatives. Dans un entretien accordé au Café pédagogique, ce sociologue québécois dit ceci :
« Certains auteurs américains estiment qu’il y a risque de prolétarisation dans la mesure où l’enseignement devient de plus en plus contraint, rationalisé, mis dans un corset de techniques et de “best practices” dictées par la recherche évaluative et imposées par la nouvelle gestion publique qui elle valorise beaucoup des pratiques fondées sur la preuve. Le risque existe véritablement aux États-Unis, dans le cadre de la mise en place des mesures phares du No Child Left Behind Act. Mais je demeure convaincu que cette approche ne pourra faire long feu. Parce qu’elle fait des enseignants des techniciens — ce qu’ils refusent d’être —, qu’elle valorise chez eux la conformité à des prescriptions “extérieures”, et ainsi les prive du plaisir de développer leur “style” d’enseignement. La nouvelle gestion publique et une certaine science évaluative veulent des enseignants conformistes. La bonne nouvelle, c’est que la plupart des enseignants avec qui je discute de cela, refuse cette évolution de leur travail. »
Donc, si je comprends bien ces affirmations, il faut rejeter les contraintes et les corsets. Et du même coup les techniques d’enseignement efficaces, surtout si elles sont confirmées par les données probantes. Les « best practices » et leur vision rationnelle « prolétarisent » (sic !) les enseignants et les empêchent de faire chacun selon son « style ». Vive la liberté ! Surtout celle de faire n’importe quoi…

L’enseignant n’est pas un « technicien » (beurk !). Il doit donc agir comme un ingénieur qui réinvente la pédagogie chaque soir en préparant jusqu’à trois heures du matin sa classe du lendemain. Ou, mieux encore, un artiste, qui crée son enseignement en fonction du moment, de l’humeur et de l’inspiration guidée par la muse constructiviste.

Chacun peut avoir son « style », même si ce style est inefficace. Refuser de se plier à des « prescriptions extérieures » est une bonne chose. Surtout si ces prescriptions peuvent améliorer grandement la qualité des apprentissages des élèves. En revanche, je suppose que les seules « prescriptions extérieures » qu’il convient d’observer à la lettre sont les injonctions d’inspiration constructiviste reçues en formation initiale et continue, soutenues par les « experts » autoproclamés et validées par la hiérarchie de haut en bas de l’édifice. Chaque enseignant peut avoir son « style » dès lors qu’il respecte la doxa des pédagogies de découverte.

Couler les élèves avec un enseignement déficient n’est donc pas si grave qu’on le dit. Les « pratiques fondées sur la preuve » sont d’horribles démarches instructionnistes pour « enseignants conformistes ».

Et le meilleur pour la fin : « La bonne nouvelle, c’est que la plupart des enseignants avec qui je discute de cela, refuse cette évolution de leur travail. »

Mes pauvres amis, nous ne sommes plus très loin de la fin des haricots !

jeudi 15 janvier 2015

Apprendre à devenir citoyen à l’École ?

Apprentissage de la citoyenneté dans l’école française
Un engagement fort dans les instructions officielles, une réalité de terrain en décalage

CNESCO
13.01.2015 




Le CNESCO nous propose un document qui commence par un communiqué de presse faisant explicitement référence aux tragiques événements que la France a connus en ce début d’année 2015. « Après le temps de la mobilisation pour défendre la liberté d’expression en France suite aux tragiques attentats de la semaine dernière, doit venir le temps de l’introspection sur une société française capable de générer en son sein, sur son territoire, par des jeunes grandis dans ses écoles, de telles atrocités. » En effet, cette introspection s’impose à tous les éducateurs, et aux enseignants tout particulièrement.

Si l’École ne peut être raisonnablement tenue pour responsable en tant qu’institution, je suis convaincu que les pédagogies délétères mises en œuvre depuis une quarantaine d’années le sont singulièrement. Les démarches de découverte s’avèrent tout à fait inappropriées dans les quartiers sensibles, pour des élèves très tôt en difficulté. Élèves qui ne font que s’enfoncer avec la suppression du redoublement et le passage automatique d’un niveau à l’autre, sans le moindre dispositif efficace pour leur venir en aide. C’est ainsi que l’on peut constater, depuis des années, des situations d’échec scolaire massif pour toute une partie défavorisée de la population, la plupart du temps d’origine immigrée. Cela a pour conséquence un taux de chômage bien supérieur aux moyennes nationales. Et, bien plus grave, un manque total de culture et de connaissance qui pourrait faire échec aux tentatives d’endoctrinement menées par des fanatiques religieux hostiles à nos valeurs.

