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samedi 28 mars 2015

Et si on valorisait les comportements positifs ?

Source : Rire

Brigitte Levesque




Selon le MELS, les élèves ayant des troubles du comportement sont ceux dont les probabilités de quitter l’école sans un diplôme d’études secondaires sont les plus élevées. Il devient essentiel de privilégier des interventions efficaces dans la scolarité de ces élèves pour éviter les retards scolaires et promouvoir leur réussite éducative.

Publié dans La Foucade, le journal officiel du Comité québécois pour les jeunes en difficultés de comportement (CQJDC), cet article présente le soutien au comportement positif (SCP), un système reconnu efficace pour la prévention des difficultés comportementales.

Le SCP en bref

 Le SCP propose la mise en place d’un système de soutien sur le plan de la gestion des comportements afin de créer un milieu propice à l’apprentissage.
  • Le système préconise l’adoption d’une approche à l’échelle de l’école tout entière se fondant sur l’idée que les comportements attendus en classe et hors classe doivent être définis précisément, enseignés explicitement et être reconnus lors de leur manifestation.
  • Le système encourage le personnel à travailler en équipe pour élaborer une approche cohérente et positive de la discipline dans l’école.

Plus spécifiquement, le système SCP implique la mise en œuvre de dix composantes présentées dans l’article :

1) L’engagement formel du personnel scolaire (enseignants et directions)
2) La création d’une équipe SCP et l’autoévaluation des mesures mises en place
3) L’identification des valeurs
4) Les attentes comportementales
5) L’enseignement explicite des attentes comportementales
6) L’élaboration d’un système de renforcement
7) Un continuum d’interventions ciblant les différentes problématiques comportementales
8) La compilation et l’analyse des données comportementales
9) La fonction des comportements
10) La présence d’un coach SCP


Un système qui a fait ses preuves

Une analyse préliminaire réalisée dans une école qui a implanté quelques composantes seulement du système SCP montre une réduction de 26 % du nombre d’incidents comportementaux dans l’école.

Sur une période de 10 mois, ce résultat représente une diminution d’environ 180 incidents comportementaux de moins à gérer pour la direction de l’école et les services d’éducation spécialisée.

Ce système ouvre la voie à la liberté d’enseigner et d’apprendre dans un climat plus favorable et sans dérangements constants.






dimanche 22 mars 2015

Livre : Transmettre, apprendre (M.-C. Blais, M. Gauchet, D. Ottavi)



Voilà un livre qui s’intéresse de manière très approfondie au fait de transmettre et d’apprendre. Donc, d’une certaine manière, à l’opposition entre l’École traditionnelle qui était transmissive et l’École dite “nouvelle” qui est constructiviste. Le secret espoir des auteurs étant de dépasser l’une et l’autre : « La tâche qui en découle est claire : elle est d’accorder les deux perspectives, en faisant droit à ce que les deux questions et les deux ordres d’exigence comportent de légitime. » Mais en ajoutant tout de suite après : « Nous sommes à la recherche d’un équilibre qu’on devine difficile. » Je dirais même impossible, tant il est vain de vouloir concilier l’inconciliable. Disons-le tout net : la philosophie instructionniste est antinomique de la philosophie constructiviste. Tous ceux qui ont tenté le syncrétisme ont échoué dans un moyen terme tenant du salmigondis pédagogique très éloigné d’une conception professionnelle du métier d’enseignant.

Je lis : « Transmettre sans se préoccuper de l’activité de l’élève est assurément vain, mais apprendre en dehors d’un cadre réglé par une volonté de transmission est infiniment difficile, voire relève de l’exploit. Si l’opposition des termes a eu du sens, la tâche de la pédagogie de l’avenir sera de les articuler. » Cette pédagogie de l’avenir a un nom : l’Enseignement Explicite. Mais, de toute évidence, les auteurs de ce livre n’en ont jamais entendu parler.

