Le numéro d’Éducation
et Formations de novembre 2018 contient un article révélateur de Jacques
Crinon et de Georges Ferone, intitulé “Savoirs et conceptions professionnelles
des enseignants” (pp 39-50).
« Au
travers d’une enquête menée auprès d’une centaine d’enseignants de l’école
primaire en France, nous explorons les conceptions sur les manières
contemporaines de faire la classe. »
De cette
enquête, les chercheurs ont tiré les conceptions les plus consensuelles, celles
qui sont dominantes.
Ainsi :
« Le savoir est à faire émerger des réponses des élèves : l’accent est mis fortement sur l’activité de l’ensemble de la classe, le dernier mot laissé
aux élèves, la réticence à donner trop vite le savoir pour privilégier les démarches de
recherche, et même à communiquer des savoirs qui apporteraient les clés d’une recherche collective. L’enseignant reporte à plus tard la leçon, plutôt
que d’apporter directement le savoir. À l’inverse, les items qui donnent à l’enseignant
un rôle de dispensateur de savoirs ou un rôle modélisant sont très peu choisis.
L’enseignant n’enseigne pas directement, mais favorise un apprentissage des élèves
passant par leur propre activité de recherche collective, tâtonnante, impliquant dans
certaines disciplines la manipulation et dont il importerait de ne pas interrompre le tâtonnement
en apportant des informations. »
« Il s’agit bien ici de faire
participer, parler, argumenter le maximum d’élèves, de les rendre actifs et de
s’appuyer sur leurs représentations et leurs réponses pour introduire les
savoirs. »
Cela me rappelle mes formateurs de l’école normale d’instituteurs,
à la fin des années 1970, qui, chronomètre en main, comparaient les temps de
parole du maître et celui des élèves. Et gare à l’élève-maître qui parlaient
plus que les élèves !
Pour ceux qui n’auraient pas encore compris, voici la
conclusion de l’étude :
« Pour
les enseignants interrogés, le savoir doit émerger des réponses des élèves, en
particulier grâce à des discussions collectives faisant participer le plus
grand nombre d’élèves. Ils soulignent également les bienfaits de la
différenciation. Ces résultats sont en cohérence avec de précédentes recherches
et peuvent étayer l’existence d’un corpus de conceptions communes sur la manière
de faire la classe aujourd’hui, assez différentes de la pédagogie transmissive
d’antan. Rayou (2000) montre ainsi comment historiquement le concept de
l’enfant au “centre” s’est imposé à l’école ainsi que dans les familles,
favorisant un modèle éducatif basé sur l’expression de l’enfant. Daguzon et
Goigoux (2007) relèvent chez les jeunes enseignants une grande homogénéité́ des
conceptions basées sur un modèle pédagogique d’inspiration socioconstructiviste
organisé selon trois principes
interdépendants : les élèves doivent être actifs, ils doivent être motivés et
doivent prendre la parole. »
Cela fait
une cinquantaine d’années que les formateurs, les experts, les conseillers
pédagogiques, les inspecteurs, les syndicats majoritaires disent aux
instituteurs d’enseigner de cette façon. Toutes ces croyances
socioconstructivistes, qui ne reposent sur aucune donnée probante, sont
devenues au fil du temps des certitudes stratifiées, pratiquement impossibles à
déliter. C’est la raison principale de l’échec durable de notre École :
quand les enseignants s’y prennent de travers, il ne faut pas s’étonner des
résultats obtenus. Et ces enseignants n’y sont pour rien : on leur a dit de
faire comme cela et ils le font. Le malheur, c’est que la plupart sont maintenant convaincus de bien faire…
Voir aussi Convictions et pratiques pédagogiques (TALIS, 2015)
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