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samedi 22 février 2014

Lecture : Enseigner explicitement, en allant du plus simple au plus complexe

Source : Le Monde du 03.02.2014


Stanislas Dehaene : 

« On observe souvent un déni de la réalité scientifique »


Pour le professeur au Collège de France, psychologue cognitif et neuroscientifique, ce sont les méthodes d'apprentissage de la lecture qu'il faut revoir afin de lutter contre l'illettrisme.

Tous les enfants peuvent-ils vraiment apprendre à lire ?

Oui, même les dyslexiques sévères, à condition de leur proposer un enseignement systématique. Le principe alphabétique ne va pas de soi. Il faut en enseigner explicitement tous les détails : la correspondance de chaque lettre ou groupe de lettres avec un son du langage, la distinction entre voyelle et consonne, le déroulement du mot de la gauche vers la droite, les lettres muettes, les terminaisons grammaticales – et cela, avec une progression systématique du plus simple au plus complexe, et sans jamais proposer à l'enfant de mots dont on ne lui ait pas enseigné, d'abord, les clés de lecture.

Vos recherches en imagerie cérébrale démontrent que tous les enfants bénéficient des mêmes capacités cognitives. Alors, comment expliquer que les élèves issus de milieux défavorisés ont plus de difficultés que les autres pour apprendre à lire ?

Les réseaux fondamentaux de la vision et du langage sont effectivement les mêmes pour tous. Ce qui manque, en revanche, aux plus démunis, c'est un environnement stimulant. Faute de livres, leur vocabulaire est réduit. Faute de jeux intelligents, leur flexibilité cognitive est moindre. Résultat : ils sont plus vulnérables que les autres aux troubles de l'apprentissage.

Les enseignants font pourtant beaucoup pour eux. Comment peuvent-ils les aider à surmonter ces troubles, notamment en lecture ?

En s'adaptant au fonctionnement cognitif des élèves. Cela signifie que l'enseignement doit insister sur la conversion des lettres en sons. Pourquoi ? Parce que quand un enfant apprend à lire, son cerveau effectue trois étapes. La première consiste à identifier la séquence de lettres. La deuxième, le décodage de leur prononciation. Et c'est seulement en dernier qu'intervient le sens. Il faut attendre plusieurs années avant que la lecture devienne un automatisme. Seul un lecteur expert passe directement des chaînes de lettres à leur signification. C'est pourquoi le déchiffrage des lettres, qui ne devient automatique qu'au bout de deux ou trois ans chez un enfant, est une étape extrêmement importante. Penser qu'on peut la court-circuiter afin d'accéder directement au sens des mots, à leur signification, est une grave erreur. C'est néanmoins ce que proposent certaines méthodes mixtes.

Mais les méthodes de lecture mises à disposition des enseignants permettent-elles d'avoir la bonne évolution ?

Dans un manuel très populaire l'enfant doit, dès les premières semaines de CP, différencier un article de journal d'une poésie, bien qu'il ne sache pas lire. Aberrant également, les énoncés du type « Je sais déjà lire des mots », où l'élève se réfère à des illustrations pour trouver les réponses. Cela l'incite à croire que les mots se devinent. Cela explique la présence de cinq ou six élèves en échec dans chaque classe de CP, souvent issus d'un milieu défavorisé. Les autres réussissent parce que leur famille compense les déficiences de l'école.

Certaines méthodes seraient donc plus adaptées que d'autres au fonctionnement cérébral des enfants ?

Une enquête menée par le sociologue Jérôme Deauvieau montre que l'utilisation d'un manuel « graphémique » comme Je lis, j'écris (Les Lettres bleues, 2009) améliore les performances des élèves de vingt points sur cent. Mais dans le fond, peu importe que l'enseignant parte des lettres pour composer des syllabes, ou de mots simples pour les décomposer en lettres. L'important est que celui-ci explique progressivement les principes du code alphabétique. Ce qu'il ne faut pas, c'est distraire l'enfant. Or, comme leur nom l'indique, les méthodes mixtes contiennent une incroyable mixité d'exercices. Certains sont appropriés, d'autres pas. Et puis, il faut aussi cesser de politiser les questions de méthode. C'est absurde. L'apprentissage de la lecture n'est ni de droite ni de gauche. Le cerveau des enfants fonctionne d'une seule et même façon. Pour délivrer un enseignement adapté, les profs doivent simplement connaître ce fonctionnement.

Comment expliquer justement que les enseignants n'aient pas tous connaissance de ce fonctionnement ?

