Entretien avec Stanislas Morel
Le phénomène de « médicalisation » que vous
évoquez est-il récent ?
Il existe depuis la fin du 19e siècle. C’est
là qu’on voit les premiers médecins intervenir sur la difficulté scolaire. Mais
ça n’a pris de l’importance qu’à partir des années 1990. Pour arriver
aujourd’hui à une pratique décomplexée. On arrive à un moment où l’échec
scolaire est traité comme une spécialité médicale. On n’est plus à un
traitement médical qui concernerait 1 à 2 % des élèves. La médicalisation
concerne 15 à 20 % d’élèves en difficulté scolaire. Dans nos enquêtes, un tiers
des élèves a consulté un orthophoniste par exemple.
Ce phénomène est-il une conséquence de la loi de 2005 qui
a intégré les jeunes handicapés à l’école ?
En partie oui. Les enseignants sont confrontés à un nouveau
public avec des enfants qui posent parfois problème. C’est devenu une véritable
hantise pour les enseignants particulièrement dans les cas de handicap mental.
Face à des situations très difficiles, la médicalisation est une porte de
secours pour faire face à des situations de crise, par exemple en maternelle.
Pourquoi cette médicalisation est-elle un problème ?
La majorité des enseignants n’a pas conscience que déléguer
massivement la difficulté scolaire va leur poser problème. J’observe qu’on
envoie vers l’orthophoniste par exemple des élèves ayant des problèmes de
prononciation ou de lexique, des difficultés qui relèvent de questions
scolaires. De fait les enseignants se retrouvent en concurrence avec les
professionnels de santé. Et l’évolution n’est pas favorable aux enseignants.
C’est rare qu’un instituteur puisse faire valoir son avis contre celui d’un
psychologue. Et il n’est pas rare qu’un personnel de santé, un orthophoniste
par exemple, donne son avis sur la façon d’enseigner et le travail enseignant.
Pourtant le système éducatif a son propre recours, les
Rased…
Ce sont des psychologues et des pédagogues. Mais la
médicalisation interprète la difficulté scolaire des élèves par rapport aux
spécialités médicales.
On a vu se multiplier les ordonnances de Ritaline, un
médicament sensé calmer les enfants hyperactifs durant les cours. Comment lisez-vous
cela ?
Le médicament est autorisé depuis 1995 dans un cadre très
précis. Malgré tout il est de plus en plus prescrit notamment pour le TDAH.
Mais on ne peut pas comprendre ce phénomène seulement en termes de prescription
médicale. Ça renvoie à la politique de lutte contre l’échec scolaire. Les
enseignants participent eux-mêmes à cette médicalisation. Il y a
convergence. Les médecins sont souvent perçus comme impérialistes alors qu’ils
sont pris de court par les demandes.
La médicalisation remet en question le métier
enseignant ?
Dans les années 1970, l’échec scolaire alimentait les
classes de perfectionnement où étaient scolarisés près de 130 000 jeunes.
Aujourd’hui on préfère inviter l’enfant à aller chez l’orthophoniste. Les
enseignants continuent à enseigner. Ils n’ont pas pris conscience des dangers
de faire appel aux spécialistes médicaux. Ils ne sont plus considérés comme les
spécialistes du traitement de l’échec scolaire. C’est le signe d’une profession
en déclin. On voit aussi comment des spécialistes scientifiques, comme S.
Dehaene, viennent fixer les bonnes pratiques pour l’apprentissage du calcul ou
de la lecture. Aujourd’hui les enseignants sont marginalisés et perdent du
territoire.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Les commentaires reçus n’ont pas tous vocation à être publiés.
Étant directeur de publication de ce blog, seuls les textes qui présentent un intérêt à mes yeux seront retenus.