L’enseignement traditionnel, bien que classé comme instructionniste, est dépassé aux yeux d’un enseignant explicite. De plus, après quarante années de formation et de conformation constructiviste, on peut penser qu’il a disparu des écoles primaires de notre pays. Les auteurs rappellent à juste titre qu’« une authentique mutation culturelle a disqualifié une philosophie de l’enseignement et de l’éducation au profit d’une autre. » Qui ose encore défendre l’enseignement traditionnel ? Plus personne. Même les passéistes patentés préfèrent invoquer Freinet (le GRIP), Montessori (SOS-Éducation) et même l'enseignement explicite (Librairie des écoles)...

Cela n’empêche pas les constructivistes d’affirmer, contre toute évidence, que s’ils ont échoué, c’est à cause de la résistance du traditionnel : « Il n’est pas rare aujourd’hui d’attribuer les difficultés de l’école à une “crise” de la transmission, alors que, dans la même école, la pédagogie dite “transmissive” fait figure de repoussoir. » Nous ne sommes plus à une contradiction près !

Intéressons-nous plutôt à ce que ce livre nous dit des pédagogies soi-disant “nouvelles”.
« Les pédagogies dites “nouvelles” reprochent aux méthodes dites à très juste titre “traditionnelles” d’être techniquement déficientes, en passant à côté du ressort primordial que représente l’activité de l’élève, les apprentissages étant d’autant plus efficaces et solides qu’ils s’appuient sur les intérêts, les curiosités, les initiatives et l’expérience de chacun. En outre, ce refus de la passivité devant une parole d’autorité est le moyen de préparer des citoyens qui ne s’en laisseront pas conter et qui n’hésiteront pas à s’impliquer dans les affaires publiques. Ajoutons encore à cela la critique psychologique des dégâts de l’autoritarisme en matière de développement de la personnalité, et l’on conçoit les motifs qui allaient rendre ce courant de pensée irrésistible. Dès les années 1920, il pénètre les institutions d’enseignement aux États-Unis sous le pavillon de l’“éducation progressive”. La différence des contextes politiques, sociaux et culturels différera son triomphe en Europe. Il n’en sera pas moins consommé sur toute la ligne dans les années 1970. Rien d’étonnant si l’on considère l’affinité de ses idées directrices avec les principes fondamentaux qui régissent nos sociétés. Il faut tout simplement enregistrer le fait que la culture démocratique a trouvé la philosophie pédagogique qui lui correspond. »
Toute la fascination qu’a exercée l’idée constructiviste, parée de progressisme, se retrouve dans ce passage. Difficile de lutter sans passer pour un dangereux réactionnaire, surtout aux yeux des plus farouches partisans des démarches par découverte qui, en dénonçant les autres, se donnent le beau rôle du pourfendeur de fascistes. Quitte à pratiquer l’amalgame, la diffamation et la calomnie.

Cependant, il devient patent que « l’autoconstruction des savoirs n’est manifestement pas la solution magique qu’il a paru un instant permis d’espérer. » Impossible de camoufler plus longtemps les échecs désastreux provoqués par cette mode pédagogique mise en œuvre en France depuis la fin des années 1970. « La démocratisation qu’il paraissait permis d’attendre de la substitution des enseignements explicites aux transmissions implicites n’est pas au rendez-vous. »

La société sans école, aboutissement ultime du constructivisme, est aujourd’hui un rêve enterré mais qui n'est pas resté sans conséquences. « Le programme illichien n’est plus revendiqué par personne et il n’en est plus jamais question. En même temps, cette disqualification ne l’empêche pas d’avoir explicité les principes qui allaient présider à la transformation des institutions avec une netteté prophétique dont on trouverait difficilement l’équivalent ailleurs. »

Qu’est-ce que le constructivisme ? Les auteurs le connaissent très bien et en parlent très justement. Ainsi : « Le naturalisme évolutionniste fournit l’arrière-fond d’une conception constructiviste de la formation des outils cognitifs de l’humanité, dont la pratique pédagogique est invitée à s’inspirer, en valorisant l’activité de l’enfant, sur le modèle de la confrontation de l’esprit humain avec la nature. Elle dispose pour ce faire d’une voie toute tracée, qui consiste à replacer l’enfant devant des situations-problèmes appelant un travail indépendant d’induction de sa part. Ainsi lui fera-t-on retrouver les conditions de l’expérience qui a été le moteur du développement de l’espèce. » Tout est dit de l'erreur ontologique du présupposé initial.

