Le syncrétisme pédagogique…
Jusqu’à peu, je croyais que le mot désignait une anomalie propre
à certains mouvements religieux hétérodoxes. Mais le syncrétisme a gagné aujourd'hui le
domaine de la pédagogie. Dire qu’on veut mélanger les pratiques d’enseignement
selon les moments, les élèves ou l’humeur est devenu une sorte de banalité
mondaine qui semble faire d’emblée consensus parmi les enseignants.
On nage donc en pleine confusion… Et on en est fier !
Sur un réseau social, une adepte de Freinet ayant des centaines de suiveurs affirmait hier : « Enseigner
c'est comme peindre. Mais pour mélanger, il faut connaître toute la palette des
pédagogies. » Wouah, génial !
Donc, je prends une palette (forcément constructiviste, car
il n’y a rien d’autre sur le marché), sur laquelle je dispose des couleurs
correspondant à diverses pratiques pédagogiques : une louche de Freinet, une
cuillère à soupe de Montessori, de pédagogie institutionnelle, de classe
coopérative, de twictée, de travail en groupe, de conflit sociocognitif, un
doigt d’effet vicariant, un peu de classe inversée, etc. Et même – soyons fous !
– une pincée d’enseignement explicite (façon Bourdieu,
pas Rosenshine :
faudrait pas exagérer). Mais seulement pour les élèves en difficulté. Ceux que
le grand Freinet
appelait aimablement les « tarés ».
La seule couleur à proscrire est celle, infamante, de l’enseignement
traditionnel. Car celui-ci rappelle les heures les plus sombres de notre
Histoire, c’est-à-dire Vichy, pour tout dire Hitler et par conséquent la Shoah.
Ce raccourci ad hitlerum est
régulièrement pris par les militants constructivistes face à leurs
contradicteurs. Avec certains, on atteint le point Godwin en deux
temps trois mouvements. La tactique est simple : comme les partisans du
constructivisme pédagogique ne peuvent s’appuyer que sur leurs croyances ou
leur idéologie, ils se retrouvent très vite à court d’argument dans les joutes oratoires. Pour s’en
sortir dignement, il leur faut cesser toute discussion et, d'un air dégoûté, dénoncer ceux qui les
dénigrent comme des collaborateurs nazis et génocidaires. Non seulement cela les tirent d’une situation peu glorieuse, mais elle leur permet à l'inverse de revêtir le rôle du gentil progressiste bien-pensant et bienveillant,
sauvant l’École moderne, les droits de l’Homme et les lendemains qui chantent. Ce
stratagème éculé cache maintenant si mal la vacuité de la
pensée éducative et l’indigence de la réflexion pédagogique que cela en devient
pitoyable…
Quant à l’Enseignement Explicite, puisqu’il est défini comme
instructionniste, il est considéré par la police des mœurs pédagogiques comme
suspect, voire douteux. Dans le Daech pédagogique, il suffit qu’une mèche de
cheveux dépasse de la burka constructiviste pour risquer la bastonnade
publique. C’est comme cela : ils vocifèrent, il faut s’y faire.
Mais reprenons notre palette et apprêtons-nous à mélanger.
Auparavant une remarque. Avec la formation déficiente et
univoque que subissent les enseignants depuis plusieurs décennies, force est de
constater que bien peu connaissent « toute la palette des pédagogies ».
À part le bourrage de crâne constructiviste, les instituts de formation en tout
genre et successifs n’ont dispensé et dispensent toujours aucune autre
alternative pédagogique. Donc la palette ne comptera pas beaucoup de couleurs à
part celles des démarches par découverte. Et en tout cas, on ne trouvera pas les
couleurs correspondant aux pédagogies efficaces : celles-ci ne figurent
sur aucun programme de formation professionnelle, qu’elle soit initiale ou
continue.
Par ailleurs, même avec cette palette en main, rares sont
les enseignants qui sont capables de faire dans leur classe l’équivalent de La Joconde ou de Guernica. Ce n’est qu’au bout de plusieurs années de métier et d’expériences
pédagogiques tantôt ratées tantôt réussies, que la plupart sont devenus des sortes de peintres
du dimanche, chacun avec son style particulier. Grâce soit rendue à ces enseignants parce que ce sont eux qui tiennent encore l’École debout, vaille que vaille.
Mais il faut reconnaître aussi qu’avec cette « palette
des pédagogies », certains s’emmêlent les pinceaux, pastissent les
couleurs et obtiennent un immonde gribouillage laissant pantois leurs élèves…
et surtout les parents de leurs élèves. Selon leurs propres confidences, les
IEN disent en voir de toutes les couleurs dans les classes au cours de leurs inspections. Mais qui s'en soucie ?
