Source : Site du MRC
Pourquoi les Républicains doivent s'emparer de la pédagogie
Estelle Folest
Traditionnellement, les Républicains défendent la liberté
pédagogique de l'enseignant, à savoir la liberté de choisir les moyens, les
outils et la méthode qu'ils jugent les plus appropriés pour atteindre les objectifs fixés
par les textes officiels. Attachée à la maîtrise des contenus disciplinaires,
la sensibilité républicaine laisse ainsi de côté la question de la méthode
pédagogique, jugée secondaire voire accessoire. Or, refusant de considérer
qu'il y a une bonne pédagogie et n'en promouvant aucune, nous avons
laissé les pédagogues impérialistes à la Meirieu, sacrifiant au culte de la
“construction” des enfants, emplir l'espace vacant avec les résultats que l'on
connaît. On ne peut séparer les objectifs des voies pour les atteindre et,
comme le montre l'apprentissage de la lecture à l’école élémentaire, s'il n'y a
pas de "pédagogie miracle" ou unique qui permette d'améliorer
l'enseignement et l'apprentissage des élèves à tous les coups, certaines
pédagogies ont fait leur preuve, d'autres sont manifestement inadaptées.
Parce qu'une bonne méthode d'enseignement peut améliorer la
qualité de l'apprentissage des élèves et le niveau des compétences atteintes,
il est temps pour les Républicains de s'emparer de la pédagogie. Il s'agit
d'abord de rétablir la possibilité du débat soigneusement étouffé par le sectarisme
constructiviste qui enserre le monde de l'éducation et de promouvoir des
pratiques efficaces.
Depuis 20 ans, l'échec des pédagogies d'inspiration
constructiviste est établi, en particulier lorsqu'il s'agit d'élèves issus de
milieux défavorisés.
Les théories constructivistes orientent trop souvent les
pratiques pédagogiques des enseignants. Inspirées des écrits de Piaget et de
Vygotski mâtinés de Bourdieu, dont les propos sont souvent détournés par
ailleurs, ces pédagogies dites ouvertes ou de découverte placent “l'élève
au centre de l'enseignement”. Elles partent du principe qu'il n'y a de savoir
que construit par un élève autonome, l'enseignant étant avant tout chargé de
lui “apprendre à apprendre”. Or, ces pédagogies ont révélé leur inefficacité :
outre les résultats édifiants dont témoignent les enquêtes PISA en matière
d'acquisition des compétences fondamentales, les pédagogies constructivistes
ont été évaluées notamment par des chercheurs américains et canadiens, qui ont
montré qu'elles ne produisaient pas les résultats escomptés en particulier
auprès des élèves issus de milieux socioculturels défavorisés.
Depuis plus de 20 ans, la recherche scientifique évaluative
souligne l'échec de ces pédagogies ouvertes dans les pays de l'OCDE (la
Finlande faisant a priori exception en Europe) comme en Afrique. Aux États-Unis,
la question des pédagogies et du rôle du maître dans la classe a fait l’objet
de recherches de grande ampleur et mobilisé les chercheurs autour d’un projet
intitulé Follow Through, la plus
vaste expérimentation à grande échelle réalisée dans l'éducation dans les pays
de l'OCDE. L'objectif premier de ce projet était de déterminer les composantes
de l’efficacité dans l’enseignement. Plus spécifiquement, les chercheurs ont
analysé l'efficacité de plus de 20 pratiques pédagogiques appliquées auprès
d'élèves issus de milieux défavorisés, ces pratiques se divisant en 2 grandes
catégories : approches structurées (modèles dits “académiques”) ou centrées sur
l'élève (modèles “cognitivistes”, “constructivistes” ou encore “affectifs”). La
recherche a porté sur un groupe de 350 000 élèves, les observations détaillées
sur environ 70 000 élèves entre 1968 et 1982, et par la suite, plus de 200
études ont analysé les résultats obtenus, entrepris leur suivi et poussé les
recherches [1].
De ces travaux il ressort toujours la même conclusion : « Les modèles académiques, tous centrés sur les
contenus à enseigner/apprendre, obtiennent, en général, des performances plus
élevées [...] que les approches pédagogiques centrées sur l'élève » [2].
Dans un autre domaine de recherche scientifique, celui de la psychologie
cognitive, les chercheurs ont fait des découvertes sur le fonctionnement du
cerveau humain en situation d’apprentissage et ils montrent également l'échec
des pédagogies centrées sur l'enfant. Ainsi Stanislas Dehaene, chercheur et professeur
en psychologie cognitive au Collège de France, dans un ouvrage intitulé Les
neurones de la lecture, souligne leur échec systématique dans
l'apprentissage de la lecture [3].
