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mercredi 23 février 2011

Un zéro pointé pour la pédagogie socio-constructiviste (Jean Romain)

Source : Le Temps
Paru le Mercredi 23 Février 2011




Le socio-constructivisme met l’accent sur le rôle de l’autre dans la construction des savoirs : la modification et la régulation des représentations se fait en interagissant avec les autres. Les méthodes fondées sur le socio-constructivisme privilégient donc le travail coopératif, la collaboration, la co-construction des savoirs, pratiques censées générer aussi plus de motivation et de valorisation de soi. Ces méthodes bouleversent le rôle du professeur, et celui de l’enseignement qui ne doit plus être frontal ni magistral, ni même chargé de présenter les éléments nécessaires à la compréhension du fonctionnement de la langue. L’apprentissage est considéré comme un processus de modification des représentations qu’on possède déjà : une nouvelle donnée doit s’intégrer au réseau conceptuel de l’ « apprenant », et cette intégration (succession de déséquilibres et de rééquilibres) n’est possible que dans l’action du sujet. Autrement dit, un problème rencontré par l’ « apprenant » (= des représentations inadéquates) entraîne la recherche de sens : apprendre signifie construire activement du sens par l’observation, l’expérimentation, la réflexion, la déduction et le réemploi des règles.

Il convient de se canaliser sur les expériences pouvant être les meilleures pour l’apprentissage, du point de vue de l’ « apprenant », plutôt que de simplement transmettre et évaluer les connaissances qu’on estime qu’il doit posséder. Il faudra rechercher à créer des déséquilibres pour que l’ « apprenant » tente de les dépasser de lui-même. Cela aide aussi à comprendre que chaque participant à un cours peut être tour à tour un enseignant et un « apprenant ». Le travail d’enseignant peut se modifier en passant du rôle de « source de la connaissance » à celui de pôle d’influence et modèle de la culture de classe. Il s’agit d’avoir des contacts personnalisés et adaptés aux besoins d’apprentissage de chaque « apprenant », et d’animer les discussions et les activités de façon à atteindre collectivement les objectifs d’apprentissage de la classe.

Le professeur quitte son rôle d’intermédiaire entre l’œuvre à étudier et l’élève. Il devient une sorte d’animateur, un organisateur de savoir collectif en classe, un pourvoyeur de déséquilibres calculés et pouvant être surmontés.

De ce point de vue, la note par son côté individuel et normatif, heurte de plein fouet la doxa constructiviste. Un professeur, ou un ensemble de professeurs, jugent un élève et lui mettent une note qui évalue de manière chiffrée son travail ou son comportement à tel moment de son cursus scolaire. Cette logique cumulative est opposée à la logique constructiviste puisque le rythme, le moment où « se forme » la connaissance attendue, n’est pas le même pour tous les élèves. D’un côté, on attend qu’un élève de tel âge (en telle année) sache lire et on évalue son savoir dans une logique de transmission de connaissances ; de l’autre côté, on s’adapte au rythme de chacun dans une vision socio-constructiviste puisque les tortues et les lièvres sacrifient à des cycles différents.

Or les professeurs Gauthier, Bissonnette et Richard (Université Laval, Montréal) dont les résultats ont été publiés en 2005 « Quelles sont les pédagogies efficaces ? » montrent que les méthodes axées sur l’élève mis au centre fonctionnent bien pour 15 pour cent seulement de ces élèves. Alors que les méthodes explicites (allant du plus simple au plus complexe) fonctionnent avec 85 pour cent des élèves : ils apprennent mieux et plus vite. Ces méthodes sont aussi plus normatives. Ces études universitaires démontrent en plus que ce sont les connaissances acquises qui assurent l’estime de soi, contrairement à ce qu’affirment les socio-constructivistes.

Une note chiffrée est l’antidote absolu à ces théories élitistes. L’Arle a réintroduit en 2006 les notes scolaires à l’école primaire à Genève et cela a mis fin, du moins dans sa volonté ouvertement déclarée, à la Rénovation voulue par Martine Brunschwig Graf.

