Stéphane Bonnéry vient de publier un livre, écrit sous sa direction, intitulé
Supports pédagogiques et inégalité scolaires (La dispute, 2015). L’ouvrage porte
notamment sur l’analyse des manuels scolaires parus ces cinquante dernières
années. Dans un entretien accordé au Café pédagogique on apprend un certain nombre de choses suffisamment
importantes et surtout révélatrices pour être rapportées ici.
Tout commence par une première surprise. Dans le petit paragraphe d’introduction
avant l’entretien, François Jarraud parle de « l'affaiblissement du
modèle traditionnel d'enseignement ». Or, les constructivistes (dont
le Café pédagogique est le porte-parole) ont toujours dit justement l’inverse.
Selon eux, c’est la persistance de l’enseignement traditionnel dans les classes
qui explique les piètres résultats de notre système éducatif. Leur refrain est
bien connu et ils l’entonnent sans crainte de se répéter, en oubliant toutefois
que, depuis plus de quarante ans, on ne parle que de pédagogie de découverte en
formation initiale et continue, en inspection, en conférence pédagogique, dans
les livres pour enseignants, etc.
Ceci étant dit, revenons à l’entretien proprement dit. Que nous apprend
Stéphane Bonnéry ?
Tout d’abord que « les
contenus de savoir sont beaucoup plus notionnels aujourd'hui. Par exemple quand
on compare une leçon sur le hanneton. Dans les années 1950, on avait quelque
chose de très narratif avec des contenus de savoir explicites. Aujourd'hui, les
contenus sont plus notionnels. On est passé de la vie du hanneton à une
articulation entre les notions de reproduction et de métamorphose. Ca interroge
sur les difficultés des élèves. L'école a dû faire face à deux défis : la
massification et en même temps un défi moins connu celui de la complexification
des savoirs. De réforme en réforme on a ajouté des contenus de savoir et on
les a complexifiés. On est passé de savoirs simplifiés à des savoirs montrés
dans leur complexité. C'est risqué. »
« Autrefois il y avait un texte de savoir
linéaire. Aujourd'hui le cheminement intellectuel n'est plus donné. Et
en plus la lecture doit se faire en pointillé à travers une diversité
d'éléments (graphiques, textes etc.). Il faut étudier chaque élément sous
l'angle de la notion qui est donnée à apprendre. »
« Dernière évolution : la place du maître a
changé dans la classe. Il n'est plus celui qui donne le savoir mais
celui qui pose les questions qui permettront d'accéder au savoir. Dans ce cas
le support devient plus important. »
« Mais il faut réfléchir à la façon de cadrer
les élèves pour qu'ils puissent être conduits à réfléchir et ne soient pas,
pour une partie d'entre eux, simplement spectateurs de la réflexion des autres.
Il faut mettre de la progressivité. Il faut sans doute chez les auteurs arrêter
de se faire plaisir en mettant en avant des tâches toujours plus complexes
dès la petite enfance. »
« On a élevé les exigences partout en même
temps qu'on a diminué le temps scolaire et qu'on a ajouté des disciplines. Il
faut donc faire en moins de temps des choses plus compliquées. D'où cette
pression du temps que les enseignants ressentent. »
« Dans le choix des manuels ou des albums de
littérature jeunesse, ils [les enseignants] devraient se mettre à la place de
l'élève et se demander ce qu'il faut savoir pour atteindre la notion. Il
faut éviter l'implicite. »
L’article sur l’attitude
des familles populaires « montre
l'incompréhension croissante de ce qui se fait l'école. Ce sentiment va de pair
avec un fort sentiment d'injustice. On le constate aussi dans la vente
des ouvrages du parascolaire qui sont à mi-chemin entre les nouvelles pratiques
de classe et les anciens manuels. Leur succès dit quelque chose de la volonté
de réussite scolaire des familles populaires et de l'idée qu'elles sont
abandonnées par l'école. Les politiques éducatives devraient mieux faire
comprendre aux enseignants que la moitié des élèves ne peuvent pas être
aidés le soir par leurs parents. »
[Les passages soulignés
l'ont été par moi.]
Inutile d’en rajouter. On
le voit : la mode du constructivisme pédagogique a aussi fait des ravages dans
les manuels scolaires. Les enseignants qui veulent être efficaces dans leur métier ne trouvent plus, depuis longtemps, des supports pédagogiques sur lesquels ils peuvent s'appuyer. Ou très peu...
Lorsqu'on a une pratique d'enseignement explicite, c'est encore pire. Les quelques manuels qui se réclament de cette démarche pédagogique ne sont en fait que des manuels d'enseignement traditionnel sur lesquels on a écrit “explicite” pour faire illusion.