Car « le problème est que ce cadre de pensée [le constructivisme] n’a pas grand-chose à voir avec la réalité. Il s’impose à nous pour de forts motifs, à la fois intellectuels et sociaux, qui tiennent autant à ce que nous avons appris sur la genèse de l’humain qu’à ce que nous suggère la place acquise par l’individu dans le mécanisme collectif. Mais ces motifs d’y croire, si puissants soient-ils, n’en font pas pour autant des vérités. Il s’agit justement de les dégager, de les analyser, d’en cerner les tenants et les aboutissants, afin de pouvoir s’en déprendre au lieu d’y obéir aveuglément. Tout ce système de représentations qui s’est élaboré et diffusé sur un siècle et demi est à soumettre à un examen critique sans concession. La légende prométhéenne de l’autoconstruction dans laquelle il a enfermé la réflexion pédagogique est à déconstruire pièce par pièce. Ce n’est pas de cette façon que nous apprenons, que l’esprit se pénètre peu à peu des rudiments de ces fameux “outils cognitifs” qui permettent de s’y orienter. » Déconstruire la forteresse constructiviste…

Qu’est-ce qui a permis au constructivisme de s’installer aussi durablement dans le paysage éducatif ? « Si l’origine des “idées modernes sur l’éducation” remonte au XIXe siècle, c’est au XXe siècle qu’elles ont été véritablement mises en forme, avec l’émergence de la psychologie de l’enfant. C’est fortes de ce soubassement scientifique qu’elles ont pénétré à grande échelle les systèmes d’enseignement et infléchi les pratiques pédagogiques. » Je me souviens encore des cours de psychopédagogie qu’on nous servait dans les Écoles normales d’instituteurs à la fin des années 1970, avec Piaget comme parole d'évangile et Freinet comme modèle incontournable.

Jean Piaget (1896-1980) est considéré comme le père du constructivisme. Il devient le collaborateur à Genève de Claparède, l’« auteur de la fameuse formule selon laquelle l’enfant, et non le savoir, doit être mis au centre des apprentissages ». Et, de 1929 à 1968, il dirige le BIE, lui assurant ainsi une audience internationale dans le monde enseignant.
« Piaget, après avoir congédié l’enfant au profit du développement et le développement psychologique au profit de l’histoire des sciences, est parvenu à une position théorique totalement éloignée de la pédagogie et de l’éducation. En effet, outre que son objet n’est plus l’enfant, l’apprentissage scolaire ne l’est pas non plus : il s’intéresse en priorité à des situations idéales, à un face-à-face entre intelligence et expérience, qu’il recrée dans ses situations de laboratoire. De ce face-à-face résulte la connaissance, dans un apprentissage qui ne peut être qu’un auto-apprentissage. »
« Piaget ne peut être un penseur de l’apprentissage, si l’on entend par là un processus par lequel le sujet reçoit quelque chose qui lui est au départ extérieur et étranger, ni de la pédagogie. »
Piaget n’est peut-être pas un « penseur de l’apprentissage », mais cela ne l’empêchera pas d’être la providence de tous les “pédagogues actifs” :
« La défense de l’autonomie de l’enfant est peut-être le plus petit dénominateur commun entre les différentes tendances de l’éducation nouvelle et les applications envisageables de la psychologie de l’enfant à la pédagogie. Cette notion permet de défendre les méthodes actives, de placer l’enfant “au centre” de l’école, de s’en remettre à son activité pour assurer l’apprentissage…, et Piaget n’a pas de mal à trouver chez les pédagogues ce sésame de l’innovation qui entre en résonance avec sa propre conception de l’apprentissage. »
« Les pédagogues qui ne sont pas forcément des psychologues se voient apporter un appui scientifique, même si, en l’occurrence, ils ne l’ont pas demandé. »
« Piaget, qui n’est pas un psychologue de l’enfant ni un pédagogue, se trouve donc, à la faveur de ces circonstances et de ces interprétations, promu chef de file de la subversion de l’autorité et de la forme scolaire. »
C’est le début de la justification soi-disant scientifique de toutes les fariboles constructivistes. Combien de fois n’avons-nous pas entendu « La recherche montre que… », suivi d’affirmations péremptoires d’ordre pédagogique ? Au point de dégoûter durablement de ces fameuses sciences de l’éducation - intégralement aux mains de constructivistes acharnés - plusieurs générations d’enseignants. Nous aurions dû être plus exigeants et demander de quelles recherches il s’agissait précisément ; nous nous serions alors rendu compte que ces “recherches” n’étaient pour la plupart que des escroqueries sans nom. De l’esbroufe basée sur l'idéologie et les croyances, et rien de plus…

