L’inspecteur
général Jean-Paul Delahaye vient de rendre à la ministre de l’Éducation nationale
un rapport intitulé Grande pauvreté et réussite scolaire – Le choix de la solidarité pour la réussite de tous.
La
mission “Grande pauvreté et réussite scolaire” avait été confiée par le
précédent (et fugace) ministre, Benoît Hamon, à cet ancien conseiller spécial et ancien directeur de l’enseignement scolaire de Vincent Peillon, lui-même antépénultième ministre (!). Puisque le
débat pédagogique est complètement politisé en France, nous sommes donc, avec Jean-Paul
Delahaye, dans la “pédagogie de gauche”, favorable au constructivisme depuis des années, contre
vents et marées. La “pédagogie de droite” rêvant, quant à elle, de revenir à l’École
de grand-papa…
On
pouvait donc s’attendre au discours habituel sur la nécessité de changer les
habitudes pédagogiques, afin d’amener les élèves vers plus de découvertes et vers
plus de complexités à dénouer. En un mot, vers tout ce qui a provoqué la
catastrophe éducative de ces quarante dernières années.
Or
– heureuse surprise ! – nous trouvons dans ce rapport un vibrant éloge de l’enseignement
explicite (le mot revient une vingtaine de fois dans les 223 pages du rapport).
Même le Café pédagogique s’en est fait l’écho :
« Les “enfants pauvres” ne sont pas de “pauvres enfants”, aussi ne s’agit-il pas d’en rabattre avec les exigences scolaires. Être exigeant scolairement avec eux, c’est les respecter », dit J.P. Delahaye. Le rapport contient également de nombreuses propositions pédagogiques. Pour J.P. Delahaye, toutes les pédagogies ne se valent pas. Il recommande la diffusion du référentiel pédagogique de l'éducation prioritaire. Celui-ci recommande une pédagogie explicite qui vérifie ce qui est compris par l'élève.
Bigre !
Allons
donc voir à la page 104 le paragraphe 2.2.3.b), intitulé “Une pédagogie
explicite”. Qui
donc Jean-Paul Delahaye a-t-il convoqué pour lui parler de pédagogie explicite ?
Le chercheur Roland Goigoux qui n'est pourtant pas, à ma connaissance, un spécialiste de l'Enseignement Explicite de Barak Rosenshine. Mais passons...
Que dit Goigoux ?
Audition de Roland Goigoux, 17 mars 2015
1. Planification : objectifs bien articulés entre eux ; étapes modestes mais fortement structurées. (La progressivité des apprentissages est définie à partir des caractéristiques de la cognition enfantine dans les domaines considérés)
2. Étayage (ou un guidage) serré de la part de l'enseignant pour garantir la compréhension des notions par les élèves (conceptualisation) et pour faciliter l'apprentissage des procédures et/ou des connaissances visées
3. Clarté cognitive : pour les maîtres qui doivent précisément « savoir où ils vont » et pour les élèves qui doivent progressivement cerner les enjeux d'apprentissage et les procédures à leur disposition. Clarté facilitée par l'énoncé des apprentissages visés et celui des acquis réalisés à chaque étape
4. Régulation de l'attention des élèves, favorisée par une centration sur les informations importantes à comprendre et à mémoriser ; allègement de la charge cognitive en évitant de submerger les élèves par une trop grande multiplicité d'opérations à réaliser en parallèle.
5. Mémorisation : rôle de l'exercice et de l'entrainement favorisant l'automatisation des procédures et la mémorisation à long terme ; rôle des révisions fréquentes, hebdomadaires et mensuelles, des apprentissages effectués et renforcement des prises de conscience (clarté cognitive et métacognition).
6. Caractère exhaustif de l'enseignement : les compétences requises par la réalisation des tâches scolaires (autrement dit leurs préalables) doivent être prises en charge par l'enseignement. (Cf. l'effet socialement discriminant des pédagogies qui présupposent des compétences qu'elles n'enseignent pas).
7. Motivation : pas un préalable, la conséquence d'un sentiment de compétence, généré par des réussites progressives.
Le
rapporteur en tire le résumé suivant :
« Une pédagogie peut être qualifiée d'explicite lorsque le professeur permet à ses élèves d'avoir une claire conscience de tout ou partie :
- des buts des tâches scolaires (ce qu'ils ont à faire) ;
- des apprentissages visés (ce qu'ils pourront apprendre) ;
- des procédures utilisables ou utilisées (pour réaliser les tâches) ;
- des savoirs mobilisables ou mobilisés (pour réaliser les tâches) ;
- des progrès réalisés (ce qu'ils ont appris). »
Ce
qui est très exact. Mais en précisant toutefois :
« Quelle que soit la démarche retenue (résolution de problème, démarche d'investigation, cours dialogué, résolution guidée ou exercice autonome). »
Autrement
dit, on ne se résout pas – même pour les élèves en grande pauvreté – à abandonner
complètement les pratiques inefficaces – surtout pour ces élèves-là ! – du
constructivisme. Le rapporteur le précise même dans le sous-titre qui introduit
l’audition de Goigoux : « Des méthodes actives au sein d'un
enseignement explicite et structuré. »
En
Pédagogie Explicite, les élèves sont actifs, vraiment et réellement actifs, s’appropriant
leurs apprentissages par une compréhension contrôlée à tout moment, par une
pratique intensive d’abord guidée puis autonome, par une mémorisation solide et
durable des connaissances et des habiletés ainsi acquises.
Tout
l’inverse de ce que produisent ces fameuses “méthodes actives” qui remuent
beaucoup de vent, font beaucoup d’esbroufe et se soldent au final par des acquisitions dépendant
étroitement du milieu social des parents.
Laissons
donc tomber ces démarches qui s’avèrent parfaitement nuisibles et inopérantes
dans les quartiers où les populations sont en grande difficulté et où les
enfants ne peuvent compter que sur l’École publique du coin.
Voilà
ce que le rapport de Jean-Paul Delahaye aurait dû clairement exiger de la ministre. Quant on est de gauche, on doit avoir le souci des humbles et des démunis. Le constructivisme ne marche pas pour les élèves pauvres, qui sont souvent en difficulté : il nous faut donc laisser tomber une fois pour toutes les pratiques d'enseignement inefficaces qui s'en inspirent.
Est-ce
donc si dur de manger son chapeau ?
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