Translate

vendredi 7 novembre 2014

Livre : La tyrannie des parents d'élèves (Anna Topaloff)



« On a beaucoup écrit sur la crise de l’école. Tous les acteurs se sont, chacun à leur tour, retrouvés dans le box des accusés. Jamais les parents. » C’est bien vrai, et il est grand temps de renverser les rôles en assignant ceux qui sont si prompts à faire le procès des autres…

Depuis Parents contre profs, de Maurice T. Maschino, je n’avais pas lu de livre aussi bien écrit sur le comportement inacceptable des quelques parents d’élèves qui, en pourrissant la vie des enseignants, croient rendre service à leur progéniture. Heureusement, ils sont loin d’être la majorité, mais force est de constater que leur nombre augmente sensiblement année après année.

Ce livre d’Anna Topaloff est utile car il parle vrai – on le lit d’un trait ! – et n’élude pas les questions cruciales.

À partir de quand le phénomène des parents-butors est-il apparu ? « C’est au tournant des années 1990 que le comportement des familles a commencé à se transformer. On assiste alors à une crispation autour de l’enfant, devenu l’élément central de la cellule familiale. »

Qu’est-ce qu’un parent tyrannique ? « La tyrannie, c’est le comportement autoritaire, injuste et violent qu’adopte une personne, ou un groupe de personnes, à l’égard d’autres pour les soumettre à ses desiderata et ses exigences particulières. Autoritaires ? Les parents le sont quand ils obtiennent l’annulation d’une sanction prise à l’encontre de leur enfant, qu’ils estiment trop lourde. Injustes ? Ils le sont quand ils n’accordent aucune valeur à la parole d’un professionnel de l’Éducation nationale face à celle de leur enfant. Violents ? Désormais, des faits divers spectaculaires, assortis de procès au pénal, sont largement médiatisés. »

Le décor est planté. Il ne reste qu’à voir comment les choses se passent au quotidien. L’auteur, qui n’est pas enseignante mais journaliste, se place du côté des parents pour leur faire la leçon. Et que disent les parents ? « Ça n’est pas notre enfant qui a des problèmes scolaires, c’est la prof qui explique mal, qui ne sait pas faire son boulot, qui ne sait pas fixer l’attention de notre fils, qui ne sait pas intéresser notre fille et qui, de toute façon, ne l’a jamais aimée. » À quoi l’auteur répond très justement : « Ce discours accusateur a le don de hérisser le poil de l’enseignant. Il n’est pas là pour aimer ses élèves, mais pour les instruire. » Une vérité d’évidence qu’il faut dire et redire, tant notre époque a tendance à prendre les réalités à l’envers.

De quel droit les parents se comportent-ils ainsi envers les enseignants de leurs enfants ? « Quand on agit au nom d’un intérêt qu’on estime supérieur, le nôtre, celui de notre enfant, on a vite fait de croire qu’on a tous les droits. » De plus, « le point de vue du parent vaut plus que celui de l’enseignant, méprisé ; c’est à lui de se soumettre ou de se ranger à l’avis des parents, et gare à lui s’il ne le fait pas : on lui rappellera dans quel sens les choses doivent marcher. » À ce petit jeu, ce sont les bobos dotés d’un solide complexe de supériorité qui sont les plus doués. Mais les autres ne sont pas en reste…

« Il est très difficile de faire comprendre aux parents d’élèves que la parole d’un professeur – un adulte, un fonctionnaire, un professionnel de l’éducation – a plus de poids, plus de valeur que celle d’un gamin de dix ans ou plus. »

Les conséquences sont d’abord pour l’enfant : « L’élève paie au prix fort les conséquences des débordements de son parent. » Quel respect cet enfant pourra-t-il avoir pour l’école et pour ses enseignants s’il voit son parent se conduire à l’école comme en pays conquis ? Au passage, j’ai bien aimé cette phrase si juste : « Ses parents le croient surdoué, alors qu’il est tout simplement mal élevé. »

Et quelles conséquences pour l’enseignant ? L’auteur rappelle d’abord que « dans 54 % des actes de violence exercés sur un enseignant, c’est un parent d’élève qui en est l’auteur. » Cela aussi, il faut le dire.

