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lundi 30 mai 2016

En France, les sciences de l'éducation ignorent les preuves

Source : Atlantico

Entretien avec Franck Ramus 

SOS École : ces sciences de l'éducation qu'ignore superbement la France en se noyant dans un pédagogisme stérile





Coupée de la recherche scientifique internationale en matière de sciences éducatives, la France est à la traîne. Ceci se ressent d'ailleurs à travers ses mauvais résultats dans les différents classements évaluant ses performances éducatives. La conséquence notamment d’une insuffisance de la formation des enseignants qui n'ont pas accès à toute cette littérature publiée en anglais.

Atlantico : Lors d'une conférence organisée par l’université Paris Descartes, vous avez affirmé que la France avait un profond retard en matière d'éducation fondée sur des preuves. Qu'entendez-vous par cette expression “fondée sur des preuves” ?

Franck Ramus : C’est une traduction de l’anglais “evidence-based education”, démarche inspirée de la médecine fondée sur des preuves, “evidence-based medicine”. Une traduction plus juste et moins pompeuse serait “fondée sur des données factuelles”. En médecine, cette démarche s’est développée depuis le XIXe siècle et est maintenant généralisée (en particulier dans l’évaluation des médicaments). Sans elle, les médecins n’avaient aucune évaluation objective de l’efficacité de leurs pratiques, et beaucoup persistaient dans des pratiques inefficaces, voire dangereuses (comme la saignée). Seules des méthodologies rigoureuses (comme l’essai clinique randomisé contrôlé) ont permis de faire le tri entre les pratiques efficaces, qui améliorent objectivement la santé des patients, et les pratiques inefficaces ou équivalentes au placebo.
Mais cette méthode n’est en fait pas propre à la médecine : c’est juste la démarche scientifique appliquée à l’évaluation des pratiques. L’efficacité d’une pratique (médicale, éducative ou autre) est considérée comme une hypothèse, et cette hypothèse est testée en la confrontant à des données issues de l’observation ou de l’expérimentation, rigoureusement collectées et analysées. On peut ainsi conduire de véritables évaluations de l’efficacité de pratiques pédagogiques, et plus généralement, s’efforcer de faire de la recherche en éducation d’une manière totalement scientifique, en confrontant systématiquement les hypothèses et théories à des données factuelles.

Pourquoi ce retard est-il problématique ?

En France, la formation des enseignants est non seulement très insuffisante, mais ses contenus sont en plus très discutables. Les pratiques pédagogiques sont inspirées avant tout par de beaux discours, des philosophies très générales, et des arguments d’autorité (Vygotsky a dit…). Les données factuelles sur “ce qui marche” sont totalement ignorées. Leur existence et leur pertinence elles-mêmes sont ignorées ou dénigrées.
Du coup, les enseignants naviguent à vue. Certains ont du talent et réinventent par eux-mêmes la roue, convergeant rapidement vers des pratiques efficaces. D’autres pas. Certains, soucieux d’améliorer leurs pratiques, se transforment en chercheurs amateurs, tâtonnent pendant des années jusqu’à trouver des pratiques qui leur semblent efficaces. Le problème, c’est qu’ils ne sont pas chercheurs et qu’ils n’ont pas les moyens d’employer une méthodologie rigoureuse leur permettant d’aller au-delà de leurs impressions subjectives et de tirer des conclusions valides. Ce n’est de toute façon pas à eux tous seuls de faire un tel travail.
Les victimes de tout cela, ce sont bien sûr les élèves. Les évaluations nationales et les comparaisons internationales sont là pour nous rappeler les piètres résultats de notre système scolaire, et le fait qu’il est possible de faire bien mieux. 

Vous avez aussi expliqué que le monde de la recherche était déconnecté du monde de l'éducation. À quoi cela est-il du ?

Il y a bien une recherche dans le domaine de l'éducation en France, mais elle est pour l’essentiel très peu scientifique. Elle produit du discours sur l’éducation, mais ne le met pas à l’épreuve des faits. À côté de cela, il y a de la recherche scientifique en psychologie et dans d’autres disciplines pertinentes pour l’éducation, mais les liens entre les disciplines sont ténus.
Les chercheurs en psychologie ne sont pas perçus comme légitimes pour parler d’éducation, et peu d’entre eux s’investissent dans une recherche appliquée à l’éducation. Cette situation évolue, mais très lentement.

L'éducation serait, toujours selon vous, trustée par des “gourous”. Qu'entendez-vous par là ? À qui faites-vous référence ?