Aujourd’hui, l’Arle lance une initiative pour une note de comportement à l’école obligatoire. On peut discuter à l’infini pour savoir si une telle note est juste, intelligente, bonne ou nécessaire pour redonner à l’école un semblant d’autorité, s’il faut autre chose pour redorer le blason d’un Cycle d’orientation en grande difficulté, mais ce qui semble important en plus du signal clair que l’Arle envoie c’est qu’une note est l’antidote dont nous avons besoin pour faire pièce au socio-constructivisme. Lâcher une note dans ce milieu, c’est mettre un chat dans le bal des souris.




jeudi 3 février 2011

Les compétences des élèves en sciences expérimentales en fin d'école primaire (MEN-DEPP)

Auteurs : Gérard Brézillon et Agnès Brun
Note d'information, n° 11.05
01.2011



Le dispositif de “La main à la pâte” convient parfaitement aux clubs sciences des quartiers ou des villages. En petits groupes, les enfants expérimentent sous la direction d’un adulte, avec du matériel adéquat, dans un cadre adapté. Mais nous ne cessons de dire et de répéter que ce dispositif, d’inspiration directement constructiviste, est une catastrophe pour l’enseignement des sciences à l’école. Ce secteur est d’ailleurs sinistré depuis que “La main à la pâte” est devenue une obligation, y compris dans les programmes de 2008 qui reconnaissent par ailleurs la liberté pédagogique. Comprenne qui pourra…

Cette étude est donc intéressante : elle montre qu’un quart des élèves s’en sortent alors que 15 % d’entre eux ont définitivement coulé. Entre les deux, 60 % des élèves font ce qu’ils peuvent, tantôt plus, tantôt moins. Belle réussite !

D’autant qu’a été évaluée la démarche d’investigation, qui aurait dû être favorisée par “La main à la pâte”. On remarque alors qu’une situation expérimentale ne permet pas à l’élève de construire seul une notion : l’expérience ne se suffit pas à elle-même, l’observation d’un phénomène n’entraîne pas la construction du concept. De plus, lorsque les élèves doivent produire une explication, l’écrit reste un obstacle même s’ils ont compris ce qu’ils viennent d’observer : la mise en mots est un exercice que peu réussissent. Et quand les élèves conçoivent eux-mêmes le protocole expérimental, on constate une différence de réussite de dix points entre le dispositif prévu et celui effectivement réalisé.

On retrouve donc les défauts majeurs d’une démarche constructiviste inefficace : les élèves se noient dans la complexité, pataugent dans les difficultés et n’en tirent finalement pas grand-chose.

Or la mission de l’école primaire est de mettre en place un certain nombre de connaissances fondamentales en culture générale. Quand on passe un trimestre à observer que l’air chaud tient plus de place que l’air froid, il ne reste plus de temps pour engranger en mémoire longue tout ce qu’un élève devrait savoir en sciences et en technologie en rentrant au Collège.

mardi 18 janvier 2011

Livre : Lettre ouverte aux futurs illettrés (Paul Guth)



Voici un livre écrit en 1980 qui s’alarme de la baisse de niveau des élèves, de ce que l’auteur appelle un “génocide intellectuel”. Pourtant, à cette époque, on n’avait pas encore tout vu. Ce n’était que le début de la déconfiture…

Paul Guth s’adresse à Jacques, un garçon qu’il croise tous les jours quand il se rend au lycée. On ne peut qu’être d’accord avec ce qu’il énonce d’emblée : « L’école fabrique l’énergie de l’avenir. La France de demain sera ce que la fait l’école d’aujourd’hui. » Hélas, voici une machine qui serait construite sur le modèle de l’école de Jacques : « Imaginez votre voiture avec deux roues ovales devant, deux triangulaires derrière, le volant au ras du plancher, sans action sur la direction, le pot d’échappement sur le tableau de bord, vous crachant ses gaz au nez ! » Du coup, « jadis les analphabètes étaient ceux qui n’allaient pas à l’école ; aujourd’hui ce sont ceux qui y vont ».

