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dimanche 8 février 2015

Québec : une réforme constructiviste qui tourne mal

Une étude révèle que le Renouveau pédagogique a causé du tort

Daphnée Dion-Viens



La réforme scolaire au secondaire est un échec, selon une vaste étude commandée par le ministère de l’Éducation. Loin d’atteindre ses objectifs, le renouveau pédagogique a même fait plus de tort que de bien chez les garçons et les élèves à risque, concluent les chercheurs.

Le constat est implacable. Vous pouvez consulter l’étude ici.

« Dans un contexte où le renouveau pédagogique visait d’abord et avant tout à démocratiser la réussite scolaire et à diminuer le décrochage, force est de constater qu’il n’a pas produit les effets attendus », peut-on lire dans ce rapport final d’une centaine de pages mis en ligne lundi sur le site du ministère de l’Éducation.

« C’est un constat d’échec, c’est clair », lance Égide Royer, professeur spécialisé en adaptation scolaire à l’Université Laval.

La réforme scolaire est implantée dans les écoles du Québec depuis une quinzaine d’années, mais ce n’est qu’en 2007 que le ministère de l’Éducation a confié à une équipe de chercheurs de l’Université Laval le mandat de mesurer ses effets auprès des élèves du secondaire.

Ces travaux dirigés par le professeur Simon Larose ont permis de comparer une cohorte de jeunes n’ayant pas été exposés au renouveau pédagogique avec deux autres cohortes d’élèves de la réforme.

Cette étude permet de conclure que la réforme a raté l’une de ses principales cibles. Les garçons, les élèves à risque et les anglophones qui ont été exposés à la réforme ont été moins nombreux à obtenir leur diplôme du secondaire que ceux qui n’ont pas connu le renouveau pédagogique, peut-on lire dans le rapport.

La réforme n’a pas non plus permis aux élèves d’obtenir de meilleures notes. En français, malgré l’ajout de 150 heures d’enseignement, la réforme n’a pas permis d’améliorer les compétences et les connaissances des élèves, conclut le rapport.

De « légères baisses » dans la réussite à l’épreuve d’écriture de cinquième secondaire, particulièrement en orthographe, ont aussi été constatées.

Le scénario est semblable en mathématiques. Malgré l’ajout de 50 heures d’enseignement, la réforme « n’a pas eu l’effet bénéfique anticipé sur les connaissances des élèves », peut-on lire. Les élèves à risque et ceux venant de milieux défavorisés ont même récolté de moins bonnes notes que ceux qui n’ont pas connu la réforme.

Par ailleurs, les élèves et les parents interrogés dans le cadre de cette étude ont une vision plus négative de l’école que ceux qui n’ont pas goûté au renouveau pédagogique.

Avec cette étude en main, « tu ne peux pas conseiller à personne d’appliquer cette réforme », lance M. Royer.

Pour expliquer ce sombre constat, les auteurs de l’étude avancent plusieurs hypothèses. Le contenu de certains programmes a été rehaussé, ce qui aurait pu entraîner des difficultés chez les élèves.

Les professeurs pourraient avoir manqué de formation et d’accompagnement pendant cette période de transition.

Par ailleurs, les nombreux chambardements engendrés par l’implantation de cette réforme ont pu causer du stress et de la résistance, ce qui peut aussi avoir eu un impact négatif sur la qualité de l’enseignement et de l’encadrement des élèves, peut-on lire.
Il a été impossible mardi de joindre les auteurs du rapport.

Faits saillants de l’évaluation de la réforme au secondaire

- Baisse du taux de diplomation au secondaire chez les garçons, les élèves à risque et les élèves anglophones.
- Légère baisse des résultats à l’épreuve d’écriture en cinquième secondaire, particulièrement en orthographe.
- Baisse des résultats en mathématiques chez les élèves à risque et ceux venant de milieux défavorisés.
- Vision plus négative de l’école selon les élèves de la réforme et les parents interrogés.

L’ABC de l’évaluation de la réforme au secondaire

Cette étude est basée sur :
- Des questionnaires remplis par 3700 élèves et 3900 parents.
- Les résultats à l’épreuve d’écriture du français en cinquième secondaire, la moyenne et le taux de diplomation de trois cohortes d’élèves.
- L’étude s’est déroulée sur une période d’environ cinq ans.

mercredi 4 février 2015

Les ravages du constructivisme dans les manuels scolaires




Stéphane Bonnéry vient de publier un livre, écrit sous sa direction, intitulé Supports pédagogiques et inégalité scolaires (La dispute, 2015). L’ouvrage porte notamment sur l’analyse des manuels scolaires parus ces cinquante dernières années. Dans un entretien accordé au Café pédagogique on apprend un certain nombre de choses suffisamment importantes et surtout révélatrices pour être rapportées ici.

Tout commence par une première surprise. Dans le petit paragraphe d’introduction avant l’entretien, François Jarraud parle de « l'affaiblissement du modèle traditionnel d'enseignement ». Or, les constructivistes (dont le Café pédagogique est le porte-parole) ont toujours dit justement l’inverse. Selon eux, c’est la persistance de l’enseignement traditionnel dans les classes qui explique les piètres résultats de notre système éducatif. Leur refrain est bien connu et ils l’entonnent sans crainte de se répéter, en oubliant toutefois que, depuis plus de quarante ans, on ne parle que de pédagogie de découverte en formation initiale et continue, en inspection, en conférence pédagogique, dans les livres pour enseignants, etc.