Quant à Lev Vygotski (1896-1934), étant le père du socioconstructivisme, on croit habituellement qu’il est le complément de Piaget. Il est vrai que les constructivistes l’ont très vite récupéré... mais il semblerait que ce soit à tort, comme l’avait déjà signalé Nathalie Bulle.

Lisons plutôt :
« Vygotski tient à montrer que (…) l’apprentissage des fonctions psychiques supérieures, écriture et concepts scientifiques en premier lieu, ne peut se faire que dans le cadre de l’enseignement scolaire, et avec la médiation des adultes. »
« Vygotski reproche justement à Piaget de construire son étude de la pensée de l’enfant en excluant les processus de l’apprentissage scolaire et, de manière plus générale, en niant les effets des interactions avec les adultes. »
« Le point essentiel est que l’éducation devient le développement, alors que, dans le modèle piagétien, elle n’est qu’un moyen de renforcer le processus naturel. »
Puisqu’on parle de développement, venons-en à la fameuse zone proximale de développement de Vygotski, dont la signification est très bien expliquée ici :
« L’apprentissage est en interaction dialectique avec le développement dans le sens où il ne peut avoir lieu que dans la zone proximale de développement, zone définie par ce qu’une personne n’est pas encore capable de faire seule, mais qu’elle peut réaliser grâce à des aides extérieures (adultes, enseignants, autres enfants). Cette notion capitale de “zone proximale de développement” aborde le développement de l’enfant dans son aspect dynamique et dialectique. Appliquée à la pédagogie, elle permet de sortir de l’éternel dilemme de l’éducation : faut-il attendre que l’enfant ait atteint un niveau de développement particulier pour commencer l’éducation scolaire ou bien faut-il l’exposer à une certaine éducation pour qu’il atteigne tel niveau de développement ? Le ressort par excellence de l’éducation est l’anticipation sur les performances à venir, permise par l’appui éclairé de celui qui sait à celui qui n’est pas un simple ignorant, mais quelqu’un qui est en mesure d’exécuter une tâche ou de mobiliser un savoir sans en avoir la maîtrise. Dans cette zone, et en collaboration avec l’adulte, l’enfant pourra plus facilement acquérir ce qu’il ne serait pas capable de faire s’il était livré à lui-même. Les modalités de l’assistance adulte dans la zone proximale sont multiples : démonstrations de méthodes pouvant être imitées, exemples donnés à l’enfant, questions faisant appel à la réflexion intellectuelle, contrôle des connaissances de la part de l’adulte, mais aussi, et en tout premier lieu, collaboration dans des activités partagées. Ainsi, pour Vygotski, il y a à la fois un “seuil inférieur” et un “seuil supérieur” d’apprentissage, et c’est seulement dans cet intervalle que se situe la période optimale d’apprentissage d’une matière donnée. De manière réciproque, le développement est plus productif si l’enfant est exposé à des apprentissages nouveaux justement dans la zone proximale de développement. »
L’Enseignement Explicite corrobore totalement les observations de Vygotski dans ce domaine.

