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dimanche 25 février 2018

Livre : Génération "J'ai le droit" (Barbara Lefebvre)


Comme j’appréciais les propos sans complaisance tenus par Barbara Lefebvre dans de nombreuses vidéos disponibles sur Internet, j’ai lu son livre Génération “J’ai le droit” qui vient de paraître.

Autant le dire tout de suite, je n’approuve pas tout ce qu’elle y affirme. Notamment l’approche des problèmes éducatifs que je juge trop orientée sur le plan politique ; je préfère pour ma part les aborder sur un plan strictement professionnel et moins clivant. Et surtout tout le contenu du chapitre 7 sur l’école inclusive, dont l’auteur est un farouche partisan. Contrairement à moi, qui considère que le cœur du métier enseignant est la pédagogie et non le traitement des besoins spécifiques d’élèves souffrant d’un handicap. Orthophoniste, rééducateur, infirmier, pédopsychiatre, thérapeute sont des métiers qui ne sont pas le nôtre. De plus, durant ma carrière, j'ai vu trop souvent des enfants, dépérissant en classe ordinaire, qui retrouvaient leur joie de vivre (au sens propre) dès lors qu'ils obtenaient une place dans un établissement spécialisé bien adapté à leur cas particulier.

Cela étant, j’ai en revanche bien apprécié tout ce qui concerne la critique des dérives pédagogiques constructivistes qui ont frappé l’École française depuis une quarantaine d’années, entraînant une agonie dont tout le monde peut aujourd’hui malheureusement constater les effets.

Barbara Lefebvre nous en explique l’origine : « Le désastre est né avec le postulat que l’élève doit être l’artisan de son propre savoir. Cela repose sur l’idée que l’élève a des connaissances avant d’arriver en classe, certaines sont justes, d’autres erronées et le rôle de l’école est de donner à l’élève-enquêteur les moyens de se consacrer à ce remaniement intellectuel, à son rythme et selon les modalités qui lui conviennent. L’enseignant, dans ce processus, devient un technicien chargé de mettre en place les “situations didactiques” et autres “dispositifs d’apprentissage”. Il en est réduit à une simple activité de triage-recyclage des connaissances de l’enfant. » (p 110) Le constructivisme dans toute son erreur ontologique...

Ce processus de déliquescence s’est mis en place dès avant Mai 1968, et sous un gouvernement de droite : « C’est à Alain Peyrefitte, sous de Gaulle, que l’on “doit” la nomination de Louis Legrand à la tête de ce qui deviendra l’INRP, un des gourous du pédagogisme influent jusqu’aux années 2000. Fervent militant de la “pédagogie fonctionnelle”, de la pédagogie “de projet” et autres formules du même acabit, l’objectif de Legrand est de mettre en sourdine la voix du maître pour laisser l’élève acquérir ses savoirs par lui-même, ce qui signifie patauger “en toute autonomie”. Cette pensée trouvera sa reconnaissance officielle avec la loi Jospin de 1989, d’une part en organisant la scolarité en cycles (…) pour mieux délayer les enseignements dans le temps, d’autre part en plaçant l’élève en situation “d’acquérir un savoir et de construire sa personnalité par sa propre activité”. C’est le fameux “élève au centre du système éducatif”, paradigme sur lequel aucune autorité institutionnelle ou académique n’ose revenir. » (p 122) Rappelons que l’INRP (institut national de recherche pédagogique) est devenue en 2011 l’IFÉ (institut français de l'éducation), qui est toujours une agence officielle servant la propagande du constructivisme pédagogique.

Quels sont les responsables du désastre ? « Les responsables sont aussi les enseignants dociles qui ont obéi au diktat des formateurs IUFM-ESPE obéissant eux-mêmes à la doxa d’universitaires militants et politiquement engagés que des inspecteurs, recteurs ou ministres ont légitimé comme “experts en sciences de l’éducation”. Tous ces acteurs portent une part de responsabilité dans cette montée de l’illettrisme, condition de l’acculturation. Ils ont relayé, souvent avec sincérité et dévouement, la parole et les actes des gourous de la pédagogie socioconstructiviste qui ont fait main basse sur l’école dans les années 1970-1980, ont usé de leur magistère universitaire dans la plupart des lois relatives à l’éducation au cours des trois décennies écoulées. Ils ont transformé en profondeur les programmes, imposé leur mise en œuvre pédagogique en intégrant tous les cénacles institutionnels utiles, au premier rang desquels les organes de décision politique. » (p 77-78)

Le constat est simple : « Depuis presque un demi-siècle, une nomenklatura intellectuelle se sera érigée au nom du progressisme en mère-la-morale. » (p 11). Le nouveau catéchisme s’est imposé avec une chasse aux éventuels hérétiques. L’auteur parle à juste titre des « vigilants chiens de garde progressistes du Café pédagogique » (p 24) qui énoncent le vrai et le beau, et étrillent les rares qui osent s’opposer à la doxa. « Le clivage n’a plus grand-chose à voir avec des idées opposées, mais davantage avec des postures morales : il y a le camp du bien et le camp du mal. » (p 30) Mais le Café pédagogique n’est pas la seule seule officine constructiviste, loin de là : « Le milieu des sciences de l’éducation est particulièrement représentatif de cette dérive du débat d’idées français où la délibération est déniée, où la confrontation des points de vue est refusée. Les injonctions à bien penser et les excommunications morales et intellectuelles sont constantes. » (p 31)

Le but : fabriquer l’Homme nouveau des lendemains qui chantent, illustré par le slogan du CRAP-Cahiers pédagogiques : “Changer la société pour changer l'école, changer l'école pour changer la société”, projet totalitaire s'il en fut. « L’Homme nouveau devait en sortir, c’était la grande promesse qui justifiait la table rase culturelle. À quoi ressemble-t-il finalement ? Non pas à un être humain pourvu d’un libre arbitre et armé pour comprendre le monde dans lequel il vit, mais à un individu sans repères dans un monde incompréhensible. » (p 27) Comme quoi, l'enfer peut être pavé de bonnes intentions pédagogiques, du moins proclamées telles.

