Thierry Desjardins signe là le premier de toute une série de
pamphlets ciblant l’Éducation nationale, qui seront publiés dans les années 2000.
Lorsque le livre paraît, nous sommes sous l’ère de Claude
Allègre, le ministre inoubliable du « il faut dégraisser le
mammouth ». Et Philippe Meirieu, au faîte de sa gloire, est le directeur
de l’INRP (Institut national de la recherche pédagogique, aujourd’hui IFÉ).
C’est dire si les temps étaient durs pour ceux qui voulaient une école de
qualité !
L’auteur part de cette fameuse enquête de l’OCDE de 1995 qui
attribuait à la France 40 % d’illettrés :
« En 1995, une enquête de l’OCDE nous apprenait qu’il y avait 40 % d’illettrés en France. On aurait donc pu se demander si le fait que nous ayons à la fois le record absolu de l’illettrisme (dans les pays développés) et celui du chômage n’avait pas un vague rapport.
Au lieu de se poser cette question, sans doute un peu naïve mais frappée au coin du bon sens, nos responsables ont préféré récuser cette enquête et ont refusé de la publier en France sous prétexte que l’OCDE avait une définition un peu particulière du mot “illettrisme”. Pour l’Organisation de coopération et de développement économiques, un “illettré” est un « adulte incapable de lire et de comprendre un texte d’usage courant de vingt-cinq lignes et d’en faire un résumé de cinq lignes ». C’est d’ailleurs la définition adoptée aussi par l’UNESCO.
Les résultats de cette enquête étaient surprenants pour un certain nombre de pays et effrayants pour la France. On apprenait en effet qu’il y avait 20 % d’illettrés aux États-Unis contre 7 % en Suède, 10,5 % aux Pays-Bas, 14,4 % en Allemagne, et 40,1 % en France. »
Thierry Desjardins est un journaliste de droite, habitué à
écrire des brûlots. D’une lecture agréable, son livre exprime une sorte de
jubilation à démolir au bazooka les différentes cibles que l’auteur met dans son collimateur :
le budget de l’Éducation nationale, l’influence marxiste et freudienne, la
violence, l’immigration, les réformes, le niveau des professeurs, les syndicats
d’enseignant, la maternelle, l’élémentaire, le collège, le lycée et même
l’université ! Tout y passe, avec des formules au marteau-pilon.
Extraits :
« Supprimer les notes, supprimer les punitions, supprimer les redoublements, supprimer les devoirs à la maison (et, bien sûr, les leçons), réduire même les horaires, tout cela n’était encore pas grand-chose même si cela relevait à la fois d’une volonté générale de démissionner – on laisse filer, on ne dit plus rien, tout va bien – et d’un esprit gentiment “gaucho” – tout le monde il est bon, tout le monde il est gentil, personne n’est meilleur que personne, ce n’est pas la peine de se tuer au travail et d’ailleurs ça n’a aucune importance puisqu’on va tous aller élever des moutons dans le Larzac. »
« Que le psychologue Piaget se soit intéressé aux expérimentations du psychologue Decroly est une chose, que le psychologue Decroly ait réussi à obtenir de ses élèves certains progrès est une chose, mais qu’on ait imposé à tous les enfants de France des méthodes imaginées pour de petits débiles du début du siècle est un scandale. »
« En attendant, ceux que Bourdieu appelle avec une nuance de dégoût “les héritiers” ont de beaux jours devant eux. Grâce à Bourdieu précisément et à tous les gourous de gauche qui tiennent le ministère de l’Éducation nationale, ce n’est pas “demain la veille” que les “petits pauvres” et les petits immigrés qui ne peuvent s’offrir ni Henri-IV ni Stanislas leur prendront leurs places au soleil. »
Philippe Meirieu, qui a été l’inspirateur incontesté de
toute la politique éducative dans les années 1990, en prend plein sa
besace :
« Il est absurde de dire comme le font Meirieu et ses amis que l’école doit être « une institution capable de permettre aux futurs citoyens de se connaître, de se parler, de se comprendre et d’inventer ensemble la société dans laquelle ils veulent vivre ». La vie n’est ni une arrière-salle de café du commerce où l’on palabre gentiment ni un terrain de pétanque où l’on sympathise. C’est – et on peut, bien sûr, le regretter mais c’est comme ça – une jungle sans pitié qui ne connaît que sa loi, celle du plus fort, du meilleur, du plus malin, du plus éduqué, qui écrasera toujours le moins fort, le mauvais, le naïf, l’inculte. Et ce quels que soient les régimes, les systèmes du jour. Ici, on les appelle les dirigeants, là-bas on les appelait les apparatchiks, mais c’étaient toujours ceux qui avaient su s’imposer.