Quelle conclusion pouvons-nous tirer avec les auteurs du livre ? 
« La réflexion pédagogique du XXe siècle nous a fourvoyés. Elle a été guidée de part en part par la recherche d’une manière d’apprendre qui serait facile, parce que “naturelle”. En s’engageant dans cette voie, elle a escamoté le vrai problème, qui est, à l’opposé, d’aider les enfants à surmonter la difficulté intrinsèque qu’il y a à dominer ces démarches hautement artificielles que sont l’analyse d’une signification, la construction de l’expression ou l’organisation d’un calcul raisonné. C’est en reconnaissant cette difficulté, en la posant au départ, au lieu de la minimiser, voire de l’ignorer, qu’il sera possible d’avancer. »
Il nous faut donc tourner la page du constructivisme : « Le grossissement déformant [que les thèses constructivistes] subissent en étant devenues la vulgate dominante oblige à les réinterroger. Il en fait ressortir les limites. Les éléments de vérité qu’elles comportent ne permettent pas de s’en contenter, tellement pour le reste elles passent à côté de la réalité, tellement elles laissent l’école désarmée devant sa tâche. Il est chaque jour plus manifeste que les choses ne se passent pas de cette façon. Nous entrons, volens nolens, dans une troisième étape, celle de “la critique de la critique”. »

La critique de la critique, c’est ce que font les partisans de l’Enseignement Explicite en s’appuyant sur la masse des données probantes que la recherche scientifique (sérieuse et récente, ce coup-ci) nous apporte jour après jour sur les techniques efficaces d’enseignement.

Quel doit être le rôle de l’enseignant ? « C’est en raison de l’ésotérisme constitutif des savoirs qu’il y a des maîtres, c’est-à-dire des truchements exemplaires, des initiateurs privilégiés. Le maître est très exactement celui qui ne se contente pas d’être au-dedans, mais qui sait ce que veut dire être au-dehors, et qui, de ce fait, est en mesure d’assurer le passage, de dissiper l’étrangeté, de fournir la clé du déchiffrement des idiomes cryptés, de rendre intelligible ce qui se présente de l’extérieur comme un système opaque, bouclé qu’il est sur lui-même. »

L’École est un élément déterminant pour l’avenir de nos sociétés. Les auteurs le rappellent dans une belle formule : « L’éducation consiste dans le travail social par lequel la génération en place forme la génération appelée à lui succéder au rôle qui sera le sien. »

Travail social qui se fait par transmission et apprentissage... de manière solide et durable grâce à l'Enseignement Explicite.


______________________________________
Marie-Claude BLAIS, Marcel GAUCHET, Dominique OTTAVI
Stock (coll. Les essais), 251 p
02/2014


mercredi 18 mars 2015

L'apprentissage de la lecture creuse les inégalités scolaires

Source : L’Opinion

Les inégalités scolaires s’estompent dès qu’un élève sait parfaitement lire

Janine Reichstadt :
« Les méthodes de lecture utilisées majoritairement aujourd’hui installent les enfants dans des confusions invraisemblables »




Au lieu de répéter que notre système scolaire est inégalitaire, il faudrait s’attaquer aux racines du mal, c’est-­à-­dire revenir à la bonne vieille méthode syllabique. Janine Reichstadt, professeur honoraire de philosophie en lycée et à l’IUFM de Créteil, a pris le taureau par les cornes. Elle est, en plus de Enseigner efficacement la lecture, coécrit avec Jérôme Deauvieau et Jean­-Pierre Terrail (Odile Jacob) et qu’elle présente dans cet entretien, l’auteur de Je lis, j’écris, manuscrit né avec le site leslettresbleues.fr.