« Épuisés de devoir sans cesse rendre des comptes à des parents qui n’hésitent plus à les contester en public, à les prendre à partie violemment, à les dénoncer à leur hiérarchie ou à engager des recours indus, les enseignants pestent contre ce qu’ils ressentent comme une contestation de leur magistère, comme un barrage fait à leur autorité, à leur métier, qu’ils ne peuvent plus pleinement exercer. Pour eux, qualifier de “tyrannie” la volonté des parents d’élèves de les disqualifier n’a rien d’excessif. »

Est-ce que la hiérarchie vient en aide à l’enseignant victime de cette forme de harcèlement ? Bien sûr que non : « Concrètement, à l’Éducation nationale, on peut donc sacrifier l’honneur d’un collègue à la revendication infondée d’un parent d’élève. » Depuis longtemps, la politique n’est plus de faire respecter l’École et ceux qui y travaillent. Le mot d’ordre général est : “pas de vagues”. Si un parent rouspète ou se conduit mal, c’est à l’enseignant de faire tout ce qu’il faut pour le calmer. Quitte à y laisser sa dignité professionnelle. Si l’affaire remonte plus haut, c’est l’échelon supérieur qui devra trouver le moyen d’apaiser la situation, quitte à tout mettre sur le dos de l’enseignant accusé.

« Jadis, l’école ferraillait parfois contre la volonté familiale, pour le bien des élèves. Aujourd’hui, le mouvement est en sens inverse : la croyance s’est installée que c’est la famille qui sait le mieux ce qui convient à son enfant et qu’il convient de se ranger autant que possible à son avis. »

Et les syndicats ? « Pour le Snuipp – syndicat majoritaire chez les professeurs des écoles –, le problème n’existe tout simplement pas. À entendre Sébastien Sihr, son président, il n’y aurait pas de parents intrusifs, seulement des enseignants maladroits. » Ceux qui veulent être vraiment défendus ont tout intérêt à rallier le SNUDI-FO qui soutient sans faillir ses adhérents.

Le résultat est simple : « L’école fait souffrir ses enseignants. Les études de la MGEN révèlent que 91 % d’entre eux estiment qu’il existe un “malaise” dans leur profession, et 60 % se sentent personnellement concernés. La dépression est la deuxième maladie professionnelle des professeurs. 17 % d’entre eux sont passés par un burnout, contre 11 % dans le reste de la société. Mais l’enseignement est également la corporation dans laquelle on se suicide le plus. On enregistre 39 cas de mort volontaire pour 100 000 profs, tandis que, sur le même ratio, le taux tombe à 17 pour le reste de la population. »

Pourtant, « parce qu’elle est garante de l’intérêt général, l’institution scolaire ne peut se permettre de céder aux exigences particulières – et contradictoires – des uns et des autres. »

Je laisse à Anna Topaloff cette conclusion qui devrait être placardée à l’entrée de toutes les écoles : « Nous avons du mal à accepter que les enseignants ne soient pas là pour aimer nos rejetons, tant il nous paraît inconcevable qu’on puisse ne pas être charmé par le si beau spécimen que nous avons engendré. Mais c’est justement parce qu’ils ne se situent pas dans le registre de l’affectif que les profs peuvent, plus aisément que nous, faire souffrir nos enfants pour les rendre plus instruits, plus intelligents et plus cultivés. Laissons-les donc faire. Ils seront toujours meilleurs que nous à ce jeu-là. »

Faut-il encore augmenter la place des parents dans l’école, comme le prétend la nouvelle ministre de l’Éducation nationale ? Certainement pas, car «  en laissant les parents d’élèves à la porte des établissements scolaires, l’Éducation nationale agit pour le bien-être des élèves. » Encore une évidence oubliée…



______________________________________
Anna TOPALOFF
Fayard, 162 p
08/2014

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Les commentaires reçus n’ont pas tous vocation à être publiés.
Étant directeur de publication de ce blog, seuls les textes qui présentent un intérêt à mes yeux seront retenus.