Parce que la science de l'apprentissage est très peu présente dans leur formation. Beaucoup d'enseignants ignorent ces étapes par lesquelles un enfant apprend à lire. C'est ce qui les amène à croire qu'il s'agit d'une opération simple. C'est normal, puisque chez un adulte, la lecture est un automatisme.
En revanche, il faut remédier à la méconnaissance qu'ont les enseignants des processus d'apprentissages. Les profs doivent devenir des experts de la recherche en éducation, comme leurs homologues finlandais, qui collaborent régulièrement aux travaux des chercheurs. En Belgique, la dyslexie et la dyscalculie sont systématiquement détectées. Les enseignants connaissent ces troubles, ne les nient pas et redoublent d'effort pour que les élèves puissent les surmonter. Ce n'est pas le cas en France, où on observe souvent un déni de la réalité scientifique.

Les apports de la science sont néanmoins à l'origine de la réforme des rythmes scolaires…

Oui. L'école de 4,5 jours est plus respectueuse des rythmes d'apprentissage de l'enfant. Depuis cinquante ans, les recherches montrent qu'il vaut mieux répartir un cours d'une heure en quatre petites leçons de quinze minutes plutôt que de le dispenser d'un coup. Le mécanisme est simple. Chaque jour, vous accumulez des connaissances et chaque nuit, ou à chaque sieste, vous les consolidez. Plus il y a d'alternance entre apprentissage et sommeil, mieux fonctionne la mémoire ! Et chez les enfants hyperactifs et qui souffrent de troubles de l'attention, allonger la période de sommeil constitue souvent un excellent remède !

Propos recueillis par Emma Paoli
  

5 commentaires:

  1. Encore une fois, ca serait bien de s'appuyer sur ces types de recherches pour avancer dans notre enseignement.

    Je souhaiterais savoir ou nous en sommes dans les domaines comme l'histoire, la géographie, la science. Avec la mise en avant des situations problèmes, dans la plupart de la littérature liée à ces domaines, j'ai du mal à trouver le manuel explicite ou la démarche explicite qui pourrait correspondre à l'apprentissage le plus efficace.

    Prenons l'exemple, de la premiere guerre mondiale pour des cm2 comment un pédagogue explicite l'aborderai et quel serait ces étapes ?

    Merci.

    PS: A la lecture, je souhaiterai faire beaucoup plus lire mes élèves mais la aussi la question du comment semble difficile ? Actuellement je fais lire en classe entière mais pendant qu'un lit les autres sont plutot passifs .

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    1. En enseignement explicite, il n’y a pas de disciplines privilégiées et les principes de base s’appliquent à tous les enseignements. En histoire par exemple, le but n’est pas de faire acquérir aux élèves les démarches de l’historien chercheur mais simplement d’installer un certain nombre de connaissances et habiletés. Il en va de même pour la géographie et les sciences. C’est pourquoi la procédure sera semblable aux autres enseignements avec un modelage, une pratique, la vérification de la compréhension par un questionnement …

      Il est vrai qu’il n’y a pas de manuels spécifiques sur le marché ; on peut néanmoins utiliser certains manuels comme supports documentaires dans la mesure où ils ont une démarche peu constructiviste. Je pense par exemple à des collections comme Les Ateliers Histoire chez Hachette, collection Odyssée chez Belin. On doit simplement se souvenir que l’on part du simple pour aller vers le complexe et que l’on fractionne les difficultés.

      Si vous voulez un exemple plus précis, regardez ceci.

      Sur l’enseignement de l’histoire, il y a ce livre très intéressant qui resitue l’enseignement de l’histoire à la lumière des errements des décennies précédentes. Les perspectives qu’il propose s’inscrivent bien dans un cadre explicite.

      Quant à la lecture, il y a bien des façons de la faire pratiquer : lecture individuelle, lecture suivie, lecture d’œuvres complètes (rallye lecture par exemple, voir ici, un site très bien fait), questions sur le sens après lecture silencieuse, questions plus techniques (ex : exercices de type CLR Hachette), lecture orale … Il faut varier les exercices. Et ne pas oublier que l’on peut aider à la compréhension par un enseignement explicite mais que la compréhension est indissociable d’une bonne culture de base. Voir aussi les fondements de la lecture.

      Bonne continuation

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    2. J'ai regardé mais malheureusement j'ai du mal à voir les différentes parties en histoire, géo et sciences reliées à la pédagogie explicite.

      Par exemple en ce moment je suis sur la séance 1 sur qu'est ce que la révolution industrielle?
      Mon objectif c'est que les élèves soient capables à la fin du cours de savoir que:
      -la Révolution Industrielle correspond à une augmentation rapide et importante des productions industrielles qui dépassent la production agricole.
      - il existe deux révolutions industrielles ( celle avec le charbon la vapeur et celle avec l'électricité , le pétrole)

      dans la partie modelage, où il faut mettre le haut parleur sur ma pensée, je ne comprends pas réellement comment je l'apporte ? Est ce que je lis un document ? Est ce que je le dis clairement comme si c'était le résumé de ma leçon ?

      en pratique guidée, autant en math et fr je donne un petit exercice autant la guidée dans ces matières. J'ai du mal.