Je fais référence à tous ceux qui parlent de l’éducation dans les médias, dans les conférences, dans les livres publiés en français, dans les cabinets ministériels, ceux qui guident les réformes éducatives, qui forment les formateurs, et qui pourtant n’ont même pas connaissance des travaux internationaux sur les sujets sur lesquels ils s’expriment.

Ce retard en matière “d'éducation fondée sur des preuves” est-il un mal typiquement français ? Y a-t-il des pays qui fonctionnent mieux sur ce plan-là, et si oui lesquels ?

Un problème clé est que la recherche internationale ne se publie qu’en anglais, ce qui est totalement accepté dans les sciences dites dures, mais qui, historiquement, rencontre des résistances dans les sciences humaines et sociales, pour de bonnes ou de mauvaises raisons. Du coup, en France, une bonne partie des sciences humaines et sociales vivent en autarcie vis-à-vis du reste du monde. Le domaine de l’éducation est particulièrement touché. Il en résulte que non seulement les travaux français dans ce domaine sont invisibles de la communauté internationale, mais aussi qu’ils ne sont même pas informés des travaux menés ailleurs, ce qui les rend non-pertinents et empêche toute diffusion des connaissances internationales vers les enseignants. Évidemment, les pays anglophones et de langues germaniques n’ont pas ce problème, alors que les pays de langues latines sont traditionnellement plus sous influence culturelle de la France. Les pays asiatiques, eux, ont récemment fait un grand bond en avant et sont maintenant totalement parties prenantes de la recherche internationale.

Comment faire pour pallier ce retard en matière “d'éducation fondée sur des preuves” ?

Il n’y a pas de recette miracle, les progrès ne pourront être que lents. Il faut graduellement relever le niveau d’exigence pour les recherches en éducation, pour le recrutement des enseignants-chercheurs (dans les ESPE comme dans les départements de sciences de l’éducation), pour le financement des projets, jusqu’à atteindre une masse critique d’enseignants-chercheurs en éducation formés à la recherche au niveau international, ce qui fera basculer l’ensemble du système. En attendant de rénover radicalement la formation initiale des enseignants, on pourrait tout de même améliorer leur information, par exemple en traduisant en français les principaux livres de vulgarisation de l’éducation fondée sur des preuves, en produisant des MOOC et autres formations alternatives accessibles à tous les enseignants motivés. Le lien vers les controverses de Descartes pourrait être utile pour ceux qui veulent en savoir plus. Également, le cours de Stanislas Dehaene sur les fondements cognitifs des apprentissages scolaires. 

jeudi 26 mai 2016

Humour : Constructivisme pédagogique


Pessin





Konk


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Konk







Didier Müller

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Carl Hendrick

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Martine


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Sauver Les Lettres








Charb


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vendredi 20 mai 2016

Rapport de l'Unicef sur l’enfance : comment les politiques égalitaristes ont aggravé les inégalités scolaires, au point de faire de la France l'un des pires élèves parmi les pays riches

Source : Atlantico

Entretien avec Pierre Duriot




Une nouvelle fois, la France se fait remarquer par ses piètres résultats en matière d'inégalités scolaires, reléguée aux dernières places des pays riches. C'est ce que révèle le nouveau bilan Innocenti rédigé par l'UNICEF.

Atlantico : Ce jeudi, l'UNICEF a publié son 13e bilan Innocenti qui révèle que la France figure parmi les pays riches les plus inégalitaires en matière d'éducation (35e place, et 12,7 % des élèves en-dessous des standards PISA). Qu'est-ce qui explique cette piètre performance ? 