Dans le document du CNESCO, le communiqué de presse initial introduit une étude de quelques pages intitulée « Apprentissage de la citoyenneté dans l’école française : Un engagement fort dans les instructions officielles, une réalité de terrain en décalage ».

Le constat de départ est satisfaisant : « Globalement, théoriquement, le modèle d’éducation à la citoyenneté français présente toutes les apparences d’un modèle pédagogique solide et bien articulé entre diffusion de connaissances et compétences autour de la citoyenneté et mise en action des élèves visant à leur faire acquérir attitudes et comportements citoyens au travers d’actions concrètes dans lesquelles ils s’engagent. De ce modèle d’apprentissage de la citoyenneté fort complet, il résulte que, toujours légalement donc théoriquement, la France se place en tête des pays européens par son investissement éducatif en matière d’éducation civique. » Mais, en France, on se contente plus d'apparence que de réalité, et depuis longtemps.

Sur le long terme, le constat est en effet mitigé. « Plus généralement, nous devons interroger l’image que nous avons fabriquée de la continuité d’une instruction civique en France solide et centrale. Si ses prémisses fondatrices remontent au XIXe siècle et au fondement de la IIIe République qui fit de l’école le lieu privilégié de formation du citoyen, l’apprentissage de la citoyenneté est marqué par des absences ou des allégements notables à certaines périodes, notamment dans les années 1970 et début 1980, retrait de cet enseignement qui a marqué les trajectoires scolaires de générations aujourd’hui adultes. » Après mai 1968, on a laissé tomber la morale – forcément bourgeoise – et l’instruction civique – trop liée à l’État capitaliste. C'est – bien que ce soit cruel de le rappeler dans les circonstances que nous vivons – le triomphe de l'esprit Charlie Hebdo, des anars sympas n'ayant ni Dieu ni maître. C'est l'époque des babas cool qui vivent en communauté et élèvent des chèvres en Ardèche. Hélas, depuis, les temps ont bien changé... 

« Ainsi, si l’école primaire connait entre 1882 et 1969 une “éducation morale” laïque et une “instruction civique”, à partir de cette date, l’éducation morale disparaît presque totalement de l’école primaire tandis que l’enseignement de l’éducation civique devenait plus aléatoire à partir du milieu des années 1970 pour ne revenir en force qu’en 1985. » C’est-à-dire quand Jean-Pierre Chevènement, devenu ministre de l’Éducation nationale, a remis au goût du jour l’École de la République et ses valeurs qu'on croyait perdues.

On pourra ensuite gloser sur la manière de faire passer cette éducation morale et civique. Sans surprise, le CNESCO est favorable à un apprentissage “actif”. Suivant l'évangile de Freinet, il faudrait établir des soviets d'élèves dans les écoles et les lycées, organiser des débats citoyens, faire du quoi de neuf et de la philosophie de bistrot… Oui, bof ! Cela se fait depuis des années, avec les résultats minables qu’on connaît. Les enfants d'aujourd'hui ne sont plus ceux de Freinet dans les années 1920. Autre temps, autres mœurs.

Après chaque événement dramatique, le réflexe habituel des ministres en charge de l'Éducation nationale consiste à augmenter la doses de moraline et de bien-pensance à l’école. Mais on sait très bien que ce bourrage de crâne finit par avoir des effets inverses à ceux attendus. Je pense, par exemple, à ces collégiens qu’on envoie à grands frais visiter Auschwitz… et qui jouent aux boules de neige devant les fours crématoires, en se fichant ostensiblement des victimes de la Shoah.

D’autant plus  le CNESCO le reconnaît lui-même  qu’« à ce jour, en France, à l’exception de certains travaux des inspections générales, les évaluations des dispositifs d’apprentissage de la citoyenneté sont demeurées rares, la recherche est exploratoire comparativement à d’autres pays, notamment anglo-saxons qui ont davantage ausculté le lien apprentissage de la citoyenneté et socialisation citoyenne. » Toutes les idées pédagogiques géniales inspirées par le constructivisme ont, en France, cette curieuse particularité de n’être jamais évaluées ! Du coup, on continue mordicus à les proposer en formation, à les défendre dans les médias, à les promouvoir dans des pseudo-recherches, à les financer avec de généreuses subventions, etc. On ne voit ainsi jamais le bout du tunnel éducatif dans lequel la France s'est engagée dans les années 1970.  

En revanche, ce qui est sûr, c’est qu’on forme les citoyens éclairés indispensables à toute démocratie par l’acquisition tangible de connaissances qui créent l'arrière-plan d'une culture générale solide. Et cette acquisition, si elle se veut efficace, ne peut se faire que par la Pédagogie Explicite.

Toute autre disposition ne sera hélas que cautère sur jambe de bois.