      Pareillement pour la pratique autonome.

      Après j'ai bien compris qu'il faut que je donne la leçon tapée sur ordi et que les élèves fassent leur résumé à eux. "La lecture et l’écriture ont une place importante dans la procédure de structuration de la pensée historique, comme par exemple la synthèse finale ou résumé, à condition qu’il soit produit par l’élève."

      Dur dur, dommage que Mallory qui m'aide beaucoup en pédagogie explicite n'est rien publiée d'explicite dans ces domaines.

      Merci

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  2. Le courant de la Pédagogie Explicite est tout nouveau dans le monde francophone. Nous n’avons hélas pas encore l’équivalent d’outils comme les scripts de leçons faits par le Direct Instruction. Les enseignants du DI suivent leur script très détaillé et ne se préoccupent dans leur leçon que des réactions des élèves. En France, nous n’en sommes pas encore là. Loin s’en faut…

    Françoise et moi, nous avons fait connaître l’enseignement explicite en France à partir seulement de l’été 2006. Des enseignants ont depuis décidé de s’y mettre pour augmenter l’efficacité de leurs pratiques. Ils forment une petite communauté qui a, pour le moment, encore du mal à échanger les démarches réussies, les outils de travail, les expériences professionnelles concernant les pratiques explicites. Des sites, comme celui de Mallory que vous évoquez, proposent des pistes de travail très pragmatiques (voir aussi les liens sur Form@PEx, page France). Mais tout ne se fera pas en un seul jour.

    Concrètement, pour les matières fortement structurées (comme le français et les mathématiques), les choses sont assez simples à mettre en place. Pour les autres matières, nous devons créer des procédures qui cadrent avec les spécificités explicites.

    En histoire (qui est le sujet qui vous préoccupe), voici ce que je fais avec mes élèves. Après un rappel du cadre historique déjà étudié, je mélange modelage et pratique guidée au cours de la nouvelle leçon. Concrètement, je pose une grande quantité de questions dont les réponses se trouvent dans le manuel (soit dans le texte, soit dans les documents). Les élèves qui doivent répondre sont choisis de manière aléatoire et le rythme est soutenu. Si un aspect ne semble pas acquis, je le reprends en détail mais toujours de manière assez rapide. En plus d’écrire la trace écrite, la pratique autonome consiste à mener une recherche sur un point de détail de la leçon, que chaque élève choisit en fonction de sa curiosité ou de ses intérêts. Cette recherche menée en classe à partir des documents disponibles, ou à la BCD ou à la maison (notamment sur Internet, avec l’accompagnement d’un parent) se traduit par un texte ou une illustration commentée, une carte ou un graphique, etc.

    Cela étant, ma façon de faire constitue une piste de travail et non un modèle. L’expérience m’a appris qu’on peut toujours améliorer sa pratique et, même en toute fin de carrière, je corrige toujours des détails pour obtenir plus de réussite chez mes élèves.

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  3. J’espère être complémentaire et non redondante à la réponse de Bernard. Personnellement, je souligne l’importance de la mise en situation avec l’annonce de l’objectif d’apprentissage (ex : Nous allons expliquer les causes de la révolution industrielle), du déroulement (je vais vous expliquer certaines choses, nous étudierons des documents, nous regarderons une vidéo) et surtout le rappel des connaissances préalables, en particulier celles qui vont permettre de mieux comprendre la nouvelle leçon. Il est en effet très important en histoire de saisir l’enchaînement des événements. Pour ma part, le modelage est à la fois une explication par le maître (un récit historique qui veille particulièrement à l’enchaînement des idées, aux mots clés, aux dates clés) s’appuyant sur divers documents et une lecture par les élèves dans le manuel. Le récit du maître comme la lecture sont parsemés de questions précises dont les réponses doivent être justifiées.

    Une précision relative au moment de synthèse. S’il est important de demander aux élèves ce qu’ils ont retenu, par contre la synthèse écrite ou résumé (avec lexique), celle qui restera dans le cahier de l’élève, est faite par l’enseignant. Ce qui n’empêche pas de demander par ailleurs un travail de recherche en pratique autonome, une fois que le sujet a été travaillé.

    Il faut garder en tête l’esprit explicite : connaissances préalables, procéder par étapes graduelles, veiller à la compréhension à chaque explication, ne rien laisser dans l’ombre, poser de multiples questions, demander aux élèves de redire ce qu’ils ont compris, de distinguer l’important de l’accessoire. Et surtout, car l’histoire est parfois compliquée, rester simple, et savoir se mettre au niveau des élèves. Quand on s’efforce de procéder ainsi, on remarque que les leçons d’histoire sont des moments d’échange et d’intérêt très agréables dans une classe.

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