Heureusement pour nous, il existe maintenant des TNI qui peuvent pallier cette déficience lorsque les classes en sont équipées. Mais il faut préparer méticuleusement chaque leçon en créant soi-même ex nihilo les supports pédagogiques adéquats. On se prend alors à rêver aux scripts du Direct Instruction où les séances, les exemples et contre-exemples, les questions à poser, les réponses attendues, les évaluations, bref tout le travail est préparé clé en main. L'enseignant n'a qu'à suivre le fil conducteur du script, ce qui lui laisse le temps de mieux se concentrer sur sa classe, sur les réactions des élèves, sur les difficultés qu'ils rencontrent, afin de les accompagner plus étroitement dans leurs apprentissages.
En France, nous n'avons pas ce type d'outil. Nous n'avons que des manuels d'inspiration constructiviste qui se révèlent, la plupart du temps, inutilisables en classe. Il est vrai que, dans les démarches par découverte, l'utilisation de manuel est inutile, pour ne pas dire nocive. En pédagogie “active”, le manuel est considéré comme une survivance des pratiques traditionnelles. Il n'existe pas de manuel estampillé Freinet. Les éditeurs se sont donc retrouvés devant une mode pédagogique qui menaçait de les ruiner. D'autant que les livres scolaires constituent traditionnellement le secteur le plus juteux de l'édition. Pour continuer à vendre, ils se sont très vite mis à publier des manuels d'inspiration ouvertement constructiviste. Et tant pis pour la contradiction interne. Tant pis aussi pour la qualité et surtout l'utilité des livres mis en vente. Quarante ans après, le résultat de ce choix éditorial est catastrophique. La plupart des supports pédagogiques proposés aux enseignants sont inefficaces, surtout auprès des élèves en difficulté. C'est précisément ce que nous dit Stéphane Bonnéry.
Les manuels sont donc encore un secteur où le constructivisme a exercé ses ravages. Il faudrait écrire le Livre noir du constructivisme pédagogique pour dresser le bilan de toutes les conséquences désastreuses qu'il a entraînées. Ce serait assurément un pavé (très épais) jeté dans la mare !
Lorsqu'on a une pratique d'enseignement explicite, c'est encore pire. Les quelques manuels qui se réclament de cette démarche pédagogique ne sont en fait que des manuels d'enseignement traditionnel sur lesquels on a écrit “explicite” pour faire illusion.
Heureusement pour nous, il existe maintenant des TNI qui peuvent pallier cette déficience lorsque les classes en sont équipées. Mais il faut préparer méticuleusement chaque leçon en créant soi-même ex nihilo les supports pédagogiques adéquats. On se prend alors à rêver aux scripts du Direct Instruction où les séances, les exemples et contre-exemples, les questions à poser, les réponses attendues, les évaluations, bref tout le travail est préparé clé en main. L'enseignant n'a qu'à suivre le fil conducteur du script, ce qui lui laisse le temps de mieux se concentrer sur sa classe, sur les réactions des élèves, sur les difficultés qu'ils rencontrent, afin de les accompagner plus étroitement dans leurs apprentissages.
En France, nous n'avons pas ce type d'outil. Nous n'avons que des manuels d'inspiration constructiviste qui se révèlent, la plupart du temps, inutilisables en classe. Il est vrai que, dans les démarches par découverte, l'utilisation de manuel est inutile, pour ne pas dire nocive. En pédagogie “active”, le manuel est considéré comme une survivance des pratiques traditionnelles. Il n'existe pas de manuel estampillé Freinet. Les éditeurs se sont donc retrouvés devant une mode pédagogique qui menaçait de les ruiner. D'autant que les livres scolaires constituent traditionnellement le secteur le plus juteux de l'édition. Pour continuer à vendre, ils se sont très vite mis à publier des manuels d'inspiration ouvertement constructiviste. Et tant pis pour la contradiction interne. Tant pis aussi pour la qualité et surtout l'utilité des livres mis en vente. Quarante ans après, le résultat de ce choix éditorial est catastrophique. La plupart des supports pédagogiques proposés aux enseignants sont inefficaces, surtout auprès des élèves en difficulté. C'est précisément ce que nous dit Stéphane Bonnéry.
Les manuels sont donc encore un secteur où le constructivisme a exercé ses ravages. Il faudrait écrire le Livre noir du constructivisme pédagogique pour dresser le bilan de toutes les conséquences désastreuses qu'il a entraînées. Ce serait assurément un pavé (très épais) jeté dans la mare !
L’article sur l’attitude des familles populaires « montre l'incompréhension croissante de ce qui se fait l'école. Ce sentiment va de pair avec un fort sentiment d'injustice. On le constate aussi dans la vente des ouvrages du parascolaire qui sont à mi-chemin entre les nouvelles pratiques de classe et les anciens manuels. Leur succès dit quelque chose de la volonté de réussite scolaire des familles populaires et de l'idée qu'elles sont abandonnées par l'école. Les politiques éducatives devraient mieux faire comprendre aux enseignants que la moitié des élèves ne peuvent pas être aidés le soir par leurs parents. »
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Sur ce passage, il y a un texte très intéressant à lire :
Les familles populaires, l’école et la lecture (A propos d’un ouvrage de Séverine Kakpo).
Merci pour cette référence.
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