Le problème, c’est que si sur une palette toutes les
couleurs sont égales, les démarches pédagogiques, elles, ne se valent pas. Certaines
sont efficaces, d’autres le sont moins, d’autres pas du tout, d’autres enfin
sont même nocives. Depuis une quarantaine d’années, de multiples recherches
processus-produit l’ont amplement démontré. Les données probantes qu’elles ont livrées - et livrent encore - s’accumulent, allant toutes dans le même sens : les démarches
par découverte sont moins efficaces que les démarches explicites.
C’est donc une falsification de comparer les pédagogies aux
couleurs d’une palette.
Il aurait plutôt fallu prendre comme analogie celle des vins de table,
qui vont de la piquette au grand cru. Tous les vins ne se valent pas. Et mélanger
du Bourgogne millésimé avec un gros rouge qui tache ne viendrait à l’esprit de
personne.
Et pourtant, c’est ce que l’on fait en pédagogie.
Le syncrétisme pédagogique consiste donc à faire par moment
de l’Explicite dans une pratique de classe globalement constructiviste.
La question sensée qui vient alors immédiatement à l’esprit
est : pourquoi se contenter d’être efficace de manière épisodique au lieu
de l’être tout le temps ?
Pourquoi s’acharner à « faire découvrir » aux
élèves les connaissances et les habiletés ? Pourquoi ne pas les enseigner
directement, pour des apprentissages rapides, solides et durables ?
Avoir été la pédagogie officielle de l'école soviétique ainsi que de l'école fasciste donne il est vrai au constructivisme une aura de respectabilité sans précédent. Ce d'autant plus si on prend en considération le fait que, avant l'accession d'Hitler au pouvoir, nombre d'écoles se sont essayées aux pratiques constructivistes et que parmi les élèves de ces écoles là, Hitler a trouver ses plus fervents soutiens (Cf Nathalie Bulle). Venir avec le coup des z'eures les plus sombres de notre histoire est assurément un gag. Un gag pas drôle qui démontre le peu d'épaisseur intellectuelle des défenseurs du constructivisme
RépondreSupprimerAu lieu d’opposer adeptes de l’enseignement explicite pur et dur et constructivistes radicaux, analysons un cas concret. Différents adeptes de ces deux clans qui se regardent en chiens de faïence ont, par exemple, été et sont encore souvent contre l’usage de la « première machine à calculer » (les doigts, selon Ifrah). Conséquence : de nombreux enfants continuent, en clandestinité, à se servir de leurs doigts et en font trop souvent un très mauvais usage qui les empêtre finalement dans le comptage numérotage et dans une conception aberrante du nombre. Et lorsque l’enfant est complètement dépassé et décroché, on finit souvent par le traiter de « dyscalculique ». Ceci arrange de nombreux constructivistes ainsi que maints adeptes de l’enseignement explicite parce que la médicalisation des problèmes pédagogiques les déresponsabilise. Notons qu’en Allemagne, où l’usage des doigts connaît un succès toujours croissant, la Santé publique n’intervient pas pour rembourser (partiellement) les traitements paramédicaux des difficultés d’apprentissage en maths : ces difficultés sont et restent substantiellement un problème pédagogique même si certains aspects (mauvaise vue, etc.) peuvent relever d’autres disciplines (médecine, psychologie, etc.).
RépondreSupprimerOr, initier l’enfant à un bon usage de ses doigts comporte une bonne part d’enseignement explicite : rares sont les enfants qui découvrent d’eux-mêmes un bon usage des doigts (les configurations canoniques, etc., etc.) et leur prolongement par le boulier « asiatique ». Cependant, il ne suffit pas d’enseigner explicitement pour que l’enfant apprenne. Il faut que l’enfant construise activement sa machine à calculer de manière à ce qu’elle devienne pleinement fonctionnelle. Tant qu’il n’a pas ainsi construit lui-même sa machine à calculer (et la notion du nombre), il ne sera pas capable d’inhiber ses mauvaises habitudes et conceptions qu’il reprendra dès qu’on a le dos tourné. C’est d’ailleurs, entre autres, parce que les enfants en grave difficulté en maths sont très souvent des enfants compteurs et que ces enfants se servent de leur doigts pour compter (très mauvais usage) qu’on a interdit le recours aux doigts.
Question : est-ce que cette initiation explicite à un bon usage des doigts est, selon vous, un enseignement explicite, du constructivisme ou de l’éclectisme ? Peu importe dira le praticien : seule l’efficacité compte ! Et si la méthode n’était pas efficace, je ne continuerais certainement pas à m’en servir encore des années après ma mise à la retraite ! http://velz-pacte-enseignement.simplesite.com