Pourquoi publier ce livre aujourd’hui ?
Aujourd’hui, près de 20 % des jeunes de 15 ans ont des difficultés de compréhension de l’écrit. Une étude du ministère de l’Éducation nationale de 2004 a montré que seuls 33 % des enfants qui entraient en 6e étaient vraiment à l’aise avec la lecture, et que plus de 50 % étaient « fragiles ». Depuis, la situation n’a fait que s’aggraver, comme l’attestent d’autres chiffres sur le sujet. Le constat est très inquiétant. Or, à partir des années 1970, on a commencé à insister sur l’idée que « lire, c’est comprendre », et donc pas seulement décoder. Il fallait donc tout faire pour que les élèves comprennent, et pourtant, aujourd’hui, nous avons ces résultats. En croisant ces deux réalités, on en vient forcément à se demander ce qu’il s’est passé pendant 40 ans, et à essayer de comprendre ce qui n’a pas fonctionné.

C’est une mauvaise méthode d’apprentissage de la lecture qui explique selon vous ces résultats médiocres ?
C’est à l’école d’apprendre à lire et à écrire : l’essentiel c’est donc ce qui se passe dans la classe, notamment pour les enfants d’origine populaire. Dans le livre, nous reproduisons l’enquête de Jérôme Deauvieau, sociologue au CNRS, qui a fait une recherche sur quatre manuels, deux qui emploient la méthode mixte (qui s’appuie largement sur la reconnaissance globale des mots) et deux autres fondés sur la méthode syllabique. Les résultats sont tout à fait probants ! Il existe une corrélation forte entre la réussite du déchiffrage bien enseigné avec la syllabique et la compréhension. Et les enfants dont les parents n’ont pas le bac, et qui apprennent à lire avec les manuels de la méthode syllabique ont de meilleurs scores aux tests que ceux dont les parents ont le bac ou plus et qui apprennent avec les manuels de la méthode mixte ! Cela indique combien l’école a un rôle important à jouer, combien elle peut vraiment lutter contre les inégalités scolaires qui sont le problème principal de l’éducation aujourd’hui.

Quels sont les fondements de la méthode syllabique ?
Elle repose sur le principe suivant. Vous et moi, nous sommes capables de déchiffrer tout ce qui s’écrit en français. Sommes-­nous pour autant capables de comprendre tout ce que nous pouvons déchiffrer ? Non, bien sûr. En revanche, si nous comprenons ce que nous lisons, c’est que nous l’avons parfaitement déchiffré. La compréhension passe nécessairement par un déchiffrage, habile, précis et rapide. C’est cela qu’il est indispensable d’enseigner aux enfants, de façon précoce, dès les premiers jours du CP, et de façon systématique. Quand un enfant ne parvient pas, à la fin du CP, à lire de façon fluide, précise (à la virgule, à l’accent près où se joue du sens), c’est toute sa réussite scolaire qui est compromise. Dans toutes les matières, les élèves ont besoin de lire et d’écrire efficacement pour comprendre. Il faut bien sûr travailler la compréhension dès le cours préparatoire, mais toujours en s’appuyant sur tout le déchiffrage nécessaire pour y parvenir.

Et ceux de la méthode mixte ?
La méthode mixte part de l’idée que déchiffrer ne suffit pas pour comprendre et donc qu’il faudrait introduire d’autres pistes que celle du déchiffrage. C’est là qu’intervient la reconnaissance globale des mots : les élèves doivent les photographier, les stocker en mémoire pour pouvoir ensuite les « lire », alors qu’avec la syllabique ils parviennent à pouvoir lire tous les mots sans en apprendre aucun. La méthode mixte demande aussi de faire des hypothèses, de chercher des indices à partir du contexte verbal ou non verbal pour deviner les mots que l’on ne peut pas décoder. Ainsi, si un personnage traverse une route et que l’enfant ne sait pas lire ce mot, c’est à partir de l’illustration qu’on va lui demander de le deviner : on est à la ville ou à la campagne ? Comment peut­-on supporter que des élèves lisent « pris » à la place de « pire », « caméra » à la place de « camélia », parce que « ça commence pareil » ? Quelle compréhension de l’écrit peut naître de telles incongruités ? Les manuels de la méthode mixte introduisent du décodage, mais pas de façon systématique, or c’est cette systématicité qui permet aux élèves de pouvoir lire parfaitement, complètement tous les mots, les phrases, les textes de chaque leçon du manuel, ainsi que progressivement les noms de personnes, de personnages, de villes, de pays, de marques, de médicaments… inaccessibles avec la mixte.