Bien entendu, tous les chercheurs ne partagent pas ces
conclusions et il faut se garder d'opposer un sectarisme à un autre si l'on
veut vraiment rouvrir un débat aujourd'hui impossible. En outre, il se pourrait
que la pédagogie soit un savoir-faire en partie empirique, autrement dit un “art”
sur lequel la science n'a pas totalement prise. Il n'en reste pas moins que le
bon sens s'impose à tous : à quelques exceptions près, force est de constater
que les pédagogies inspirées du constructivisme ne sont pas de nature à
améliorer l'apprentissage et l'enseignement pour tous, bien au contraire.
Les adeptes du constructivisme ont contribué à la baisse
du niveau général et au renforcement des inégalités à l'école.
Ils considèrent que tout ou presque réside dans la
pédagogie. Les connaissances évoluent si vite, disent-ils, qu'il vaut mieux et
d'abord apprendre la méthode, ou “apprendre à apprendre”, comme le recommandait
Jacques Delors [4].
Quitte à ne plus rien apprendre du tout. En faisant de la méthode le fondement
même de l'enseignement, les pédagogistes ont minoré le poids des savoirs et entraîné
l'allègement constant des programmes comme l'érosion des contenus
disciplinaires. Or, l’école républicaine ne doit pas priver les élèves des
savoirs indispensables à leur avenir.
Ils envisagent l'autonomie de l'élève à la fois comme une
fin et comme un moyen.
Autrement dit, l'enseignant conduit les élèves déjà
autonomes à être encore plus autonomes ! L'école a bien pour mission de former
des citoyens autonomes car éclairés, mais les élèves ne sont pas nés autonomes.
L'autonomie s'acquiert. Le rôle et la place de l'enseignant sont fondamentaux dans
la transmission des savoirs et l'acquisition progressive de l'autonomie. Enfin,
si l'on s'en tient au plan pratique, l'idée d'un élève autonome qu'il faudrait
accompagner dans la découverte des savoirs suppose un fort taux d’encadrement :
les enseignants doivent en effet stimuler les élèves constamment pour les
conduire à la “construction du savoir” et l'encadrement doit être d'autant plus
serré qu'ils sont issus de milieux socio-culturels défavorisés. Or, dans la
réalité des faits, une classe de primaire en France compte rarement moins de 22
élèves, y compris dans les établissements sensibles. Il faudrait probablement
multiplier le nombre de maîtres par 4 ou 5 pour obtenir les conditions
matérielles nécessaires à une telle approche pédagogique, mais même dans ces conditions
optimales, il est illusoire de penser que l'élève bien encadré découvre
spontanément, aussi rapidement et aussi profondément qu’il eût fallu, les règles
du participe passé ou celles de la division.
Promouvoir les pédagogies structurées.
Les tenants des pédagogies structurées placent la
transmission des savoirs au cœur du système quand les constructivistes se
concentrent sur l'élève “en découverte” ou “en construction”.
Les recherches ont montré l'efficacité des pédagogies
structurées, en soulignant que les gains d’apprentissage pour les élèves sont
nettement plus élevés que ceux obtenus par l'application des pédagogies de
découverte. Ce constat vaut pour tous les élèves. Ces recherches mettent toutes
en évidence la nécessité d’organiser la pédagogie de façon à ce que les notions
soient enseignées de façon structurée et progressive, en partant du simple vers
le complexe (pédagogie structurée : enseignement explicite et systématique,
instruction directe), et non l’inverse (pédagogie ouverte, implicite). C'est
aussi le constat que font beaucoup de professeurs.
Compte tenu de la mainmise des “pédagogistes” sur le monde
de l'éducation, seule une volonté politique forte pourra rouvrir le débat sur
les méthodes pédagogiques, lequel ne sera rétabli qu'à la faveur d'une analyse
préalable rigoureuse et exhaustive des dégâts du constructivisme. Les responsables
politiques en général et les Républicains en particulier doivent ainsi
s’efforcer de mettre fin à des pédagogies actuellement majoritaires, mais dont
la pertinence est faible, en leur opposant des pédagogies plus efficaces.
