21 mesures pour l'enseignement des mathématiques
Le rapport sur l'enseignement des mathématiques en France, de
Cédric Villani, député de l'Essonne, et Charles Torossian, inspecteur général
de l'éducation nationale, a été remis au ministre de l'Éducation nationale ce
lundi 12 février 2018.
Ce rapport recommande à plusieurs reprises de recourir à un
enseignement explicite des mathématiques. Ainsi, sur les 21 recommandations, la
3e prévoit une expérimentation à grande échelle selon les termes
suivants : « Lancer, dès
septembre 2018, sur le cycle 2, des expérimentations pour procéder à une
évaluation scientifique de méthodes explicites et de l’efficacité de leur mise
en œuvre. » Quant à la 6e recommandation, elle évoque des « apprentissages explicites ».
Cela aurait pu réjouir notre courant pédagogique.
Mais pouvons-nous accorder du crédit à ces propos ?
Une première question me vient d'abord à l'esprit : qu’est-ce que les rédacteurs de ce rapport entendent
par “enseignement explicite” ? Car si c’est celui modélisé par Barak Rosenshine,
il n’y aurait aucun intérêt à faire une énième expérimentation pour prouver son
efficacité. Celle-ci l’a déjà été solidement et durablement prouvée par toute
une série de travaux menés sur des centaines de classes et des milliers d’élèves.
Par ailleurs, j’ai bien regardé la liste des membres de la mission, ainsi que
celle des auditions : personne pour représenter
sérieusement le courant Explicite et expliquer réellement le modèle de sa pratique pédagogique.
Lisons donc un peu mieux le rapport.
Dans un paragraphe consacré à la méthode de Singapour, on
lit qu’il s’agit d’« une pédagogie
explicite et systématique : l’élève est guidé de manière explicite mais non
dirigiste dans son apprentissage » (p 19). Qu’est-ce qu’une pédagogie
explicite où l’élève n’est pas dirigé par l’enseignant dans son apprentissage ?
Si le professeur ne dirige pas rigoureusement son enseignement, cela signifie
qu’on laisse l’élève trouver par lui-même les connaissances et les habiletés
dans une démarche de découverte. Soit l’inverse de tout enseignement explicite…
On nous explique plus loin que « le professeur encourage l’élève à raisonner à voix haute et à échanger
avec les autres en mettant “un haut-parleur sur sa pensée” » (p 19). Si ce
n’est qu’en Enseignement Explicite, ce n’est pas l’élève qui met “un haut-parleur sur sa pensée”, c’est l’enseignant
et uniquement lui !
C’est à la page 21 que nous comprenons que la 3e
recommandation dont il a été question plus haut ne concerne pas l’Enseignement
Explicite authentique et véritable. On lit en effet : « La mission recommande une évaluation sur
le cycle 2, sur un échantillon de 200 écoles (environ 1000 classes), des méthodes
dites explicites et intuitives. » Oui, vous avez bien lu : des
méthodes explicites ET intuitives !
Or, ou on est explicite dans l’exposé des stratégies que l’élève doit mettre en
œuvre, ou on attend que l’élève les découvre en suivant son intuition. C’est ou
l’un ou l’autre, car les deux pratiques sont antinomiques.
On nous explique alors que « La “méthode de Singapour” appartient à cette catégorie mais n’est pas
la seule. » Elle n’est pas la seule car on nous indique, en note de
bas de page, qu’« un tel
enseignement a été aussi mis en œuvre, par exemple par le GRIP de manière
expérimentale de 2005 à aujourd'hui dans les classes SLECC (Savoir Lire Écrire
Compter Calculer) ». Si la méthode de Singapour se dit “explicite”
(mais l’est-elle vraiment ?), je suis bien placé pour savoir que le SLECC
s’est toujours fermement opposé à tout enseignement explicite (qu’il considère –
je cite – comme « pédagogiste » !) parce que son bréviaire c’est
le Dictionnaire de pédagogie paru en
1887-1911, dans lequel feu Ferdinand Buisson († 1932) décrit la pédagogie intuitive. Pédagogie que le SLECC considère comme indépassable, comme au bon
vieux temps de la Belle Époque.
On voit donc qu’après la récupération constructiviste de l’expression
“enseignement explicite”, on assiste dans ce rapport à une récupération
traditionaliste.
Décidément, la réputation d’efficacité de l’Enseignement
Explicite est telle que les uns et les autres veulent s’en parer (et même s’en
emparer). Quitte à le dénaturer complètement...
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