Pourquoi alors a-­t­-on adopté cette méthode mixte qui reste majoritaire aujourd’hui dans les classes ?
Cela remonte à la rénovation pédagogique des années 1970, démarrée en 1959, année où l’âge de l’obligation scolaire a été porté à 16 ans. Progressivement tous les élèves sont entrés en 6e de collège et on s’est aperçu que beaucoup d’entre eux avaient des difficultés de compréhension en lecture. La syllabique massivement utilisée jusque-­là fut rendue responsable de cette situation et des recherches ont conduit à s’en détourner au profit de l’idée que lire, c’est comprendre les mots avec les yeux sans déchiffrer oralement. La lecture a dès lors été considérée comme une activité purement visuelle, tandis que la lecture à haute voix a aussi été prohibée. En fait, les enfants devaient apprendre à lire comme lisent les adultes. De proche en proche le décodage a retrouvé une certaine place, mais comme nous l’avons vu, il est largement concurrencé par des pistes qui installent les enfants dans des confusions invraisemblables.

Pourquoi ne décide-­t-­on pas de changer de méthode ?
Jean­-Pierre Terrail, coauteur du livre, a rencontré Vincent Peillon, ministre de l’Éducation nationale en 2012 et lui a demandé que soit lancée une grande enquête pour évaluer les résultats des deux méthodes d’apprentissage de la lecture. Le ministre a refusé au motif que cela pourrait interférer avec la liberté pédagogique des maîtres. Ce refus a motivé Jérôme Deauvieau pour réaliser l’enquête que nous présentons dans le livre. Pour expliquer cette réticence du ministre, il est peut-­être possible de remonter à 2006 lorsque Gilles de Robien avait rédigé une circulaire pour obliger les professeurs à passer à la méthode syllabique. À l’époque, cela avait soulevé un tollé général et la circulaire avait été enterrée. L’enseignement est un métier difficile, exigeant, complexe, il intervient sur l’intelligence des enfants. On ne peut pas traiter l’enseignement de la lecture à coup de circulaires. Depuis cet épisode de 2006, demeure une crispation sur la question : des maîtres nous disent « mais on en fait du déchiffrage, pourquoi nous embêter avec votre syllabique ? » Nous avons vu comment. Il faut donc entamer tout un travail de réflexion approfondie, organisé autour de débats raisonnés, argumentés. Les enseignants doivent être convaincus par des raisons fortes de la nécessité de changer de méthode, sinon cela ne peut pas marcher. Au ministère de l’Éducation nationale de prendre la responsabilité de l’organisation d’un tel travail.

En attendant, que peuvent faire les parents ?
Acheter les bons manuels ! Vers le mois de décembre, certains se ruent sur la vieille méthode Boscher, éditée par Belin et qui date du début du XXe siècle ! Ce sont plusieurs dizaines de milliers d’exemplaires qui sont encore vendues chaque année ! Avec Jean-Pierre Terrail et Geneviève Krick j’ai construit un manuel, Je lis, j’écris, fondé uniquement sur la méthode syllabique « pure », avec de grandes ambitions culturelles tant au niveau des textes que de l’iconographie. En 2009-­2010, nous avons mis en place une procédure de suivi de son usage dans douze classes de CP, dont sept située en ZEP. Les résultats de cette observation (moins de 3 % de faibles lecteurs en fin d’année) auraient pu attirer l’attention du ministère de l’Éducation, mais cela n’a pas été le cas. Espérons que notre dernier ouvrage le fera ! J’ai été professeur de philosophie à l’IUFM de Créteil et c’est en allant très souvent dans les classes des professeurs stagiaires que j’ai pris conscience des difficultés qu’éprouvaient trop d’élèves, notamment d’origine populaire. Cette situation m’a motivée pour réfléchir sérieusement la question en me disant qu’il fallait absolument faire quelque chose. Aujourd’hui, apprendre à tous les enfants à très bien lire est une priorité absolue.

Propos recueillis par Irène Inchauspé