Une revue critique de l’article d’Anthony S. Bryk
Bressoux Pascal
Éducation & didactique, 2017/3 (Vol. 11), p. 123-134
Extraits :
« À l’évidence, tout n’est pas identique ; les
contextes d’enseignement varient, et toute tentative d’implanter partout des
solutions préfabriquées, sans se soucier des conditions de réception, de
diffusion et d’exercice dans des contextes différents, a toutes les chances de
se solder par un échec cuisant.
À ce niveau, un risque apparaît toutefois : celui de penser
que rien n’est généralisable, que tout n’est qu’affaire de “rencontre”, que
l’on ne peut en aucun cas envisager de pratique menant à de meilleurs résultats
et que, comme le récuse Bryk, on soit amené à « croire que chaque situation est unique et que, par conséquent, chaque
éducateur, école, district doit inventer lui-même sa propre pratique » (p.
474).
J’ai pour ma part toujours été très agacé par les discours
qui, sous prétexte de l’inextricable complexité du processus
d’enseignement-apprentissage, prétendent qu’une connaissance générale sur
l’efficacité des pratiques n’est pas possible. Que, par conséquent, cette
efficacité ne peut être que le produit inattendu, imprédictible, d’un processus
émergent, qui ne se transpose à rien et à personne, le résultat d’une rencontre
unique entre des enseignants singuliers et des élèves singuliers.
Qui a jamais prétendu que l’acte d’enseignement n’avait
aucune composante singulière ? Mais n’y a-t-il pas aussi une composante
générique, commune à un grand nombre d’actes d’enseignement ? Ainsi, les
travaux sur l’efficacité des enseignants montrent qu’un enseignant efficace
dans une matière (p. ex. maths) a tendance à l’être aussi dans d’autres (p. ex.
français) (Mingat, 1991), qu’un enseignant efficace dans une classe a tendance
à l’être dans toutes celles où il enseigne (Felouzis, 1997), qu’un enseignant
efficace une année a tendance à l’être les années suivantes (Chetty et al.,
2014). Autant de faits qui vont à l’encontre de l’hypothèse d’un phénomène
émergent, imprédictible.
Je suis en grand accord avec Bryk quand il énonce la
difficulté à généraliser des expériences scientifiques clairement contrôlées et
localisées. Mais difficulté ne signifie pas impossibilité, et on connaît déjà
quelques cas de généralisation réussie. Ainsi, le programme Success for all produit des effets
constamment positifs depuis sa mise en place et sa généralisation (50 000
enseignants dans plus de 1 000 écoles dans 48 États et quatre autres pays
touchant plus de 500 000 élèves d’après le site de la Success for all Foundation).
Nul doute que les concepteurs et développeurs de ce programme ont acquis un
savoir-faire en matière de diffusion de “bonnes pratiques”. Ce développement ne
s’est toutefois pas fait du jour au lendemain. »
[…]
« D’autant que l’efficacité d’une pratique n’a pas la
limpidité qu’on serait tenté de lui accorder naïvement. Il est en effet très
difficile, du point de vue des acteurs, d’avoir une vue claire sur l’efficacité
des pratiques, y compris pour les enseignants. Comme on dit, ça ne saute pas
aux yeux. Il est très difficile pour des enseignants de savoir si leur pratique
est efficace. D’une part, parce que les élèves progressent, quelle que soit la
pratique. D’autre part parce que, je le répète, l’efficacité est relative ; une
pratique est efficace relativement à une autre. Elle est donc, selon certains
critères d’efficacité établis, meilleure, équivalente, ou moins bonne qu’une
autre. La conséquence est qu’il faudrait pouvoir comparer les résultats avec
ceux issus d’une autre pratique, ce que les enseignants ne peuvent évidemment
pas faire : ils sont dans l’impossibilité de mettre en place simultanément deux
pratiques. En conséquence, ils ne disposent pas du contrefactuel. »
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Les commentaires reçus n’ont pas tous vocation à être publiés.
Étant directeur de publication de ce blog, seuls les textes qui présentent un intérêt à mes yeux seront retenus.