Pierre Duriot : Ce n'est pas une nouveauté, c'est juste la confirmation du chemin pris depuis plusieurs années et qui se confirme à chaque rapport international mettant en cause les inégalités et le niveau général de l'instruction.
Il s'agit d'une tendance lourde puisque les mauvais chiffres, comme les bons, ne s'infléchissent que sur une période d'une dizaine d'années. Plusieurs causes sont à pointer, pas toutes uniquement de la faute de l'école. Structurellement, l'ensemble de la société devient inégalitaire ; en cela l'école suit les statistiques économiques sur les écarts de richesses et de salaires dans la société, mais elle y colle alors qu'elle devrait les compenser en partie. L'école fait aussi avec l'évolution de la société, et notamment en ce qui concerne les problèmes sociétaux liés à la famille - désagrégée, recomposée, monoparentale, moins bien structurée et moins structurante. L'école souffre aussi de l'absence de mixité sociale, de disparité de cultures, de trop grande féminisation de son personnel. Un autre rapport récent, paru dans Le Monde, pointait les différences significatives dans la réussite scolaire des garçons issus des différentes origines migratoires présentes en France et leurs scolarisations respectives dans des établissements hiérarchisés. Un rapport fort peu politiquement correct et passé presque inaperçu. Langues, cultures, ségrégation sociale, ségrégation économique, nouvelles modes éducatives, addictions diverses aux écrans, s'additionnent pour rendre la tâche de l'école de plus en plus difficile.
Mais celle-ci n'a pas correctement rempli ses missions, c'est le moins que l'on puisse dire. Elle a abandonné en partie l'enseignement et l'instruction pour se focaliser sur des items éducatifs, pour ne pas dire politiques. À ceux qui en douteraient, on peut étaler moult directives ministérielles sur les combats contre le racisme, l'homophobie, le respect des cultures allogènes. On peut citer également les multiples “sensibilisations”, à la nutrition, au secourisme, au code de la route, à l'hygiène ; les sorties permanentes au musée, au spectacle ; ou encore pour apprendre à nager ou même faire du vélo ! Autant de signes d'une prise en charge éducative dont une bonne part pourrait être considérée comme relevant de la famille, de centres de loisirs, de stages en associations, mais totalement inappropriée à l'école ainsi déshabillée, désacralisée, déculturée.
Ce faisant, l'école de l'apprentissage est devenue l'école du vivre-ensemble et plus loin, du menu à la carte, tant les entorses au “menu” républicain ont été nombreuses pour des raisons inavouables, de respect mal placé ou d'électoralisme. Mais l'école a aussi créé de l'illusion avec sa pédagogie de la réussite, supprimant ainsi les mauvaises notes, les mauvaises appréciations, les travaux de base incontournables comme les tables ou les règles, définitivement étiquetés comme ingrats et de toute façon inadaptés au nouvel état d'esprit d'enfants souvent gratifiés en permanence et sans contrepartie. Elle a aussi dévalorisé ses examens, donnant de trop bonne grâce un bac devenu totalement inadapté à la simple poursuite d'études un tant soit peu intéressantes : les élèves ne sont d'ailleurs pas dupes et visent les mentions pour être crédibles. Le tout en passant à côté de métiers manuels ou de filières professionnelles que l'on essaie de reconquérir après les avoir perdues trois décennies durant, au prix de notre industrie.
Enfin, il y a ce gros tiers d'enfants, bien pointés par l'UNICEF, entre 30 et 35 %, souffrant de ces nouvelles formes de misères et d'exclusions, par la pauvreté due à l'absence de travail ou de perspectives de travail, mais aussi par la pauvreté de certains terroirs ou quartiers, à la ville comme à la campagne, l'exclusion par la pauvreté de la culture, ou la non-adhésion à la culture, l'absence de repères familiaux, de cadres institutionnels, de personnes identificatoires… Avec tous ces enfants-là, l'école n'a pas su se réinventer ; elle en est restée à ce qu'on appelle dans le jargon des enseignants le pédagogisme. Toutes ces raisons, mises bout à bout, mais toujours étayées par une “bien-pensance” obligatoire, aboutissent au classement que l'on connaît et aucun des mauvais classements qui tombent depuis une quinzaine d'années ne semble devoir inciter à la remise en cause des choix ou des non-choix qui ont été effectués.

Que penser de ce résultat, au regard notamment des dépenses engagées en matière d'éducation ?

Pierre Duriot : Cela s'explique par un mauvais choix d'options à tout le moins, ou pire, de mauvais choix délibérés, ceux qui consisteraient à liquider l'école en organisant sa médiocrité. L'école publique “gratuite”, ce n'est pas l'option libérale “laïque” ; le paramètre a l'air d'en déranger certains. “Obligatoire” est devenu un mot totalitaire quand celui de “collective” ne correspond plus ni à l'époque, ni à l'idéologie. L'argent est mis au service d'une école politisée et débouche de fait sur une progression des écoles privées et confessionnelles. Il y a, dans le discours gouvernemental, un énorme mensonge, corroboré par les résultats obtenus.

Y a-t-il un moment particulier à partir duquel le système éducatif français s'est mis à produire des inégalités ? N'y a-t-il pas eu “trahison” du mythe fondateur de l'école républicaine ? 

Pierre Duriot : En fait, le système scolaire a commencé à vraiment produire des inégalités quand le système économique a commencé lui aussi à produire de l'inégalité : 1973. Le premier crash pétrolier, la remise des clés au système bancaire privé, l'abandon des souverainetés nationales, le tout amplifié par le pédagogisme, les renoncements successifs à l'effort, à l'excellence, à l'instruction, au profit de la transmission idéologique, du passage d'une école centrée sur le travail et le mérite à une école centrée sur l'enfant, son désir, son bien-être et la satisfaction de ses parents électeurs. Mais tout cela a été graduel et surtout pétri de bons sentiments. Encore une fois, soit nous avons fait de mauvais choix, soit nous avons fait le choix objectif de la liquidation de l'outil scolaire massif des Trente Glorieuses au profit d'une école privée, payante, de reproduction des élites et qui concerne actuellement environ 25 % de bons et très bons élèves.