On le voit, Paul Guth a le sens de la formule. Voici encore un passage qui mérite le détour : « Où les pauvres bougres de candidats, nourris de vent et d’amusettes, béquillards titubant de moulinettes en aspirateurs, n’ingérant jamais la moindre bouchée de “solide”, qui demanderait un effort à leurs quenottes, où ces anémiés de l’intellect dénicheraient-ils, le jour du bac, cette “solide composition” ? Où ces globules blancs trouveraient-ils  soudain ces muscles d’Hercule ? »

On était en 1980 : qu’écrirait-il aujourd’hui ?

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Paul GUTH
Albin Michel, coll. Lettre ouverte, 12/1980, 209 p.

samedi 18 décembre 2010

Les compétences en mathématiques des élèves en fin d'école primaire (MEN-DEPP)

Auteurs : Agnès Brun, Jean-Marc Pastor
Note d'information, n° 10.17
10.2010



L’étude porte sur l’évaluation-bilan en mathématiques, passée par les élèves de CM2 en mai 2008. Elle montre que :

- 3,2 % des élèves ne maîtrisent aucune des connaissances et des compétences attendues en fin d’école primaire ;


- 11,8 % maîtrisent quelques acquis, ils appréhendent les notions mathématiques essentiellement de façon perceptive ;


- 26,4 % réussissent un peu mieux que les précédents, ils ont acquis des automatismes mais ils ont du mal à transférer leurs compétences dans des situations nouvelles ;


- 30,7 % réussissent toutes les compétences à plus de 70 %, ils maîtrisent les quatre opérations sur les entiers et sur les décimaux, avec un seul chiffre au diviseur pour la division, ils mobilisent leurs compétences pour résoudre des situations nouvelles et font des liens entre les connaissances acquises, le lexique mathématique prend tout son sens ;


- 17,9 % maîtrisent la plupart des compétences exigées par le programme en fin d’école primaire ;


- 10 % maîtrisent les compétences exigibles en fin de CM2, ils réussissent toutes les opérations qui leur sont proposées et font preuve d’une grande aisance dans le domaine mathématique.


samedi 11 décembre 2010

Les clés de l'amélioration des systèmes scolaires (Cabinet McKinsey)

Comment passer de "bon" à "très bon" ?

12.2010




Le cabinet McKinsey nous livre une étude internationale, fruit d’une analyse approfondie de près de 600 réformes et d’une vingtaine de systèmes scolaires qui ont progressé dans le monde. Il fait suite à une première étude publiée en 2007 sur “Les clés du succès des systèmes scolaires les plus performants” qui avait identifié leurs trois points communs :
- une valorisation et une attractivité du métier d’enseignant qui permet de recruter les meilleurs ;
- une amélioration continue des pratiques pédagogiques ;
- un soutien renforcé aux élèves et aux écoles les plus en difficulté.

Nous voyons que la France en est loin : le métier d’enseignant est de plus en plus dévalorisé et ses conditions d’exercice de plus en plus difficiles, les pratiques pédagogiques tournent le dos à l’efficacité et le soutien aux élèves en difficulté fait l’objet d’un empilement de dispositifs dont on ne vérifie jamais s’ils fonctionnent.

Malgré cela et les résultats très moyens obtenus avec PISA-2009, le rapport McKinsey juge que la France a une “bonne performance” mais elle ne progresse plus, voire régresse. Pour passer à un niveau “Très bon”, le rapport suggère de renforcer les pratiques pédagogiques et de laisser plus de liberté aux écoles afin qu'elles puissent s’adapter aux contextes locaux. Et de citer en exemples l’Ontario au Canada et le Land de Saxe en Allemagne.

