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jeudi 29 août 2019

Visible Learning : la Lune et le doigt



Le travail réalisé par John Hattie et son équipe a suscité, lors de sa parution, beaucoup d’enthousiasme par l’ampleur des données récoltées et par le fait qu’il s’agissait d’une tentative de déterminer les meilleures pratiques d’enseignement en se basant sur des données en grand nombre (plus de 900 méta-analyses).

Les constructivistes, qui tiennent plus à leurs croyances fondées sur l’idéologie que sur les données probantes fondées sur la réalité, ont partout rejeté le travail de Hattie parce qu’il démontrait l’inefficacité de leurs pratiques pédagogiques. Leurs critiques ne sont, par conséquent, que des réactions défensives sans valeur. Inutile qu’on s’y attarde…

En revanche, lorsque Robert Slavin, qui est un chercheur sérieux prônant un enseignement du type instructionniste avec Success for All, dit “John Hattie is wrong” dans un article de son blog, il faut écouter ses arguments et les prendre en considération.

Sa critique pointe le fait que, dans la masse des analyses que Hattie et son équipe ont utilisées, certaines avaient des biais importants. Ces défauts se sont logiquement reportés sur les méta-analyses qui les recensaient malgré tout et, à un niveau supérieur, sur les méga-analyses, pour les mêmes raisons.



Il pointe également le seuil de 0,40 du célèbre cadran qui sert de limite entre les pratiques qui ont un effet tangible et celles qui n’en ont pas. Les effets compris entre 0,15 et 0,40 correspondent à ce que tout enseignant pourrait produire quelle que soit sa méthode. Et ceux compris entre 0,00 et 0,15 équivalent à ce que n’importe quel enfant peut apprendre tout seul, sans le secours de l’école. Or, selon Robert Slavin, ce cadran et les zones qu’il détermine ne tient pas compte de la taille de l’effet. En statistique, c’est la force de l'effet observé d'une variable sur une autre (voir l’article de Wikipédia pour en apprendre davantage).

Le point de vue de Franck Ramus doit également être pris en compte : « Quand on pousse la synthèse à l’extrême il existe évidemment un risque de simplification, de passer à la trappe des détails importants ou de se livrer à des comparaisons qui n’ont pas lieu d’être. Il ne faut ainsi pas lire les tableaux de Hattie de façon littérale. Et s’il s’agit de convertir ces données en recommandations pratiques pour les enseignants alors oui il est nécessaire de revoir chaque étude retenue dans le détail. Il me semble que les travaux de Hattie constituent davantage un outil pour les chercheurs parce qu’ils sont un point d’entrée systématique et exhaustif vers une littérature scientifique immense et difficile à dominer ».

Quant à Steve Bissonnette, il écrit : « Les travaux menés par l’équipe de John Hattie font l’objet de plusieurs critiques et plusieurs de ces critiques sont valables et recevables. En effet, réaliser une méga-analyse en comparant les résultats provenant de diverses méta-analyses ayant utilisé parfois différentes méthodologies crée le danger de comparer des pommes avec des oranges ! » 

Le “Saint-Graal de l’éducation” – comme le Visible Learning a été très vite qualifié par les médias – n’est donc pas vraiment la relique miraculeuse que tout le monde enseignant espère.

Incontestablement, les instruments de mesure utilisés par les chercheurs ne sont pas parfaits. On retrouve les mêmes limites – et les mêmes critiques – dans les mesures effectuées pour les comparaisons internationales (PISA, TIMSS, PIRLS) ou pour les évaluations standardisées des acquis des élèves. Mais malgré leurs défauts, ces instruments de mesure révèlent un certain nombre d’indications massivement convergentes, dont il serait stupide de rejeter l’évidence au nom d’une perfection qui ne sera jamais de ce monde.

Lorsque le sage montre la Lune, il n’est pas idiot de regarder le doigt. Mais à condition de ne pas oublier, en même temps, de regarder aussi la Lune…




jeudi 15 août 2019

Les conceptions pédagogiques des enseignants du Primaire




Le numéro d’Éducation et Formations de novembre 2018 contient un article révélateur de Jacques Crinon et de Georges Ferone, intitulé “Savoirs et conceptions professionnelles des enseignants” (pp 39-50).

« Au travers d’une enquête menée auprès d’une centaine d’enseignants de l’école primaire en France, nous explorons les conceptions sur les manières contemporaines de faire la classe. »

De cette enquête, les chercheurs ont tiré les conceptions les plus consensuelles, celles qui sont dominantes.

Ainsi :

« Le savoir est à faire émerger des réponses des élèves : l’accent est mis fortement sur l’activité de l’ensemble de la classe, le dernier mot laissé aux élèves, la réticence à donner trop vite le savoir pour privilégier les démarches de recherche, et même à communiquer des savoirs qui apporteraient les clés d’une recherche collective.  L’enseignant reporte à plus tard la leçon, plutôt que d’apporter directement le savoir. À l’inverse, les items qui donnent à l’enseignant un rôle de dispensateur de savoirs ou un rôle modélisant sont très peu choisis. L’enseignant n’enseigne pas directement, mais favorise un apprentissage des élèves passant par leur propre activité de recherche collective, tâtonnante, impliquant dans certaines disciplines la manipulation et dont il importerait de ne pas interrompre le tâtonnement en apportant des informations. »

« Il s’agit bien ici de faire participer, parler, argumenter le maximum d’élèves, de les rendre actifs et de s’appuyer sur leurs représentations et leurs réponses pour introduire les savoirs. »

Cela me rappelle mes formateurs de l’école normale d’instituteurs, à la fin des années 1970, qui, chronomètre en main, comparaient les temps de parole du maître et celui des élèves. Et gare à l’élève-maître qui parlaient plus que les élèves !

Pour ceux qui n’auraient pas encore compris, voici la conclusion de l’étude :

« Pour les enseignants interrogés, le savoir doit émerger des réponses des élèves, en particulier grâce à des discussions collectives faisant participer le plus grand nombre d’élèves. Ils soulignent également les bienfaits de la différenciation. Ces résultats sont en cohérence avec de précédentes recherches et peuvent étayer l’existence d’un corpus de conceptions communes sur la manière de faire la classe aujourd’hui, assez différentes de la pédagogie transmissive d’antan. Rayou (2000) montre ainsi comment historiquement le concept de l’enfant au “centre” s’est imposé à l’école ainsi que dans les familles, favorisant un modèle éducatif basé sur l’expression de l’enfant. Daguzon et Goigoux (2007) relèvent chez les jeunes enseignants une grande homogénéité́ des conceptions basées sur un modèle pédagogique d’inspiration socioconstructiviste organisé selon trois   principes interdépendants : les élèves doivent être actifs, ils doivent être motivés et doivent prendre la parole. »

Cela fait une cinquantaine d’années que les formateurs, les experts, les conseillers pédagogiques, les inspecteurs, les syndicats majoritaires disent aux instituteurs d’enseigner de cette façon. Toutes ces croyances socioconstructivistes, qui ne reposent sur aucune donnée probante, sont devenues au fil du temps des certitudes stratifiées, pratiquement impossibles à déliter. C’est la raison principale de l’échec durable de notre École : quand les enseignants s’y prennent de travers, il ne faut pas s’étonner des résultats obtenus. Et ces enseignants n’y sont pour rien : on leur a dit de faire comme cela et ils le font. Le malheur, c’est que la plupart sont maintenant convaincus de bien faire…



Voir aussi Convictions et pratiques pédagogiques (TALIS, 2015)