Quelles mesures conviendrait-il de prendre pour réduire structurellement ces inégalités ?

Pierre Duriot : Il faut surtout changer de logiciel de pensée, savoir quelles missions sont celles de l'école, recentrer ses actions, mieux former les professeurs ; passer de la réussite obligatoire et béate ou de l'abandon pur et simple à la gestion et la résolution de la situation d'échec ou de problème ; repenser au travail, au mérite, à la récompense, aux modèles identificatoires, pourquoi pas à l'uniforme. Repenser aussi la valorisation des métiers, des filières professionnelles, dans une école, lieu sacralisé d'une transmission ne souffrant pas la revendication identitaire ou religieuse, mais également en prise avec la société civile et économique. Mais au-delà, il sera nécessaire que la société toute entière corrobore le discours du travail, du mérite et de l'excellence, ce qui pour le moment est loin d'être le cas.



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mercredi 11 mai 2016

Scoop : L'Enseignement Explicite déplaît aux constructivistes

L'École nouvelle


Le Café pédagogique se réjouit de la parution d’un numéro de Dialogue consacré à l’enseignement explicite.

N’en soyez pas surpris : il s’agit d’un plaidoyer pour le succédané constructiviste, qui n’a aucun rapport avec la démarche efficace décrite par Barak Rosenshine, le “père” de l’Enseignement Explicite. Pour distinguer les deux, le faux constructiviste et le vrai instructionniste, nous avons pris l’habitude de mettre des majuscules au second (sur l’exemple du Direct Instruction américain).

Qu’est-ce que Dialogue ? Une revue que je ne connaissais pas, comme la plupart des enseignants d’ailleurs. Son tirage doit être étique puisque cette revue s’adresse à quelques initiés… et probablement à toutes les Canopé de France et de Navarre, abonnées obligées (et subvention déguisée).

De quel groupement émane cette revue ? Du GFEN, que la plupart des enseignants ne connaissent pas non plus. Le GFEN est un résidu constructiviste radical, dont les membres doivent aujourd'hui se compter sur les doigts de la main. L’origine du Groupe Français de l’Éducation Nouvelle est plus que douteuse : jusqu’en 1962, il était à la botte du Parti communiste. À la Libération, c’était même un nid de staliniens purs et durs qui n’ont pas hésité à disqualifier sévèrement leur (pourtant) camarade Freinet.

Le GFEN a été de tous les combats foireux pour assurer l'hégémonie du constructivisme sur l’École française. Tout ce qui a échoué lamentablement depuis quarante ans est son affaire. Et ça continue…

Il n’est donc pas étonnant que ce diverticule s’en prenne aujourd’hui à l’Enseignement Explicite qui, peut-on lire, « met l'apprenant sous coupe réglée du maître à penser » (sic). C’est dire le niveau de celui ou de celle qui a écrit cette tirade. Il est habituel que les anciens admirateurs d'un des totalitarismes les plus abjects du XXe siècle se prennent aujourd'hui pour des parangons de progressisme ! Eux qui ont été si clairvoyants se permettent de donner des leçons de démocratie. On aura tout vu...

Dès lors, malgré la présentation favorable faite par le Café pédagogique, cette revue ressemble furieusement à un florilège d’âneries en tout genre, écrites par des gens complètement dépassés et dont l’esprit est manifestement fossilisé. À voir les prénoms des auteurs (Henri, Catherine, Josette…), on est plus près de la génération des yéyés que de celle des perdreaux de l’année. Au GFEN, il semble que, plus qu'ailleurs, on blanchit sous le harnois.

