Source : Démocratisation-scolaire.fr
Jean-Pierre Terrail
GRDS - Groupe de Recherche sur la Démocratisation Scolaire
En matière de méthode d’apprentissage de la lecture, c’est
un fait : si vous insistez sur le déchiffrage vous êtes de droite, par
contre manifester votre préoccupation pour la compréhension vous vaudra
immédiatement un label de progressisme pédagogique et politique.
Particulièrement prégnante, cette politisation de la question déborde largement
les rangs de ceux qui ont un minimum de compétence instruite en la matière.
Elle prend naissance dans les années 1960, quand les enfants des classes
populaires commencent à entrer en masse dans le secondaire. Pédagogues et
responsables du système éducatif sont alors convaincus (ils le sont toujours,
pour l’essentiel) que les apprentissages qui conviennent à ces enfants doivent
faire une large part au concret et au ludique. Les difficultés rencontrées par
la réforme des « maths modernes », dans la première moitié des années
70, viendront renforcer ce présupposé d’une incapacité des enfants du peuple à
s’approprier les savoirs abstraits. C’est à ce titre que la méthode syllabique
sera désormais récusée, et les instructions officielles de 1972 portant réforme
de l’enseignement du français à l’école élémentaire en prononceront le
bannissement : elles seront accueillies avec réticence par la droite, et
massivement soutenues par la gauche. La syllabique n’a cessé depuis lors, aux
yeux de cette dernière, de faire office de figure parfaitement emblématique de
l’esprit réactionnaire et des pédagogies d’inculcation autoritaire.
Que l’affrontement entre pédagogie traditionnelle et
pédagogie rénovée, entre le transmettre et l’apprendre, se soit cristallisé sur
la question de la lecture n’est guère surprenant, sachant le caractère crucial
de l’accès à la culture écrite – sorte de seconde entrée dans le langage – dans
une société comme la nôtre. Il reste que l’étiquetage politique des méthodes
d’apprentissage est totalement inapproprié. C’est ce que l’on attend de l’école
– qu’elle respecte les hiérarchies sociales, ou qu’elle sélectionne les plus
méritants, ou bien qu’elle se préoccupe prioritairement de formation
professionnelle et d’employabilité, ou bien encore qu’elle transmette à tous
une culture commune de haut niveau, etc. – c’est cela qui ressort pleinement
d’une visée d’ordre politique. La pertinence des méthodes d’apprentissage, pour
sa part, dépend de leur adéquation à la mission de l’institution
scolaire : qui prône l’accès du grand nombre aux savoirs élaborés de la
culture écrite jugera ces méthodes sur leur efficacité cognitive, et non sur
leur supposée couleur politique.
La politisation des méthodes de lecture est foncièrement
dommageable en ce sens qu’elle fonctionne comme un argument d’autorité, un
véritable interdit de penser : la chose est jugée d’avance, inutile d’en
débattre. L’attitude de la gauche pédagogique à l’égard de la dynamique Blanquer
est claire à cet égard : le médiocre rendement actuel de notre système
éducatif est oublié, les résultats convergents de la recherche internationale
sont ignorés, aucune réflexion de fond n’est engagée, le seul argument qui
vaille est celui de la défense de la liberté pédagogique des enseignants (comme
si depuis la loi Guizot de 1833 le pouvoir d’État s’était jamais désintéressé
du pilotage à distance de l’activité des enseignants dans leur classe !).
Mais cette posture « de gauche » est redoutable pour
ceux qui l’adoptent : ne les fait-elle pas apparaître comme ceux qui ne
veulent rien changer à un état des choses pourtant démocratiquement
indéfendable, le ministre de droite faisant dès lors, lui, figure de
progressiste ? La critique adressée à Blanquer par R. Goigoux, expert
écouté par les syndicats du primaire, illustre ce paradoxe, en reprochant au
ministre… une trop grande ambition en matière de réussite des apprentissages au
CP : « Depuis quand un pays
donne-t-il à son école l’objectif d’atteindre les performances habituelles des
30% des meilleurs élèves ? ». On se frotte les yeux : mais,
après tout, est-il si illogique que ceux qui défendent l’ordre pédagogique
existant défendent aussi les résultats qu’il produit ?
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