Le rapport nous dit que tout système performant doit se prévaloir des fondamentaux suivants :
- une bonne formation initiale des enseignants ;
- un système d’évaluation fiable des élèves ;
- l’utilisation d’indicateurs de performance permettant de mesurer les progrès des élèves et des écoles ;
- l’adaptation des programmes aux besoins du pays ;
- la motivation des enseignants par un plan de carrière valorisant ;
- le développement des compétences pédagogiques des enseignants ;
- le développement des compétences de management des chefs d’établissement ;
- la pérennité de la politique éducative.

Le rapport ajoute que la performance n’est pas une question de moyens : la France dépense plus que la Corée du Sud… pour des résultats inférieurs. Il préconise en outre de faire davantage travailler les enseignants, notamment pour que les plus expérimentés aident les plus jeunes.

Au total, si ce rapport fait des constatations intéressantes, ses suggestions sont particulièrement décevantes et inspirées du libéralisme économique. Traduisons : moins de moyens, cela veut dire des salaires en berne. L’attractivité du métier ne va pas se renforcer avec plus de temps à l’école et moins d’argent en fin de mois. Sans parler de cette idée de confier – à moindre frais – la formation des nouveaux enseignants aux anciens, dont rien ne dit qu’ils seront capables d'assurer cette mission. McKinsey en revient au modèle de l’artisan qui forme son apprenti : avec sa réforme rétrograde de la masterisation, la France se trouve donc sur le bon chemin !

Les pratiques d’enseignement efficaces sont maintenant connues, inventoriées et décrites. Les données probantes sont légion. Nous serions en mesure de dispenser une formation professionnelle initiale et continue de qualité. Si les enseignants devenaient de véritables professionnels, payés comme il se doit et valorisés dans leur carrière, il ne fait aucun doute que cela aurait des conséquences rapides et favorables sur les performances du système éducatif.
Mais il faudrait une volonté politique que nous n’avons toujours pas…

mercredi 1 septembre 2010

Les nouveaux illettrés (Alain Bentolila)

Source : Éducation magazine, n° 7, pp. 14-15, 09/10.2010





Si nous “produisons” aujourd'hui à peu près la même quantité d'illettrés qu'il y a trente ans, les comportements de lecture et la représentation du livre de ces jeunes gens et jeunes filles ont complètement changé de nature. 

Les jeunes en difficulté sont passés d'un déchiffrage maladroit à un irrespect total du texte. Le livre quant à lui n'est plus un objet désiré, mais inatteignable ; il est devenu un attribut de bouffonnerie et de suspecte féminité. Dans un monde où la recherche forcenée d'un plaisir vite consommé est devenue un principe de vie ; dans un monde où le droit à “l'euphorie perpétuelle” fait quasiment partie du catalogue des avantages acquis, l'apprentissage de la lecture n'a évidemment pas échappé à cette tendance majeure. Apparent paradoxe ! 

À mesure que l'échec en lecture se faisait plus évident s'est installée l'idée que le plaisir devait être consubstantiel de toute démarche d'apprentissage. Cette consubstantialité a été présentée comme la meilleure garantie de la réussite de l'apprentissage de la lecture. À l'opposé, l'obscur labeur a été dénoncé comme responsable de l'échec scolaire et de la désaffection des élèves. Si l'idée d'apprendre sans souffrir exagérément et sans s'ennuyer prodigieusement n'est pas sans intérêt, faire du plaisir la condition sine qua non de toute démarche d'apprentissage est un principe dangereux. On constate en effet que l'affirmation du primat du plaisir immédiat a produit des effets extrêmement pervers et a induit des pratiques pédagogiques qui, loin de lutter contre l'illettrisme, ont eu plutôt tendance à l'aggraver. De même que l'on avait cru pouvoir obtenir la démocratisation du système scolaire en décrétant artificiellement un taux élevé de réussite au seul examen que l'on avait conservé, de même prétendit-on fonder une plus grande égalité des chances en supprimant l'apprentissage, certes laborieux, mais nécessaire des mécanismes du code écrit. 

