« On a beaucoup
écrit sur la crise de l’école. Tous les acteurs se sont, chacun à leur tour, retrouvés
dans le box des accusés. Jamais les parents. » C’est bien vrai, et il
est grand temps de renverser les rôles en assignant ceux qui sont si prompts à
faire le procès des autres…
Depuis Parents contre profs, de Maurice T. Maschino, je n’avais pas lu de livre aussi
bien écrit sur le comportement inacceptable des quelques parents d’élèves qui,
en pourrissant la vie des enseignants, croient rendre service à leur
progéniture. Heureusement, ils sont loin d’être la majorité, mais force est de
constater que leur nombre augmente sensiblement année après année.
Ce livre d’Anna Topaloff est utile car il parle vrai – on le
lit d’un trait ! – et n’élude pas les questions cruciales.
À partir de quand le phénomène des parents-butors est-il
apparu ? « C’est au tournant
des années 1990 que le comportement des familles a commencé à se transformer. On
assiste alors à une crispation autour de l’enfant, devenu l’élément central de
la cellule familiale. »
Qu’est-ce qu’un parent tyrannique ? « La tyrannie, c’est le comportement
autoritaire, injuste et violent qu’adopte une personne, ou un groupe de
personnes, à l’égard d’autres pour les soumettre à ses desiderata et ses
exigences particulières. Autoritaires ? Les parents le sont quand ils
obtiennent l’annulation d’une sanction prise à l’encontre de leur enfant, qu’ils
estiment trop lourde. Injustes ? Ils le sont quand ils n’accordent aucune
valeur à la parole d’un professionnel de l’Éducation nationale face à celle de
leur enfant. Violents ? Désormais, des faits divers spectaculaires,
assortis de procès au pénal, sont largement médiatisés. »
Le décor est planté. Il ne reste qu’à voir comment les
choses se passent au quotidien. L’auteur, qui n’est pas enseignante mais
journaliste, se place du côté des parents pour leur faire la leçon. Et que
disent les parents ? « Ça n’est
pas notre enfant qui a des problèmes scolaires, c’est la prof qui explique mal,
qui ne sait pas faire son boulot, qui ne sait pas fixer l’attention de notre
fils, qui ne sait pas intéresser notre fille et qui, de toute façon, ne l’a
jamais aimée. » À quoi l’auteur répond très justement : « Ce discours accusateur a le don de hérisser
le poil de l’enseignant. Il n’est pas là pour aimer ses élèves, mais pour les
instruire. » Une vérité d’évidence qu’il faut dire et redire, tant notre
époque a tendance à prendre les réalités à l’envers.
De quel droit les parents se comportent-ils ainsi envers les
enseignants de leurs enfants ? « Quand
on agit au nom d’un intérêt qu’on estime supérieur, le nôtre, celui de notre
enfant, on a vite fait de croire qu’on a tous les droits. » De plus, « le point de vue du parent vaut plus que
celui de l’enseignant, méprisé ; c’est à lui de se soumettre ou de se
ranger à l’avis des parents, et gare à lui s’il ne le fait pas : on lui
rappellera dans quel sens les choses doivent marcher. » À ce petit
jeu, ce sont les bobos dotés d’un solide complexe de supériorité qui sont les
plus doués. Mais les autres ne sont pas en reste…
« Il est très
difficile de faire comprendre aux parents d’élèves que la parole d’un
professeur – un adulte, un fonctionnaire, un professionnel de l’éducation – a plus
de poids, plus de valeur que celle d’un gamin de dix ans ou plus. »
Les conséquences sont d’abord pour l’enfant : « L’élève paie au prix fort les conséquences
des débordements de son parent. » Quel respect cet enfant pourra-t-il avoir
pour l’école et pour ses enseignants s’il voit son parent se conduire à l’école
comme en pays conquis ? Au passage, j’ai bien aimé cette phrase si juste :
« Ses parents le croient surdoué,
alors qu’il est tout simplement mal élevé. »
Et quelles conséquences pour l’enseignant ? L’auteur
rappelle d’abord que « dans 54 % des
actes de violence exercés sur un enseignant, c’est un parent d’élève qui en est
l’auteur. » Cela aussi, il faut le dire.