Par quels moyens les idéologues constructivistes entendent parvenir à leurs fins ? Voici deux exemples évocateurs :
- « La pensée progressiste libertaire a discrédité l’autorité, et les formateurs IUFM se chargeaient de nous le faire savoir. Le rapport hiérarchique maître-élève était systématiquement dévalué au profit d’une médiation pédagogique d’égal à égal, comme si l’acte d’enseigner des savoirs à des ignorants relevait de la violence, voire de la maltraitance. » (p 36)
- « La notion de coéducation émane du courant de l’Éducation nouvelle apparu à la fin du XIXe siècle, lui-même imprégné de pensée rousseauiste. Elle se situait en marge de l’institution officielle et tendait à promouvoir une pédagogie plaçant l’enfant au centre des apprentissages. On retient évidemment l’action de Freinet, l’idole des actuels adeptes de “nouvelles pratiques pédagogiques” qui recyclent en fait des activités du début du siècle dernier ! L’idée centrale est de faire confiance à la nature de l’enfant et de le suivre dans son développement en se gardant de le précéder ou de l’orienter. (…) L’enfant est en marche, l’enseignant le suit, ne sachant pas vers quoi aller ! L’essentiel est d’avancer et s’il se désintéresse de l’orthographe, on y reviendra un autre jour… » (p 70-71)

Les pouvoirs politiques successifs ont été des complices actifs de la destruction de l’École : « Tous les courants politiciens ont accepté de sacrifier l’école sur l’autel d’intérêts bassement économiques autant que de l’abandonner aux délires pédagos pour faire croire que nos gouvernants s’intéressent à l’éducation. » (p 126) Mais, soyons justes, quelques rares ministres ont essayé de remettre la machine éducative en état de fonctionner, comme Chevènement (1984-1986) et plus tard Darcos (2007-2009) : « On comprend mieux la colère en 2008 des gourous du pédagogisme lorsque les programmes promus par Xavier Darcos ont proposé un retour à des démarches d’enseignement explicites, une valorisation des exercices de rédaction et de dictée, et le retour de la leçon de grammaire. » (p 125) Aujourd’hui, Jean-Michel Blanquer semble lui aussi déterminé à sonner la fin de la récréation pédagogique. Y parviendra-t-il ? Espérons-le.

L’École n’étant plus en mesure d’assumer sa fonction, on lui trouve des excuses comme la médicalisation de l’échec scolaire : « La pathologisation est une tendance apparue il y a une vingtaine d’années : tout est psychologisé, pathologisé avec des relents analytiques de café du commerce. Plutôt que de penser les problèmes en évaluant les effets des pratiques et méthodes enseignantes, on appelle le psy, l’orthophoniste, quand ce n’est pas le sophrologue ! » (p 76)

Cependant, avec les enquêtes internationales comparatives, la réalité d’une École française à l’agonie ne peut plus être cachée. « Plus le voile se lève sur les échecs du pédagogisme et ses discours creux, plus ses papes sont sur la défensive. Ces petits soldats de la déconstruction n’hésitent plus à calomnier publiquement ceux qui osent remettre en question le bien-fondé de leur idéologie. » (p 79)

Des enseignants ayant à cœur de faire correctement leur métier ont commencé à regimber depuis le tournant des années 2000. Ainsi, « depuis plus d’une décennie, cette mobilisation a commencé devant les effets catastrophiques des “méthodes actives” et autres avatars du constructivisme pédagogique, mais cette résistance a du mal à s’imposer dans le débat. On la caricature comme une nostalgie de vieux réacs, car elle s’attaque frontalement à la doxa universitaire si influente dans les milieux de la recherche pédagogique, chez les formateurs et dans les corps d’inspection. » (p 114)

Il m’arrive aussi de penser comme Barbara Lefebvre : « À se demander si ce n’est pas l’objectif : laisser mourir l’école laïque républicaine pour renforcer l’enseignement privé, confessionnel ou non. D’une part, on allège le budget du mammouth, d’autre part, on externalise la fabrication d’une élite que les profs du public sont incapables de former puisqu’on ne veut plus leur en donner les moyens culturels ni les légitimer dans cette transmission exigeante des savoirs. » (p 234)

Mais je suis d’accord également avec l’auteur lorsqu’elle conclut : « L’école est un si vaste chantier qu’on ne sait par où commencer : dévasté par le pédagogisme, le relativisme culturel, le consumérisme scolaire, le communautarisme. Pourtant, nous n’avons plus le choix. L’école de la République doit être reconquise. » (p 207)

Vous l’avez compris, si vous aimez les paroles fortes et les discours directs, le livre de Barbara Lefebvre vous plaira sûrement !

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Barbara Lefebvre
Albin Michel, 01.2018, 238 p





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