Ceci étant dit, revenons à l’entretien proprement dit. Que nous apprend Stéphane Bonnéry ?

Tout d’abord que « les contenus de savoir sont beaucoup plus notionnels aujourd'hui. Par exemple quand on compare une leçon sur le hanneton. Dans les années 1950, on avait quelque chose de très narratif avec des contenus de savoir explicites. Aujourd'hui, les contenus sont plus notionnels. On est passé de la vie du hanneton à une articulation entre les notions de reproduction et de métamorphose. Ca interroge sur les difficultés des élèves. L'école a dû faire face à deux défis : la massification et en même temps un défi moins connu celui de la complexification des savoirs. De réforme en réforme on a ajouté des contenus de savoir et on les a complexifiés. On est passé de savoirs simplifiés à des savoirs montrés dans leur complexité. C'est risqué. »

« Autrefois il y avait un texte de savoir linéaire. Aujourd'hui le cheminement intellectuel n'est plus donné. Et en plus la lecture doit se faire en pointillé à travers une diversité d'éléments (graphiques, textes etc.). Il faut étudier chaque élément sous l'angle de la notion qui est donnée à apprendre. »

« Dernière évolution : la place du maître a changé dans la classe. Il n'est plus celui qui donne le savoir mais celui qui pose les questions qui permettront d'accéder au savoir. Dans ce cas le support devient plus important. »

« Mais il faut réfléchir à la façon de cadrer les élèves pour qu'ils puissent être conduits à réfléchir et ne soient pas, pour une partie d'entre eux, simplement spectateurs de la réflexion des autres. Il faut mettre de la progressivité. Il faut sans doute chez les auteurs arrêter de se faire plaisir en mettant en avant des tâches toujours plus complexes dès la petite enfance. »

« On a élevé les exigences partout en même temps qu'on a diminué le temps scolaire et qu'on a ajouté des disciplines. Il faut donc faire en moins de temps des choses plus compliquées. D'où cette pression du temps que les enseignants ressentent. »

« Dans le choix des manuels ou des albums de littérature jeunesse, ils [les enseignants] devraient se mettre à la place de l'élève et se demander ce qu'il faut savoir pour atteindre la notion. Il faut éviter l'implicite. »

L’article sur l’attitude des familles populaires « montre l'incompréhension croissante de ce qui se fait l'école. Ce sentiment va de pair avec un fort sentiment d'injustice. On le constate aussi dans la vente des ouvrages du parascolaire qui sont à mi-chemin entre les nouvelles pratiques de classe et les anciens manuels. Leur succès dit quelque chose de la volonté de réussite scolaire des familles populaires et de l'idée qu'elles sont abandonnées par l'école. Les politiques éducatives devraient mieux faire comprendre aux enseignants que la moitié des élèves ne peuvent pas être aidés le soir par leurs parents. »

[Les passages soulignés l'ont été par moi.]

Inutile d’en rajouter. On le voit : la mode du constructivisme pédagogique a aussi fait des ravages dans les manuels scolaires. Les enseignants qui veulent être efficaces dans leur métier ne trouvent plus, depuis longtemps, des supports pédagogiques sur lesquels ils peuvent s'appuyer. Ou très peu...

Lorsqu'on a une pratique d'enseignement explicite, c'est encore pire. Les quelques manuels qui se réclament de cette démarche pédagogique ne sont en fait que des manuels d'enseignement traditionnel sur lesquels on a écrit “explicite” pour faire illusion.

Heureusement pour nous, il existe maintenant des TNI qui peuvent pallier cette déficience lorsque les classes en sont équipées. Mais il faut préparer méticuleusement chaque leçon en créant soi-même ex nihilo les supports pédagogiques adéquats. On se prend alors à rêver aux scripts du Direct Instruction où les séances, les exemples et contre-exemples, les questions à poser, les réponses attendues, les évaluations, bref tout le travail est préparé clé en main. L'enseignant n'a qu'à suivre le fil conducteur du script, ce qui lui laisse le temps de mieux se concentrer sur sa classe, sur les réactions des élèves, sur les difficultés qu'ils rencontrent, afin de les accompagner plus étroitement dans leurs apprentissages.

En France, nous n'avons pas ce type d'outil. Nous n'avons que des manuels d'inspiration constructiviste qui se révèlent, la plupart du temps, inutilisables en classe. Il est vrai que, dans les démarches par découverte, l'utilisation de manuel est inutile, pour ne pas dire nocive. En pédagogie “active”, le manuel est considéré comme une survivance des pratiques traditionnelles. Il n'existe pas de manuel estampillé Freinet. Les éditeurs se sont donc retrouvés devant une mode pédagogique qui menaçait de les ruiner. D'autant que les livres scolaires constituent traditionnellement le secteur le plus juteux de l'édition. Pour continuer à vendre, ils se sont très vite mis à publier des manuels d'inspiration ouvertement constructiviste. Et tant pis pour la contradiction interne. Tant pis aussi pour la qualité et surtout l'utilité des livres mis en vente. Quarante ans après, le résultat de ce choix éditorial est catastrophique. La plupart des supports pédagogiques proposés aux enseignants sont inefficaces, surtout auprès des élèves en difficulté. C'est précisément ce que nous dit Stéphane Bonnéry.

Les manuels sont donc encore un secteur où le constructivisme a exercé ses ravages. Il faudrait écrire le Livre noir du constructivisme pédagogique pour dresser le bilan de toutes les conséquences désastreuses qu'il a entraînées. Ce serait assurément un pavé (très épais) jeté dans la mare !