On apprit donc à lire directement dans de vrais textes. Textes et discours devinrent ainsi l'alpha et l'oméga de l'apprentissage ; tout y commençait et tout y finissait. Maîtriser la lecture et l'écriture des textes ne fut plus alors considéré comme l'aboutissement d'une démarche ayant permis de découvrir progressivement les mécanismes du code écrit ; le texte devint au contraire le révélateur des connaissances lexicales, des savoirs grammaticaux et des relations graphophonologiques.

L'ère du “tout-contextuel” ou du “tout-textuel” s'ouvrit, renvoyant aux poubelles de l'histoire pédagogique toute activité spécifique de codage et toute automatisation des mécanismes linguistiques. Rien ne pouvait être appris – rien ne devait être appris – en dehors de la mise en acte de la langue (textes et discours), seule garantie d'un apprentissage “faisant sens”. 

Dès l'instant où le texte fut décrété comme le seul espace dévolu à l'apprentissage de la lecture, s'imposa alors un modèle unique d'apprentissage : la résolution de problème. À cet élève élu constructeur du savoir, l'identification d'un mot fut présentée comme un problème à résoudre. Sous prétexte de faire confiance à son intelligence, ce qui est fort louable, on la sollicita inutilement et inopportunément pour découvrir le sens des mots dans un texte alors même que l'élève n'avait pas la moindre possibilité d'identifier le signifiant orthographique et phonique des mots. À la question « de quel mot s'agit-il ? », la réponse était donc : « essaye de deviner, regarde les images, appuie-toi sur les rares mots dont tu reconnais la physionomie ! » 

Systématiquement confronté à un défi aussi impossible qu'inutile, l'apprenti ne pouvait alors que supputer des identités incertaines, avancer à tâtons sans aucun repère et s'épuiser dans de vaines devinettes plus hasardeuses les unes que les autres. Pour « faire plaisir » à ces enfants perdus, on fit semblant de croire - et on leur fit croire - qu'ils savaient lire alors qu'ils en étaient bien incapables. Car ce n'était pas parce qu'ils suivaient les lignes avec leur doigt en manifestant une apparente attention pour les mots du texte qu'ils le lisaient vraiment. Non ! Ils le connaissaient, pour certains, par cœur ; et si un mot avait changé, ils ne s'en seraient vraisemblablement pas aperçus. 

Lire – faut-il le préciser ? – c'est être capable d'identifier et de comprendre un mot que l'on n'a jamais rencontré auparavant ; et cette capacité exige que l'on ait maîtrisé avec patience et parfois difficulté les mécanismes qui permettent au code écrit de fonctionner. Rien n'est plus dangereux que de faire croire à un enfant qu'il sait lire alors qu'il ne possède aucune autonomie de lecture. Il faut au contraire qu'il accepte le fait que le plaisir de lire est le résultat heureux d'un apprentissage qui sera parfois aride, parfois répétitif, mais qui lui donnera le pouvoir de conquérir tout seul le sens d'un texte. 

L'incitation à parier sur l'identité des mots en se fondant sur de fragiles indices paratextuels, ont conduit bien des élèves à développer un comportement de lecture où l'imprécision le dispute à la désinvolture. Ils sont venus au terme de leur scolarisation former des cohortes d'illettrés d'un nouveau type. Ces inventeurs de sens, incapables de saisir avec rigueur les indices lexicaux et syntaxiques qui font la singularité d'un texte, sont venus remplacer les déchiffreurs malhabiles que nous connaissions.