« Épuisés de
devoir sans cesse rendre des comptes à des parents qui n’hésitent plus à les
contester en public, à les prendre à partie violemment, à les dénoncer à leur
hiérarchie ou à engager des recours indus, les enseignants pestent contre ce qu’ils
ressentent comme une contestation de leur magistère, comme un barrage fait à
leur autorité, à leur métier, qu’ils ne peuvent plus pleinement exercer. Pour
eux, qualifier de “tyrannie” la volonté des parents d’élèves de les
disqualifier n’a rien d’excessif. »
Est-ce que la hiérarchie vient en aide à l’enseignant
victime de cette forme de harcèlement ? Bien sûr que non : « Concrètement, à l’Éducation nationale, on
peut donc sacrifier l’honneur d’un collègue à la revendication infondée d’un
parent d’élève. » Depuis longtemps, la politique n’est plus de faire
respecter l’École et ceux qui y travaillent. Le mot d’ordre général est :
“pas de vagues”. Si un parent rouspète ou se conduit mal, c’est à l’enseignant
de faire tout ce qu’il faut pour le calmer. Quitte à y laisser sa dignité
professionnelle. Si l’affaire remonte plus haut, c’est l’échelon supérieur qui
devra trouver le moyen d’apaiser la situation, quitte à tout mettre sur le dos
de l’enseignant accusé.
« Jadis, l’école ferraillait
parfois contre la volonté familiale, pour le bien des élèves. Aujourd’hui, le
mouvement est en sens inverse : la croyance s’est installée que c’est la
famille qui sait le mieux ce qui convient à son enfant et qu’il convient de se
ranger autant que possible à son avis. »
Et les syndicats ? « Pour le Snuipp – syndicat majoritaire chez les professeurs des écoles –,
le problème n’existe tout simplement pas. À entendre Sébastien Sihr, son
président, il n’y aurait pas de parents intrusifs, seulement des enseignants
maladroits. » Ceux qui veulent être vraiment défendus ont tout intérêt
à rallier le SNUDI-FO qui soutient sans faillir ses adhérents.
Le résultat est simple : « L’école fait souffrir ses enseignants. Les études de la MGEN révèlent
que 91 % d’entre eux estiment qu’il existe un “malaise” dans leur profession,
et 60 % se sentent personnellement concernés. La dépression est la deuxième
maladie professionnelle des professeurs. 17 % d’entre eux sont passés par un
burnout, contre 11 % dans le reste de la société. Mais l’enseignement est
également la corporation dans laquelle on se suicide le plus. On enregistre 39
cas de mort volontaire pour 100 000 profs, tandis que, sur le même ratio,
le taux tombe à 17 pour le reste de la population. »
Pourtant, « parce
qu’elle est garante de l’intérêt général, l’institution scolaire ne peut se
permettre de céder aux exigences particulières – et contradictoires – des uns
et des autres. »
Je laisse à Anna Topaloff cette conclusion qui devrait être
placardée à l’entrée de toutes les écoles : « Nous avons du mal à accepter que les enseignants ne soient pas là pour
aimer nos rejetons, tant il nous paraît inconcevable qu’on puisse ne pas être
charmé par le si beau spécimen que nous avons engendré. Mais c’est justement
parce qu’ils ne se situent pas dans le registre de l’affectif que les profs
peuvent, plus aisément que nous, faire souffrir nos enfants pour les rendre
plus instruits, plus intelligents et plus cultivés. Laissons-les donc faire.
Ils seront toujours meilleurs que nous à ce jeu-là. »
Faut-il encore augmenter la place des parents dans l’école,
comme le prétend la nouvelle ministre de l’Éducation nationale ?
Certainement pas, car « en laissant
les parents d’élèves à la porte des établissements scolaires, l’Éducation nationale
agit pour le bien-être des élèves. » Encore une évidence oubliée…
Voir aussi l’entretien avec Anna Topaloff.
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Anna TOPALOFF
Fayard, 162 p
08/2014
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