Aussi, laissons à leurs certitudes ces quelques rescapés chenus de l’École “nouvelle”, devenue obsolète et rassie après un siècle d’existence. Involontairement, ils nous donnent la preuve que quand on a le cerveau stratifié par l’âge, on se contente bien souvent de radoter…

mardi 3 mai 2016

Conférence de consensus sur la lecture



Les 16 et 17 mars derniers, s’est tenue à Lyon une conférence de consensus sur la lecture, organisée par le CNESCO et l’IFÉ (donc méfiance !). Selon la présentation qui nous en est faite, « Cette conférence de consensus avait pour objectif d’établir un dialogue entre des experts et des membres de la communauté éducative afin de faire des recommandations basées sur les résultats de la recherche, les connaissances scientifiques et les pratiques de terrain, nationales et internationales, concernant l’apprentissage et l’enseignement continus de la lecture dans l’école française. »

Il est vrai que la lecture est un secteur particulièrement sinistré de l’École française. Quarante années à utiliser des méthodes mixtes, à départ global plus ou moins long, finit pas laisser des traces. Une fois de plus, les lubies constructivistes sont passées par là et ont conduit à un désastre. Qu’on en juge :
- selon l’enquête CEDRE, 39 % des élèves quittent le Primaire avec des difficultés en lecture : ils ne sont pas capables de savoir de quoi parle un texte ou de relier entre elles des informations fournies par le texte ;
- à la fin du collège, 37 % des élèves ont, selon PISA, un niveau de compréhension insuffisant ;
- entre PISA 2000 et PISA 2012, le pourcentage de jeunes en grande difficulté de lecture (ne pas comprendre un texte simple) est passé de 15 % à 19 % ;
- en éducation prioritaire, la part des mauvais lecteurs est le double de la moyenne nationale, 33 % contre 18 % : « Les élèves des établissements les plus défavorisés ne maîtrisent que 35 % des compétences attendues en français en fin de 3e contre 60 % en 2007 » (selon l’enquête CEDRE).

Dès lors, le jury de cette conférence a donc rendu, le 8 avril 2016, ses recommandations (au nombre de 47). Ceux qui sont intéressés se reporteront à la Synthèse des recommandations, que je ne vais pas m’amuser à détailler. Sachez seulement que, dans les 12 pages du texte, le mot « explicite » revient 8 fois. Mais depuis les articles du Centre Alain Savary, on sait que les tenants du constructivisme pédagogique n’hésitent plus à reprendre ce mot à leur compte, et surtout - hélas - à leur façon.

Mais soyons positifs. En notant au passage qu’on reconnaît à nouveau quelque mérite à la lecture à voix haute (pratique qui avait été honnie pendant des années par les “spécialistes” constructivistes qui trouvaient cela trop traditionnel). Et surtout, il est dit aussi : « Le  recours  à un  enseignement  explicite des  mécanismes  et  des  stratégies  de  lecture parallèlement à une pratique importante de la lecture, pour en assurer l’automatisation. » Depuis le temps qu'on le répète, cela fait plaisir de voir ce fait enfin admis !

Mais le gros morceau, c’est « l’apprentissage de la compréhension ». La compréhension est l’obsession des constructivistes qui répètent depuis toujours « Le sens, le sens », comme Toinette disait « Le poumon, le poumon ! ». Ainsi, c’est « pour faire du sens » qu’on a omis pendant des années à enseigner le déchiffrage. Aujourd’hui, on admet à contrecœur qu’il faut déchiffrer pour lire, mais surtout il faut de la compréhension. Bien sûr que lire c’est comprendre, mais comment comprendre si on ne sait pas déchiffrer correctement ?

Dans la lignée de Goigoux et de Cèbe, on apprend maintenant des stratégies de compréhension des textes, et cet apprentissage doit se faire de façon explicite. C’est la grande mode depuis peu de temps chez les constructivistes. Mais attention, ne rêvons pas, l’explicite n’est admis que pour apprendre des stratégies de compréhension et surtout rien d’autre. Manque de chance, la compréhension d’un texte, quel qu’il soit, dépend essentiellement des connaissances et de la culture qu’on a pu acquérir antérieurement. Qu’on me donne un texte sur le boson de Higgs, si je ne sais même pas qu’il existe une physique des particules élémentaires, ce sera pour moi de l’hébreu et j’aurai beau user de toutes les stratégies qu’on m’aura appris même explicitement, je n’y comprendrai rien ou très peu. Et en tout cas, ce genre d’activité sera pour moi d’un ennui mortel, faisant passer à la trappe le fameux « plaisir de lire » que cette conférence recherche comme le Saint-Graal.

Plutôt que d’apprendre des stratégies, il vaut mieux acquérir une solide culture de base. Mais cela, les pratiques constructivistes en sont bien incapables. Cette façon d’enseigner déstructurée, complexe et inefficace ne laisse que des bribes de savoirs en fin de scolarité, quelques épaves qui surnagent après le naufrage.

Car le problème est là : tant que le constructivisme pédagogique continuera d’influencer lourdement toutes les démarches d’enseignement, on pourra faire toutes les conférences de consensus que l’on veut, cela ne débouchera sur rien de tangible. Surtout si c'est l'IFÉ, ex-INRP, ex-INP, qui en reste le maître d'œuvre.