Nous avons testé plus de cinq cents jeunes gens et jeunes filles sortis à 16 ans du système scolaire sans aucun diplôme et repérés en difficulté de lecture lors de la fournée d'appel et de préparation à la défense. À chacun nous avons soumis un texte dont nous avions soigneusement mesuré le degré de lisibilité pour qu'il corresponde à un niveau de CM2/6e. À la fin de chaque lecture, nous posions la question : « Racontez-nous l'histoire que vous venez de lire ! » Environ 55 % des élèves testés nous ont raconté une histoire d'une remarquable cohérence : début, milieu et fin s'enchaînaient sans rupture. Mais toutes ces histoires n'avaient quasiment rien à voir avec le texte que nous avions proposé. Plus de la moitié de ces jeunes gens, après un parcours scolaire de douze ans au moins, était dans l'incapacité de respecter le texte et son auteur. Ils savaient certes qu'à l'injonction de lire, il convenait de répondre en racontant quelque chose ; mais l'histoire qu'ils inventaient était affranchie de tout devoir par rapport au texte. Ce dernier n'était pour eux qu'un prétexte à imaginer ; nullement la source obligée du sens. Lorsqu'on examina de plus près les fictions proposées, on se rendit compte que la plupart étaient nées de la reconnaissance d'un ou deux mots du texte. Ainsi, s'appuyant sur la reconnaissance du mot « or » dans la phrase « le soleil mettait sur la rivière des reflets d'or », l'un d'eux nous raconta l'histoire de chercheurs d'or alors que le texte soumis racontait l'aventure de deux jeunes indiens qui découvrent la grande ville. 

Nous sommes ainsi passés d'un temps où les difficultés de lecture se manifestent par un déchiffrage laborieux à un temps où les jeunes illettrés mettent le texte de côté, jettent l'auteur aux oubliettes pour affirmer la toute-puissance de leur imagination. Les premiers nous posaient un problème qu'une pédagogie adaptée pouvait corriger. Les seconds ont noué avec l'écrit un malentendu infiniment plus grave : un homme, une femme a écrit un texte ; il ou elle y a mis ses espoirs de se prolonger par la transmission. À cet appel, par incompétence ou désinvolture, non seulement ils ne répondent pas, mais ils ne l'entendent même pas. Ces jeunes lisent mal, mais surtout ils ne savent pas ce que lire veut dire ; parce que ni l'école ni la maison ne le leur ont appris.

dimanche 8 août 2010

Livre : La querelle de l'école (dir. Alain Finkielkraut)


Ce livre est une transcription d’émissions sur le thème de l’école, ou plutôt de la crise de l’école dont on sait ce qu’en pense Alain Finkielkraut. Sa position peut se résumer par cette phrase : « Je vois l’école faire naufrage. Pensez-vous que j’exagère et même que j’ai la berlue ? » (p 129).


Quelles sont les raisons de ce naufrage ? Dès la préface, A. Finkielkraut pose le problème dans ces termes : « La crise de l’école (…) est-elle imputable au grand déluge des réformes ou au conservatisme crispé de maîtres qui s’acharnent à offrir le même enseignement que celui qu’ils ont reçu sans tenir aucun compte de l’évolution du monde ? » (p 10).


Le “déluge des réformes” a fini par imposer le pédagogisme, c’est-à-dire les pratiques inefficaces du constructivisme cher à Piaget, à Freinet, à Meirieu et à de nombreux autres “experts” du système éducatif. Marc Le Bris résume parfaitement cette démarche recommandée aux futurs maîtres dès la fin des années 1970 dans les écoles normales d’instituteurs et encore aujourd’hui, quarante ans après, dans les IUFM. « On propose [à l’élève] de fabriquer une boîte à mouchoirs disposant d’une ouverture sur le dessus. À cet effet, on lui fournit du carton, des ciseaux et de là, il est censé déduire que deux droites perpendiculaires sont plus faciles à manipuler que deux droites qui ne le sont pas. Comme, en général, l’enfant seul ne bouge pas, reste comme un chou dans son champ, on décide de les mettre en groupe de façon à susciter la discussion entre eux. Cette discussion doit déboucher sur la construction autonome du savoir. Le conflit entre enfants de huit-neuf ans ne tarde pas à surgir. Si le maître se révèle suffisamment avisé, ou hypocrite, pour réussir à empêcher le conflit de tourner à l’échange de coups de poing, en toute logique postmoderne, la construction autonome d’un concept neuf émergera de ce “conflit sociocognitif” » (p 84). Avec de telles façons d’enseigner, il était inéluctable que l’école fasse naufrage. « C’est finalement la question générale qui se pose à tous les étages de l’école : les élèves y apprennent-ils quelque chose de manière solide et rigoureuse ? » (p 60). Pour Fanny Capel qui pose cette vraie question, la réponse est non. Et elle a raison…