Attaquer les méthodes inspirées du constructivisme ne suffit pas car l'absence
de proposition alternative – au nom de la liberté pédagogique ou contre l'idée
même de pédagogie – conduit, fût-ce indirectement, au triomphe des
pseudo-pédagogues. Poussé par les mouvements antipédagogistes, Xavier Darcos ne
s'est-il pas désengagé de la querelle entre tenants de la méthode globale et
ceux de la syllabique au nom de la liberté pédagogique ? « Je ne suis pas
le ministre des méthodes, mais celui de l'évaluation des résultats des élèves »,
tranche-t-il dans un entretien donné au Monde
du 24 octobre 2007. En attendant, la chapelle constructiviste, qui maintient
une forte emprise sur les sciences de l'éducation et la formation des
enseignants, dénigre les résultats de la recherche dès lors qu’ils ne sont pas conformes
à ses vœux.
- ALTSCHULL, Elizabeth, "Face à la dérive pédagogiste,
transmettre et innover", in Pas de "société du savoir" sans
école, Fondation Res Publica, Actes du colloque du 4 avril 2006, p.19-34
- BLOCH, Daniel, École et démocratie : Pour remettre en
route l'ascenseur économique et social, Presses Universitaires de Grenoble,
2010, 128p.
- BONREPAUX, Christian, “La liberté pédagogique, réelle ou
formelle ?”, article du Monde de l'éducation N°369, mai 2008. http://www.3evoie.org/telechargementpublic/media/20080500a.pdf
- BRESSOUX, Pascal, “Les recherches sur les effets-écoles et
les effets-maîtres”, Revue Française de Pédagogie, N°108, 1994,
p.91-137.
- DEHAENE Stanislas, Les neurones de la lecture, Paris,
Odile Jacob, 2007, 478p.
- DELORS, Jacques ed., L'éducation : un trésor est caché
dedans, Rapport à l'UNESCO de la commission internationale sur l'éducation
pour le vingt et unième siècle, Paris, UNESCO, 1996.
- GAUTHIER, Clermont, Steve Bissonnette et Mario Richard, “Quelle
pédagogie au service de la réussite de tous les élèves? Un état de la recherche”,
in Un enseignement démocratique de masse, une réalité qui reste à inventer,
M. Frenay et X. Dumay eds., Louvain-La-Neuve, Belgique, Presses Universitaires
de Louvain, 2008, p.363-384.
- GAUTHIER, Clermont, Steve Bissonnette et Mario Richard, “L'enseignement
explicite”, in Enseigner, Vincent Dupriez et Gaëtane Chapelle eds.,
Paris, PUF, coll. "Apprendre", 2007, p.107-116.
- GAUTHIER, Clermont, Steve Bissonnette, Mario Richard et
Francis Djibo, “Pédagogies et écoles efficaces dans les pays développés et en
développement - Une revue de littérature”, préparé pour la Biennale de
l'Association pour le développement de l'éducation en Afrique (ADEA), 2003.
GAUTHIER, Clermont et Martial Dembélé, en collaboration avec
Steve Bissonnette, Mario
Richard, “Qualité de l’enseignement et qualité de
l’éducation : revue des résultats de recherche”, Document préparé pour le
Rapport mondial de suivi de l'Éducation pour Tous 2005, UNESCO, avril 2004.
WILLINGHAM Daniel T. et Marie Antilogus, Pourquoi les
enfants n'aiment pas l'école, (2009), Paris, La Librairie des écoles, 2010,
213p.
[1]
. Les plus vastes et significatives de ces études sont le NRP (National Reading
Panel, États-Unis, 2000), le NLP (National
Literacy Panel, États-Unis, 2008) et le NMP (National Mathematical Panel, États-Unis, 2008).
[2]
. Clermont Gauthier et Martial Dembélé, en collaboration avec Steve
Bissonnette, Mario Richard, Qualité de
l’enseignement et qualité de l’éducation : revue des résultats de recherche,
Document préparé pour le Rapport mondial de suivi de l'Éducation pour Tous
2005, UNESCO, avril 2004.
[3] . Stanislas Dehaene, Les neurones de la lecture,
Paris, Odile Jacob, 2007, 478 p.
[4]
. Selon le rapport Delors de 1996, les quatre piliers de l'éducation sont les
suivants : Apprendre à connaître, apprendre à apprendre ; Apprendre à faire ;
Apprendre à vivre ensemble, apprendre à vivre avec les autres ; Apprendre à
être, in Jacques Delors ed., L'éducation : un trésor est caché dedans, Rapport
à l'UNESCO de la commission internationale sur l'éducation pour le vingt et
unième siècle, Paris, éditions UNESCO, 1996, part. 2, "Les quatre piliers
de l'éducation".
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