Le monde “gnangnan” qu’évoquent les pédagogistes où tout le monde il est bon, tout le monde il est gentil, tout le monde pratique la citoyenneté, en chassant les papillons et en pêchant les moules n’est qu’une utopie absurde. Pire, un piège redoutable que font miroiter ceux qui généralement veulent transformer les foules en troupeaux dociles pour mieux imposer leur dictature, qu’elle soit celle du patronat ou du prolétariat. »
Mais ce qui rend surtout Thierry Desjardins sympathique,
c’est qu’il est résolument partisan de la transmission :
« Pourquoi ce refus du principe même de la “transmission” ? (…) Selon ses adeptes [du pédagogisme], “transmettre”, c’est “imposer”, “obliger”, “brimer”, “contraindre”, “dominer”, autant de mots tabous et abominables, survivances de toutes les tyrannies d’un passé atroce. En voulant “transmettre” son message à l’enfant, le “maître” veut le lui “imposer”, comme le “maître” (…) imposait sa volonté à… l’esclave, comme le patron impose ses exigences au salarié. Il faut donc “libérer” ces enfants-esclaves-dominés. (…) Pas question, donc, que le “maître, qui lui-même a été jadis victime de la domination de ses propres maîtres”, brime l’enfant en lui imposant quoi que ce soit. Il faut briser cette chaîne séculaire maître-esclave-maître-esclave qui, depuis des générations, entretient à l’école cette éternelle soumission et empêche l’éclosion d’un monde nouveau en interdisant l’épanouissement des individus. On le voit, on marche sur la tête. »
À l’Éducation nationale, on a voulu faire du Marx et du
Freud, mais on a fait du Bourdieu et du Dolto…
Cependant, tout à sa diatribe, il arrive aussi à l’auteur de dire
des âneries. Ainsi, lorsqu’il parle des « primes » que toucheraient
les instituteurs/PE. La seule prime qu’il m’est arrivé de toucher dans ma
carrière était une prime de quelques centimes « pour la blouse », m’avait-on
dit. Prime qui a bien vite disparu, contrairement à la « contribution
solidarité », soit disant « exceptionnelle », que je paye depuis
1982…
Le pamphlet de Desjardins fut le premier d’une longue série publiée dans
les années 2000. Tout le monde y est allé de sa critique du système éducatif
français, avec plus ou moins de talent. Le filon était bon, il y avait de la notoriété médiatique à se faire et des droits d’auteur à ramasser. Le problème, c’est que cette mode
éditoriale a eu deux conséquences qui ont amplifié le naufrage au lieu de nous
sortir la tête de l’eau. La première, c’est que les ultra-libéraux ont compris
qu’ils avaient là tous les arguments pour dénoncer l’incurie du service public
d’éducation, contribuer à lui nuire et à l'abattre pour mettre à sa place un système privé d’enseignement hors contrat (coïncidence révélatrice : SOS-Éducation a été
créée en 2001). La seconde conséquence néfaste, c’est qu’à force de répéter que
l’Éducation nationale est aux mains d’incapables, le bon peuple a fini par entendre
que TOUTE l’Éducation nationale est peuplée d’incapables et que, par conséquent,
n’importe quel clampin – parent ou élève – pouvait remettre en cause l’autorité des
enseignants en contestant les choix pédagogiques, les notations, les
redoublements, les devoirs à faire, les sanctions, etc.
Le métier était déjà difficile, mais ces pamphlets l’ont, de fait, rendu encore plus pénible au quotidien. Car, depuis les années 2000, la
légitimité professionnelle des enseignants est constamment et systématiquement
remise en cause par de plus en plus d'élèves et de parents qui se figurent utiliser les services d'un supermarché éducatif où le client serait roi...
Pauvre “école de la République” désormais soumise aux caprices de ces petits rois volontiers tyrans !
______________________________________
Thierry DESJARDINS
Robert Laffont, 253 p
09/1999
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