Les poncifs erronés sur lesquels s’appuie le constructivisme ont parallèlement entraîné une évolution déplorable des attentes des élèves et de leurs parents. « Les élèves sont invités à se penser comme des ayants-droit à l’éducation, aux diplômes, à l’emploi. La formation n’est plus un but mais un dû » (p 135). A. Finkielkraut précise : « Si la doxa elle-même souffle à l’adolescent déçu par une mauvaise note ou une appréciation sévère qu’il vient de subir une intolérable humiliation, où trouvera-t-il la ressource de s’instruire, c’est-à-dire de se faire mal ? Commuer systématiquement l’échec de l’élève en échec de l’école, (…) c’est de la non-assistance à personne en danger » (p 140). Et toujours à propos des notes : « Lorsqu’on aura convaincu tout le monde que la moindre mauvaise note est humiliante, que les professeurs sont des monstres, ne cherchant qu’à sélectionner en fonction du milieu social, (…) on aura définitivement brisé la relation entre le maître et l’élève en instillant, dans l’esprit des familles et celui des élèves, qu’il convient de se méfier du professeur et de l’école » (Natacha Polony, p 139). Circonstance aggravante, les parents se montrent bien souvent incapables d’éduquer leurs enfants : « Des parents déboussolés, dépourvus de normes éducatives, de règles, cherchant désespérément des repères dans les médias » (Dominique Pasquier, p 17).


Le pédagogisme a fini par s’imposer avec le temps. Mais il est impossible aujourd’hui de continuer à dissimuler ses résultats. « La situation est à proprement parler délirante : on fait faire de la philosophie en maternelle et, à l’université, on réintroduit la culture générale parce que les étudiants ne savent plus rien » (Marc Le Bris, p 79).


Pour autant, faut-il en revenir à l’enseignement traditionnel ? A. Finkielkraut le suggère à longueur d’émissions. Il cite R. Boutonnet et L. Lafforgue qui sont effectivement des références dans ce domaine. Il constate amèrement que « la pédagogie n’est plus au service des savoirs » (p 48) et appelle de ses vœux « le primat de l’instruction sur la pédagogie » (p 50). Comme s’il fallait établir une hiérarchie entre les savoirs et les moyens de les transmettre ! Si on donne la priorité aux connaissances sans avoir des techniques d’enseignement efficaces, qu’est-ce que cela va donner ? La réponse est claire : un autre naufrage.


A. Finkielkraut fait partie des nostalgiques. Son monde est celui « d’avant les nouvelles technologies » (p 26). Il a l’ordinateur en horreur, comme Internet (il faut « se désensorceler d’Internet » – p 157), comme « l’anglais international » (p 199). Il tient des propos ambigus sur l’immigration, rejetant sur les enfants d’immigrés les erreurs commises par les politiques suivies ces quarante dernières années. Tout cela le décrédibilise considérablement, mais c’est hélas devenu le dénominateur commun des partisans de l’enseignement traditionnel. Il suffit de consulter les blogs de Natacha Polony ou de Jean-Paul Brighelli pour constater cette grave dérive. Sans s’en apercevoir, certains sont devenus la caricature que leurs adversaires faisaient d’eux. Mauvais choix…


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La querelle de l'école
dir. Alain FINKIELKRAUT
Stock/Panama, 228 p.09/2007




Franz Xaver Messerschmidt